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Date : 20050623

Dossier : T-361-04

Référence : 2005 CF 886

Ottawa (Ontario), le 23 juin 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

620 CONNAUGHT LTD., faisant affaire sous le nom de DOWNSTREAM BAR

263053 ALBERTA LTD., faisant affaire sous le nom de MISS ITALIA RISTORANTE,

313769 ALBERTA LTD., faisant affaire sous le nom de Jasper House BUNGALOWS,

659510 ALBERTA LTD., faisant affaire sous le nom de BUCKLES RESTAURANT & SALOON,

ALEX HOLDINGS LTD., faisant affaire sous le nom de SOMETHING ELSE RESTAURANT

ALPINE GRILL LTD faisant affaire sous le nom de ALPINE GRILL RESTAURANT,

ATHABASCA MOTOR HOTEL (1972) LTD.,

faisant affaire sous le nom de ATHABASCA HÔTEL,

LINA and CLAUDIO HOLDINGS LTD.,

faisant affaire sous le nom de BECKERS GOURMET RESTAURANT,

CANTONESE RESTAURANT LTD., EARLS RESTAURANT (JASPER) LTD.,

FIDDLE RIVER SEAFOOD COMPANY LTD.,

GEORGE ANDREW & SONS LTD.,

faisant affaire sous le nom de ASTORIA HOTEL COMPANY LIMITED.,

GLACIER INTERNATIONAL LTD., faisant affaire sous le nom de WHISTLERS INN,

HUSEREAU RESTAURANT HOLDINGS INC., faisant affaire sous le nom de TEKARRA RESTAURANT,

JASPER INN INVESTMENTS LTD., faisant affaire sous le nom de THE INN RESTAURANT

KABOS HOLDING LTD., faisant affaire sous le nom de KAROUZOS STEAKHOUSE,

KONTOS INVESTMENTS LTD., faisant affaire sous le nom de KONTOS RESTAURANT,

L & W VLAHOS HOLDINGS LTD., faisant affaire sous le nom de L & W RESTAURANT,

LA FIESTA RESTAURANT LTD., LARRY HOLDINGS LTD.,

faisant affaire sous le nom de MOUNT ROBSON RESTAURANT, MALIGNE TOURS LTD.,

SAWRIDGE ENTERPRISES INC.,

faisant affaire sous le nom de SAWRIDGE INN & CONFERENCE CENTER,

T.C. RESTAURANTS LTD., faisant affaire sous le nom de VILLA CARUSO STEAK HOUSE & BAR

et VILLAGE DE NERVURE PRINCIPAL TONQUIN LTD.

demanderesses

et


PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT,

Directeur DU PARC NATIONAL DE JASPER

ET AGENCE PARCS CANADA

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER

[1]         Les demanderesses exploitent des entreprises situées dans le Parc national de Jasper en Alberta. Pour vendre des boissons alcoolisées dans leurs hôtels et restaurants, elles sont tenues d'obtenir un permis d'exploitation pour lequel elles doivent payer un pourcentage de leurs achats d'alcool. Elles me demandent, en l'espèce, de prononcer un jugement déclaratoire portant que cette méthode d'établissement des frais de permis est invalide et excède les pouvoirs du ministre du Patrimoine canadien (le Ministre).

Questions

[2]        La demande soulève les questions suivantes :

1.       La Cour est-elle compétente pour entendre la demande, les demanderesses n'ayant pas présenté leur demande dans les 30 jours suivant la décision ou l'ordonnance conformément au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales?

2.       Les droits sont-ils invalides du fait qu'ils constituent en réalité une taxe de vente, et non des droits ou un prélèvement?


3.       Les droits sont-ils invalides du fait que leur application est discriminatoire?

4.       Les droits sont-ils invalides du fait que, calculés en fonction d'un pourcentage, ils sont variables et non fixes?

5.       Le ministre du Patrimoine canadien a-t-il le pouvoir d'imposer des droits annuels d'exploitation aux entreprises situées dans la municipalité de Jasper?

