Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050808

Dossier : IMM-5904-04

Référence : 2005 CF 1074

ENTRE :

DAHABO YONIS SALEH

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HUGHES

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, en date du 2 juin 2004, par laquelle la demande d'asile fondée sur le paragraphe 97(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, présentée par la demanderesse Dahabo Yonis Saleh (Saleh) a été refusée. La Commission a statué qu'elle n'était pas une « personne à protéger » au sens de cet article de la Loi.

[2]         La demanderesse Saleh est une citoyenne de la République de Djibouti et résidait dans ce pays jusqu'à ce qu'elle arrive au Canada en passant par les États-Unis d'Amérique et la France le 19 août 2002, date à laquelle elle a revendiqué le statut de réfugié. Dans l'entrevue qui a eu lieu avec un agent d'immigration, par l'entremise d'un interprète français/somali le 20 août 2002, la demanderesse Saleh a donné les réponses suivantes aux questions qui lui ont été posées par l'agent :

      Q :        Pourquoi avez-vous quitté votre pays?

R :         Parce que le père de mon fiancé n'accepte pas notre relation et il a menacé de me faire arrêter si je continuais à fréquenter son fils.

Q :        Que craignez-vous dans votre pays?

R :         Le père de mon fiancé est un haut placé dans l'armée et il me fera arrêter par la police.

Q :        Avez-vous porté plainte à la police concernant les menaces que vous avez reçues?

R :         Non

Q :        Comment se nomme cet homme qui vous menace?

R :         Ibrahim Zakaria

Q :        Et quel est le nom de votre fiancé?

R :         Hussein Zakaria

Q :        Pourquoi vous menace-t-il?

R :         Je viens d'une tribu appelée Midgane et il n'accepte pas que son fils fréquente une fille de cette tribu. La famille de mon fiancé est assez riche.

Q :        Est-ce la seule menace que vous ayez reçue?

R :         Oui

...

Q :        Avez-vous d'autres craintes dans votre pays?

R :         Non

Q :        Craignez-vous pour votre sécurité dans votre pays?

R :         Non

Q :        Avez-vous peur de retourner dans votre pays?

R :         Non

[3]         Une audience a eu lieu devant une formation de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié le 6 mai 2004 et une décision a été rendue le 2 juin 2004, dans laquelle la formation a déclaré notamment ce qui suit :

À mon avis, la demandeure d'asile n'a pas qualité de réfugiée au sens de la Convention ni de personne à protéger. Pour rendre sa décision, le tribunal a pris en considération les directives de la présidente intitulées « Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe » .

...

Le tribunal était prêt à souscrire au fait que la demandeure d'asile était d'origine ethnique midgane. Toutefois, tel que l'a mentionné le conseil, ce n'est pas parce qu'elle est Midgane qu'elle est nécessairement victime de persécution ou que sa vie est menacée.

...

Selon la prépondérance des probabilités, le tribunal est d'avis que la demandeure d'asile n'est pas un témoin crédible et digne de foi en ce qui concerne sa crainte de retourner au Djibouti.

...

Le tribunal n'est pas convaincu que la demandeure d'asile a quitté le Djibouti en raison d'une menace à sa vie parce qu'elle entretenait une relation avec le fils du général Zakaria. Le tribunal n'est pas persuadé que la demandeure d'asile fait face à davantage qu'une simple possibilité de persécution pour un des motifs de la Convention, ni à une possibilité sérieuse d'être personnellement exposée au risque d'être soumise à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités si elle retourne au Djibouti.

[4]         Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse Saleh fait valoir deux arguments principaux pour demander que la décision de la Commission soit infirmée :

1.          La Commission n'a pas accordé toute l'attention voulue aux « Lignes directrices concernant la discrimination fondée sur le sexe » publiées par la Commission;

2.          La Commission n'a pas tenu compte de l'ensemble de la preuve pertinente et en particulier de la question de savoir si la demanderesse serait persécutée au Djibouti en tant que femme, que membre de la minorité midgane, et en tant que femme ne bénéficiant pas de la protection d'un homme; cette omission signifie que la Commission n'a pas accordée l'attention voulue aux risques auxquels serait exposée la demanderesse si elle retournait au Djibouti.

[5]         La demanderesse a également contesté les conclusions fondées sur certains éléments de preuve que la Commission a tirées; les avocats des deux parties s'entendent pour dire que la norme de preuve devant être appliquée est celle de la décision manifestement déraisonnable; l'arrêt très souvent cité à cet égard est Aguebor c. Canada (MCI), [1993] A.C.F. no 732 (CAF). Après avoir examiné ces conclusions signalées par l'avocat de la demanderesse, je ne peux conclure qu'elles sont manifestement déraisonnables et elles ne fournissent pas de motif suffisant pour infirmer la décision de la Commission.

[6]         Si on aborde maintenant les principaux motifs soulevés par la demanderesse Saleh, le premier est de savoir si la Commission a accordé toute l'attention voulue aux « Lignes directrices concernant la discrimination fondées sur le sexe » . Il ne fait aucun doute que la Commission a effectivement mentionné ces lignes directrices dans sa décision, mais la question est de savoir si elle leur a accordé toute l'attention voulue.

