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Date : 20010831

Dossier : T-2701-97

Référence neutre : 2001 CFPI 970

AFFAIRE INTÉRESSANT une annulation de la citoyenneté fondée sur les articles 10 et 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, dans sa forme modifiée, et sur l'article 19 de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1952, ch. 33, dans sa forme modifiée;

ET une demande de renvoi à la Cour fédérale présentée en vertu de l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29;

ET un renvoi à la Cour fédérale fondé sur l'article 920 des Règles de la Cour fédérale

ENTRE :

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                               demandeur

                                                                       et

                                              MICHAEL BAUMGARTNER

                                                                                                                                 défendeur

                                                 MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE McKEOWN

Introduction :


[1]                Le défendeur, M. Baumgartner, s'est volontairement engagé dans la Waffen-SS au mois de mars 1942, en Hongrie. M. Baumgartner est d'origine allemande, mais il est né en Roumanie; les personnes qui se trouvent dans cette situation sont également parfois désignées sous le nom de Schwaben ou de Volksdeutsche. M. Baumgartner est arrivé à Vienne à titre de recrue de la SS; il a été affecté à un bataillon de cavalerie de remplacement SS, puis au camp de concentration de Stutthof. Il a été muté au camp de concentration de Sachsenhausen et a ensuite reçu une formation de chauffeur à Appledoorn. Après avoir quitté Appledoorn, il a apparemment joint le Régiment des panzers Funf Wiking. Il s'est finalement retrouvé dans un camp de prisonniers de guerre américain à Regensburg et il a obtenu un certificat de libération le 6 septembre 1946. Il a par la suite cherché à être admis dans un camp de l'OIR; il n'a pas divulgué ses antécédents dans la Waffen-SS. Il a admis avoir menti au sujet de la demande qu'il avait faite à cet endroit, mais il a également fait les mêmes déclarations dans sa demande de résidence à Coburg, en Allemagne. Après s'être vu refuser l'admission aux États-Unis, M. Baumgartner a présenté une demande à l'immigration canadienne, en 1953; il est arrivé au Canada le 31 mai 1953. M. Baumgartner a demandé et obtenu la citoyenneté canadienne le 16 octobre 1959.


[2]                Le 24 septembre 1997, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre) a avisé M. Baumgartner, en vertu de l'alinéa 18.1a) de la Loi sur la citoyenneté (la Loi), qu'il avait l'intention de faire rapport au gouverneur en conseil conformément à l'alinéa 10(1)c) de la Loi en vue de faire annuler sa citoyenneté pour le motif qu'il avait été admis au Canada à titre de résident permanent et qu'il avait acquis la citoyenneté canadienne [TRADUCTION] « par fraude, ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, puisqu'[il] n'avait pas divulgué aux responsables de l'immigration et de la citoyenneté canadiennes qu'au cours de la Seconde Guerre mondiale, [il] avait servi dans la Waffen-SS et qu'[il] avait collaboré avec les autorités allemandes et avait servi auprès de ces autorités pendant qu'elles se livraient à des activités reliées aux camps de travail et de concentration en 1942 et en 1943 et, en particulier, qu'[il] avait été garde au camp de concentration de Stutthof, en Pologne, pendant que ce pays était occupé par l'Allemagne, et par la suite au camp de concentration de Sachsenhausen, en Allemagne » .

[3]                Conformément à l'alinéa 18(1)b), le défendeur, M. Baumgartner, a demandé au ministre de renvoyer l'affaire devant la Cour pour audition; le 15 décembre 1997, le ministre a renvoyé l'affaire devant la Cour.

[4]                M. Baumgartner a nié avoir fait de fausses déclarations aux autorités canadiennes. Il a nié s'être volontairement engagé dans la Waffen-SS; il a affirmé avec insistance qu'il avait été contraint à s'engager. Il a en outre nié avoir fait partie du bataillon de cavalerie et avoir été affecté aux camps de concentration de Stutthof et Sachsenhausen.

[5]                Je dois décider si M. Baumgartner a acquis la citoyenneté par fraude, ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Conformément aux dispositions du paragraphe 10(2) de la Loi, M. Baumgartner est réputé avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels s'il l'a acquise à raison d'une admission légale au Canada à titre de résident permanent obtenue par l'un de ces trois moyens.


[6]                La question principale que soulève le présent litige est de savoir si M. Baumgartner s'est volontairement engagé dans la Waffen-SS en Hongrie en 1942 ou s'il a servi à titre de garde dans les camps de concentration, à Stutthof ou à Sachsenhausen, pendant la Seconde Guerre mondiale. Les autres questions se rapportent à la procédure relative à la demande que le défendeur a présentée en vue d'être admis au Canada et à la procédure d'établissement elle-même et, en particulier, à la question de savoir si le défendeur a été interrogé et si on lui a demandé de divulguer aux responsables de l'immigration ou de la sécurité canadiennes qu'il avait effectué son service militaire pendant la Seconde Guerre mondiale ainsi qu'à la question de savoir quels critères de refoulement s'appliquaient aux immigrants éventuels, à Munich, le 11 mars 1953, et au cours de la période qui a suivi la date d'établissement, le 31 mai 1953. La crédibilité de M. Baumgartner doit être déterminée par rapport à chacune de ces questions.

La charge de la preuve :


[7]                Avant d'apprécier les questions de fait, il faut trancher une question de droit, à savoir quelle est la norme de preuve qu'il convient d'appliquer en l'espèce. Le défendeur soutient que la Cour devrait apprécier le cas selon une norme améliorée de la preuve en matière civile. Dans la décision MCI c. Bogutin (1998), 144 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.), j'ai statué que, dans une affaire d'annulation de la citoyenneté, la Cour doit appliquer la norme de la preuve en matière civile (à savoir la preuve selon la prépondérance des probabilités), mais qu'elle doit examiner la preuve avec plus de soin compte tenu des graves allégations qui doivent être établies au moyen de la preuve qui est soumise. Toutefois, l'avocat du défendeur affirme que la Cour devrait réexaminer la question à la lumière de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103 (C.S.C.). Dans la décision Bogutin, précitée, j'ai conclu que la Cour était liée par les décisions rendues par la Cour suprême du Canada dans trois affaires, notamment l'arrêt Continental Insurance c. Dalton, [1982] 1 R.C.S. 164 (C.S.C.), qui fait autorité. Contrairement à ce que le défendeur a affirmé, j'ai conclu qu'il ne m'était pas loisible d'apprécier le cas selon la norme « du degré élevé de probabilité » .


[8]                En l'espèce, le défendeur soutient que l'arrêt Oakes, précité, a eu pour effet de supplanter l'arrêt Continental Insurance, précité, selon lequel il existe une troisième norme de preuve. Le défendeur affirme en outre que cette troisième norme devrait s'appliquer en l'espèce. Toutefois, je ne retiens pas les arguments du défendeur sur ce point. L'arrêt Oakes se rapportait à la Charte. Or la Charte n'est pas invoquée en l'espèce. Dans l'arrêt Canada (Secrétaire d'État) c. Luitjens (1992), 142 N.R. 173, à la page 175, la Cour d'appel fédérale a statué qu'au moment où Monsieur le juge Collier avait rendu sa décision, l'article 7 de la Charte n'entrait pas en ligne de compte et que le défendeur n'avait pas été privé de « la vie, de la liberté et de la sécurité de sa personne » . Dans la présente instance, la Cour tire simplement une conclusion de fait et fait rapport au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration. Le gouverneur en conseil n'est pas obligé d'annuler la citoyenneté du défendeur. Les droits garantis par la Charte peuvent entrer en ligne de compte après que la citoyenneté ait été annulée, mais à ce stade de la procédure, ils ne sont pas en cause. Cela étant, je ne puis souscrire à l'avis selon lequel l'arrêt Continental Insurance, précité, à été supplanté par l'arrêt Oakes, précité, dans les affaires d'annulation de la citoyenneté. La décision rendue dans l'affaire Bogutin, précitée, est encore valable et la norme de preuve applicable en l'espèce est celle de la preuve selon la prépondérance des probabilités, de sorte qu'il faut examiner la preuve soumise à la Cour avec plus de soin.

L'historique et le contexte :

[9]                M. Johannes Tuchel a été reconnu à titre d'expert pour témoigner au sujet de l'appareil de terreur nazi de 1933 à 1945, et notamment au sujet de renseignements généraux se rapportant aux camps de concentration et plus précisément aux camps de Sachsenhausen et de Stutthof, soit les deux camps de concentration dans lesquels, selon le ministre, le défendeur aurait servi à titre de garde pendant la Seconde Guerre mondiale. M. Tuchel a également été reconnu à titre d'expert pour témoigner au sujet de la formation idéologique et des fonctions des gardes de camps de concentration; des origines et de l'évolution de la Waffen-SS; du recrutement de Volksdeutsche au sein de la Waffen-SS, en particulier en Hongrie en 1942; de l'évolution de la Division SS « Wiking » et de sa participation à de grandes batailles sur le front de l'Est, de 1940 au mois de mai 1945; ainsi que de l'authentification de documents datant de l'époque nazie. Il faut préciser que l'expertise de M. Tuchel ne s'étend pas à la graphologie ou à l'analyse des propriétés physiques du papier et de l'encre. Afin de replacer dans leur contexte les questions qui sont ici en litige, il faut examiner l'historique des camps de concentration et leur rôle dans le régime nazi.


L'établissement du régime nazi de la terreur

But des camps de concentration et administration des camps

[10]            M. Tuchel a décrit la nature du système de camps de concentration établi par les nazis avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Je note que le témoin a employé l'expression [TRADUCTION] « camp de concentration » pour désigner uniquement les camps administrés par le Bureau d'inspection des camps de concentration ou le Groupe D de l'Office central pour l'économie et pour l'administration de la SS, plutôt que pour désigner d'une façon plus générale les camps d'extermination ou les camps de travail qui existaient au cours du régime nazi de terreur, pendant la Seconde Guerre mondiale.

[11]            Les premiers camps de concentration ont été créés au mois de mars 1933; l'emprisonnement dans ces camps a été rendu possible par le [TRADUCTION] « Décret du président du Reich de protection du peuple et de l'État » de Von Hindenburg, qui éteignait effectivement les droits civils en Allemagne et autorisait le gouvernement nazi à transférer les gens dans des camps de concentration sans suivre une procédure judiciaire reconnue.


[12]            Le but des camps de concentration était initialement d'éliminer les ennemis politiques et d'empêcher l'apparition d'une nouvelle opposition politique. À partir de l'année 1936, les camps ont été de plus en plus utilisés aux fins de la persécution des Juifs. Plus tard au cours de la guerre, certains camps de concentration ont commencé à être utilisés pour l'extermination de masse. Cela étant, les fonctions des camps de concentration ont évolué par étapes. Au cours de la première étape (de 1933 à 1936), on a établi des camps de concentration en vue de supprimer les ennemis politiques des nazis. De 1936 à 1939, ces camps ont également été utilisés pour le travail forcé, d'abord au service de la SS et par la suite au service de l'industrie d'armement allemande. Au cours de la troisième étape (de 1939 au mois de mai 1945), on s'est servi des camps de concentration pour supprimer les gens venant de tous les territoires occupés qui étaient réputés être des ennemis des nazis.

La restriction des droits civils des détenus

[13]            En 1935, il y a eu, au sein du ministère allemand de la Justice, un mouvement visant à abolir le système des camps de concentration et à supprimer l'opposition politique au moyen du système carcéral régulier. Toutefois, ce mouvement a échoué et, cette année-là, l'appareil judiciaire a perdu la compétence qui lui restait à l'égard des camps; Hitler a refusé aux personnes qui étaient détenues dans les camps de concentration le droit d'être représentées par un avocat; de plus, le IIIe Reich a mis fin à la possibilité d'enquêter sur les tueries qui se produisaient dans les camps de concentration. Le mouvement tendant à restreindre les droits civils s'est également manifesté au moyen du transfert, en 1934, de la responsabilité administrative des camps de concentration de la police locale et régionale à la SS de Himmler. Les camps de concentration sont devenus l'un des instruments les plus importants de la sécurité interne pour la dictature nazie.


Expansion du système des camps de concentration

[14]            Avec le temps, le nombre de prisonniers a augmenté et, de 1939 à 1941, de nouveaux camps de concentration ont été construits. En 1939, un camp de concentration a été établi à Stutthof, près de Dantzig. Le camp, qui relevait initialement de la SS de Dantzig, a par la suite été confié au Bureau d'inspection des camps de concentration. Parmi les principaux camps de concentration qui existaient pendant la guerre, il y avait ceux de Dachau, de Buchenwald, de Ravensbrück, de Sachsenhausen, de Flossenbürg et de Mauthausen.

Massacres dans les camps de concentration

[15]            Le camp d'Auschwitz a été établi en 1940, et celui de Lublin-Majdanek l'a été en 1941. Chaque camp avait une double fonction, à savoir celle de camp de concentration et de camp d'extermination. À Auschwitz, entre 1941 et 1944, au moins un million de Juifs ont péri dans des chambres à gaz. Les personnes qui ont ainsi péri n'étaient pas inscrites à titre de détenus. Un grand nombre de Juifs ont également péri dans des chambres à gaz à Lublin.


[16]            Avant la guerre, on dissimulait les massacres qui avaient lieu dans les camps de concentration en les faisant passer pour des exécutions de détenus qui tentaient de s'évader. Pendant la guerre, les personnes qui étaient détenues dans des camps de concentration étaient exécutées sur les ordres de Himmler en sa qualité de chef de la Gestapo parce qu'elles refusaient de travailler pour l'effort de guerre. On tuait régulièrement des prisonniers de guerre soviétiques qui étaient réputés être des [TRADUCTION] « commissaires politiques » ; les officiers responsables étaient récompensés au moyen de congés et de primes. On ordonnait aux prisonniers qui devaient être exécutés de se présenter à un examen médical au cours duquel on leur demandait de passer à la toise et un officier SS tirait alors sur eux par un trou ménagé dans le mur au-dessus de la toise.

[17]            De 1939 jusqu'à la fin de la guerre, on tuait les malades mentaux, les handicapés et les personnes âgées; en effet, on considérait que c'étaient [TRADUCTION] « des bouches inutiles à nourrir » [1]. Au printemps et pendant l'été 1941, des médecins effectuaient également ces tris dans les camps de concentration. Le code « 14F13 » désignait l'extermination des prisonniers malades dans des chambres à gaz, dans les camps de concentration, en Allemagne. Selon M. Tuchel, en 1941 et en 1942, au moins 15 000 personnes, et probablement jusqu'à 20 000 personnes, sont mortes dans le cadre de l'opération « 14F13 » .


[18]            M. Tuchel a témoigné que selon une estimation fort prudente, plus de 2 000 000 de détenus en tout étaient inscrits dans les camps de concentration. Sur ces 2 000 000, 1,2 million sont morts dans des camps de concentration entre 1943 et 1945. Ce taux de mortalité ne comprend pas les détenus qui sont morts dans le cadre du programme nazi d'extermination, qui s'appliquait à Auschwitz-Birkenau, à Lublin, et à d'autres camps. En conclusion, selon une estimation fort prudente, plus de 50 p. 100 des personnes incarcérées dans des camps de concentration sont mortes. Par conséquent, toute personne se trouvant dans un camp de concentration pendant la Seconde Guerre mondiale aurait vu des gens qui mouraient, et ce, sur une base quotidienne.

Les conditions de vie dans les camps de concentration

[19]            M. Tuchel a déclaré que les camps de concentration étaient [TRADUCTION] « l'un des pires endroits où un être humain p[ouvait] aller au XXe siècle » [2]. Les personnes qui entraient dans un camp de concentration avaient moins de 50 p. 100 de chances de survie, et les dossiers officiels montrent que c'était ce que voulaient les autorités nazies.

[20]            Les conditions de vie d'un détenu dépendaient de son statut. Il y avait dans chaque camp de concentration une hiérarchie interne, les Allemands venant en premier, puis les gens de l'Europe de l'Ouest, les Slovaques, les Juifs et les Tsiganes.

[21]            M. Tuchel a parlé des problèmes constants que posaient l'hygiène et les conditions de vie des détenus dans les camps de concentration. La mauvaise hygiène occasionnait des épidémies dans les camps de concentration. La surpopulation posait également un problème, puisque dans de nombreux camps, on logeait plus du double de la population prévue de détenus. Un grand nombre de camps étaient situés dans des régions où le climat était dur, ce qui rendait la vie des détenus encore plus misérable.


[22]            Les détenus avaient souvent faim parce que leurs provisions de base étaient volées avant de leur parvenir. Une bonne partie de la viande destinée aux détenus était avariée. En 1942, on ne servait aux détenus qu'une soupe à base d'eau avec quelques pommes de terre et aucune viande ainsi que du pain fabriqué à l'aide de farine récupérée. De plus, en 1942, selon les ordres officiels, on incorporait du bran de scie comme ingrédient dans le pain. La plupart des gens qui étaient détenus dans les camps pesaient moins de 50 kilogrammes et, à la fin de la guerre, un homme qui mesurait 1,80 mètre pesait moins de 40 kilogrammes.

[23]            Dans les camps de travail, les gens qui étaient dans ce faible état devaient travailler et si leur travail était jugé inadéquat, ils étaient battus par des prisonniers qui agissaient comme contremaîtres et qui bénéficiaient parfois de meilleures conditions de vie que les autres prisonniers. Selon les règlements de la SS, les détenus travaillaient au moins onze heures par jour, mais M. Tuchel a témoigné que dans la plupart des camps de concentration, la journée de travail était de 12 ou 13 heures. M. Tuchel a cité une lettre datée du 30 avril 1942 que le chef Pohl, de l'Office central pour l'économie et pour l'administration de la SS, avait envoyée à Himmler et dans laquelle il était dit que le déploiement des détenus pour le travail forcé devait être [TRADUCTION] « épuisant au sens le plus strict du terme, en vue d'assurer un rendement maximum [...] Les heures de travail [n'étaient] assujetties à aucune limite » . Sur ce message, Himmler a écrit à la main : [TRADUCTION] « Approuvé » [3].


[24]            En 1942, après l'invasion de la Russie en 1941 et l'échec de la guerre-éclair, la machine de guerre nazie avait besoin d'armements additionnels de meilleure qualité; les camps de concentration se sont vu confier la tâche additionnelle d'augmenter la productivité pour la Wehrmacht allemande. Une lettre de Gluecks, chef du Service des camps de concentration, Office central pour l'économie et pour l'administration de la SS, datée du 20 janvier 1943 à Oranienberg, portant l'inscription [TRADUCTION] « Secret et personnel » fait foi du nouveau rôle qui était assigné aux camps de concentration. L'auteur de la lettre disait qu'il fallait faire baisser le taux de mortalité des prisonniers dans les camps de concentration, ces derniers devant travailler jusqu'à ce qu'ils s'effondrent, c'est-à-dire qu'il fallait [TRADUCTION] « autant que possible préserver la capacité de travailler des prisonniers » [4]. M. Tuchel a noté que ce but n'a pas été atteint puisque, même si le taux de mortalité baissait pendant une brève période, ce taux augmentait ensuite. Aux mois de juillet et d'août 1942, 8 329 et 12 000 détenus sont morts respectivement. En 1943, 9 000; 11 000; 12 000; et 8 000 décès ont été enregistrés chaque mois. En outre, selon M. Tuchel, les documents faisant état de ces chiffres étaient initialés par Himmler, ce qui montre que les chefs de la SS étaient au courant des atrocités commises dans les camps de concentration.