6.       Si les droits sont déclarés invalides, quels sont les recours des demanderesses?

Cadre législatif

[3]         Deux lois fédérales et la réglementation y afférente régissent la gestion de tous les parcs nationaux au Canada et, ce qui est d'une certaine portée en l'espèce, assujettissent les entreprises exploitées dans les parcs à un régime qui comprend la délivrance de permis et la perception de droits. La Loi sur les Parcs nationaux du Canada,L.C. 2000, ch. 32, (Loi sur les Parcs), confère au ministre du Patrimoine canadien le contrôle et la gestion des parcs nationaux du Canada, notamment du Parc national de Jasper. La deuxième loi applicable est la Loi sur l'Agence Parcs Canada,L.C. 1998, ch. 31 (Loi sur l'Agence des Parcs) qui a créé l'Agence Parcs Canada (l'Agence des Parcs) chargée de l'application de la Loi sur les Parcs et de ses règlements d'application. En vertu de la Loi sur l'Agence des Parcs, il incombe au ministre de surveiller les actions de l'Agence.


[4]         L'obligation d'obtenir un permis pour vendre des boissons alcoolisées découle d'un ensemble de lois et de règlements d'application. L'alinéa 16(1)n) de la Loi sur les Parcs prévoit que le gouverneur en conseil peut prendre des règlements concernant « la réglementation des activités - notamment en matière de métiers, commerces, affaires, sports et divertissements... » . Le Règlement de 1998 sur l'exploitation de commerces dans les parcs nationaux, DORS/98-455 (Règlement sur l'exploitation) ainsi que le Règlement général sur les parcs nationaux, DORS/78-213, article 39, modifié par DORS/93-167 (Règlement général) ont été adoptés sous le régime de cette loi. L'article 3 duRèglement sur l'exploitation interdit à quiconque d'exploiter un commerce dans un parc national « à moins d'être le titulaire d'un permis ou l'employé d'un tel titulaire » . De plus, l'article 39 du Règlement général interdit la vente de « boissons enivrantes » sans permis conforme auRèglement sur l'exploitation.

[5]         Les procédures d'obtention d'un permis de vente d'alcool, et les droits exigibles, découlent d'abord de l'article 4du Règlement sur l'exploitation, selon lequel la personne désireuse d'obtenir un permis pour exploiter une entreprise dans un parc national doit en faire la demande au directeur chargé de la délivrance des permis. La demande doit être accompagnée « du prix applicable fixé en vertu de l'article 24 de la Loi sur l'Agence des Parcs » . En application de l'article 24 de la Loi sur l'Agence des Parcs, le ministre peut « fixer le prix - ou le mode de calcul du prix - à payer pour la fourniture de produits ou l'attribution de droits ou d'avantages par l'Agence » . L'article 24 de la Loi sur l'Agence des Parcs prévoit la publication des prix dans la Gazette du Canada, dans les 30 jours de leur fixation.


[6]         En l'espèce, la liste maîtresse des droits en vigueur à Parcs Canada 2003/2004 (la liste des droits), publiée dans la Gazette du 23 août 2003 (le Supplément de la Gazette du Canada, Partie I), est au coeur du litige. Dans le préambule à la liste des droits, le directeur général de l'Agence des Parcs écrit :

In    Les droits que Parcs Canada exige sont fondés sur les principes dquité, de justesse et de pertinence. Le processus dlaboration des droits a été mis en place à la suite de consultations menées auprès des utilisateurs, des intervenants et des communautés locales et approuvé en vertu de la Loi sur l'Agence Parcs Canada.

In In establishing these fees, Parks Canada has respected the principles of equity, fairness and appropriateness. The fees have been set through consultations with users, business partners and members of local communities and approved under the Parks Canada Agency Act

   

[7]         Suivant la liste des droits actuelle, le propriétaire d'entreprise qui vend de l'alcool doit payer 2 % de la valeur brute de la bière et 3 % de la valeur brute « des spiritueux et du vin » qu'il achète annuellement.

[8]         Ce sont ces droits que les demanderesses contestent du fait que :

_                     ils constituent une taxe plutôt que des droits pour la délivrance de permis ou des frais réglementaires;

_                     ils sont discriminatoires;

_                     calculés en fonction d'un pourcentage, ils ne sont pas fixes;

_                     seule la municipalité de Jasper peut imposer des droits aux entreprises qui y sont situées.


