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Date: 19971212


Dossier: IMM-4668-96

ENTRE:

     AMIR SBITTY,

     Partie requérante

     -et-

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     Partie intimée

     MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de la section du statut, rendue le 25 novembre 1996, selon laquelle le requérant, citoyen d'Israël, n'est pas un réfugié au sens de la Convention tel que défini par l'article 2(1) de la Loi de l'immigration. Le 2 septembre 1997, Noël J. a accordé l'autorisation d'introduire une demande de révision judiciaire dans cette affaire.

[2]      Le requérant est né en Israël le 24 septembre 1974 et il est de nationalité palestinienne, de religion catholique et de citoyenneté israélienne. Alors qu'il résidait en Israël, il habitait le quartier arabe d'Haifa.

[3]      Les problèmes du requérant ont commencé au printemps 1993 alors qu'il a fait l'objet d'accrochages avec la police israélienne et les Juifs d'Haifa. Plus particulièrement, le 26 avril 1993, le requérant a été détenu par la police et il a été battu et roué de coups sur tout le corps. D'après le requérant, cette situation est devenue intolérable et il a quitté temporairement Israël. Il est donc venu au Canada visiter des membres de sa famille de décembre 1993 à mai 1994.

[4]      Vers juin 1994, peu après son retour, les policiers des Services de sécurité d'Israël ont commencé à l'interroger à propos de larcins et de crimes commis dans le quartier. De plus, on l'a harcelé afin qu'il devienne collaborateur pour l'État d'Israël. Entre autre, on lui a fait comprendre que s'il refusait de collaborer avec eux, il aurait la vie dure. Effectivement, les Services de sécurité l'arrêtaient et tentaient d'obtenir de sa part de l'information sur tous les délits mineurs qui étaient commis dans le quartier.

[5]      D'après le requérant, les Services de sécurité ont tenté plusieurs fois de l'accuser de crimes qu'il n'avait pas commis. En particulier, en décembre 1994, ils ont arrêté un de ses amis et ont accusé ce dernier de trafic de drogue; ils ont tenté en vain de lui faire avouer que le requérant pratiquait le trafic de drogue. Une semaine plus tard, les Services de sécurité ont arrêté le requérant et il a été gardé en détention pendant deux jours sous prétexte de trafic de drogue. Il a été relâché mais, une semaine plus tard, on l'accusait de cambriolage. Cette fois le requérant a été emprisonné pendant dix jours puis relâché.

[6]      Une journée après avoir été relâché, la police a arrêté encore une fois encore le requérant afin d'obtenir un échantillon de sa signature. En effet, un nouveau cambriolage avait été commis dans son quartier, selon toute apparence par une personne gauchère. Puisque le requérant était droitier, il a été relâché immédiatement. C'est alors que le requérant a compris que les forces de sécurité tenteraient par tous les moyens de le trouver coupable d'un crime quelconque et de l'obliger à collaborer contre les Palestiniens. Le requérant a alors quitté l'Israël pour le Canada le 6 mars 1995.

[7]      Le requérant a fait une revendication auprès de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié alléguant une crainte bien fondée de persécution dans son pays à cause de son origine palestinienne. L'audience a eu lieu les 13 juin et 14 août 1996 et la décision fut rendue le 19 novembre 1996. À cette date, la Section du statut de réfugié ("la Commission") a décidé que le requérant n'était un "réfugié au sens de la Convention" tel que défini à l'article 2(1) de la Loi.

[8]      La Commission a conclu à l'absence complète de crédibilité du requérant, et ce, pour les motifs suivants:

                 ...parce que son témoignage nous est apparu invraisemblable en ce qui a trait à des éléments de sa revendication. En outre, nous avons perçu le témoignage du revendicateur imprécis et pouvant amener le tribunal à attribuer un manque de sérieux de la part du revendicateur.                 

[9]      La Commission a donné plusieurs exemples à ce sujet dans sa décision, plus particulièrement, en ce qui concerne l'événement survenu le 26 avril 1993. Selon la Commission, le certificat médical soumis par la partie requérante ne démontrait aucunement que le requérant portait des blessures et elle a conclu que ce certificat contredisait l'allégation qu'il avait été battu sur tout le corps.

[10]      De plus, la Commission a constaté que lors de l'audition du 13 juin 1996, le requérant avait témoigné qu'en décembre 1994 il avait été arrêté par la police pour 24 heures tandis que son FRP indiquait qu'il avait été détenu pendant une période de deux jours. Or, lors de l'audition du 14 août 1996, il avait témoigné qu'en réalité il avait été détenu pendant deux jours.

[11]      La Commission a de plus remarqué que le requérant avait changé ses faits en ce qui concernait ses innombrables problèmes avec la police entre 1990 et 1993; d'une part, il avait déclaré avoir fait l'objet de perquisitions trois à quatre fois par mois mais plus tard, durant l'audience, il s'est contredit et a relaté que les Services de sécurité étaient venu chez lui seulement deux fois entre 1990 et 1993.