[25]            M. Tuchel a témoigné que quatre types d'actes de violence étaient commis dans les camps de concentration. Les conditions de vie terribles constituaient un type de violence et entraînaient souvent la mort. Il y avait également les mauvais traitements infligés aux prisonniers par les SS, par les officiers et par les sous-officiers. Troisièmement, il y avait les actes de violence commis par d'autres prisonniers, sur les ordres des SS, qui leur ordonnaient de tuer les détenus, sous peine d'être eux-mêmes tués. Quatrièmement, il y avait les mauvais traitements infligés par les gardes qui, pendant la guerre, étaient chargés de surveiller les détenus pendant le travail. Les règlements officiels de la SS interdisaient aux gardes de battre les détenus, mais il était facile de contourner ces règlements en ordonnant à certains détenus de battre d'autres détenus. En outre, il arrivait bien souvent que les gardes eux-mêmes battent les détenus, en violation des règlements officiels. Pareilles infractions étaient facilement dissimulées, puisqu'on ordonnait aux gardes de tirer sur tout prisonnier qui essayait d'attaquer un garde ou de s'évader. Il était précisé que les gardes ne devaient pas se contenter de battre ceux qui tentaient de s'évader, mais qu'ils devaient en fait tirer sur eux. Dans certains camps de concentration, les gardes qui tiraient sur un prisonnier et le tuaient avait droit à un congé ou recevaient une médaille en récompense.

[26]               M. Tuchel a déclaré que les [TRADUCTION] « Règlements sur la procédure dans les camps » constituaient l'instrument de violence le plus important contre les détenus. Ces règlements avaient été élaborés par Eicke à Dachau et ont été mis en application dans tous les camps, sauf en quelques endroits, pendant l'été de 1934. Ils prévoyaient ce qui suit :[TRADUCTION] [...] les personnes qui sont dans le camp, au lieu de travail ou dans un lieu d'hébergement, dans une cuisine ou dans un atelier, aux toilettes ou dans un lieu de repos et qui font des remarques politiques en vue de créer de l'agitation, qui prononcent des discours provocateurs, qui rencontrent d'autres personnes à ces fins, qui forment des cliques ou qui flânent, qui se rassemblent, qui reçoivent ou cachent des renseignements exacts ou inexacts aux fins de la propagande ennemie sur les atrocités qui sont commises dans le camp de concentration ou dans ses installations [...] seront pendues conformément à la loi révolutionnaire! [...] Les personnes qui attaquent physiquement un garde ou un SS, qui refusent d'obéir ou qui refusent de travailler au lieu de travail, qui incitent ou encouragent d'autres personnes à commettre pareils actes à des fins de mutinerie, qui quittent un défilé ou le lieu de travail en se mutinant ou en incitant d'autres personnes à se mutiner, qui crient, s'agitent ou prononcent des discours pendant un défilé ou au travail, seront exécutées sur-le-champ ou elles seront subséquemment pendues en tant que mutinés.


Ces règlements sont demeurés en vigueur jusqu'à la fin de la guerre.

Le camp de concentration de Stutthof

[27]            Le camp de concentration de Stutthof était situé près de Dantzig, en Pologne, juste à côté du petit village de Stutthof. Ce village était initialement l'emplacement d'un camp de prisonniers de guerre, mais il est officiellement devenu un camp de concentration à la fin de l'année 1941 afin de loger le nombre croissant de prisonniers de guerre soviétiques, ces prisonniers devant être utilisés pour effectuer du travail forcé. La chose était étroitement liée à la décision de la SS d'utiliser les prisonniers de guerre soviétiques pour le travail forcé dans les camps de concentration. Des Juifs ont également été internés dans ce camp jusqu'au mois de novembre 1942, et Himmler a alors ordonné qu'on envoie tous les Juifs à Auschwitz.

[28]            Le camp était entouré d'eau et de marais et sa superficie était d'environ 50 à 100 hectares. Les prisonniers étaient transportés à Stutthof depuis Dantzig par un chemin de fer à petit écartement. Les détenus travaillaient dans les usines de Stutthof où l'on fabriquait principalement des briques. Après 1943-1944, on a commencé à avoir recours au travail forcé, à Stutthof, pour appuyer l'industrie d'armement allemande.


[29]            Le taux de mortalité total à Stutthof était semblable à celui des autres camps de concentration. Sur les 110 000 détenus inscrits dans le camp, au moins 65 000 n'ont pas survécu. Les conditions de vie étaient aussi mauvaises que dans d'autres camps de concentration. Étant donné que le camp était entouré de marécages, les épidémies en particulier posaient un problème.

[30]            La conduite des gardes du camp de concentration de Stutthof était régie par un document intitulé [TRADUCTION] « Règlements spéciaux concernant l'escorte des prisonniers » , daté du 7 septembre 1942. Ces lignes directrices étaient essentiellement les mêmes pour tous les camps de concentration, mais de légères modifications étaient effectuées selon les caractéristiques locales. En ce qui concerne les lignes directrices elles-mêmes, il y avait une différence considérable entre un règlement et la conduite véritable des gardes. M. Tuchel a dit à titre d'exemple que les règlements spéciaux prévoyaient [TRADUCTION] qu' « [i]l [était] strictement interdit de maltraiter les prisonniers et de les menacer » . Toutefois, comme M. Tuchel l'a déclaré dans son témoignage, ce règlement n'était pas suivi. Le témoin a également signalé la disposition prévoyant que [TRADUCTION] « les agressions physiques commises par les prisonniers doivent être réprimées non par la force physique, mais à l'aide d'une arme à feu » . Selon M. Tuchel, lorsqu'un garde se sentait menacé, il pouvait et de fait il devait tirer. On enseignait aux gardes à obéir, et ce, sans réfléchir. Comme dans tout autre camp de concentration, les gardes, à Stutthof, recevaient une formation idéologique régulière.

Le camp de concentration de Sachsenhausen


[31]            En 1936, les nazis envisageaient de construire des camps de concentration modernes; le camp de Sachsenhausen en était le premier exemple. Ce camp était situé dans une région boisée près d'Oranienberg, au nord de Berlin. Le camp avait la forme d'un triangle dont les côtés mesuraient environ 680 mètres. Au milieu de l'année 1936, il comptait environ 2 000 détenus. À la fin de l'année 1941, il en comptait plus de 10 000. Au mois de janvier 1943, il y avait plus de 20 000 détenus. À la fin de la guerre, il y en avait plus de 47 000.

[32]            M. Tuchel a décrit certains massacres qui avaient eu lieu à Sachsenhausen. Un four crématoire a été utilisé pour tuer plus de 10 000 prisonniers de guerre soviétiques. À la fin du mois de mai et au début du mois de juin 1942, plus de 100 détenus juifs, à Sachsenhausen, ont été tués par les SS par représailles à la suite du meurtre du lieutenant-général SS (Obengruppenführer) Reinhard Heydrich, qui avait été tué par les membres d'une association de résistants tchèques, à Prague. Pendant l'été 1942, un groupe principalement composé de détenus homosexuels a été délibérément pourchassé au-delà de la ligne de sentinelles, les détenus ayant censément été [TRADUCTION] « tués pendant qu'ils s'évadaient » .

[33]            Les conditions de vie, à Sachsenhausen, étaient aussi mauvaises que celles qui existaient d'une façon générale dans les autres camps de concentration. Entre 1942 et 1944, le camp de Sachsenhausen comptait plus de 100 camps satellites dans lesquels les prisonniers devaient effectuer du travail forcé. Sur les 204 000 détenus inscrits, 100 000 n'ont pas survécu.


Formation des unités de gardes dans les camps de concentration

[34]            Au milieu de l'année 1935, il y avait dans les camps de concentration en Allemagne moins de 5 000 détenus et environ 2 000 gardes de sexe masculin. En 1934, la SS était composée de trois groupes : la SS générale, les unités de gardes ou unités à tête de mort et les forces armées SS, par la suite connues sous le nom de Waffen-SS. Initialement, les gardes à tête de mort étaient de jeunes soldats ayant reçu une bonne formation, mais la composition de la garde a changé au début de la guerre. En 1939, lorsque la Pologne a été envahie, ces gardes ont été mutés dans l'Armée et les anciens membres de la SS sont devenus gardes dans des camps de concentration.

[35]            En 1939, environ 21 000 personnes étaient détenues dans des camps de concentration, qui comptaient 2 000 gardes. À ce moment-là, il y avait trois unités à tête de mort : la Division à tête de mort SS, une unité de combat de la Waffen-SS; le Régiment à tête de mort SS, une unité établie par un ordre spécial de Himmler en 1939 afin de se battre en Pologne; et les Renforts de police à tête de mort SS, soit les unités de gardes stationnées dans les camps de concentration. Ces dernières unités ont par la suite changé de nom pour devenir le Bataillon à tête de mort SS.


[36]            En 1941, en plus des anciens membres de la SS qui étaient devenus gardes dans des camps de concentration deux ans plus tôt, des vétérans allemands de la Première Guerre mondiale ont joint les unités de gardes dans les camps de concentration. À la fin de l'année 1941, des individus d'origine ethnique allemande sont également devenus gardes dans des camps de concentration. Au mois d'octobre 1943, sur les 15 000 gardes de camps de concentration de sexe masculin, 7 000 individus, ou plus de 40 p. 100, étaient d'origine ethnique allemande ou des Volksdeutsche, et plus de 3 000 venaient de la Roumanie. Au mois de janvier 1945, il y avait dans les camps de concentration plus de 37 000 gardes de sexe masculin et plus de 3 000 gardes de sexe féminin qui s'occupaient du nombre de plus en plus élevé de détenus.

Antécédents de Michael Baumgartner et participation de Michael Baumgartner à la Seconde Guerre mondiale

Les premières années de Michael Baumgartner


[37]            Le défendeur Michael Baumgartner est né le 22 août 1923 à Secunda, en Roumanie. Il a été élevé dans la religion catholique. La ville de Secunda était un petit centre agricole comptant 700 habitants. Il n'y avait pas d'électricité, d'aqueduc et de routes revêtues. La ville était située près des Carpates. Le père de M. Baumgartner a émigré aux États-Unis en 1925, lorsque M. Baumgartner avait deux ans. La mère de M. Baumgartner est décédée en 1939 et, à compter de ce moment-là, M. Baumgartner a été élevé par sa grand-mère. La soeur de M. Baumgartner, Maria, était atteinte de polio et ne pouvait pas travailler. Sa famille avait immigré à Secunda au XIXe siècle depuis une région appelée la Souabe, près de Stuttgart. M. Baumgartner a désigné les personnes d'origine ethnique allemande qui vivaient en dehors de l'Allemagne sous le nom de Schwaben. M. Baumgartner a témoigné qu'il parlait l'allemand et le hongrois ainsi que le roumain, qu'il avait appris à l'école. Il a fréquenté l'école jusqu'en huitième année. Le village de Secunda était relativement isolé, étant donné qu'il n'y avait pas de routes revêtues permettant de s'y rendre ou d'en sortir. Il n'y avait pas de véhicules à moteur; les chevaux et les charrettes servaient de moyens de transport. Il n'y avait pas de journaux et, puisqu'il n'y avait pas d'électricité, il n'y avait pas de radios sauf une radio à piles qui appartenait à l'enseignant local. Le marché le plus proche était situé à Sathmar, à une trentaine de kilomètres de Secunda. M. Baumgartner s'y rendait environ deux ou trois fois l'an.

[38]            C'est le professeur de M. Baumgartner qui a d'abord appris à celui-ci qu'il y avait une guerre. M. Baumgartner a témoigné qu'il savait fort peu de choses au sujet de ce qu'était la guerre et que les autres enfants et lui-même demandaient des renseignements aux anciens de la communauté. Aucun membre de la famille de M. Baumgartner ne s'était battu pendant la Première Guerre mondiale. En 1940, la Roumanie a cédé le village de Secunda à la Hongrie. M. Baumgartner a commencé à travailler à la ferme familiale pendant qu'il allait encore à l'école. La ferme était composée d'environ 50 à 75 acres et produisait du blé et du maïs, qui étaient cultivés en vertu d'un contrat de métayage. On avait acheté la ferme avec l'argent que le père de M. Baumgartner avait envoyé des États-Unis. Lorsque la mère est morte en 1939, la ferme a été transmise à M. Baumgartner et à sa soeur. M. Baumgartner prévoyait gagner sa vie comme agriculteur de façon à pouvoir subvenir aux besoins de sa soeur ainsi qu'à ses propres besoins.

M. Baumgartner s'est-il porté volontaire dans la SS ou a-t-il été recruté par conscription?


[39]            J'en arrive maintenant à une question fort importante en l'espèce, à savoir si M. Baumgartner s'est volontairement engagé dans la Waffen-SS ou s'il a été recruté par conscription dans le service militaire.

[40]            M. Baumgartner a déclaré avoir été membre de la Levente, soit des forces de réserve, depuis l'âge de 14 ou 15 ans, d'abord pour le gouvernement roumain, puis pour le gouvernement hongrois, une fois que celui-ci eut assumé le contrôle de Secunda en 1940. Les membres de l'armée de réserve s'appelaient les Leventari.

[41]            À mon avis, la description donnée par M. Baumgartner au sujet des circonstances dans lesquelles il avait été contraint à devenir membre de la SS n'est pas crédible. M. Baumgartner a déclaré que jusqu'en 1942, il ne savait rien de l'Allemagne ou d'Adolf Hitler ou encore de l'idéologie nazie. Selon M. Baumgartner, la Hongrie avait conclu une entente avec les Allemands à l'égard de la conscription d'hommes pour l'armée allemande. M. Baumgartner a déclaré que c'était l'unique changement qui s'était produit par suite du transfert de la Roumanie à la Hongrie. Il a témoigné que les officiers SS allemands étaient allés à Secunda au mois de novembre 1941. Il a déclaré que les officiers SS avaient parlé aux enfants de la ville ainsi qu'à leurs parents. Il a affirmé ne pas avoir compris ce qui se passait puisque, à ce moment-là, il n'avait que 17 ans. Il a déclaré que les parents et les tuteurs des jeunes gens avaient affirmé qu'ils n'enverraient pas leurs enfants se battre pour l'Allemagne.


[42]            Les soldats allemands sont retournés à Secunda en 1941 juste avant Noël. M. Baumgartner a déclaré que, cette fois, ils avaient [TRADUCTION] « des documents du gouvernement hongrois attestant qu'ils avaient le droit de recruter tous les individus d'origine allemande, les Schwaben dans l'armée » [5]. M. Baumgartner a témoigné qu'il ne comprenait pas ce que ces documents voulaient dire. Il a témoigné que les parents s'opposaient à ce que leurs fils se battent pour l'Allemagne, et il a également affirmé qu'il ne voulait pas lui non plus partir parce qu'il savait que sa soeur avait besoin de lui et qu'on avait besoin de lui pour cultiver la terre de la famille.


[43]            Les soldats allemands [TRADUCTION] « sont partis et, par la suite, ils sont revenus avec des camions ou autre chose parce qu'ils étaient allés dans les villages voisins. Ils ont encore une fois fait la même chose. Ils sont revenus et ils affirmaient avoir reçu un ordre de l'Allemagne, du Deutschland, disant qu'il fallait partir, et ils ont accordé quelques jours [aux garçons] pour [qu'ils puissent se] préparer » [6]. Ils ont dit aux garçons d'apporter des vêtements chauds ainsi que les certificats de naissance de leurs parents et de leurs grands-parents. Ils leur ont également demandé de faire remplir certains formulaires par le prêtre. Le formulaire que le prêtre a rempli dans le cas de M. Baumgartner était un certificat de naissance collectif remontant à ses grands-parents, attestant la naissance de M. Baumgartner et les naissances et mariages de ses parents et de ses grands-parents. M. Baumgartner a identifié sa propre signature et le document. La SS avait besoin de ces documents pour confirmer la [TRADUCTION] « pureté raciale » des recrues éventuelles de la SS.

[44]            M. Baumgartner a témoigné qu'il ne voulait pas aller avec les Allemands lorsqu'ils étaient revenus, mais qu'il fallait qu'il parte. Il a affirmé qu'il devait partir à cause de l'entente que la Hongrie avait conclue avec l'Allemagne, laquelle prévoyait qu'en échange de la remise des terres, le gouvernement hongrois autoriserait l'Allemagne à recruter les jeunes garçons dans l'armée. M. Baumgartner a affirmé qu'il n'y avait aucun endroit où il pouvait s'enfuir, puisque les recruteurs allemands s'étaient postés partout dans la campagne. Il croyait également devoir partir parce que les anciens du village avaient en fait dit qu'ils consentaient à ce que les garçons soient recrutés dans l'armée allemande. M. Baumgartner a affirmé avoir parlé de la chose à son tuteur et lui avoir expressément dit qu'il ne voulait pas partir et quitter sa soeur et sa grand-mère, qui avaient besoin de lui à la ferme. Toutefois, il a raconté que les anciens avaient dit qu'ils ne pouvaient rien faire et que les garçons devaient s'engager dans l'armée allemande.


[45]            M. Baumgartner a déclaré qu'environ quatre officiers allemands sont retournés à Secunda avec quelques soldats, peut-être des chauffeurs. Les soldats portaient des uniformes gris; l'emblème de la SS était apposé sur les cols des uniformes ainsi que sur les casquettes. M. Baumgartner ne se rappelait pas s'ils portaient des armes; il a supposé qu'ils en avaient peut-être dans le camion. Il a raconté que l'on avait procédé à l'enregistrement et que les officiers allemands lui avaient demandé son nom, les noms de ses parents, son lieu de naissance et sa date de naissance, et qu'ils avaient comparé ces renseignements à son certificat de naissance. Il a relaté qu'à son départ, sa famille pleurait. Il a déclaré n'avoir jamais revu sa famille depuis lors. On l'a amené en camion à Ardud (Ardut), où il y avait une gare, et de là on l'a amené d'abord à Sathmar, puis à Vienne. Il y avait environ huit ou neuf garçons en tout qui allaient de Secunda à Ardud, mais à Ardud, d'autres garçons les ont joints. À Ardud, on les a fait monter dans des wagons à bestiaux, puis ils ont voyagé pendant environ une demi-journée jusqu'à leur destination finale, à Vienne, où on les a amenés aux casernes de l'armée. M. Baumgartner a raconté que pendant le voyage, il avait voulu, avec d'autres garçons, sauter du train, mais qu'on les avait avertis de ne pas le faire parce qu'il y avait sur le toit des soldats qui pourraient tirer sur eux. À Vienne, M. Baumgartner est arrivé à la caserne est et il a choisi un lit. Il a déclaré que les casernes relevaient de la SS. Selon M. Baumgartner, la Wehrmacht était la [TRADUCTION] « véritable armée allemande » [7]. M. Baumgartner a témoigné que seuls les citoyens allemands pouvaient s'enrôler dans la Wehrmacht, de sorte qu'il pouvait uniquement s'engager dans la SS. M. Baumgartner n'avait lui-même jamais eu affaire à la Wehrmacht, dont l'administration était distincte de celle de la SS.


[46]            Ce témoignage de M. Baumgartner n'est pas conforme à la preuve documentaire que M. Tuchel a passée en revue. En effet, selon la preuve documentaire, la conscription obligatoire n'a débuté qu'au cours de l'opération de recrutement de la Waffen-SS en Hongrie et en Roumanie, en 1942. Contrairement aux assertions de M. Baumgartner, le recrutement était tout à fait volontaire et, selon certains éléments de preuve, dans la région de Secunda, des pressions étaient de fait exercées sur les jeunes pour les empêcher de s'engager dans la SS.

[47]            Au mois de décembre 1941, l'invasion allemande de la Russie en était venue à une impasse. Les forces armées allemandes avaient besoin d'un plus grand nombre de soldats. La Waffen-SS a commencé à recruter des Volksdeutsche et des hommes venant de pays germaniques comme les Pays-Bas et la région flamande de la Belgique. Par suite de la sentence de Vienne, certaines parties de la Roumanie où il y avait un grand nombre de Volksdeutsche ont été transférées à la Hongrie. Cela comprenait la région de Satu Mare (Sathmar), où Secunda (Sokund) était située. Dès 1942, le premier ministre hongrois avait consenti au recrutement de volontaires Volksdeutsche en Hongrie pour la Waffen-SS. Après l'échange d'une série de notes diplomatiques entre la Hongrie et l'Allemagne, il a été convenu que l'Allemagne pourrait recruter 20 000 volontaires hongrois Volksdeutsche pour la Waffen-SS; les restrictions ci-après énoncées s'appliquaient notamment :

          a)         les volontaires devaient avoir de 18 à 30 ans;

          b)         une déclaration écrite de consentement devait être fournie par les parents ou tuteurs de mineurs;

          c)         les volontaires devaient se présenter devant un comité de recrutement, composé d'un agent de liaison du honvéd royal hongrois (l'armée), d'un représentant de l'Autorité administrative royale hongroise et d'un officier de la Waffen-SS;


          d)         les noms des volontaires devaient être soumis au ministère du honvéd pour que l'on puisse déterminer si la recrue pouvait être dispensée du service à titre de travailleur spécialisé dans une industrie vitale reliée à la guerre ou à titre de soldat ayant reçu une formation;

          e)         les volontaires devaient être physiquement aptes au service; et

          f)          les volontaires devenaient des citoyens allemands naturalisés lorsqu'ils étaient acceptés aux fins du service militaire allemand, de sorte qu'ils perdaient leur citoyenneté hongroise.