[7]         Les lignes directrices n'ont pas force de loi ni même de règlement; elles sont un outil pour évaluer les éléments de preuve, particulièrement dans le cas des femmes qui craignent d'être persécutées. Comme le juge Pelletier (maintenant juge à la Cour d'appel) l'a déclaré dans la décision Newton c. Canada (MCI), [2000] A.C.F no 738, au paragraphe 17 :

Les lignes directrices sont un outil dont le tribunal de la SSR peut se servir pour évaluer les éléments de preuve présentés par les femmes qui affirment avoir été victimes de persécution fondée sur le sexe. Les lignes directrices ne créent pas de nouveaux motifs permettant de conclure qu'une personne est victime de persécution. Dans cette mesure, les motifs restent les mêmes, mais la question qui se pose alors est celle de savoir si le tribunal était sensible aux facteurs susceptibles d'influencer le témoignage des femmes qui ont été victimes de persécution.

[8]         Deux lignes directrices ont une importance particulière dans la présente instance, à savoir :

1.          Les femmes qui craignent d'être persécutées pour les mêmes motifs et dans les mêmes circonstances que les hommes. Dans ce cas-ci, le facteur de risque ne réside pas dans leur sexe en tant que tel, mais plutôt dans leur identité particulière (sur les plans racial, national ou social) ou dans leurs croyances imputées ou véritables (c'est-à-dire leurs croyances religieuses ou leurs opinions politiques). Dans ces cas, l'analyse essentielle ne varie pas en fonction du sexe de la personne, mais la nature du préjudice redouté et les questions de procédure à l'audience peuvent varier.

...

Race :

Il peut se produire des cas où une femme affirme qu'elle craint d'être persécutée en raison de sa race et de son sexe. Par exemple, une femme d'une minorité ethnique dans son pays peut être persécutée non seulement au motif de sa race, mais aussi de son sexe.

[9]         L'attention qu'il convient d'accorder à ces lignes directrices forme la base du deuxième motif de contestation soulevé par la demanderesse, c'est-à-dire l'allégation selon laquelle la Commission aurait omis d'accorder tout le poids et toute l'attention voulus au fait que la demanderesse Saleh était membre d'une minorité opprimée, les Midganes, qu'elle était une femme, et qu'elle ne bénéficiait pas d'une protection adéquate et du fait que son témoignage à cet égard n'a pas été correctement pondéré au regard de sa nervosité à témoigner ou de son hésitation à cet égard.

[10]       Je ne crois pas que les arguments avancés par l'avocat de la demanderesse puissent être maintenus quand on examine la décision de la Commission. La Commission n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle dans les conclusions qu'elle a tirées.

[11]       Quant au statut de la demanderesse en tant que Midgane, la Commission a conclu, de façon non déraisonnable ce qui suit :

Tout cela incite le tribunal à conclure, selon la prépondérance des probabilités, que même si la demandeure d'asile était Midgane, elle s'était raisonnablement intégrée à la communauté djiboutienne.

[12]       Quant à sa nervosité à témoigner, la Commission en a tenu compte et a conclu, de façon non déraisonnable ce qui suit :

Lorsqu'elle répondait aux questions au sujet de sa prétendue relation avec Houssein, le fils du général Zakaria, qui agissait comme l'un des animateurs au centre communautaire local, la demandeure d'asile n'a pu convaincre le tribunal qu'ils entretenaient des relations sérieuses, si pareilles relations existaient. Selon la prépondérance des probabilités, et même s'il tient compte de la nervosité possible, etc., de la demandeure d'asile, le tribunal est d'avis qu'elle était vague et imprécise au sujet de la façon dont ont été nouées ces prétendues relations sérieuses.

[13]       Quant au besoin de protection ou à la crainte de persécution, la Commission a conclu, de façon non déraisonnable ce qui suit :

Selon la prépondérance des probabilités, le tribunal est d'avis que la demandeure d'asile n'est pas un témoin crédible et digne de foi en ce qui concerne sa crainte de retourner au Djibouti.

Le tribunal n'est pas convaincu que la demandeure d'asile a quitté Djibouti en raison d'une menace à sa vie parce qu'elle entretenait une relation avec le fils du général Zakaria. Le tribunal n'est pas persuadé que la demandeure d'asile fait face à davantage qu'une simple possibilité de persécution pour un des motifs de la Convention, ni à une possibilité sérieuse d'être personnellement exposée au risque d'être soumise à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités si elle retourne au Djibouti.

[14]       À cet égard, il convient de noter encore une fois la réponse que la demanderesse a donnée au cours de sa première entrevue à son entrée au Canada où elle a réclamé le statut de réfugié :

Q :        Craignez-vous pour votre sécurité dans votre pays?

R :         Non

[15]       La Commission n'a donc pas omis de tenir compte des « Lignes directrices concernant la discrimination fondée sur le sexe » et elle n'a pas agi de façon déraisonnable pour parvenir aux conclusions qu'elle a tirées. Il n'y a pas de motif qui puisse permettre d'infirmer la décision rendue.

[16]       Par conséquent, la demande sera rejetée. Aucune partie n'a proposé de question aux fins de la certification pour être entendue devant la Cour d'appel et aucune question ne ressort du dossier. Il n'y aura pas d'ordonnance quant aux dépens.

« Roger T. Hughes »

Juge

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               IMM-5904-04

INTITULÉ :                                              Dahabo Yonis Saleh

                                                                  c.

                                                                  Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                        Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                      Le mercredi 3 août 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :         Le juge Hughes

DATE DES MOTIFS :                             Le lundi 8 août 2005

COMPARUTIONS :

Chantal Tie                                                                                POUR LA DEMANDERESSE

Richard Casanova                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chantal Tie                                                                                POUR LA DEMANDERESSE

Service d'aide juridique d'Ottawa Sud

Morris Rosenberg                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.