[12]      La Commission a aussi conclu à l'existence d'une possibilité d'un refuge interne en Israël pour le requérant. Elle déclarait dans sa décision:

                 Soulignons aussi que nous avons confronté le revendicateur à l'effet qu'il aurait pu déménager de quartier ou de ville afin d'éviter la demande des policiers. Le revendicateur nous répond que la situation serait la même dans autres quartiers ou d'autres villes d'Israël. Nous ne pouvons accepter cette réponse car la police était intéressée à lui seulement du fait qu'il résidait dans ce quartier et y était connu. Si le revendicateur avait eu sa résidence dans un autre quartier ou une autre ville, il n'aurait aucune valeur pour la police, car la police était intéressée à ce qui passait spécifiquement dans son quartier.                 

[13]      La Commission a déterminé qu'il existe au sein du ministère israélien de la Justice une unité qui s'occupe spécifiquement des plaintes de citoyens concernant la conduite des policiers. Lorsqu'interrogé sur ce fait, le requérant a témoigné qu'il n'avait pas utilisé ce recours et qu'il ne connaissait pas son existence.

[14]      Finalement, la Commission a conclu que, même si le requérant avait fait la preuve d'avoir été victime de persécution, la preuve documentaire démontre que l'État d'Israël était en mesure de le protéger; qu'en l'espèce, le requérant avait été incapable de produire une preuve claire et convaincante de l'incapacité de l'État d'assurer sa protection.

[15]      Les questions en litige sont les suivantes:

                 1) Est-ce-que la Commission a erré en déterminant que le requérant n'était pas crédible?                 
                 2) Est-ce-que la Commission a erré quand elle a déterminé que le requérant avait une possibilité de refuge interne valable?                 
                 3) Est-ce-que la Commission a erré quand elle a déterminé que le requérant pouvait bénéficier de la protection de l'État d'Israël?                 

[16]      La détermination de la crédibilité est une question de fait1. La formation de la CISR qui entend une demande de statut de réfugié se trouve dans une position unique pour évaluer la crédibilité du demandeur; les conclusions de fait fondées sur les contradictions internes, les incohérences et les déclarations évasives sont "le fondement même du pouvoir discrétionnaire du juge des faits"2. Les conclusions portant sur la crédibilité doivent donc faire l'objet d'une grande retenue lors du contrôle judiciaire et ne peuvent être infirmées, sauf si elles ont été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont la Commission en disposait3.

[17]      Tel qu'énoncé par Noël J. dans la cause Oduro v. M.E.I.4 :

                 However, it is not for me to substitute my discretion for that of the Board. The question I must consider is whether it was open for the Board on the evidence to conclude as it did...the fact that I might have seen the matter differently does not allow me to intervene in the absence of an overriding error.                 

[18]      De la même façon dans Aguebor c. M.E.I5., cette Cour a énoncé:

         There is no longer any doubt that the Refugee Division, which is a specialized tribunal, has complete jurisdiction to determine the plausibility of testimony: who is in a better position than the Refugee Division to gauge the credibility of an account and to draw the necessary inferences? As long as the inferences drawn by the tribunal are not unreasonable as to warrant our intervention, its findings are not open to judicial review.                 

[19]      Le requérant déclare que la Commission a erré en déterminant qu'il n'était pas crédible. Plus particulièrement, le requérant prétend que la Commission a erré dans son évaluation de la preuve testimoniale soumise en ce qui trait aux événements du 26 avril 1993, la durée de l'arrestation de décembre 1994 et les perquisitions à domicile survenues chez le requérant entre 1990 et 1993.

[20]      En ce qui concerne les événements survenus le 26 avril 1993, la Commission a trouvé le témoignage du requérant peu crédible puisque, d'après elle, la preuve médicale ne supportait pas les faits soumis par ce dernier. J'ai examiné le certificat en question et j'ai remarqué que le rapport médical était divisé en deux parties. La première conclusion a été tirée par un urologue, la deuxième par un orthopédiste. La traduction de l'expertise de l'urologue se lit comme suit:

                 There was no pathology in urological examinations.                 

[21]      Par contre, l'orthopédiste confirme ce qui suit:

                 The patient of 18 was hurt on the head, in the area of genitals and the upper part of his back.                 

[22]      Un autre rapport médical en date du 26 août 1996 se trouve à la pièce 42 du dossier du requérant et stipule que:

                 Amir Sbitty passed a medical examination earlier today ... he declared he was hit by someone several times on the 26th of April 1993 ... Description of wounds and bruises: wound on the front of the head, the size is about 0.35 cm - bruise on the eyelid of the right eye - wound around the right eyebrow - sensitive when touched on the right knee - feels pain - bruise on the right forearm - 5 cm long - also feels severe pain when touched on numerous parts of his body.                 

[23]      Il me semble, d'après cette preuve, que la Commission aurait dû considérer le témoignage de ces deux médecins ou, à tout le moins, les écarter dans sa conclusion.