[48]            Les recrues devaient être inscrites par le chef local de l'Association ethnique des Allemands en Hongrie, ou par des représentants de cette organisation, qui étaient ensuite chargés de signaler le nombre de volontaires enrôlés dans la Reichsfuerher-SS -Obersturmbannfuerher Nageler.

[49]            En tout, 25 709 hommes se sont présentés devant les comités de sélection et 17 860 ont été jugés aptes. Sur le nombre d'hommes qui avaient été jugés aptes, 7 566 étaient réputés aptes à servir dans la SS et 10 294 étaient réputés aptes à servir dans l'armée. Selon une exigence de la Waffen-SS, les membres devaient mesurer plus de 1,70 mètre, mais M. Tuchel a signalé que cela n'empêchait pas les candidats aptes de l'armée à servir dans la Waffen-SS.


[50]            Le recrutement a eu lieu aux mois de février et de mars 1942, à la suite de l'entente qui avait été conclue au mois de janvier. La sélection des volontaires Volksdeutsche en Hongrie a pris fin le 3 avril 1942. Toutefois, on a tardé à transporter ces recrues jusqu'au Reich allemand.

[51]            À l'instruction, M. Tuchel a mentionné un rapport du chef local du groupe des personnes d'origine allemande, en Hongrie, Maitingen, à Sathmar. Ce rapport indique que les volontaires d'origine allemande se sont présentés à l'hôtel de ville pour faire enregistrer leur départ de la communauté le 24 avril 1942. M. Tuchel a également examiné le document qui a été produit sous la cote P-3, onglet 120, selon lequel un convoi avait quitté Gross-Karol le 25 avril 1942 avec 1 758 recrues. Selon ces documents, le seul train transportant des volontaires depuis la région de Sathmar jusqu'en Allemagne avait quitté Gross-Karol, en Hongrie, le 25 avril 1942. Le défendeur a déclaré qu'il avait été recruté de force le 30 mars 1942, qu'on l'avait immédiatement amené dans une gare à Ardud, en Hongrie, et qu'on l'avait ensuite amené en train à Vienne le même jour.



[52]            Le témoignage de M. Baumgartner renferme également des incohérences au sujet de l'opération de recrutement ainsi que des explications qui ne sont pas crédibles. Lors de l'interrogatoire préalable, M. Baumgartner a affirmé que l'apparence des soldats SS l'avait impressionné. À l'instruction, il a initialement nié s'être laissé impressionner par les SS au cours de leur visite à Secunda; toutefois, il a ensuite confirmé que l'apparence des soldats l'avait impressionné, mais que cela ne voulait rien dire en ce qui concerne la question de savoir s'il voulait s'engager dans la SS. À un moment donné dans son témoignage, M. Baumgartner a nié savoir que les soldats qui visitaient Secunda étaient des SS, mais il a par la suite convenu que ces soldats portaient des uniformes de la SS. Il y avait d'autres incohérences sur certains points, lesquelles s'expliquent peut-être par le fait que soixante années se sont écoulées entre cet événement et la date du témoignage de M. Baumgartner. Ainsi, M. Baumgartner a déclaré à un moment donné qu'il y avait environ quatre soldats allemands alors qu'à un autre moment, il a affirmé qu'il y en avait une dizaine. Lors de l'interrogatoire préalable, M. Baumgartner a affirmé que certains jeunes du village ne voulaient pas partir et qu'ils l'avaient fait savoir alors qu'à l'audience, il a témoigné que tous les jeunes hommes avaient déclaré qu'ils ne partiraient pas, mais qu'ils avaient été contraints à le faire. À l'instruction, il a témoigné que les Allemands étaient arrivés le 30 mars 1942 et qu'ils avaient rassemblé les garçons en un jour, mais à l'interrogatoire préalable il avait témoigné que les Allemands avaient passé deux ou trois jours dans le village. Dans la défense, il était allégué que les dirigeants locaux de l'Association des personnes d'origine allemande, à Secunda, avaient contraint les jeunes hommes à s'engager dans l'armée allemande, mais M. Baumgartner a nié la chose devant la Cour. M. Baumgartner a nié qu'il y ait eu une association de personnes d'origine allemande à Secunda; il a affirmé qu'il s'agissait simplement de dirigeants communautaires et que c'étaient le gouvernement hongrois et les soldats allemands, et non les dirigeants locaux, qui avaient forcé les jeunes hommes à s'engager dans l'armée. M. Baumgartner a nié savoir quoi que ce soit au sujet de la campagne de recrutement allemande avant la venue des Allemands, à Secunda, à la fin de l'année 1941. Toutefois, la preuve documentaire indique qu'il y avait des affiches de recrutement dans la ville voisine de Bildegg, à dix ou quinze kilomètres seulement de Secunda. M. Baumgartner a déclaré que l'on avait gardé le secret au sujet de la campagne de recrutement.

[53]            M. Tuchel a passé en revue divers documents faisant état de la réaction hostile des personnes d'origine hongroise envers les Volksdeutsche qui s'étaient portés volontaires pour la Waffen-SS. Il a notamment examiné des documents portant expressément sur la région de Sathmar. On crachait sur les volontaires Volksdeutsche lorsqu'ils s'enrôlaient volontairement; on les menaçait d'emprisonnement; les soldats hongrois les battaient; les Hongrois les haranguaient en leur demandant pourquoi ils ne se portaient pas plutôt volontaires dans l'armée hongroise. Lorsque M. Baumgartner a été interrogé au sujet de ces documents, il a répondu qu'il était possible que le gouvernement hongrois ait fait une chose, c'est-à-dire qu'il se soit entendu avec l'Allemagne, alors que les soldats hongrois faisaient autre chose, c'est-à-dire qu'ils harcelaient et qu'ils battaient les Volksdeutsche pour qu'ils s'engagent dans la Waffen-SS.

[54]            L'avocat du ministre a mentionné un rapport de Maitingen, de la région de Sathmar, dans lequel on relatait l'histoire d'un individu qui, pour s'engager dans la Waffen-SS, avait été obligé de signer un document dans lequel il renonçait à la citoyenneté hongroise. M. Baumgartner a témoigné qu'il n'avait pas été obligé de signer pareil document afin de s'engager dans la Waffen-SS. Dans un autre rapport sur la situation, à Sathmar, il était fait mention d'un comité de recrutement allemand qui procédait au traitement des volontaires pour la Waffen-SS en Hongrie, mais M. Baumgartner a témoigné qu'il n'avait jamais entendu parler de ce comité et que, dans son cas, le traitement avait été effectué en Autriche.


[55]            L'avocat du ministre a également mentionné un rapport sur la situation, à Sathmar, concernant le village de Schandra qui, selon M. Baumgartner, était situé à environ huit kilomètres de Secunda. Selon le rapport, un ecclésiastique assez haut placé dans l'Église catholique, un ancien évêque qui s'appelait Napholz, avait critiqué les individus qui s'engageaient volontairement dans la Waffen-SS. M. Baumgartner a contesté l'authenticité de ce rapport; il a également soutenu que ce rapport s'inscrivait peut-être dans un autre contexte. Il a en outre déclaré qu'à sa connaissance, le prêtre, à Secunda, n'avait jamais dit quoi que ce soit au sujet du recrutement.

[56]            M. Baumgartner a nié que l'on ait observé les conditions de recrutement susmentionnées figurant dans l'accord diplomatique conclu entre l'Allemagne et la Hongrie pendant le recrutement, à Secunda. En outre, en ce qui concerne la réponse selon laquelle il n'y avait aucun endroit où s'enfuir parce qu'il y avait partout des Allemands, cela est incompatible avec le témoignage que M. Baumgartner a présenté selon lequel, étant donné qu'il n'y avait pas de radios, de journaux ou de moyens de transport, il ne pouvait pas savoir ce qui se passait en dehors de Secunda, y compris dans les villages voisins.

[57]            M. Baumgartner a témoigné qu'il n'avait pas tenté de s'engager dans l'armée hongroise parce qu'il n'avait pas 21 ou 23 ans, soit l'âge qu'il fallait avoir pour s'engager dans l'armée hongroise. À mon avis, cette déclaration n'est pas crédible.


[58]            Sur les quelque 17 800 volontaires qui ont été jugés aptes à servir dans la SS ou dans l'armée, environ 1 300 n'ont pas été transportés même s'ils étaient aptes à servir, soit parce que le gouvernement hongrois les avait retenus soit parce qu'ils étaient revenus sur leur décision. La campagne de recrutement volontaire de 1942 a été comparée aux campagnes de recrutement de 1943, qui comportaient des éléments de persuasion morale et une certaine coercition, et de 1944, qui a entraîné le service militaire obligatoire pour les Volksdeutsche en Hongrie.

[59]            Il est soutenu que la Cour devrait conclure que M. Baumgartner a été contraint à s'engager dans la Waffen-SS en 1942. À l'appui de cette prétention, le défendeur soutient que la conscription obligatoire était effectuée sur une base individuelle, mais que le témoignage de M. Tuchel était d'une nature fort générale. Le défendeur affirme qu'on a eu recours au recrutement obligatoire dans le contexte plus général du recrutement volontaire. À l'appui, il indique que d'autres historiens ne souscrivent pas à l'avis exprimé par M. Tuchel au sujet du processus de recrutement, en Hongrie en 1942. Le défendeur signale également la lettre du 5 septembre 1942 que le lieutenant-colonel Juettner, du quartier général opérationnel de la SS, a envoyée au lieutenant-général Berger, du Bureau de conscription de la Waffen-SS, au sujet de [TRADUCTION] « l'initiation de volontaires d'origine allemande et de volontaires germaniques » . Dans cette lettre, Juettner traite des plaintes portées au sujet du processus de recrutement de Berger en Hongrie et des erreurs apparentes commises dans le cadre de ce processus, les hommes d'origine hongroise, qui étaient considérés comme des candidats non admissibles au service dans la SS, étant recrutés de force.


[60]            À mon avis, ces prétentions du défendeur ne sont pas convaincantes. La preuve relative aux pratiques suivies par la SS en Hongrie en matière de recrutement pendant la période pertinente, telle qu'elle a été présentée par M. Tuchel, n'a pas été contredite et elle était crédible. Le défendeur n'a pas présenté de témoins experts pour contredire le témoignage de M. Tuchel. La lettre de Juettner à Berger indique qu'il y avait des désaccords internes entre différentes factions de l'organisation SS au sujet du recrutement des candidats SS appropriés. La lettre ne démontre pas d'une façon convaincante qu'il y ait réellement eu recrutement obligatoire, ou que des hommes d'origine allemande aient été recrutés. Compte tenu du témoignage digne de foi et convaincant que M. Tuchel a présenté au sujet du processus de recrutement, de la preuve documentaire mise à ma disposition et du fait que la version des événements donnée par M. Baumgartner n'est pas crédible, je conclus que M. Baumgartner s'est volontairement engagé dans la SS en 1942.

Où était Michael Baumgartner du mois d'avril 1942 au mois d'avril 1943?


[61]            M. Baumgartner a déclaré qu'après leur arrivée à Vienne, les recrues ont été logées dans des casernes. On leur a dit d'attendre que leurs vêtements arrivent et on les a informées qu'on les amènerait dans un camp d'entraînement près de Hambourg. Au cours de cette période d'attente, on a montré des photos aux nouvelles recrues, on leur a enseigné à défiler, à saluer et on leur a donné une instruction militaire générale, notamment en ce qui concerne le maniement des armes, des fusils, des mitrailleuses, des grenades et des tanks. À Vienne, les documents de M. Baumgartner ont de nouveau été vérifiés. Après cette période d'attente, on a amené les recrues de Vienne à Grafenwohr, près de Hambourg. Selon M. Baumgartner, les recrues ont encore une fois voyagé en train.

[62]            M. Baumgartner a témoigné qu'il avait continué à recevoir sa formation à Grafenwohr jusqu'à Noël. Il a déclaré que trois mois après son arrivée à Grafenwohr, on l'a placé dans le Régiment des panzers. Les garçons qui terminaient leur formation avec succès recevaient une bouteille de vin ou un paquet de cigarettes. M. Baumgartner a déclaré qu'ils avaient dû prêter serment avant Noël, à Grafenwohr, et qu'on leur disait alors : [TRADUCTION] « Vous êtes maintenant des nazis. » [8]. Selon le serment, les soldats qui venaient d'être initiés devaient défendre le IIIe Reich et se battre pour lui. M. Baumgartner a relaté que, comme d'autres recrues, il ne voulait pas prêter serment, mais que lorsqu'il en a fait mention à l'un des officiers, ce dernier a répondu : [TRADUCTION] « Ne le dites surtout pas, ils tireront sur vous. » [9]


[63]            M. Baumgartner a témoigné qu'après la Noël de 1942, il a été stationné en Yougoslavie pendant environ six semaines et qu'on l'a ensuite renvoyé à Grafenwohr. De là, il s'est rendu à Erlangen, où il a attendu l'arrivée de nouveaux tanks; il faisait encore partie du Régiment des panzers Funf Wiking. Il a ensuite accepté de se porter volontaire comme étudiant dans une école de conduite de camion, en Hollande, près d'Appledoorn. Il est resté à cet endroit pendant environ six semaines. Il a déclaré que la formation devait durer trois semaines, mais que si un étudiant échouait, tout en se montrant prometteur, on laissait cet étudiant participer à une autre période de formation de trois semaines. Au bout de six semaines, M. Baumgartner a obtenu son certificat et on l'a envoyé à Varsovie. M. Baumgartner s'est ensuite porté volontaire pour aller à Debica, en Pologne, où il s'occupait des chevaux malades ou blessés qui étaient utilisés dans l'effort de guerre.

[64]            Il n'existe pas de documents datant de l'époque à l'appui du témoignage de M. Baumgartner. Les renseignements fournis dans le témoignage de M. Baumgartner sont en bonne partie contredits par des documents que M. Tuchel a mentionnés. En outre, M. Baumgartner s'est montré quelque peu évasif au sujet des dates et des lieux précis.

Formation des gardes de camp de concentration


[65]            M. Tuchel a témoigné que les gardes de camp de concentration recevaient leur formation au sein des soi-disant troupes de gardes SS. Il a déclaré qu'en 1935, les troupes de gardes SS dans les camps de concentration étaient connues sous le nom [TRADUCTION] d' « Unités à tête de mort » . Les nouveaux gardes qui entraient dans les camps de concentration étaient formés par des officiers et par des sous-officiers au sein de leurs unités ou de leurs compagnies. M. Tuchel a fait remarquer qu'avant la guerre, les gardes recevaient trois semaines de formation et que, pendant une semaine, ils étaient affectés à une unité de gardes. Toutefois, pendant la guerre, les gardes recevaient une formation de base qui durait environ trois mois à compter du moment où ils entraient en fonction et que, dans certains camps de concentration, ils recevaient uniquement la formation militaire de base avec des fusils réguliers.

[66]            La formation comprenait tant une composante idéologique qu'une composante physique. Les gardes recevaient une formation militaire de base pendant trois mois avec un fusil 98. Toutefois, la formation idéologique était permanente et continue, en particulier dans une organisation d'élite comme la SS. On donnait des renseignements au sujet de la formation et des principaux objectifs visés par l'idéologie nazie. Les matières enseignées aux gardes faisaient l'objet de règlements mais, à cause d'une pénurie de papier dans le camp et en vue d'éviter que les règlements écrits soient passés en contrebande en dehors du camp, les gardes étaient en général informés verbalement des règlements. Les matières étaient notamment les suivantes : Renseignements généraux; Uniforme des gardes; Officiers supérieurs de la garde et sentinelles; Sentinelle 1 et contrôleurs à l'entrée; Agents accompagnateurs de prisonniers; Utilisation des armes.


[67]            Comme il en a ci-dessus été fait mention, les unités de gardes ont été incorporées dans la Waffen-SS au plus tard au mois d'avril 1941. M. Tuchel a témoigné que les gardes ordinaires à l'échelon hiérarchique inférieur pouvaient demander à être mutés à des unités de combat de la Waffen-SS. En d'autres termes, même s'ils ne pouvaient pas simplement demander à être démobilisés, les gardes pouvaient demander à être mutés à une unité de combat de la Waffen-SS. Selon M. Tuchel, il n'existait aucun élément de preuve historique montrant qu'un garde ordinaire avait été puni pour avoir refusé de servir dans un camp de concentration ou pour avoir demandé à être muté à un type différent d'unité. Un message de l'Inspecteur des camps de concentration, Bergschmidt, en date du 31 décembre 1944, adressé à un représentant du groupe des personnes d'origine allemande en Hongrie disait que 3 255 individus d'origine allemande venant de la Hongrie servaient dans les unités affectées aux camps de concentration sous la tutelle de l'Office central pour l'économie et pour l'administration de la SS. Bien sûr, cette date est de beaucoup postérieure à la période pendant laquelle M. Baumgartner avait servi, selon la preuve, dans les camps de concentration, mais cela indique que certains individus d'origine allemande venant de la Hongrie avaient servi comme gardes dans des camps de concentration.

[68]            Comme il en a ci-dessus été fait mention, la formation et les documents se rapportaient aux buts principaux de l'idéologie et à la pensée nazie dans les camps de concentration. M. Baumgartner a nié avoir reçu une formation idéologique nazie. Il a témoigné que les officiers lui avaient dit que la guerre résultait du désaccord existant entre la Pologne et l'Allemagne ainsi que du communisme. En outre, M. Baumgartner a nié qu'on lui eût dit quoi que ce soit au sujet des camps de concentration.


[69]            M. Baumgartner a nié avoir reçu une formation idéologique au sein de la SS ou avoir eu connaissance des principes régissant la SS. M. Tuchel a mentionné les principes idéologiques généraux les plus importants régissant les membres de la SS, y compris la Waffen-SS. Il a dit que, selon Himmler, la SS était surtout et avant tout une communauté de volontaires, d'hommes allemands à tendance nordique, que l'on choisissait pour leurs caractéristiques spéciales. La SS se fondait entièrement sur le principe selon lequel [TRADUCTION] « toutes les guerres font couler le meilleur sang [...] » . En d'autres termes, les Allemands étaient membres d'une race supérieure et la SS était considérée comme représentant cette supériorité raciale. M. Tuchel a décrit les principaux objectifs de la SS comme suit : premièrement, il s'agissait d'une organisation raciste; deuxièmement, il s'agissait d'une communauté de volontaires, une formation d'élite, non seulement en Allemagne, mais particulièrement, du Parti nazi en Allemagne; troisièmement, la SS était fondée sur la haine des Juifs, que Himmler et les autres dirigeants SS considéraient comme inférieurs à des humains; quatrièmement, l'invasion de la Russie a été qualifiée de bataille pour l'acquisition d'espace vital pour les Allemands, dans l'Est. Ce dernier principe était crucial pour la Waffen-SS et se manifestait d'une façon toute particulière par l'invasion de la Russie, cette invasion étant considérée comme une bataille pour l'acquisition d'un [TRADUCTION] « espace vital » (Lebensraum). D'une façon générale, on estimait que la guerre constituait un moyen permettant d'atteindre en pratique ces objectifs idéologiques fondamentaux de la SS.