Analyse

Question 1 : La demande de contrôle judiciaire des demanderesses est-elle hors délai?

[9]         Le défendeur fait valoir que la présentation de la demande de contrôle judiciaire des demanderesses est hors délai. Le paragraphe 18.1(2)de la Loi sur les Cours fédérales exige qu'une demande de contrôle judiciaire visant une « décision ou ... ordonnance... » soit faite « dans les trente jours qui suivent » la décision ou l'ordonnance. Je ne suis pas d'accord.

[10]       En l'espèce, les demanderesses sollicitent une mesure de redressement déclaratoire relativement à l'application d'un régime législatif. Il n'y a aucune ordonnance ou décision spécifique. Le délai énoncé au paragraphe. 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales ne s'applique pas. L'absence d'une décision ou d'une ordonnance n'empêche pas les demanderesses de solliciter l'application des recours prévus à l'article 18de la Loi sur les Cours fédérales (Krause c. Canada [1999] 2 C.F. 476 (C.A.F.)). Par conséquent, je suis convaincu de la compétence de la Cour à entendre la demande.

Question 2 : Quelle est la norme de contrôle applicable?

[11]       La seule question dont j'ai à décider est de savoir si l'imposition de droits pour la délivrance de permis de vente de boissons alcoolisées est ultra vires. Les parties font valoir que la norme applicable à la question de l'ultra vires est celle de la décision correcte (Sunshine Village Corp. c. Canada (Parcs) 2004 C.A.F. 166, paragraphe 10). Je suis d'accord.

Question 3 : Les droits sur les achats d'alcool constituent-ils une taxe?

[12]       Les demanderesses soutiennent que les droits sur les achats d'alcool sont « une taxe » et, pour cette raison, ultra vires. Au contraire, le défendeur caractérise les droits comme des droits réglementaires ou frais pour délivrance de permis.

[13]       L'élucidation de cette question exige que je caractérise le prélèvement gouvernemental contesté. Les droits découlent du régime législatif susmentionné que, sauf preuve contraire, je dois présumer valide. Par conséquent, j'analyserai d'abord la question de savoir si les droits satisfont aux critères énoncés dans la jurisprudence en matière de droits réglementaires ou de frais pour délivrance de permis. À mon avis, s'il est satisfait à ces critères, la question de savoir si les droits comportent aussi les caractéristiques d'une taxe sera alors sans importance.

[14]       La Cour suprême du Canada a traité de la question des caractéristiques des frais imposés aux fins de réglementation dans l'arrêt Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority, [1999] 3 R.C.S. 134, au paragraphe 24 :

             Il va sans dire que, pour que des redevances soient imposées à des fins de réglementation ou qu'elles soient « indissociable[s] d'une réglementation plus générale » , il faut d'abord identifier un « régime de réglementation » . Lorsque notre Cour a conclu à l'existence d'un « régime de réglementation » , certains indices étaient présents. Les facteurs à examiner pour identifier un régime de réglementation comportent: (1) l'existence d'un code de réglementation complet et détaillé; (2) un objectif spécifique destiné à influencer certains comportements individuels; (3) des coûts réels ou dûment estimés de la réglementation; (4) un lien entre la réglementation et la personne qui fait l'objet de la réglementation, cette personne bénéficiant de la réglementation ou en ayant créé le besoin. Il ne s'agit que d'une liste de facteurs à examiner; il n'est pas nécessaire qu'ils soient tous présents pour conclure à l'existence d'un régime de réglementation. La liste n'est pas exhaustive non plus.

Facteur 1 : Code de réglementation

[15]         En ce qui concerne le premier facteur, la Loi sur les Parcs, la Loi sur l'Agence des Parcs et les deux Règlements susmentionnés prévoient un code complet et détaillé de réglementation. Les droits en question ont un fondement législatif.