[24]      En ce qui trait à la question de l'arrestation de décembre 1994, la Commission a constaté que lors de l'audition du 13 juin 1996 le requérant avait témoigné qu'en décembre 1994, il avait été arrêté par la police pour 24 heures tandis que son FRP indiquait qu'il avait été détenu pendant une période de deux jours. Lors del'audition du 14 août 1996, il avait témoigné qu'en réalité il avait été détenu pendant deux jours. La Commission a déterminé que ceci était un autre facteur qui démontrait que le requérant n'était pas crédible.

[25]      À mon avis, cette incohérence est sans importance et n'est qu'une contradiction mineure ne pouvant raisonnablement permettre à la Commission de rejeter le témoignage du requérant faute de crédibilité. Dans l'affaire Attakora6, la Cour d'appel fédérale disait:

                 I have mentioned the Board's zeal to find instances of contradiction in the applicant's testimony. While the Board's task is a difficult one, it should not be over-vigilant in its microscopuic examination of the evidence of persons, who, like the present applicant...tells tales of horror in whose objective reality there is reason to believe.                 

[26]      Finalement, en ce qui trait à la question des perquisitions au domicile du requérant entre 1990 et 1993, je suis convaincu que la Commission a erré dans son appréciation de la preuve. L'affidavit du requérant ainsi que le FRP soulignent que c'est seulement après la période de 1993 que la police perquisitionnait le domicile de M. Sbitty.

[27]      Pour ces raisons, en ce qui concerne la première question en litige, je suis d'avis que la Commission a rendu une décision arbitraire, sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

[28]      En ce qui a trait aux deux dernières questions en litige, même si la partie intimée me suggère qu'elle n'avait pas à en traiter puisqu'elle avait jugé le requérant non crédible, je tiens à émettre les commentaires suivants.

[29]      La Commission a conclu que le requérant avait la possibilité d'un refuge interne. Je suis d'avis que la Commission a erré sur cette question. Elle ne semble pas s'être penchée sur le sort d'un Palestinien chrétien vivant en Israël. Dans son analyse, elle préconisait que seule la police de son quartier le harcelait et qu'en déménageant il pourrait éviter la persécution. La Commission a totalement ignoré la raisonnabilité du refuge interne pour le requérant en tant que Palestinien. Tel qu'énoncé dans Thirunavukkarasu7:

                 Comme énoncé par cette Cour: La possibilité de refuge dans une autre partie du même pays ne peut être seulement supposée ou théorique; elle doit être une option réaliste et abordable.                 

[30]      Pour ces raisons, je suis d'avis que la Commission a commis une erreur en droit sur cette question.

[31]      En ce qui concerne la protection offerte par l'État d'Israël au requérant, encore une fois la Commission a erré. Les Services de sécurité qui harcelaient le requérant est un appareil judiciaire de l'État d'Israël. Lors de l'audition, le requérant a été incapable de produire une preuve claire et convaincante de la capacité de l'État d'assurer sa protection puisqu'il ignorait totalement l'existence d'une unité qui apparemment s'occupait des plaintes des citoyens concernant la conduite des policiers. Je doute fortement qu'un Palestinien chrétien continuellement harcelé par la police du quartier et que l'on convoite comme collaborateur pour dévoiler les activités de ces concitoyens puisse obtenir la protection de l'État ou même qu'il puisse trouver refuge dans une autre région.

[32]      La preuve en l'espèce ne comportait pas suffisamment d'éléments sérieux pouvant supporter la décision de la Section du statut. Pour ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 12 décembre 1997

__________________

     1 White c. R.,[1947] R.C.S. 268.

     2 Dan-Ash c. M.E.I. (1988), 93 N.R. 33 (C.A.F.); Giron c. Canada (M.E.I.) (1992), 143 N.R. 238.

     3 Rajaratnam c. Canada (M.E.I.) (1991), 135 N.R. 300 (C.A.F.).

     4 Oduro c. M.E.I. (1993) F.C.J. No. 56 (C.F. D.G.).

     5 Aguebor c. M.E.I. (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).

     6 Attakora c. M.E.I. (1989) 99 N.R. 168 (C.A.F.).

     7Thirunavukkarasu c. M.E.I. (1994), 1 C.F. 584 (C.A.F.)


COUR FEDERALE DU CANADA SECTION DE PREMIERE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR : IMM-4668-97

INTITULE : Amir SBITTY c. M.C. I.

LIEU DE L'AUDIENCE : Montrdal (Quebec)

DATE DE L'AUDIENCE : le 27 novembre 1997 MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE ROULEAU EN DATE DU 12 decembre 1997

COMPARUTIONS

Me Jacques Beauchemin POUR LA PARTIE REQUERANTE

Me Lisa Maziade POUR LA PARTIE INTIMEE

AVOCATS INSCRITS A U DOSSIER

M. George Thomson POUR LA PARTIE INTIMEE Sous-procureur general du Canada

Alarie, Legault, Beauchemin, Paquin POUR LA PARTIE REQUERANTE Jobin & Brisson

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