Documents allemands concernant M. Baumgartner au cours de la période 1942-1943


[70]            Le ministre a produit une copie du « S.S.-Stammkarten-Abschrift » de M. Baumgartner, qui est un double authentique de la fiche permanente de SS de M. Baumgartner. M. Tuchel a expliqué la procédure par laquelle ces fiches étaient produites et maintenues. En s'engageant dans la Waffen-SS ou dans la SS générale, les individus recevaient une fiche, un document original, laquelle était transmise au Bureau principal de la SS. Par la suite, chaque fois qu'un individu était muté à une unité au sein de la Waffen-SS, la nouvelle unité produisait une nouvelle S.S.-Stammkarten-Abschrift. Pour ce faire, la nouvelle unité se reportait à une pièce d'identité que l'individu en question avait sur lui, un « Soldbuch » ou une fiche de paie militaire. La nouvelle unité se fondait également sur les [TRADUCTION] « extraits du dossier original du soldat » , faisant état du service militaire de l'individu en cause avant cette mutation. La nouvelle unité conservait la nouvelle S.S.-Stammkarten-Abschrift qu'elle produisait, même après que l'individu eut quitté l'unité. Chaque nouvelle unité accueillant l'individu produisait une copie de la Stammkarten, compte tenu du Soldbuch et des [TRADUCTION] « extraits du dossier original du soldat » . Une nouvelle Stammkarten était également produite lorsque l'individu était muté à un nouveau camp de concentration.


[71]            La S.S. Stammkarten était un formulaire type qui était également utilisé par la SS générale, de sorte qu'elle renfermait des conditions qui ne s'appliquaient peut-être pas nécessairement à la Waffen-SS. Ainsi, dans la case no 12, il fallait inscrire un numéro général de SS. Or, aucun numéro général n'était attribué aux soldats de la Waffen-SS. En examinant la S.S. Stammkarten-Abschrift de M. Baumgartner, M. Tuchel a signalé que les cases 12 et 15, où un espace est prévu aux fins de l'inscription de renseignements relatifs à l'appartenance de l'individu au Parti nazi et à la SS, avaient été laissées en blanc puisque M. Baumgartner était membre de la Waffen-SS. Selon la Stammkarten, M. Baumgartner était né le 22 août 1923 à Secunda, en Hongrie. La fiche indiquait que, pendant la période pertinente, M. Baumgartner était un Volksdeutsch célibataire catholique. Il résidait à Secunda, maison no 2. Il avait reçu une formation d'agriculteur et il travaillait comme agriculteur. Il mesurait 170 centimètres, portait des chaussures de taille 45 et avait 58 centimètres de tour de tête. La fiche indiquait que M. Baumgartner parlait le hongrois et le roumain.

[72]            Selon la case 20 de la S.S. Stammkarten, Michael Baumgartner avait servi dans l'infanterie et dans la garde et son dernier grade était celui de simple soldat de la réserve SS, soit le grade le plus bas au sein de la SS. Cela montre que M. Baumgartner n'avait pas encore été assermenté dans la SS. Il était candidat au service dans la SS depuis le 27 avril 1942. Selon M. Tuchel, les cérémonies d'assermentation de la SS avaient normalement lieu le 30 janvier, le 20 avril et le 9 novembre, soit des dates ayant une importance spéciale pour le régime nazi.

[73]            La formation de M. Baumgartner, tant dans l'infanterie de base que comme garde, a duré près de trois mois en tout. Selon la case 21, M. Baumgartner n'avait aucune formation spéciale. Selon la case 24, M. Baumgartner a reçu sa formation en maniant un fusil allemand 98, soit le fusil généralement utilisé en Allemagne depuis 1898. Dans la case 26, sa [TRADUCTION] « conduite » est évaluée comme étant [TRADUCTION] « passablement bonne » . La case 28 indique ses mutations depuis le début de son service, en commençant par la Brigade de cavalerie SS, la dernière mutation étant celle de garde au camp de concentration de Stutthof. M. Baumgartner a d'abord été muté, depuis Vienne, à l'unité de cavalerie de remplacement SS à Varsovie, le 12 juin 1942. Le 21 juillet 1942, il a été muté au camp de concentration de Stutthof. La case 34 montre qu'il a d'abord été inscrit par le bureau de conscription du Danube SS pour la région sud-est, à Vienne.


[74]            M. Tuchel a témoigné qu'il n'était pas inhabituel qu'une Stammkarten ne soit pas signée par son titulaire, comme c'était le cas pour M. Baumgartner. La Stammkarten n'était pas signée parce que chaque fois qu'un homme était muté à une nouvelle unité, une nouvelle carte était créée par cette nouvelle unité. M. Tuchel a conclu qu'étant donné que la dernière inscription dans la case 28 est datée du 27 juillet 1942, au camp de concentration de Stutthof, la carte avait été créée au camp de concentration de Stutthof.

[75]            En s'engageant dans la Waffen-SS, un individu devait prêter un serment d'allégeance à Adolf Hitler. Le texte du serment figure dans une brochure intitulée [TRADUCTION] « La SS a besoin de vous » ; il est ainsi libellé :

[TRADUCTION] Je jure de me montrer loyal et fidèle envers vous, Adolf Hitler, en votre qualité de Führer et de Chancelier du Reich. Je jure de vous obéir et d'obéir jusqu'à la mort aux officiers supérieurs que vous aurez désignés. Ainsi Dieu me soit en aide.

[76]               Un membre du quartier général du camp de concentration de Stutthof a envoyé une lettre à l'unité de cavalerie de remplacement SS, à Varsovie, le 16 février 1943, au sujet de la fiche de paie de M. Baumgartner. Dans le corps de la lettre, le commandant Hoppe disait ce qui suit :[TRADUCTION] Le SS-Schütze [ce qui correspond à peu près au grade de simple soldat dans la SS] Michael Baumgartner, né le 22-8-1923, a reçu une fiche de paie de votre unité le 30-6-42. Étant donné que cette fiche de paie ne porte aucun numéro, veuillez nous faire connaître ce numéro.


[77]            M. Tuchel a témoigné que tous les membres de la Waffen-SS recevaient une fiche de paie et que cette fiche était utilisée aux fins de l'identification personnelle. La personne qui délivrait la fiche devait attribuer un numéro à chaque fiche de paie, mais il n'était pas inhabituel qu'une fiche de paie soit délivrée sans qu'on lui attribue un numéro si le soldat ne passait que quelque temps dans une unité de réserve. L'individu en question devait avoir la fiche de paie en sa possession jusqu'au jour où il était démobilisé et il devait la conserver sur lui. L'unité de cavalerie de remplacement SS à Varsovie a répondu à la lettre en disant que le numéro de la fiche de paie ne pouvait pas être donné, puisque l'unité n'avait pas de documents concernant Baumgartner. Je ne souscris pas à la prétention voulant que ce document étaye le témoignage de M. Baumgartner selon lequel il n'avait jamais fait partie de l'Unité de cavalerie de remplacement. À mon avis, M. Tuchel a raison de dire qu'il n'était pas surpris que l'Unité de cavalerie de remplacement n'ait pas pu trouver de documents concernant Michael Baumgartner, puisqu'il avait fait partie de cette unité du 12 juin au 21 juillet 1942 seulement et, en particulier puisque plus de 15 000 individus venant de la Hongrie à ce moment-là venaient d'être recrutés dans la Waffen-SS.

[78]            J'en viens maintenant au document dit « Belehrung » , soit celui qui a causé le plus de controverse devant moi. Le titre du document a été traduit comme suit : [TRADUCTION] « Instructions à l'intention des gardes de camp de concentration » ; le document a été signé le 1er mars 1943; il indique que M. Baumgartner avait été informé des ordres de base qui s'appliquaient aux SS dans les camps de concentration. Le document prête à controverse parce que le graphologue qui a témoigné pour le défendeur a déclaré que M. Baumgartner ne pouvait pas l'avoir signé. De son côté, l'expert du demandeur ne pouvait pas dire si la signature qui était apposée sur le Belehrung était celle de M. Baumgartner.


[79]            M. Tuchel a déclaré que les instructions en question étaient des instructions types et qu'elles étaient d'une façon générale utilisées par divers camps de concentration, mais que de légères modifications avaient été effectuées, compte tenu des conditions locales existant au camp de concentration de Stutthof. Le document fait partie du dossier personnel de l'individu désigné dans le coin supérieur droit, lequel est également le signataire (dans le coin inférieur droit), « S.S.-Schütze » ou Michael Baumgartner. Chaque garde devait signer le formulaire d'instructions. M. Tuchel a déclaré que la signature revêtait un caractère solennel et mémorable dans la mesure où le document en question renfermait les instructions les plus complètes et les plus détaillées qui étaient données au garde et que cela voulait dire que le garde assumait en toute connaissance de cause toutes les responsabilités de son service dans le camp de concentration. On aurait informé le garde oralement ou par écrit des règlements figurant dans les instructions. Le garde ne se présentait pas à cette cérémonie tant qu'il n'avait pas servi pendant un certain temps dans le camp et tant qu'il n'avait pas eu la possibilité de bien connaître les règlements et de les appliquer dans l'exercice de ses fonctions quotidiennes de garde. Le document faisait en outre état du fait qu'on avait donné au garde des instructions détaillées sur les points énumérés dans le document par le S.S.-Untersturmführer Ehle, qui était chef de la troisième compagnie de gardes SS à Stutthof de 1941 jusqu'à la fin de l'année 1944.

[80]            Les seize points dont le Belehrung traitait sont ci-après énoncés :

          1.        Règlements concernant les gardes

          2.         Instructions spéciales à l'intention des gardes

3.                                           Conduite des gardes chargés d'accompagner les prisonniers [Haftlingsbegleitposten]

          4.        Conduite des gardes chargés de diriger les prisonniers [Haftlingspostenfuehrer]


          5.        Conduite en cas d'évasion d'un prisonnier

          6.        Tâches des contrôleurs et des sentinelles postés aux entrées du camp (camp d'isolement protecteur également [Schutzhaftlager])

          7.        Traitement des prisonniers et mauvais traitements infligés aux prisonniers

          8.        Contacts avec les prisonniers

          9.        Acceptation de cadeaux

          10.       Espionnage, trahison, sabotage

          11.      Le secret (instructions continues)

          12.      Photographies du camp et photographies de prisonniers

          13.      Conduite en cas d'arrestation de personnes suspectes

          14.      [A été biffé du formulaire, ce qui, selon M. Tuchel, indiquait que le signataire Michael Baumgartner était un garde plutôt qu'un membre du personnel du quartier général responsable du camp d'isolement protecteur.]

          15.      Ordre du Führer en cas de décès d'un ennemi de l'État et au sujet des conditions de vie des ennemis de l'État. [M. Tuchel a noté que même s'il était officiellement interdit aux gardes de maltraiter ou de battre les prisonniers, pareils traitements étaient régulièrement infligés dans les camps de concentration.]

          16.      Ordre sur le maintien de la pureté du sang allemand [dans la] SS et [dans la] police.

[81]            Le défendeur m'a demandé de tirer les conclusions de fait ci-après énoncées :


          1.        La personne qui a signé le Belehrung était le même Michael Baumgartner que celui qui est visé par les documents sur lesquels le ministre se fonde et qui est expressément désigné en l'espèce dans les documents SS établis à Stutthof et à Sachsenhausen;

          2.        Le défendeur n'a pas signé le Belehrung; et

          3.        Le défendeur n'est pas la personne visée par les documents sur lesquels le ministre se fonde, c'est-à-dire que le défendeur n'est pas le « Michael Baumgartner » qui travaillait comme garde dans un camp de concentration à Stutthof et à Sachsenhausen.

Je ne puis tirer ces conclusions de fait. Compte tenu de la preuve des experts, je ne suis pas prêt à conclure que M. Baumgartner ait de fait signé le Belehrung. Toutefois, je conclus qu'il était peut-être bien celui qui avait signé ce document.


[82]            Le fait que la signature apposée sur le Belehrung n'est pas confirmée me préoccupe énormément, mais un certain nombre de facteurs, à part le recours aux graphologues, m'amènent à conclure que je ne puis tirer les conclusions demandées par le défendeur. Le Belehrung est le seul document datant de l'époque nazie, en 1942 et en 1943, présenté par le ministre qui aurait censément été signé par M. Baumgartner. Ni le ministre ni l'avocat du défendeur n'ont présenté de documents confirmant la version que M. Baumgartner a donnée au sujet des endroits où il était pendant la Seconde Guerre mondiale, à part les documents faisant état de renseignements que M. Baumgartner avait lui-même donnés. Or, les documents sur lesquels M. Baumgartner se fonde posent un problème : ils ne sont pas compatibles avec l'emploi qu'il exerçait pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans la demande qu'il a faite à l'Organisation internationale pour les réfugiés (l'OIR), M. Baumgartner a déclaré avoir travaillé comme agriculteur à Secunda du 00-00-35 au 00-05-43 et avoir servi dans l'armée hongroise du 00-05-43 au 00-03-45. Ce document montre également que M. Baumgartner a ensuite travaillé comme agriculteur à Secunda, et ensuite à Coburg, en Allemagne. Dans une lettre que la ville de Coburg a envoyée à l'OIR, il est déclaré ce qui suit : [TRADUCTION] « Selon les déclarations qu'il a faites, M. B. était, en 1942-1943, dans l'armée roumaine; il a ensuite été membre de l'armée hongroise. » La signature de M. Baumgartner ne figure pas dans les documents du ministre, mais il est par ailleurs certain qu'il s'agit de documents SS authentiques. Il est possible de soutenir que la SS n'aurait pas hésité à préparer de faux documents, mais il n'y a tout simplement pas lieu de croire que les documents faisant état de l'appartenance de M. Baumgartner à la SS en 1942 et en 1943 seraient falsifiés. En outre, les renseignements biographiques concernant M. Baumgartner qui figurent dans ces documents sont tous exacts. Le nom, le lieu de naissance, la date de naissance et d'autres renseignements généraux sont correctement énoncés sur le formulaire. Je conclus donc que l'argument du défendeur selon lequel le Belehrung est déterminant lorsqu'il s'agit de savoir si M. Baumgartner a servi comme garde de camp de concentration n'est pas convaincant.


[83]            M. Baumgartner a été muté, le 12 mars 1943 au camp de concentration de Sachsenhausen, où il a servi pendant deux semaines; il a été muté à l'école de formation des chauffeurs SS à Appledoorn, en Hollande, le 25 mars 1943. La preuve du ministre est fondée sur cette période de la guerre. M. Baumgartner a témoigné qu'après avoir quitté l'école de conduite de camion d'Appledoorn, il a été envoyé à Varsovie. À ce moment-là, la Waffen-SS a demandé à M. Baumgartner de s'occuper des chevaux blessés qui venaient du front. M. Baumgartner a ensuite été muté au Régiment des panzers Funf Wiking, à Erlangen. Il a fait partie de cette unité jusqu'en 1944 lorsqu'il s'est rendu à Budapest, où il s'est battu pendant environ six mois. Il a finalement été capturé par les Russes près de la frontière autrichienne à peu près au moment où la guerre a pris fin, au mois de mai 1945, mais il s'est évadé et s'est rendu en Allemagne. Il s'est retrouvé dans un camp de prisonniers de guerre, le camp de Regensburg. Il a obtenu son certificat de démobilisation de l'armée et a été libéré du camp le 6 septembre 1946. Il a essayé d'être admis dans le camp de réfugiés à Emberg, mais il n'y avait pas de place. Il a passé la plupart des quelques années suivantes dans le camp de réfugiés à Coburg jusqu'à ce qu'il immigre au Canada, en 1953.


[84]            M. Baumgartner a témoigné qu'après la guerre, il ne pouvait pas retourner chez lui : [TRADUCTION] « Ils mettent tous les Allemands et tout le monde à la porte, en Hongrie, en Tchécoslovaquie, en Pologne, en Yougoslavie et en Roumanie, de sorte qu'il est impossible d'y retourner. » [10] Il n'y avait pas d'emplois, les bombardements avaient tout détruit. Les casernes à Coburg, où vivait M. Baumgartner de 1946 à 1953, étaient connues sous le nom de Von Selle Kaserne. M. Baumgartner habitait avec huit à onze autres individus dans une chambre et il y avait une cuisine commune. Il n'y avait pas grand-chose à manger. M. Baumgartner a épousé sa première conjointe en 1950. Ils avaient déjà eu un enfant ensemble, en 1948. Sa première conjointe habitait avec l'enfant chez ses parents pendant que M. Baumgartner vivait dans la Von Selle Kaserne. M. Baumgartner a déclaré que l'OIR ne l'avait pas aidé puisqu'il était d'origine allemande. Toutefois, le 1er janvier 1949, il a demandé à l'OIR de déterminer s'il était admissible; en effet, on lui avait dit que puisqu'il était né en Roumanie, il était peut-être admissible. Il voulait entrer dans le camp de l'OIR afin de pouvoir vivre dans de meilleures conditions avec sa conjointe et son enfant. Il a admis que lorsqu'il avait demandé l'aide de l'OIR, il n'avait pas dit qu'il avait été membre de la Waffen-SS.

La procédure d'immigration et les critères de refoulement mis en oeuvre du mois de mars au mois de juin 1953


[85]            Je donnerai un bref aperçu de la procédure d'immigration qui s'appliquait au moment où M. Baumgartner a demandé à s'établir au Canada. Les témoignages et les arguments qui ont été présentés à ce sujet se rapportaient en bonne partie à la question de savoir si l'on avait demandé à M. Baumgartner de révéler qu'il avait servi dans l'armée en temps de guerre, que ce soit dans le soi-disant formulaire « OS-8 » , à l'entrevue de sécurité qu'il avait eue à l'étape B, à l'entrevue qu'il avait eue avec l'agent d'immigration Lapierre ou lorsqu'il était arrivé au point d'entrée au Canada. La plupart des documents établis à ce moment-là ont été détruits conformément aux politiques régissant la conservation et la destruction des dossiers du gouvernement fédéral. Une bonne partie du temps et de l'effort ont été consacrés à la détermination de cette question et à la description de la politique d'immigration qui s'appliquait entre le 11 mars 1953, date à laquelle M. Baumgartner a eu son entrevue avec les responsables de l'immigration, et le mois de mai 1953, date à laquelle M. Baumgartner est arrivé au Canada. Une bonne partie de ces éléments de preuve ont été confirmés par M. Baumgartner lui-même lorsqu'il a témoigné qu'on lui avait de fait posé des questions au sujet de son service militaire pendant l'entrevue qu'il avait eue aux fins de l'immigration. J'examinerai ensuite la question des critères de refoulement qui étaient mis en oeuvre à Munich au mois de mars 1953 ainsi que la question de savoir s'il s'agissait des bons critères.

Aperçu de la procédure d'immigration mise en oeuvre en Europe après la Seconde Guerre mondiale :


[86]            Le ministre a cité plusieurs témoins qui avaient exercé diverses fonctions au sein des services d'immigration et de sécurité après la Seconde Guerre mondiale, dans des bureaux en Europe et au Canada. Ces témoins ont décrit la procédure selon laquelle les immigrants éventuels qui étaient dans une situation similaire à celle de M. Baumgartner en 1953 présentaient une demande en vue d'obtenir le droit d'établissement au Canada. Après avoir franchi l'étape initiale de la sélection administrative, chaque requérant était assujetti à un triage sécuritaire (appelé l' « étape B » ), qui relevait d'un agent de contrôle des visas -- un membre de la GRC (également appelé un « agent à l'étape B » ); à un examen devant un médecin de l'Immigration; et à une entrevue avec un agent d'immigration. Le requérant qui franchissait chacune de ces étapes obtenait un visa et venait au Canada. Il obtenait uniquement le droit d'établissement après avoir eu une entrevue avec un autre agent d'immigration au point d'entrée. Même si une personne obtenait un visa l'autorisant à venir au Canada, la possession de ce visa ne constituait pas une preuve concluante de son admissibilité. L'admissibilité pouvait uniquement être déterminée par l'agent de révision au point d'entrée et ce dernier se fondait fortement sur l'opinion exprimée par l'agent d'immigration à l'étranger.

[87]            Le défendeur soutient qu'il n'existait aucune preuve directe au sujet de l'entrevue d'immigration et des pratiques qui s'appliquaient à l'étape B à Munich en 1953 et que la preuve soumise par le ministre est donc purement indirecte. Toutefois, étant donné les témoignages que les divers témoins ont présentés au sujet de la pratique générale existant en Europe en matière d'immigration après la Seconde Guerre mondiale, je suis convaincu que le ministre a démontré quelles étaient les pratiques fondamentales qui auraient été suivies à Munich au moment où M. Baumgartner a présenté sa demande et au moment où ont eu lieu les entrevues concernant la demande d'établissement.

Présentation de la demande : le formulaire OS-8


[88]            On remettait ou en envoyait aux personnes qui voulaient s'établir au Canada un formulaire de demande (le formulaire « OS-8 » ) qu'elles devaient remplir, lequel était par la suite envoyé par la poste au bureau de Karlsruhe. Des questions ont été posées à l'instruction au sujet de la version particulière du formulaire qui était utilisée au moment où M. Baumgartner a présenté sa demande d'établissement ainsi qu'au sujet du type de renseignements que le requérant devait donner dans le formulaire. Le formulaire OS-8, pièce P-2, onglet 59, était un exemplaire du formulaire utilisé au bureau de Stockholm; il est daté du 10 juillet 1952. À l'instruction, l'agent d'immigration Lapierre a déclaré que ce formulaire aurait été rempli par les personnes qui voulaient immigrer au Canada. On demandait au requérant de fournir certains renseignements au sujet de son expérience professionnelle :

[TRADUCTION]

26. Nom et adresse de l'employeur actuel (de l'ancien employeur)

27. Quelles étaient vos tâches?

28. Pendant combien de temps avez-vous exercé cet emploi?

29. Fournir les mêmes renseignements au sujet de l'emploi que vous avez exercé le plus longtemps au cours des dix dernières années.

30. Combien d'emplois avez-vous exercé au cours des dix dernières années?

Le ministre soutient que ces questions auraient obligé M. Baumgartner à décrire son emploi dans l'armée allemande à titre de membre de la 5e Division Wiking de la Waffen-SS et à titre de garde de camp de concentration. De son côté, le défendeur affirme que les renseignements demandés dans le formulaire au sujet de l'emploi visaient à permettre de déterminer si un immigrant éventuel était en mesure de réussir son installation au Canada. Il a été soutenu que les questions précitées n'exigeaient pas nécessairement que le requérant fournisse des renseignements au sujet de son service militaire.



[89]            Certains éléments de preuve ont été soumis au sujet d'une pièce qui avait été ajoutée au formulaire type OS-8, dans laquelle des questions plus précises étaient posées au requérant au sujet de ses activités pendant la guerre. Le formulaire OS-8 susmentionné, pièce P-2-59, a été soumis en tant qu'exemple du formulaire OS-8 qui était utilisé à Stockholm, en Suède, au mois de juillet 1952. Une pièce était jointe à ce formulaire; il s'agissait d'un questionnaire dans lequel on demandait au requérant de faire état de son expérience professionnelle et de son service militaire pour chacune des années précédentes, à commencer par l'année 1938. M. Lapierre, soit l'agent d'immigration qui avait rencontré M. Baumgartner, a identifié le formulaire type OS-8 qui était utilisé à Munich, en Allemagne. Je note que M. Lapierre n'a pas identifié la pièce jointe au formulaire OS-8 ou la section du formulaire OS-8 dans laquelle des renseignements étaient demandés au sujet de l'emploi. Il a initialé (identifié) les deux dernières pages du document figurant à l'onglet 59, pièce P-2, à savoir la [TRADUCTION] « Demande d'admission au Canada » et la section [TRADUCTION] « à remplir par l'agent des visas » . On ne lui a pas demandé d'identifier ou de parapher les [TRADUCTION] « Renseignements relatifs à l'emploi » et la pièce qui était jointe dans laquelle on demandait un historique détaillé des emplois exercés depuis 1938. M. Gunn a témoigné que pareilles pièces étaient utilisées dans les divers bureaux canadiens d'immigration en Europe avant qu'on incorpore dans le formulaire OS-8 lui-même une question précise par laquelle on demandait au requérant de faire état des emplois qu'il avait exercés au cours des dix années précédentes ainsi que de son service militaire. Un exemplaire du formulaire OS-8 qui était utilisé en Allemagne au mois d'avril 1953 a été produit à l'instruction; il indiquait qu'à ce moment-là, la question relative aux emplois exercés au cours des dix dernières années avait déjà été incorporée dans le formulaire. En outre, M. Kelly a témoigné qu'en 1947, la politique consistait à demander à l'immigrant éventuel d'indiquer ses adresses et professions pour les dix années antérieures et que cette politique a continué à s'appliquer au moins jusqu'au 9 janvier 1953. On a par la suite commencé à poser des questions plus précises.

[90]            Je conclus qu'on aurait demandé à M. Baumgartner de faire état de ses antécédents professionnels et militaires au cours des dix années antérieures à la présentation de sa demande (il semble que M. Baumgartner ait rempli le formulaire OS-8 au mois d'octobre 1952). Même si le formulaire OS-8 que M. Baumgartner a rempli ne renfermait pas de questions précises au sujet de son service militaire au cours des dix années antérieures, les questions se rapportant à ses antécédents professionnels auraient permis d'obtenir pareils renseignements, étant donné que les hommes qui servaient dans les forces pendant la guerre étaient employés par l'armée. Toutefois, même si je retiens l'argument du défendeur selon lequel les questions 26 à 30 du formulaire OS-8 identifiées par l'agent d'immigration Lapierre ne constituaient pas une demande de renseignements au sujet de l'emploi exercé par le défendeur dans l'armée, je conclus qu'on aurait demandé à M. Baumgartner de divulguer à l'agent de contrôle des visas, lors de l'entrevue à l'étape B, qu'il avait été militaire. (Nous reviendrons ci-dessous sur le triage sécuritaire à l'étape B).


[91]            Je note également que, selon M. Dubé, agent d'immigration à la retraite, les agents de contrôle des visas en Allemagne se fondaient uniquement, jusqu'au mois de septembre 1953, sur des données de base aux fins du contrôle effectué à l'étape B. Il est donc inféré qu'avant ce moment-là, la pièce jointe au formulaire OS-8 n'avait pas encore été incorporée dans le formulaire. Le défendeur soutient que la Cour ne devrait donc pas inférer qu'on ne lui a jamais posé de questions précises au sujet de son service militaire. Toutefois, cet argument ne peut pas être retenu dans ce cas-ci puisque M. Baumgartner a témoigné qu'on lui avait posé des questions au sujet de son service militaire et que, dans le formulaire OS-8 et dans la pièce qui y était jointe, on demandait des renseignements à ce sujet. De plus, la preuve présentée par M. Dubé sur ce point est inexacte. En outre, je note que M. Dubé ne travaillait pas en Europe pendant la période qui nous intéresse; le contexte dans lequel il travaillait aurait donc été fort différent pour ce qui est de la collecte des renseignements concernant la participation passée d'un immigrant éventuel dans l'armée.

(1) Triage sécuritaire (étape B) effectué par l'agent de contrôle des visas (la GRC)


[92]            Le triage prévu à l'étape B visait à assurer que les gens qui présentaient un risque pour la sécurité ne soient pas admis au Canada. Certaines catégories restreintes de personnes n'étaient pas assujetties au triage, mais les agents d'immigration pouvaient malgré tout demander que l'on procède à un contrôle. Selon le témoignage de M. Dubé, tous les requérants qui avaient franchi l'étape de la sélection administrative étaient assujettis à un contrôle sécuritaire effectué par un agent de contrôle des visas (l'ACV). L'ACV s'acquittait de cette tâche principalement en envoyant le soi-disant [TRADUCTION] « formulaire vert » aux agences de sécurité et services de renseignements britanniques et américains, qui l'aidaient à procéder au contrôle. Le requérant était convoqué à une entrevue lorsqu'une réponse des agences de sécurité et services de renseignements était reçue ou devait avoir été reçue. Selon M. Lapierre, les requérants passaient par les trois étapes de la procédure relative aux entrevues en un jour, en commençant par l'entrevue avec l'agent de contrôle des visas.


[93]            M. Gunn, agent principal à la retraite, a témoigné que les agents de sécurité qui procédaient à ces contrôles demandaient de joindre une pièce au formulaire type (le formulaire OS-8) que les agents d'immigration utilisaient pour obtenir des renseignements du requérant. Dans cette pièce, on demandait au requérant de faire un historique militaire détaillé, de façon à avoir un plus grand nombre de renseignements et d'être en mesure de déterminer si les critères de refoulement s'appliquaient au requérant. L'agent qui concluait que le requérant appartenait à l'une des catégories de personnes non admissibles selon les critères en question apposait sur le dossier un tampon portant l'inscription [TRADUCTION] « échec à l'étape B » . M. Gunn a témoigné que le dossier du requérant indiquait les critères précis en vertu desquels celui-ci était jugé non admissible. Ainsi, dans le cas d'un requérant qui était jugé non admissible parce qu'il avait été collaborateur, le dossier indiquait [TRADUCTION] « échec à l'étape B pour le motif K » , la lettre « K » indiquant la catégorie particulière de personnes non admissibles à laquelle le requérant appartenait. Cela était différent de la pratique suivie au lieu d'affectation de M. Dubé, puisque ce dernier a témoigné que l'agent de contrôle des visas n'indiquait pas les raisons pour lesquelles le requérant avait échoué à l'étape B. Le témoin a déclaré que l'agent de contrôle des visas apposait plutôt sur le dossier le tampon portant l'inscription [TRADUCTION] « échec à l'étape B » et qu'aucun motif justifiant le refoulement n'était fourni. M. Dubé a également déclaré qu'il ne remettait jamais en question la décision de l'agent de contrôle des visas. L'agent d'immigration obtenait le dossier sur lequel était apposé le tampon, l'informant que le requérant n'était pas admissible. Aucun tampon n'était apposé sur le passeport lui-même. Étant donné que M. Gunn n'est allé en Europe qu'en 1954 et qu'il a été affecté en Belgique seulement, lorsque son témoignage contredit celui d'un autre agent d'immigration qui était en place en Europe en ce qui concerne le traitement des personnes déplacées qui voulaient s'établir au Canada, je préfère retenir le témoignage de l'agent d'immigration qui était affecté à l'endroit où l'on procédait au traitement des personnes déplacées. Certains agents d'immigration n'étaient pas en Europe en 1953, mais je suis convaincu qu'ils étaient au courant de la pratique générale qui s'appliquait au début des années 1950 ainsi que des changements qui se sont produits pendant cette période.


[94]            Le défendeur soutient qu'à l'étape B, on procédait à un triage sécuritaire [TRADUCTION] « en vue du refoulement » , le requérant étant réputé avoir [TRADUCTION] « réussi » si aucun renseignement défavorable n'était découvert par suite des recherches. Toutefois, il faut se rappeler que la procédure prévoyait également une entrevue avec un agent de contrôle des visas, cette entrevue visant à permettre de déterminer si la demande d'admission devait être refusée pour des raisons de sécurité. Le défendeur conteste également la crédibilité de la preuve concernant la procédure d'entrevue à l'étape B, étant donné que M. Kelly se préoccupait lui-même de l'absence d'uniformité parmi les agents de contrôle des visas au point de vue de l'application des normes (y compris l'application de la politique concernant les anciens membres de la Waffen-SS). (M. Kelly était l'agent de liaison et l'officier responsable du contrôle canadien des visas en Europe pendant la période pertinente.) Le défendeur conteste en outre le poids à accorder à la preuve fournie par MM. Poole et Cliffe, deux agents de contrôle des visas à la retraite, étant donné que M. Poole était en poste en Allemagne en 1954 seulement, alors que M. Cliffe était arrivé dans ce pays au mois de juin 1953. Le défendeur affirme qu'étant donné que le processus à l'étape B a été réorganisé pendant l'été 1953, ces deux témoins ne peuvent pas avoir grand-chose à dire au sujet du processus en place au moment où il a eu son entrevue (le 11 mars 1953). Toutefois, le défendeur a eu son entrevue avant l'été; et M. Cliffe avait travaillé comme agent de contrôle des visas en Italie avant d'être affecté en Allemagne au mois de juin 1953. M. Cliffe était un témoin crédible en ce qui concerne les pratiques suivies par les agents de contrôle des visas en Allemagne pendant la période pertinente, compte tenu du temps qu'il avait passé en Italie et en Allemagne.

(2) L'examen médical


[95]            Selon M. Dubé, les demandeurs devaient apporter des radiographies à l'entrevue. M. Lapierre a témoigné que le médecin utilisait un formulaire abrégé pour indiquer si le requérant avait passé l'étape médicale. La chose était également attestée au moyen d'un tampon apposé sur le passeport. M. Lapierre a affirmé qu'il aurait refusé d'accorder un visa à quiconque était réputé [TRADUCTION] « ne pas avoir réussi » l'examen médical puisque pareil requérant appartenait à l'une des catégories visées à l'article 3 de la Loi. D'autre part, si le médecin jugeait que le requérant était un cas « 3/C » , c'est-à-dire qu'il était admissible malgré des insuffisances mineures, l'agent d'immigration pouvait accepter les conclusions du médecin et accorder le visa. Le passeport de M. Baumgartner fait état de ce type d'approbation.

(3) Entrevue avec l'agent des visas

[96]            M. Gunn a témoigné que l'entrevue d'immigration visait principalement à permettre de déterminer si le requérant satisfaisait aux conditions de la Loi sur l'immigration en matière d'emploi et si, selon toute probabilité, il pourrait réussir son installation au Canada. Les agents d'immigration se fondaient sur des instructions détaillées, des circulaires officielles, un guide et des notes de service sur les opérations. Tous les agents se fondaient sur la directive 69, qui a été produite à l'instruction sous la cote P-2-54. La directive 69 avait été donnée en vertu du décret 2856 du mois de juin 1950, selon lequel le ministre de l'Immigration devait admettre au Canada toute personne qu'il jugeait apte. Le pouvoir que possédait le ministre en vertu de la directive 69 était délégué aux agents d'immigration à l'étranger. Les agents d'immigration possédaient un large pouvoir discrétionnaire lorsqu'ils sélectionnaient une personne qui semblait être un immigrant éventuel convenable, à condition que cette personne ne fasse pas l'objet d'une interdiction.


[97]            Le formulaire OS-8 a été élaboré en vue de servir d'outil au stade de l'entrevue. M. Dubé a indiqué que les agents d'immigration avaient commencé à recueillir des renseignements sur les antécédents professionnels et militaires des requérants en 1952 et en 1953. Il est difficile de déterminer le moment précis où on a commencé à utiliser ce type de questionnaire, mais dans le formulaire OS-8 du mois de février 1951, le requérant devait énumérer les emplois qu'il avait exercés au cours des dix années antérieures. Il importe de noter que les agents d'immigration ne pouvaient pas admettre des personnes qui n'avaient pas passé le triage sécuritaire à l'étape B, et ils ne pouvaient pas renoncer au contrôle sécuritaire s'ils croyaient que le requérant était admissible.

[98]            M. St. Vincent, agent d'immigration à la retraite, a témoigné que, lorsqu'il travaillait en Allemagne, il questionnait les requérants s'il avait des soupçons par suite de réponses vagues se rapportant à des activités criminelles possibles. S'il n'était pas satisfait des réponses données, il renvoyait le cas à l'agent de sécurité et il informait celui-ci des raisons pour lesquelles il avait des soupçons au sujet du requérant. M. St. Vincent a témoigné qu'il renvoyait le cas de tout requérant qui lui aurait dit qu'il avait été membre de la Waffen-SS ou qu'il avait agi comme garde dans un camp de concentration. Il a réitéré que les agents d'immigration ne passaient jamais outre à la décision de l'agent de sécurité.

[99]            Le défendeur soutient qu'il n'y a aucune façon de déterminer si M. Lapierre lui avait


demandé des renseignements au sujet de son service militaire pendant la guerre. Toutefois, cela n'est pas pertinent puisque l'agent de contrôle des visas aurait questionné M. Baumgartner au sujet de son dossier militaire. De plus, à l'instruction, M. Baumgartner a témoigné avoir divulgué qu'il avait servi dans la Waffen-SS aux agents canadiens avec qui il avait eu une entrevue. En outre, M. Lapierre a témoigné qu'étant donné que sur le passeport de M. Baumgartner il y avait un tampon médical et un bon d'indemnité de passage en date du 11 mars 1953, M. Baumgartner aurait eu une entrevue avec lui et avec l'agent de contrôle des visas ce jour-là. M. Lapierre a également témoigné qu'il ne passait jamais outre à la décision de l'agent de contrôle des visas lorsqu'il s'agissait de savoir si un immigrant éventuel avait passé l'étape B.

Le point d'entrée


[100]        Selon M. Gunn, les agents au point d'entrée avaient tendance à se fonder sur l'avis de l'agent d'immigration à l'étranger, de sorte que l'examen au point d'entrée avait une valeur et une importance moindres. Toutefois, c'était à ce moment-là que le droit d'établissement était de fait accordé. M. Gunn a témoigné qu'au point d'entrée, le cas de tout individu qui s'était engagé dans la Waffen-SS en 1942 aurait été renvoyé pour un interrogatoire additionnel comme l'exigeait la Loi sur l'immigration. Il en allait de même si l'individu en question indiquait qu'il avait servi comme garde de camp de concentration pendant la guerre. M. Roy, agent d'immigration à la retraite, a également témoigné au sujet des procédures suivies par l'immigration au port de Québec, où il avait travaillé de 1950 à 1953. Les titulaires de visas qui arrivaient au point d'entrée remplissaient le [TRADUCTION] « Formulaire 1000 d'Immigration Canada » et voyaient un médecin. L'agent d'immigration vérifiait l'identité du requérant et il examinait le formulaire 1000 et le passeport du requérant. M. Roy a témoigné que, normalement, il ne posait pas de questions au sujet du service du requérant en temps de guerre [TRADUCTION] « [p]arce [qu'il savait] que cet individu avait été interrogé par un agent de sécurité et que toutes ces questions auraient dû être soulevées avant que l'individu en question obtienne son visa. Cependant, en cas de doute, [il posait] des questions, mais normalement aucune question n'était posée » . M. Roy a déclaré que telle était la pratique normale qui était suivie par les agents qu'il supervisait.

Immigration de M. Baumgartner au Canada

Témoignage de M. Baumgartner :


[101]        M. Baumgartner a témoigné que son père, son oncle et sa tante étaient aux États-Unis juste après la guerre et qu'en 1947, ils avaient communiqué avec la Croix-Rouge en vue de tenter de le trouver. Il a témoigné qu'au mois de juin 1947, la Croix-Rouge avait communiqué avec lui afin de lui demander de rencontrer ses représentants pour parler de la question de l'immigration. Il a déclaré être allé dans un gros immeuble, à Munich, où se trouvaient les bureaux de la Croix-Rouge et où allaient les gens qui voulaient immigrer au Canada, aux États-Unis et en Australie. Il a témoigné qu'une représentante de la Croix-Rouge avait eu une entrevue avec lui au sujet de son immigration aux États-Unis et qu'il lui avait fait savoir qu'il avait servi dans la 5e Division des panzers de la SS pendant la guerre. Il a été informé qu'il ne pouvait pas immigrer aux États-Unis parce qu'il avait servi dans l'armée allemande, mais qu'il pouvait présenter une nouvelle demande tous les six mois. M. St. Vincent, qui travaillait à la Funk Kasserne, ne se rappelait pas qu'il y ait eu des représentants de la Croix-Rouge à cet endroit. M. Dubé, qui travaillait également à la Funk Kasserne, n'a jamais vu de bureau d'un organisme américain ou autre dans cet immeuble. Fait plus important, M. Lapierre, soit l'agent d'immigration qui a délivré le visa à M. Baumgartner, n'a pas vu de représentants de l'immigration juive ou de la Croix-Rouge travaillant dans cet immeuble. Toutefois, il a témoigné qu'il y avait des Australiens, des Néo-zélandais et peut-être des Américains dans cet immeuble. En outre, M. Dubé a témoigné d'une façon crédible que les seules organisations, à part l'Immigration canadienne, qui distribuaient des formulaires OS-8, étaient l'Organisation internationale pour les réfugiés (l'OIR) et un organisme de bien-être juif.


[102]        M. Baumgartner a affirmé avoir eu des entrevues avec des agents d'immigration à deux reprises entre les années 1947 et 1952 et leur avoir dit qu'il avait servi dans la 5e Division des panzers. Il a témoigné avoir reçu une lettre l'informant qu'il devait retourner (apparemment aux bureaux de la Croix-Rouge) pour une autre entrevue parce que la loi avait été modifiée, mais lorsqu'il y était allé, on lui avait dit qu'il devait encore attendre. À ce moment-là, il a eu son entrevue dans le même immeuble, dans un bureau qui semblait faire partie du consulat du Canada ou de l'Immigration canadienne, avec un représentant de la Croix-Rouge et avec deux hommes qui avaient dit qu'ils voulaient lui parler au sujet de son immigration au Canada. M. Baumgartner a témoigné qu'on lui avait posé des questions au sujet de son service militaire et qu'il avait dit aux agents qu'il avait été contraint à s'engager dans le 5e Régiment des panzers. Aux pages 2449 et 2450 de la transcription, M. Baumgartner a fait les déclarations suivantes au sujet de ce que les responsables de l'immigration canadienne lui avaient demandé et au sujet de ce qu'il leur avait dit pendant cette entrevue :

[TRADUCTION] D'où je venais et la même chose pour l'armée. Ils ne pouvaient pas comprendre pourquoi quelqu'un qui était né en Roumanie avait été membre de l'armée allemande, de sorte que je leur ai donné des explications. Il en va de même pour les armées. Comment se fait-il que vous étiez dans l'armée roumaine, dans l'armée hongroise et dans l'armée allemande? Parce que les pays changeaient et que vous étiez là. Il s'agit d'un pays différent, de règles différentes, d'une armée différente. L'Allemagne est arrivée en se livrant aux mêmes supercheries, nous avons les documents, nous pouvons vous prendre.

[...]

Et je leur ai dit que j'étais dans le 5e Régiment des panzers de la Waffen-SS. Ils m'ont demandé comment cela se faisait. J'ai répondu que nous n'avions pas le choix. Ils avaient conclu un genre d'entente, la Hongrie et l'Allemagne, toujours à cause des terres. L'Allemagne voulait passer par là pour atteindre la mer Noire, elle a demandé qu'on lui cède les soldats, en disant qu'en échange elle remettrait les terres. C'est ce qu'ils ont fait. Les soldats étaient échangés contre des terres [...]

[103]        M. St. Vincent a témoigné que si un immigrant éventuel avait révélé, pendant une entrevue, qu'il avait été membre de la Waffen-SS ou qu'il avait été garde dans un camp de concentration, il aurait renvoyé le cas à l'agent de contrôle des visas.


[104]        M. Baumgartner a relaté qu'il avait subi un examen médical et qu'il avait dû montrer son formulaire de démobilisation de l'armée et son certificat de naissance aux personnes qui conduisaient l'entrevue. Il a déclaré que lorsqu'il avait dit à ces personnes qu'il avait déjà demandé à immigrer aux États-Unis, ce qui était vrai, ces dernières avaient envoyé quelqu'un pour obtenir les documents qu'il avait soumis avec sa demande. Or, l'assertion selon laquelle les représentants canadiens avec qui M. Baumgartner avait eu une entrevue avaient accès aux dossiers d'immigration américains n'était pas crédible. M. Baumgartner a également déclaré qu'il avait été obligé de remplir des formulaires dans lesquels on demandait des renseignements de base à son sujet. Je préfère retenir la preuve de M. Lapierre, qui a délivré le visa de M. Baumgartner. M. Lapierre ne se rappelait pas l'entrevue qu'il avait eue avec M. Baumgartner, qui n'était qu'une entrevue parmi tant d'autres qu'il avait tenues près de cinquante ans plus tôt, mais il a témoigné au sujet de la procédure qu'il suivait en sa qualité d'agent d'immigration en poste à Karlsruhe, en Allemagne, au mois de mai 1952. Il a décrit la procédure qui était en place à Karlsruhe à l'égard des demandes en 1952 et 1953.


[105]        Après avoir été informé que la demande qu'il avait présentée en vue d'immigrer au Canada avait été acceptée, M. Baumgartner a demandé un passeport (au mois de mars 1953), qu'il a ensuite envoyé aux représentants canadiens. M. Baumgartner a dit qu'il était allé chercher son passeport, sur lequel le tampon de visa canadien était apposé, à Brême, juste avant son départ. Il a également affirmé que, pendant la traversée à destination du Canada en 1953, il avait parlé de ses antécédents personnels à un agent d'immigration et qu'il lui avait notamment expliqué pourquoi il avait servi dans trois armées différentes. Il s'agit là tout simplement d'un autre exemple d'une des différentes versions que M. Baumgartner a données au sujet de la façon dont il avait décrit ses activités militaires pendant la guerre. M. Roy, un autre agent d'immigration à la retraite, avait travaillé comme agent de révision; en cette qualité, il rencontrait et interrogeait les immigrants à bord des navires qui entraient au port de Québec ou qui allaient jusqu'à Pointe-au-Père, de 1950 à 1953. M. Roy n'a pas interrogé M. Baumgartner, mais il a identifié la signature de Maurice Landry sur le formulaire 1000 d'Immigration Canada. Il a en outre reconnu le visa de l'immigration canadienne dans le passeport allemand de M. Baumgartner. Il a identifié le numéro et l'autorisation d'entrée et de délivrance du visa. Le pouvoir de l'agent des visas est fondé sur un décret, à savoir le décret C.P. 2856-4.

Arguments du ministre

[106]        Comme le ministre l'a soutenu, le témoignage que M. Baumgartner a présenté à l'instruction, tel qu'il a ci-dessus été décrit, contredisait d'une façon flagrante le témoignage qu'il avait présenté à l'interrogatoire préalable avant l'instruction. Je note que certaines parties détaillées des transcriptions de l'interrogatoire préalable ont été versées au dossier à l'instruction; je peux donc en tenir compte en rendant ma décision au sujet de la crédibilité du témoignage de M. Baumgartner. Un examen minutieux du témoignage que M. Baumgartner a présenté pendant le contre-interrogatoire et de la preuve qu'il a soumise lors de l'interrogatoire préalable m'amène à conclure d'une façon inéluctable que M. Baumgartner avait à plusieurs reprises changé d'histoire, que ce soit d'une façon générale ou sur des points précis, au sujet de la demande qu'il avait présentée en vue d'immigrer au Canada. À l'instruction, lorsqu'on l'a confronté aux incohérences entre le témoignage qu'il avait présenté au sujet de sa demande d'immigration pendant les interrogatoires préalables et les déclarations qu'il avait faites à la Cour à l'instruction, M. Baumgartner a donné des réponses confuses, incomplètes et illogiques. Les explications qu'il a fournies au sujet de ces incohérences étaient faibles.


[107]        Même les meilleures versions de la preuve soumise par M. Baumgartner vont à l'encontre d'une bonne partie de la preuve présentée par les témoins du ministre, et ce, qu'il s'agisse des agents d'immigration ou des agents de la GRC. Après avoir nié, pendant l'interrogatoire préalable, avoir eu des entrevues avec des représentants canadiens aux fins de l'immigration, M. Baumgartner a témoigné à l'instruction qu'il avait eu des entrevues distinctes avec trois agents différents à ce sujet. Après que son avocat eut déclaré lors des interrogatoires préalables que M. Baumgartner ne parlait pas des agents de l'immigration canadienne dans sa défense, M. Baumgartner a affirmé à l'instruction qu'il avait révélé qu'il avait servi dans la Waffen-SS aux agents canadiens qui l'avaient rencontré.

[108]        Après qu'il eut nié avoir rencontré des responsables canadiens de l'immigration, M. Baumgartner a par la suite déclaré à l'instruction qu'il avait eu des entrevues et qu'il avait subi un examen médical. Or, lors de l'interrogatoire préalable, il avait expressément nié qu'un médecin canadien lui eût fait subir un examen médical et que les responsables canadiens lui eussent posé des questions au sujet de ses activités pendant la guerre. En outre, M. Baumgartner a déclaré à l'instruction que des agents de la GRC avaient eu une entrevue avec lui pendant qu'il était à bord du navire à destination du Canada. Or, je ne dispose d'aucun élément de preuve montrant que la GRC effectuait des entrevues à bord des navires.


[109]        M. Baumgartner n'a pas décrit d'une façon uniforme les événements liés à la procédure d'immigration en ce qui concerne sa demande et son admission au Canada. Il est clair que, même s'il peut y avoir certaines divergences au sujet de la procédure suivie dans les différents bureaux, une procédure générale et des lignes directrices s'appliquaient en Europe en 1953. Je note que certaines incohérences figurant dans le témoignage de M. Baumgartner seraient compréhensibles, étant donné que les événements en question se sont produits plus de 40 ans avant les déclarations qu'il a faites. Toutefois, M. Baumgartner n'a pas pu donner des réponses claires et cohérentes sur plusieurs points cruciaux, ce qui m'amène à conclure qu'une bonne partie de son témoignage n'est pas crédible.


[110]        À mon avis, compte tenu du passeport allemand de M. Baumgartner lui-même et des témoignages de MM. Lapierre, Gunn, Cliffe, Dubé et St. Vincent, M. Baumgartner doit avoir présenté sa demande d'immigration non de la façon dont il l'a décrit, mais de la façon décrite par les anciens agents de contrôle des visas et par les anciens agents d'immigration qui ont témoigné à l'instruction. Premièrement, M. Baumgartner a obtenu un formulaire de demande, le formulaire OS-8, parce qu'il n'était pas parrainé. Deuxièmement, il a soumis le formulaire OS-8 et un contrôle sécuritaire a été effectué à Karlsruhe, en Allemagne, par un agent des contrôles des visas qui aurait fourni aux agences de sécurité et services de renseignements qui procédaient au contrôle les renseignements figurant dans le formulaire OS-8 rempli par M. Baumgartner. M. Baumgartner doit avoir présenté sa demande à Karlsruhe, en Allemagne, avant le mois d'octobre 1952, puisqu'il a obtenu son certificat de divorce ce mois-là afin de le soumettre à l'immigration canadienne avant son entrevue. Après que les agents canadiens eurent reçu les rapports sur le contrôle sécuritaire, l'agent de contrôle des visas chargé du cas de M. Baumgartner a informé l'agent d'immigration concerné de la chose et ce dernier a ensuite convoqué M. Baumgartner à des entrevues à la Funk Kasserne, à Munich. Le 11 mars 1953, M. Baumgartner a subi, à cet endroit, un examen médical devant un médecin, le docteur Cooper; il a eu une entrevue avec un agent de contrôle des visas; il a ensuite eu une entrevue avec un agent d'immigration, M. Lapierre. Il a également eu une brève entrevue au point d'entrée où il a obtenu le droit de s'établir au Canada.


[111]        Je souscris aux arguments du ministre, en ce qui concerne la crédibilité de M. Baumgartner, et je tiens tout particulièrement à signaler que M. Baumgartner semble avoir eu l'habitude de mentir aux diverses autorités afin d'obtenir ce qu'il voulait. À l'instruction, M. Baumgartner a admis avoir menti afin de cacher le fait qu'il avait déjà été membre de la Waffen-SS, dans la demande d'aide qu'il avait soumise à l'Organisation internationale pour les réfugiés (l'OIR), où il avait déclaré avoir toujours été en Hongrie jusqu'au mois de mai 1943, s'être alors engagé dans l'armée hongroise, et être retourné en Hongrie au mois de mars 1945. À l'instruction, M. Baumgartner a affirmé que c'était la seule fois qu'il avait menti au sujet de son service militaire et qu'il avait menti afin de retrouver sa conjointe et son enfant. Le ministre soutient que M. Baumgartner a également menti au sujet de son service militaire au Bureau d'enregistrement de la résidence, à Coburg, en Allemagne. Selon une lettre datée du 1er février 1949 que le conseil municipal de Coburg a envoyée à l'Organisation internationale pour les réfugiés, M. Baumgartner avait donné à la ville des renseignements selon lesquels il avait servi dans l'armée roumaine, puis dans l'armée hongroise en 1942-1943 et par la suite. À l'instruction, M. Baumgartner a convenu que le contenu de la lettre, en ce qui concerne les renseignements personnels, était exact sauf pour la déclaration concernant son service militaire pendant la guerre. Il semble clair que M. Baumgartner a menti à l'OIR et à la ville de Coburg au sujet de son service militaire afin d'obtenir une place dans le camp de l'OIR. Les antécédents de M. Baumgartner affaiblissent encore plus sa crédibilité en ce qui concerne le témoignage qu'il a présenté au sujet des renseignements relatifs à son service militaire en temps de guerre qu'il avait de fait fournis aux responsables de l'immigration canadienne. En outre, même si M. Baumgartner a révélé qu'il avait servi dans la Waffen-SS, il n'aurait pas révélé à un agent d'immigration ou à un agent de contrôle des visas qu'il avait agi comme garde dans un camp de concentration puisqu'il n'a jamais admis avoir servi dans un camp de concentration.

Les critères applicables à l'étape B, au mois de mars 1953, en ce qui concerne la non-admissibilité


[112]        Il y a eu une certaine controverse au sujet des critères de non-admissibilité qui s'appliquaient au moment où M. Baumgartner a eu ses entrevues et où il a fait l'objet d'un contrôle sécuritaire. La question a été soulevée par suite des arguments soumis par les deux parties au sujet du service militaire accompli par M. Baumgartner pendant la Seconde Guerre mondiale. Si M. Baumgartner avait admis avoir servi dans la Waffen-SS, aurait-il été jugé non admissible? Étant donné que M. Baumgartner affirme lui-même qu'on lui a de fait posé des questions au sujet de son service militaire et que la Cour a conclu qu'il avait servi comme garde dans un camp de concentration, l'omission de révéler qu'il avait été garde dans un camp de concentration serait-elle considérée comme une fausse déclaration essentielle ayant donné lieu à l'obtention du statut d'immigrant reçu au Canada et, par la suite, à l'acquisition de la citoyenneté canadienne? Afin d'examiner ces questions, je me propose de donner un bref aperçu de la structure des organismes décisionnels qui établissaient les critères, des modalités y afférentes et des critères eux-mêmes qui s'appliquaient au moment où M. Baumgartner a eu ses entrevues au mois de mars 1953.

Le Conseil de sécurité et la GRC :

[113]        Une question cruciale se rapporte à la nature de la relation existant entre le Conseil de sécurité, qui établissait les critères de non-admissibilité, et la GRC, qui appliquait ces critères sur le terrain. En somme, quelle était l'organisation responsable de l'établissement des critères eux-mêmes qui s'appliquaient lorsque M. Baumgartner a eu les entrevues à l'étape B et lorsqu'il a fait l'objet d'un contrôle au mois de mars 1953? Je retiens le témoignage de M. D'Ombrain, selon lequel la GRC était responsable de l'application des critères, qui étaient établis par le Conseil de sécurité. De l'avis de M. D'Ombrain, les décisions du Conseil faisaient autorité. À l'instruction, M. D'Ombrain a déclaré que le rôle de la GRC consistait à [TRADUCTION] « s'adresser au Conseil de sécurité, à obtenir son avis et son interprétation et à agir en conséquence parce que les avis du Conseil [faisaient] autorité. Toutefois, la GRC était chargée de regrouper les critères eux-mêmes et de faire en sorte qu'ils soient exhaustifs et ainsi de suite » .



[114]        M. D'Ombrain a témoigné au sujet des organismes du Cabinet qui avaient été constitués en vue de décider des questions de sécurité en matière d'immigration au cours de la période qui avait suivi la Seconde Guerre mondiale, à savoir le Comité du Cabinet sur l'immigration et le Conseil de sécurité, qui relevaient tous les deux du Bureau du Conseil privé. M. D'Ombrain avait occupé plusieurs postes importants au sein du Bureau du Conseil privé, notamment celui de secrétaire adjoint du Cabinet pour la sécurité et l'information. Il a été reconnu à titre d'expert pour témoigner au sujet de la procédure suivie par le Cabinet. Selon le témoignage de M. D'Ombrain, le Conseil de sécurité a été établi en 1946 afin de coordonner toutes les mesures liées à la sécurité physique et personnelle ainsi qu'à la sécurité de l'information du gouvernement fédéral. Le Conseil s'acquittait des responsabilités spéciales du premier ministre en matière de sécurité, le premier ministre et ses représentants étant considérés comme ayant des responsabilités particulières et devant assurer l'efficacité des mesures de sécurité prises par le Canada. Le Conseil était présidé par le secrétaire du Cabinet, soit le plus haut fonctionnaire de la hiérarchie du gouvernement du Canada. Il était composé des directeurs experts des organismes gouvernementaux chargés de la sécurité, notamment la GRC, les trois branches des forces armées, le Centre de recherche pour la défense, le ministère des Affaires extérieures ainsi que d'autres ministères et organismes au besoin, dont le chef de l'exploitation de la Direction générale de l'immigration. Le Conseil de sécurité était plus ou moins indépendant du reste du système de prise de décisions du Cabinet, y compris le Comité du Cabinet sur l'immigration, qui élaborait la politique relative au contrôle sécuritaire. Le Conseil s'intéressait expressément à la façon dont les exigences en matière de sécurité seraient traitées. Lorsque le Conseil a découvert que la législation qui était en vigueur pouvait poser des problèmes, en ce sens qu'elle ne conférait peut-être pas suffisamment de pouvoirs pour ce qui est du contrôle sécuritaire, le Cabinet a décidé de régler ces problèmes au moyen de mesures administratives plutôt qu'au moyen de modifications législatives.


[115]        Au mois de février 1947, le Cabinet a décidé que la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) effectuerait le contrôle sécuritaire, qui s'appliquerait à toute personne venant d'un ancien pays ennemi, notamment de l'Allemagne, de l'Autriche et de l'Italie. Selon M. D'Ombrain, le Cabinet avait décidé que les critères de refoulement applicables aux immigrants éventuels seraient élaborés et mis en application par la GRC à sa discrétion. Les critères de refoulement ont été modifiés par des décrets du Conseil privé, de façon qu'avec le temps, il y a eu un moins grand nombre de catégories de personnes qui se voyaient refuser l'entrée au Canada. Ainsi, au mois de septembre 1950, le décret C.P. 4364 a soustrait les ressortissants allemands à l'application de la politique d'interdiction générale. Le Conseil de sécurité a ensuite décidé que certaines catégories de ressortissants allemands ne seraient pas admissibles, y compris entre autres les membres de la SS, de la Waffen-SS, de l'Abwehr et de la Gestapo. Au mois d'avril 1950, un décret a été pris; il prévoyait que les non-Allemands qui avaient servi sous contrainte dans les forces allemandes n'étaient plus assujettis à une interdiction générale. Au mois de juillet 1951, le secrétariat du Conseil de sécurité a décidé provisoirement que les membres non allemands de la Waffen-SS qui s'étaient engagés avant le 1er janvier 1943 ne seraient plus automatiquement refoulés. Les individus qui réussissaient à convaincre l'agent de contrôle de visas qu'ils avaient été contraints à s'engager dans la Waffen-SS pouvaient obtenir le droit d'établissement au Canada. Toutefois, les ressortissants allemands qui s'étaient engagés dans la Waffen-SS étaient encore refoulés. Or, M. Baumgartner était un citoyen allemand.

Modification apportée à la politique relative à l'admissibilité par le Conseil de sécurité au mois de mai 1952

[116]        Au mois de mai 1952, le Conseil de sécurité a mis en place des critères de refoulement selon lesquels l'interdiction générale qui s'appliquait aux anciens membres du Parti nazi a été supprimée. Seuls les individus qui étaient considérés comme des [TRADUCTION] « criminels importants » ou des [TRADUCTION] « criminels » conformément à la directive no 38 du contrôle allié se voyaient interdire l'entrée. L'appartenance à la Waffen-SS ne faisait plus nécessairement obstacle à l'entrée, puisque la nouvelle politique prévoyait que les non-Allemands qui avaient été contraints à s'engager dans la Waffen-SS ne se voyaient plus refuser l'entrée du fait qu'ils avaient été membres de la Waffen-SS pendant la guerre. Lors de la réunion du 15 mai 1952, le Conseil de sécurité a modifié la politique de refoulement. Le procès-verbal de la réunion est ainsi libellé :

[TRADUCTION]

5. Le Conseil a ensuite examiné le document en détail; après en avoir discuté, il a fait un certain nombre de recommandations et a convenu que les personnes ci-après désignées se verraient refuser l'entrée au Canada à titre d'immigrants :

a) Anciens membres de la SS, du Sicherheitsdienst, de l'Abwehr, de la Gestapo et tout ancien membre du Parti nazi qui, en vertu de la Directive no 38 du contrôle allié du 12 octobre 1946, était considéré comme un criminel important ou comme un simple criminel ou qui, selon la preuve dont dispose l'agent de sécurité appartient, de l'avis de cet agent, à l'une ou l'autre de ces catégories. Il faudrait veiller d'une façon toute particulière à exclure les individus qui sont responsables d'actes de brutalité commis dans des camps de concentration ou dans des camps de travail.

b) Anciens membres de la Waffen-SS sauf :


i)         les ressortissants allemands qui se sont engagés quand ils avaient moins de 18 ans, s'il existe des motifs raisonnables de croire qu'ils ont été recrutés par conscription ou qu'ils se sont engagés sous contrainte;

ii)        les Volksdeutsche qui résidaient autrefois dans un territoire occupé par l'Allemagne, et ce, peu importe qu'ils soient par la suite devenus des Allemands naturalisés, s'il existe des motifs raisonnables de croire qu'ils ont été recrutés par conscription ou qu'ils se sont engagés sous contrainte;

iii)       les Volksdeutsche et les ressortissants d'autres pays qui étaient des Allemands réétablis et naturalisés avant de s'engager, s'il existe des motifs raisonnables de croire qu'ils n'ont pas été naturalisés de leur propre gré, et s'il existe des motifs raisonnables de croire qu'ils ont été recrutés par conscription ou qu'ils se sont engagés sous contrainte;

iv)      Les ressortissants allemands et les Volksdeutsche qui résidaient autrefois dans un territoire non occupé par la Wehrmacht, et ce, peu importe qu'ils soient par la suite devenus des Allemands naturalisés, et peu importe qu'ils soient ressortissants d'autres pays, s'ils peuvent convaincre l'agent de sécurité qu'ils ont été recrutés par conscription ou qu'ils se sont engagés sous contrainte.

[117]        Il s'agissait de la ligne directrice que M. Kelly avait utilisée dans les [TRADUCTION] « Motifs de refoulement » qu'il avait fait parvenir aux agents de contrôle des visas en Europe, mettant ainsi en application les politiques établies à la suite de la réunion que le Conseil de sécurité avait tenue le 15 mai 1952. M. Kelly a témoigné que les renseignements relatifs à cette réunion auraient été transmis aux agents de contrôle des visas à Karlsruhe, en Allemagne, en 1952. Compte tenu de cette preuve, les critères en question étaient en vigueur à la date où M. Baumgartner a eu son entrevue, le 11 mars 1953.

Critères applicables avant la modification apportée à la politique par le Conseil de sécurité le 15 mai 1952 :


[118]        Il a été soutenu qu'il n'existe aucune preuve solide qui tende à établir que les critères mentionnés dans les [TRADUCTION] « Motifs de refoulement » énoncés par M. Kelly au mois de janvier 1953 s'appliquaient à Munich, en Allemagne, à la date de l'entrevue de M. Baumgartner (le 11 mars 1953). Le défendeur affirme que les agents de contrôle des visas doivent donc avoir utilisé les critères que le Conseil de sécurité avait établis à la réunion du 15 mai 1952. Toutefois, les agents de contrôle des visas auraient selon toute probabilité utilisé les critères de refoulement établis en 1948 jusqu'au moment où ils ont reçu les [TRADUCTION] « Motifs de refoulement » de M. Kelly, c'est-à-dire qu'il n'existe aucune preuve et aucun motif permettant de croire que les agents de contrôle des visas qui étaient sur le terrain aient été au courant des décisions elles-mêmes que le Conseil de sécurité avait prises sur le plan de la politique. Ces agents ont été mis au courant des critères de refoulement par la voie hiérarchique de la GRC, et ils auraient reçu leurs instructions de M. Kelly lui-même. Cela étant, j'apprécierai le cas de M. Baumgartner en me fondant sur les critères de refoulement établis au mois de novembre 1948 et sur les [TRADUCTION] « Motifs de refoulement » énoncés par M. Kelly en 1953.

[119]        Les premiers critères de refoulement figuraient dans une note de service de la GRC datant du mois de novembre 1948 intitulée [TRADUCTION] « Sélection des personnes qui demandent à être admises au Canada » .On a légèrement modifié ces critères de façon qu'ils soient plus souples en levant l'interdiction générale dont étaient frappés tous les anciens membres du Parti nazi et en autorisant les non-Allemands qui étaient membres de la Waffen-SS après le 1er janvier 1943 à être admis au Canada s'ils pouvaient démontrer à l'agent de contrôle des visas qu'ils avaient été contraints à s'engager. Cependant, les autres anciens membres de la SS, de la Waffen-SS, de l'Abwehr, de la S.D., de la Gestapo, et les autres nazis importants ou dangereux n'étaient toujours pas admissibles. Les critères établis en 1948 prévoyaient notamment ce qui suit :


[TRADUCTION]

MOTIFS DE REFOULEMENT

[...]

b) Membres de la SS ou de la Wehrmacht allemande.

Personne dont on découvre qu'elle porte des marques du groupe sanguin SS (non-Allemands)

Au mois de juillet 1951, cette partie des critères de refoulement avait été modifiée comme suit :

[TRADUCTION] Les membres non allemands de la Waffen-SS qui se sont engagés dans cette organisation avant le 1er janvier 1943 continueront à faire l'objet d'une interdiction générale. Les membres non allemands de la Waffen-SS qui se sont engagés après le 1er janvier 1943 seront tenus de convaincre l'agent de sécurité qu'ils ont été mobilisés et qu'ils ne se sont pas engagés volontairement.

Si le défendeur a raison de dire que les critères de refoulement de M. Kelly ne s'appliquaient pas à Karlsruhe, en Allemagne, au moment où M. Baumgartner a eu son entrevue, le cas de M. Baumgartner doit être apprécié selon les critères susmentionnés. Il est clair que M. Baumgartner n'aurait pas été admis au Canada compte tenu des critères susmentionnés puisqu'il s'était engagé avant la date limite du 1er janvier 1943. Toutefois, pour plus de certitude et pour être exhaustif, j'apprécierai la question par rapport aux critères énoncés par M. Kelly.

Motifs de refoulement énoncés par M. Kelly :


[120]        D'autre part, si les nouveaux Motifs de refoulement énoncés par M. Kelly s'appliquaient de fait à Karlsruhe le 11 mars 1953, M. Baumgartner aurait été apprécié selon ces critères. M. Kelly a cherché à éclaircir les critères établis par le Conseil de sécurité pour que les agents de contrôle des visas puissent plus facilement les mettre en application sur une base quotidienne. Il s'est donc vu obligé de modifier quelque peu le libellé, d'où les [TRADUCTION] « Motifs de refoulement » qu'il a fait parvenir aux agents de contrôle des visas sur le terrain au début de l'année 1953. Ce document énumérait les catégories de personnes qui devaient se voir refuser l'entrée conformément à la nouvelle politique relative aux critères de refoulement du Conseil de sécurité. Pour plus de commodité, les Motifs de refoulement énoncés par M. Kelly sont reproduits en partie ci-dessous :

[TRADUCTION]

MOTIFS DE REFOULEMENT

Motifs de refoulement :

1.      (I)     Communiste, connu ou soupçonné de l'être.

(II) Agent communiste, connu ou soupçonné de l'être.

(III)                 Agitateur communiste.

(IV)                 Sympathisant communiste.

B. Anciens membres de :

(I)    L'Allgemeine S.S. Tous les anciens membres.

(II) Les S.A.                  Tous les officiers jusqu'au grade de sous-officier et tous les membres qui se sont engagés avant le 1er avril 1933, et ce, peu importe leur grade.

(III)                 La S.D.                                    Tous les anciens membres.

(IV)                 L'Abwehr                               Tous les anciens membres.

(V) La Gestapo                             Tous les anciens membres.

(VI)                 La Waffen-SS                        Tous les anciens membres jusqu'au grade de sous-officier, et ce, peu importe qu'ils aient été recrutés par conscription ou qu'ils se soient engagés sous contrainte.

Tous les anciens membres au-dessous du grade de sous-officier, à moins qu'il n'existe des motifs raisonnables de croire qu'ils ont été recrutés par conscription ou qu'ils se sont engagés sous contrainte.

En pratique, on considérera qu'il n'y a pas eu de conscription ou de contrainte avant le 31 décembre 1943.

Tous les anciens membres de la TOTENKOPFVERBANDE et les membres du personnel des camps de concentration.

C.    Le N.S.D.A.P. et les organisations affiliées.

Anciens membres de grade élevé ou qui étaient particulièrement actifs.

[...]


[121]        Le document dans lequel figuraient les [TRADUCTION] « Motifs de refoulement » comprenait une directive de M. Kelly à l'intention des agents de contrôle des visas, selon laquelle les membres de la Waffen-SS qui s'étaient engagés avant le 31 décembre 1943 étaient réputés l'avoir fait volontairement plutôt que d'avoir été recrutés par conscription. Cela étant, M. Kelly a donné aux agents de contrôle des visas une directive selon laquelle [TRADUCTION] « on considér[ait] qu'il n'y a[vait] pas eu de conscription ou de contrainte avant le 31 décembre 1943 » . M. Kelly a affirmé que les agents de contrôle des visas devaient se conformer à cette directive. Il a fondé la ligne directrice sur des renseignements obtenus de la GRC, à savoir qu'il n'y avait pas eu de contrainte ou de conscription de membres de la Waffen-SS avant le 31 décembre 1943. M. Poole, ancien agent de contrôle des visas, a témoigné que l'immigrant éventuel qui s'était engagé dans la Waffen-SS avant le 1er janvier 1944 était automatiquement refoulé même si on laissait entendre qu'il avait été recruté par conscription ou contraint à s'engager.



[122]        Le défendeur affirme que les critères établis par le Conseil de sécurité au mois de mai 1952 (lesquels ont été envoyés à M. Kelly dans une lettre en date du 1er août 1952) font autorité. Il soutient également que les [TRADUCTION] « Motifs de refoulement » énoncés par M. Kelly contredisent la politique du Conseil de sécurité concernant l'assouplissement de l'interdiction générale dont les anciens membres de la Waffen-SS étaient frappés. Je conclus que les directives de M. Kelly ne contredisent pas la politique du Conseil de sécurité. Les [TRADUCTION] « Motifs de refoulement » de M. Kelly constituent simplement un énoncé pratique de la politique du Conseil de sécurité, rédigé de façon que la politique puisse être mise en application par les agents qui étaient sur le terrain. La ligne directrice selon laquelle les individus qui s'étaient engagés dans la Waffen-SS avant le 31 décembre 1943 étaient réputés l'avoir fait volontairement était conforme aux renseignements que la GRC possédait au sujet de la conscription dans la Waffen-SS. En fait, M. Kelly dit clairement qu'il veut que les agents de contrôle des visas appliquent la politique du Conseil de sécurité selon laquelle [TRADUCTION] « [l]es anciens membres [de la Waffen-SS] au-dessous du grade de sous-officier [devaient être refoulés] à moins qu'il n'existe des motifs raisonnables de croire qu'ils [avaient] été recrutés par conscription ou qu'ils [s'étaient] engagés sous contrainte » . M. Kelly donne simplement aux agents de contrôle des visas un [TRADUCTION] « guide pratique » , à savoir que, compte tenu des meilleurs renseignements mis à la disposition de la GRC, les individus qui s'étaient engagés dans la Waffen-SS avant le 31 décembre 1943 étaient réputés l'avoir fait volontairement. Le fait que la politique du Conseil de sécurité et les critères pratiques énoncés par M. Kelly étaient cohérents est étayé par le passage tiré du document intitulé [TRADUCTION] « Note de service à l'intention du Conseil de sécurité : Politique de l'immigration en matière de sécurité -- nazis, fascistes et collaborateurs » dont j'ai fait mention dans la section de ces motifs qui se rapporte à la réunion tenue par le Conseil de sécurité au mois de mai 1952. Pour ces motifs, je conclus que les arguments du défendeur sur ce point ne sont pas convaincants. Selon les motifs de refoulement, M. Baumgartner n'aurait pas été admis au Canada si de fait il avait révélé qu'il avait été membre de la Waffen-SS et qu'il s'était engagé avant le 31 décembre 1943. Je conclus que le témoignage de M. Baumgartner, lorsqu'il affirme avoir révélé ce renseignement aux responsables de l'immigration, n'est pas crédible, puisque son engagement volontaire dans la Waffen-SS l'aurait rendu non admissible selon les critères de refoulement qui s'appliquaient à Karlsruhe, en Allemagne, et ce, indépendamment de la question de savoir si les critères fondés sur la politique de refoulement de 1948, ou les critères fondés sur la politique de refoulement de 1952, ou les [TRADUCTION] « Motifs de refoulement » énoncés par M. Kelly en 1953 s'appliquaient à la date de l'entrevue et du triage à l'étape B. Comme il en a déjà été fait mention, on a posé à M. Baumgartner des questions au sujet de son service militaire, mais il n'a pas dit la vérité. Lorsqu'il a témoigné, il a toujours nié s'être porté volontaire dans la Waffen-SS et il a en outre nié avoir été garde dans un camp de concentration.


[123]        Le défendeur soutient également que les critères de refoulement énoncés par M. Kelly n'étaient pas légalement en vigueur, étant donné qu'à l'instruction, ce dernier a « admis » qu'il aurait fallu obtenir l'approbation du Conseil de sécurité. Le défendeur affirme que les lettres échangées entre le commandant de la Division spéciale de la GRC, M. Hall et M. Kelly, à Londres, en Angleterre, indiquent que MM. Hall et Kelly croyaient tous deux que les critères établis par le Conseil de sécurité faisaient autorité et qu'ils reconnaissaient ainsi que M. Kelly n'était pas autorisé à créer une version libellée différemment de ces critères à l'intention de ses agents. Pour démontrer que les critères énoncés par M. Kelly n'étaient pas légalement mis en oeuvre, le défendeur se reporte aux lettres des 1er et 20 août ainsi que du 10 septembre 1952. Ces lettres montrent que MM. Kelly et Hall ne s'entendaient pas au sujet de l'interprétation des critères établis par le Conseil de sécurité.

[124]        M. Hall a écrit à M. Kelly le 1er août 1952 pour l'informer officiellement des décisions que le Conseil de sécurité avait prises à la réunion du mois de mai 1952. M. Hall énonce les quatre critères applicables à la Waffen-SS dont fait état le procès-verbal de la réunion tenue par le Conseil de sécurité au mois de mai 1952 et qui ont ci-dessus été reproduits.

[125]        M. Kelly a écrit à M. Hall, à la Division spéciale, pour lui demander des précisions sur divers points, et notamment sur la question de savoir s'il pouvait résumer comme suit les critères applicables aux anciens membres de la Waffen-SS :

[TRADUCTION] Les anciens membres de la Waffen-SS seront refoulés à moins qu'il n'y ait des motifs raisonnables de croire qu'ils ont été recrutés par conscription ou qu'ils se sont engagés sous contrainte.

M. Hall a ensuite informé M. Kelly de ce qui suit, dans une lettre en date du 10 septembre 1952 :

[TRADUCTION] Il n'y a pas d'interdiction générale à l'égard des Volksdeutsche et des Allemands naturalisés; la décision est laissée à l'appréciation de l'agent de sécurité. Cette question a été minutieusement examinée par le Conseil et la décision qui a été prise incluait toutes les catégories connues. Votre liste abrégée pourrait créer des catégories qui ne sont pas expressément définies, par exemple les individus qui peuvent se présenter parce qu'ils ont servi sous contrainte, mais qui ont en fait commis des brutalités, et ainsi de suite. Selon nous, la liste abrégée proposée ne comporte aucun avantage et nous croyons que les catégories précises d'anciens membres définies par le Conseil empêchent toute possibilité d'une interprétation erronée de la part de l'agent de sécurité.


[126]        Toutefois, cette question est essentiellement une variante de la question fondamentale dont je suis saisi. Les [TRADUCTION] « Motifs de refoulement » énoncés par M. Kelly ne contredisent pas les critères du Conseil de sécurité, et ils n'indiquent pas d'une façon erronée l'intention du Conseil de sécurité ou les points que le commandant de la Division spéciale de la GRC avait signalés dans sa lettre à M. Kelly. Fondamentalement, les [TRADUCTION] « Motifs de refoulement » informent les agents de contrôle des visas que les anciens membres de la Waffen-SS ne doivent pas être acceptés s'ils se sont portés volontaires pour servir dans cette division. Tous les critères énoncés par M. Hall dans sa lettre se résument au fait que les hommes de la Waffen-SS ne devaient pas être admis à moins qu'il n'y ait lieu de croire qu'ils avaient été contraints à s'engager dans la Waffen-SS. L'argument de M. Hall selon lequel le résumé de M. Kelly pourrait [TRADUCTION] « créer des catégories qui ne sont pas expressément définies » et amener peut-être ainsi les agents de contrôle des visas à prendre des décisions erronées n'est pas clair. Quoi qu'il en soit, à mon avis, la déclaration de M. Hall n'aide pas le défendeur. Puisque j'ai déjà conclu que les lignes directrices de M. Kelly indiquant que les individus qui avaient été recrutés dans la Waffen-SS avant le 31 décembre 1943 étaient réputés être des volontaires sont conformes à la politique établie par le Conseil de sécurité au mois de mai 1952 et puisque j'ai conclu que M. Baumgartner s'était engagé dans la Waffen-SS de son propre gré, l'argument du défendeur ne peut pas être retenu. Il est clair que les critères, tels qu'ils ont été mis en oeuvre par le Conseil de sécurité et la GRC, auraient empêché M. Baumgartner d'entrer au Canada s'il avait dit la vérité au sujet du rôle qu'il avait eu en tant que membre de la Waffen-SS et en tant que garde de camp de concentration à Stutthof et à Sachsenhausen.


Le cadre légal concernant l'annulation de la citoyenneté canadienne

[127]        Conformément à l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, la Cour doit déterminer si M. Baumgartner a acquis la citoyenneté canadienne par fraude, fausse déclaration ou dissimulation de faits essentiels. Il n'incombe pas à la Cour de révoquer de fait la citoyenneté de M. Baumgartner. La Cour doit plutôt tirer des conclusions de fait qui seront soumises au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration aux fins d'un examen de la question de l'annulation de la citoyenneté, le ministre pouvant ensuite confier l'affaire au gouverneur en conseil (le Cabinet) pour décision.

[128]        La Cour doit déterminer si M. Baumgartner a enfreint les dispositions de l'article 10 de la Loi sur la citoyenneté actuelle, lesquelles étaient en vigueur au moment où la présente instance a été engagée; ces dispositions sont ainsi libellées :



10. (1) Sous réserve du seul article 18, le gouverneur en conseil peut, lorsqu'il est convaincu, sur rapport du ministre, que l'acquisition, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté, ou la réintégration dans celle-ci, est intervenue sous le régime de la présente loi par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, prendre un décret aux termes duquel l'intéressé, à compter de la date qui y est fixée :

a) soit perd sa citoyenneté;

b) soit est réputé ne pas avoir répudié sa citoyenneté.

(2) Est réputée avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels la personne qui l'a acquise à raison d'une admission légale au Canada à titre de résident permanent obtenue par l'un de ces trois moyens.

10. (1) Subject to section 18 but notwithstanding any other section of this Act, where the Governor in Council, on a report from the Minister, is satisfied that any person has obtained, retained, renounced or resumed citizenship under this Act by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances,

(a) the person ceases to be a citizen, or

(b) the renunciation of citizenship by the person shall be deemed to have had no effect,

as of such date as may be fixed by order of the Governor in Council with respect thereto.

(2) A person shall be deemed to have obtained citizenship by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances if the person was lawfully admitted to Canada for permanent residence by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances and, because of that admission, the person subsequently obtained citizenship.



[129]        Le paragraphe 10(2) est une « disposition déterminative » , c'est-à-dire qu'une fois que la Cour a conclu qu'une personne a obtenu le droit d'établissement par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels, cette personne est réputée avoir acquis la citoyenneté canadienne par des moyens similaires. Comme je l'ai dit dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Bogutin (1998), 144 F.T.R. 1, même en l'absence de cette disposition déterminative, une conclusion fondée sur le paragraphe 10(1) en soi serait suffisante pour les fins du ministre. En vertu du paragraphe 10(1), le gouverneur en conseil peut annuler la citoyenneté d'une personne s'il est convaincu que cette dernière l'a acquise au moyen d'une fausse déclaration, c'est-à-dire que s'il est conclu qu'une personne a fait de fausses déclarations afin d'obtenir le droit d'établissement, cette personne ne peut pas légalement acquérir la citoyenneté puisque, pour être admissible à la citoyenneté canadienne, elle doit avoir légalement obtenu le droit d'établissement. Quoi qu'il en soit, compte tenu de la disposition déterminative, pareil argument n'a pas à être invoqué.

[130]        En 1958, soit l'année où M. Baumgartner a demandé la citoyenneté, la procédure y afférente était régie par l'article 10 de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1952, ch. 33. En vertu de cette disposition, la personne qui demandait la citoyenneté devait remplir diverses conditions et devait notamment avoir « acquis un domicile canadien » et avoir « une bonne moralité » . Le mot « domicile » était défini à l'article 2b) de la Loi sur l'immigration, S.R.C. 1952, ch. 325, dans lequel il était fait mention du sens attribué à ce mot à l'article 4 de cette loi, lequel était ainsi libellé :

4(1) Pour l'application de la présente loi, une personne acquiert le domicile canadien en ayant son lieu de domicile au Canada pendant au moins cinq ans, après avoir été reçue dans ce pays.

L'expression « réception » était définie comme suit à l'article 2n) de la Loi : « l'admission légale d'un immigrant au Canada aux fins de résidence permanente » .

[131]        M. Baumgartner a reçu son visa et il a par la suite obtenu le droit d'établissement au point d'entrée en raison d'une fausse déclaration essentielle relative à son service militaire pendant la Seconde Guerre mondiale. Il n'a donc pas légalement obtenu le droit d'établissement au Canada en 1953 et il n'a donc pas acquis un domicile canadien. Dans ces conditions, il n'a donc pas acquis légalement la résidence permanente ou la citoyenneté canadienne.


[132]        La « bonne moralité » était également exigée d'un citoyen éventuel en 1959, selon l'article 10 de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1952, ch. 33. Comme je l'ai statué dans la décision Bogutin, ce critère est pertinent dans les procédures d'annulation de la citoyenneté. Au moment où il a présenté sa demande de citoyenneté canadienne, il n'aurait probablement pas été conclu que M. Baumgartner avait une « bonne moralité » s'il avait divulgué le rôle qu'il avait eu en tant que garde de camp de concentration et en tant que membre volontaire de la Waffen-SS pendant la Seconde Guerre mondiale. En outre, M. Baumgartner n'aurait probablement pas satisfait à pareil critère si l'on avait su qu'il avait fait de fausses déclarations à ce sujet lors des entrevues qu'il avait eues aux fins de l'immigration et du contrôle sécuritaire ainsi que dans le formulaire OS-8, lorsqu'il avait demandé à être admis et à résider en permanence au Canada, en 1952-1953. Ces conclusions sont étayées par les conclusions défavorables qui ont été tirées au sujet de la crédibilité du témoignage présenté par M. Baumgartner à l'instruction.

M. Baumgartner a-t-il fait des fausses déclarations essentielles au sujet de son service militaire aux responsables de l'immigration au mois de mars 1953?

[133]        Au paragraphe 387 de ses arguments, le ministre déclare ce qui suit :


[TRADUCTION] L'ACV qui a eu une entrevue avec le défendeur lui aurait posé des questions au sujet de ses antécédents militaires et d'autres faits pertinents en vue de déterminer s'il faisait partie des personnes qui devaient être refoulées pour des raisons de sécurité conformément aux Motifs de refoulement que M. Kelly avait fait parvenir aux agents sur le terrain peu de temps après avoir envoyé la lettre du 21 janvier 1953. M. Cliffe a témoigné qu'en sa qualité d'ACV sur le terrain, il avait reçu ces motifs de refoulement au début de l'année 1953. Si le défendeur avait divulgué à l'ACV la date à laquelle il avait été recruté dans la Waffen-SS, celui-ci l'aurait automatiquement refoulé pour des raisons de sécurité étant donné la date limite du 31 décembre 1943 qui était mentionnée dans les Motifs de refoulement. Si le défendeur avait divulgué qu'il avait agi à titre de garde de camp de concentration, à Stutthof et à Sachsenhausen, ou qu'il avait servi dans le Bataillon des gardes à tête de mort de la SS, à Sachsenhausen, ou dans le Bataillon des gardes à tête de mort de la SS, à Stutthof, il aurait également été automatiquement refoulé puisque tous les membres du personnel des camps de concentration étaient refoulés pour des raisons de sécurité au moment où M. Baumgartner a eu son entrevue, au mois de mars 1953.

[134]        Toutefois, le défendeur soutient qu'on ne sait pas trop quels étaient les critères de refoulement précis qui s'appliquaient à l'Allemagne au moment où M. Baumgartner a eu ses entrevues avec l'agent de contrôle des visas et avec l'agent d'immigration. Je suis néanmoins convaincu qu'il existait une interdiction générale à l'égard des anciens membres de la Waffen-SS, y compris les Volksdeutsche, qui s'étaient engagés avant le 31 décembre 1943. Pareil critère ne contredisait pas la politique du Conseil de sécurité autorisant l'entrée au Canada des anciens membres de la Waffen-SS qui, selon ce que croyait l'agent d'immigration qui procédait à l'entrevue, avaient été contraints à s'engager dans la Waffen-SS. Les dépositions des divers témoins, y compris MM. Dubé, Lapierre, Gunn et Cliffe, m'ont convaincu que les agents qui étaient sur le terrain appliquaient cette politique et qu'ils auraient exclu un ancien membre de la Waffen-SS qui s'était engagé avant le 31 décembre 1943, à moins qu'il n'y ait eu lieu de croire que l'individu en question avait été contraint à s'engager.


[135]        M. Baumgartner a affirmé avoir dit aux agents qui avaient conduit les entrevues, au mois de mars 1953, qu'il avait servi comme membre de la 5e Unité Wiking de la Waffen-SS. À l'instruction, M. Baumgartner a également témoigné qu'il avait été contraint à s'engager dans la SS lorsque les soldats allemands étaient allés dans son village, à Secunda, et qu'ils avaient malmené les gens de l'endroit tant que leurs fils ne s'étaient pas engagés. J'ai déjà conclu que l'explication que M. Baumgartner avait donnée au sujet du fait qu'on l'avait [TRADUCTION] « forcé » à s'engager dans la Waffen-SS n'était pas crédible. Je suis convaincu que si M. Baumgartner avait dit aux responsables de l'immigration canadienne qu'il avait été membre de la Waffen-SS et qu'il s'était engagé en 1942, il n'aurait pas été autorisé à entrer au Canada et à s'y établir.

[136]        Au paragraphe 181 des arguments du défendeur, il est déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION] [Le certificat de démobilisation de M. Baumgartner] est un document important étant donné qu'il a été présenté aux responsables de l'immigration canadienne par M. Baumgartner et qu'il confirme que M. Baumgartner avait révélé qu'il avait été membre de la Waffen-SS.

Étant donné les conclusions que j'ai tirées au sujet des critères de refoulement pertinents qui s'appliquaient au moment où M. Baumgartner a immigré au Canada, ainsi qu'au sujet du manque de crédibilité de M. Baumgartner, je ne puis souscrire à l'allégation que celui-ci a faite, à savoir qu'il avait montré son certificat de démobilisation aux responsables de l'immigration canadienne lorsqu'il avait eu ses entrevues.


[137]        Les critères sont loin d'être clairs en ce qui concerne la question de savoir s'il existait une interdiction absolue empêchant l'entrée au Canada des anciens gardes de camp de concentration en 1953. Selon les [TRADUCTION] « Motifs de refoulement » de M. Kelly, il était interdit aux anciens membres du personnel des camps de concentration et aux anciens membres de la Totenkofverbande d'entrer au Canada. M. Cliffe a témoigné que normalement les membres de la Division « à tête de mort » étaient refoulés, mais il a également déclaré qu'un requérant pouvait toujours soutenir qu'il avait été contraint à s'engager dans la division et qu'il devrait donc être admis. Au paragraphe 8 des arguments écrits, le défendeur soutient que [TRADUCTION] « même s'il a servi en tant que garde dans un camp de concentration comme l'allègue le ministre, les critères pertinents auraient autorisé l'entrée » . Toutefois, la Cour a conclu que M. Baumgartner avait servi comme garde dans les camps de concentration de Stutthof et de Sachsenhausen. Si on lui a posé des questions au sujet de son service militaire pendant l'entrevue, comme il l'allègue, et si à ce moment-là il n'a pas admis qu'il avait été garde de camp de concentration (ce qu'il n'a pas admis à l'instruction), M. Baumgartner a commis une fraude en faisant une fausse déclaration essentielle.

[138]        Dans l'arrêt M.M.I. c. Brooks, [1974] R.C.S. 850, Monsieur le juge Laskin, au nom de la Cour, a statué que les déclarations contraires à la vérité ou les réponses trompeuses qui excluent en fait la tenue d'une enquête peuvent constituer de fausses déclarations essentielles, même si aucun motif indépendant d'expulsion n'était découvert par suite de cette enquête. Dans l'affaire Brooks, précitée, le demandeur avait censément donné des réponses fausses dans la demande qu'il avait présentée en vue d'être admis au Canada. Aux pages 865 et 873, le juge Laskin a dit ce qui suit :

[...] Une réponse peut être à la fois fausse et trompeuse mais la loi ne demande pas que ces deux éléments soient réunis. Il peut s'agir de l'un ou de l'autre et l'interdiction peut s'appliquer quand même à la réponse. Aussi, puisque l'exécution des politiques d'immigration et d'expulsion au moyen d'enquêtes spéciales n'entraîne pas de peines criminelles, je ne puis me convaincre que la tromperie intentionnelle ou volontaire devrait être considérée comme une condition préalable. [...]


Afin d'éliminer tout doute à ce sujet résultant des motifs de la Commission, je rejetterais toute prétention ou conclusion selon laquelle, pour qu'il y ait caractère important sous le régime du sous-al. (viii) de l'al. e) du par. (1) de l'art. 19, la déclaration contraire à la vérité ou le renseignement trompeur donnés dans une réponse ou des réponses doivent être de nature à avoir caché un motif indépendant d'expulsion. La déclaration contraire à la vérité ou le renseignement trompeur peuvent ne pas avoir semblable effet et, cependant, avoir été des facteurs qui ont déterminé l'admission. La preuve faite en l'espèce suivant laquelle certaines réponses inexactes n'auraient eu aucun effet sur l'admission d'une personne, est évidemment pertinente quant à la question du caractère important. Mais est aussi pertinente la question de savoir si les déclarations contraires à la vérité ou les réponses trompeuses ont eu pour effet d'exclure ou d'écarter d'autres enquêtes, même si aucun motif indépendant d'expulsion n'eût été découvert par suite de ces enquêtes.


[139]        Le ministre a attiré l'attention de la Cour sur diverses décisions dans lesquelles on avait suivi le principe énoncé dans l'arrêt Brooks, précité, y compris les décisions Hilario c. M.M.I., [1978] 1 C.F. 697 (1re inst.); Khamsei c. M.E.I., [1981] 1 C.F. 222 (C.A.F.); Juayong c. M.E.I. (1988), 99 N.R. 78 (C.A.F.); Okwe c. M.E.I. (1991), 136 N.R. 261 (C.A.F.); et Mohammed c. Canada (M.C.I.), [1997] A.C.F. no 605 (QL). En n'admettant pas qu'il avait été garde dans un camp de concentration pendant la guerre, le défendeur a effectivement empêché les responsables de l'immigration (l'agent d'immigration et l'agent de contrôle des visas) de lui demander des renseignements au sujet de son service. Il aurait donc été impossible pour les autorités de questionner le défendeur au sujet des actes qu'il avait commis à titre de garde de camp de concentration, certains de ces actes ayant pour effet de le rendre non admissible en tant que [TRADUCTION] « criminel » ou en tant que [TRADUCTION] « criminel important » selon les critères établis par le Conseil de sécurité lors de la réunion du 15 mai 1952. Je note que le défendeur soutient qu'il n'avait aucune obligation de se montrer honnête au moment de l'entrevue qu'il a eue aux fins de l'immigration, selon la décision que la Cour a rendue dans l'affaire Secrétaire d'État c. Luitjens (1991), 46 F.T.R. 267. Je souscris à cette prétention, mais je conclus que cela n'est pas pertinent en l'espèce puisque M. Baumgartner a lui-même témoigné qu'on lui avait de fait posé des questions au sujet de sa participation militaire au cours des entrevues qui ont eu lieu au mois de mars 1953.

[140]        Le défendeur déclare ce qui suit, à la page 24, paragraphe 50 des arguments écrits :

[TRADUCTION] Il ne peut pas être inféré que la simple entrée de M. Baumgartner au Canada résultait d'une fraude à moins que la Cour ne soit convaincue que M. Baumgartner se serait nécessairement vu refuser l'entrée si sa situation véritable avait été connue, ce qui de son côté exige une preuve montrant que les critères de refoulement applicables, quels qu'ils aient été, exigeaient le refoulement du défendeur.


Toutefois, comme il en a déjà été fait mention, il n'est pas nécessaire d'établir que M. Baumgartner se serait vu refuser l'entrée à cause d'une fausse déclaration, mais uniquement qu'il n'a pas divulgué des éléments essentiels d'information de sorte qu'il était peut-être impossible pour les agents d'immigration et pour l'agent de sécurité de mener une enquête qui aurait peut-être révélé que M. Baumgartner n'était pas admissible selon la politique établie par le Conseil de sécurité au mois de mai 1952 et les [TRADUCTION] « Motifs de refoulement » connexes. Comme le démontrent les arrêts qui ont été cités, et contrairement aux arguments du défendeur, le ministre n'était pas tenu de démontrer, dans ses actes de procédure, que des fausses déclarations précises avaient permis à M. Baumgartner d'obtenir le droit d'établissement. En ne divulguant pas qu'il avait servi comme garde de camp de concentration, M. Baumgartner s'est soustrait à une enquête au sujet des actes précis qu'il avait pu commettre et de la nature de son service en cette qualité. Pareille enquête aurait peut-être permis de découvrir des renseignements qui auraient eu pour effet de rendre M. Baumgartner non admissible. Par conséquent, en omettant de divulguer le rôle qu'il avait eu à titre de garde de camp de concentration lorsque les responsables canadiens lui avaient posé des questions au sujet de son service militaire pendant les entrevues au mois de mars 1953, M. Baumgartner avait fait une fausse déclaration essentielle qui lui a permis d'obtenir le droit d'établissement au Canada et d'acquérir par la suite la citoyenneté canadienne.

[141]        M. Baumgartner a été admis au Canada à titre de résident permanent par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation de faits essentiels en violation de la Loi sur la citoyenneté. Pour plus de certitude, je conclus que M. Baumgartner n'a pas été légalement admis au Canada, qu'il n'a donc pas acquis de domicile canadien et qu'il n'était pas une personne de bonne moralité, ce qui, comme il en a ci-dessus été fait mention, allait à l'encontre de la législation qui était en vigueur pendant la période pertinente. M. Baumgartner n'était pas admissible à la citoyenneté canadienne et je conclus qu'il a acquis la citoyenneté canadienne par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

[142]        À défaut d'entente au sujet des dépens, les parties peuvent me soumettre des arguments écrits.

                     « W.P. McKeown »           

        Juge

Toronto (Ontario)

Le 31 août 2001

Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL. L.


Date : 20010831

Dossier : T-2701-97

Toronto (Ontario), le vendredi 31 août 2001

EN PRÉSENCE DE :            Monsieur le juge McKeown

AFFAIRE INTÉRESSANT une annulation de la citoyenneté fondée sur les articles 10 et 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, dans sa forme modifiée, et sur l'article 19 de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1952, ch. 33, dans sa forme modifiée;

ET une demande de renvoi à la Cour fédérale présentée en vertu de l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29;

ET un renvoi à la Cour fédérale fondé sur l'article 920 des Règles de la Cour fédérale

ENTRE :

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                               demandeur

                                                                       et

                                              MICHAEL BAUMGARTNER

                                                                                                                                 défendeur

                                                             JUGEMENT

Le demandeur ayant renvoyé l'affaire le 15 décembre 1997, conformément au paragraphe 18(1) de la Loi sur la citoyenneté, en vue d'obtenir un jugement déclaratoire portant que le défendeur Michael Baumgartner a acquis la citoyenneté canadienne par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels;


La preuve ayant été présentée et les arguments des avocats des parties ayant été entendus, et cette preuve et ces arguments ayant été minutieusement examinés;

LA COUR STATUE :

Le défendeur Michael Baumgartner a acquis la citoyenneté canadienne par fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels au sens du paragraphe 18(1) de la Loi sur la citoyenneté.

                     « W.P. McKeown »           

        Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                           COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                      SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-2701-97

INTITULÉ :                                        Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

et

Michael Baumgartner

LIEU DES AUDIENCES :                 Windsor (Ontario)

Québec (Québec)

Ottawa (Ontario)

Preuve recueillie par commission rogatoire à Bad Arolsen, Allemagne

DATES DES AUDIENCES :             les 23, 24, 25, 26 et 27 novembre 1998

les 1er, 2, 3, 4, 7, 8, 9, 10 et 11 décembre 1998

les 8, 9, 10 et 11 février 1998

le 17 mars 1999

les 12, 13, 14, 15 et 16 avril 1999

les 31 mai et 1er juin 1999

les 10, 11 et 12 avril 2000

les 21, 22 et 23 août 2000 (preuve recueillie par commission rogatoire)

les 25, 26, 27 et 28 septembre 2000

les 2, 3 et 4 octobre 2000

les 4, 5 et 6 décembre 2000

MOTIFS DU JUGEMENT :             MONSIEUR LE JUGE McKEOWN

DATE DES MOTIFS :                       le 31 août 2001

COMPARUTIONS :

M. Harley R. Nott et M. John Loncar                pour le demandeur

M. Stephen Harvey et M. Frank Miller              pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Morris Rosenberg                                                          pour le demandeur

Sous-procureur général du Canada

Belowus, Easton, English                                               pour le défendeur

Windsor (Ontario)


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Date : 20010831

Dossier : T-2701-97

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                             demandeur

et

MICHAEL BAUMGARTNER

                                                               défendeur

                                                                      

MOTIFS DU JUGEMENT

                                                                     



[1]Transcription de l'audience, volume 3, page 219.

[2]Transcription de l'audience, volume 3, page 233.

[3]Transcription de l'audience, volume 3, page 246, lignes 12 à 19.

[4]Transcription de l'audience, volume 3, page 223, lignes 7 à 14.

[5]Transcription de l'audience, volume 22, page 2335, ligne 14.

[6]Transcription de l'audience, volume 22, page 2336, ligne 21.

[7]Transcription de l'audience, volume 22, page 2350, ligne 16.

[8]Transcription de l'audience, volume 22, page 2359, ligne 25.

[9]Transcription de l'audience, volume 22, page 2361, ligne 6.

[10] Transcription de l'audience, volume 23, page 2416, ligne 2.


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