Facteur 2 : Objectif spécifique

[16]         Pour le deuxième facteur, la question à trancher est de savoir s'il y a « un objectif spécifique » . Je suis convaincu qu'il y en a un. En général, l'imposition de droits vise à compenser les frais engagés pour le fonctionnement et l'administration de chacun des parcs nationaux du Canada. Selon la preuve présentée, les revenus tirés des droits de délivrance de permis d'exploitation (et tous les autres droits énumérés dans la liste des droits) perçus dans un parc servent à l'entretien du parc. Ces revenus, qui ne constituent qu'une partie des frais d'entretien, servent à assurer la permanence du parc. Selon le paragraphe 4(1) de la Loi sur les Parcs, les parcs nationaux du Canada ont été « créés à l'intention du peuple canadien pour son agrément et l'enrichissement de ses connaissances; ils doivent être entretenus et utilisés conformément à la présente loi et aux règlements de façon à rester intacts pour les générations futures » . À mon avis, les entreprises situées dans les parcs sont visées par cette fin générale. À mon avis, donc, l'objectif du régime législatif est de pourvoir au fonctionnement permanent de nos parcs nationaux. Les droits imposés pour les services et les prestations contribuent à cette fin.

Facteur 3 : Les coûts du règlement

[17]         Le troisième facteur concerne les coûts des règlements. Les demanderesses font valoir que je ne devrais considérer que les coûts d'administration des Règlements sur l'exploitation. Ce cadre est, à mon avis, bien trop étroit. Comme je l'ai dit plus haut, l'objectif d'ensemble du régime de réglementation est de pourvoir à l'administration et au fonctionnement des parcs, et non de réglementer seulement les entreprises dans les parcs. La fixation de droits pour la vente d'alcool n'est qu'une petite partie du mandat plus large du ministre et de l'Agence des parcs et est inextricablement liée à l'objectif d'ensemble du régime législatif.

[18]         Malgré l'absence de preuve quant au montant total des droits prélevés en application de la liste maîtresse des droits, il est raisonnable de supposer que les droits perçus au titre de toutes les sources mentionnées dans la liste de droits n'avoisinent pas les dépenses de 20,4 millions $ prévues pour 2003-2004. Durant la période de 2003-2004, le Parc national de Jasper a prélevé approximativement 87 625 $ au titre de droits de permis d'exploitation pour la vente d'alcool. Par conséquent, la situation n'est pas telle que les revenus tirés des droits de permis d'exploitation (ou des droits en général) excèdent les dépenses engagées à la réalisation de la fin des lois et des règlements pertinents, ce qui était le cas dans Nanaimo Immigrant Settlement Society c. British Columbia [2004] BCCA 410 (C.A.C.-B.), confirmé par [2004] C.S.C.R. no 429. Dans cet arrêt, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a statué que les droits de permis d'exploitation de bingos et de casinos constituaient des taxes directes plutôt que des droits de réglementation et n'étaient donc pas contraires au Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46. L'arrêt de la cour d'appel était fondé, en partie, sur le fait que les droits perçus excédaient manifestement les dépenses de réglementation des bingos et des casinos. Cette situation n'existe pas en l'espèce.

Facteur 4 : Le lien

[19]         Le dernier facteur énoncé dans Westbank est le rapport ou le lien entre les personnes qui paient les droits et le régime de réglementation. Les demanderesses tirent de nombreux bénéfices du régime de réglementation en vigueur. Elles bénéficient directement de leur aptitude à vendre des boissons alcoolisées dans les parcs. Plus généralement, elles bénéficient aussi de l'infrastructure des parcs, laquelle existe, en partie, grâce aux droits qu'elles payent pour obtenir le privilège de vendre des boissons alcoolisées. Il existe, à mon avis, un lien suffisant entre l'imposition de droits pour la vente de boissons alcoolisées et l'objet du régime de réglementation.

[20]         Sur la question du lien, les demanderesses s'appuient sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada Succession Eurig (Re), [1998] 2 R.C.S. 565. En concluant que les frais d'homologation exigés en vertu d'une loi ontarienne étaient une taxe et non un droit, le juge Major écrit au paragraphe 22 :

[21]       En l'espèce, les demanderesses soutiennent qu'il n'y a aucune corrélation entre les droits imposés pour la vente de boissons alcoolisées et les coûts de l'application du régime réglementaire de surveillance de la vente de boissons alcoolisées. De même que dans l'affaire Eurig, elles font valoir que les dépenses de fonctionnement du parc ne varient pas en fonction de la valeur des achats d'alcool. À mon avis, cet argument déforme la réalité. Selon mon analyse, le lien en l'espèce n'est pas entre le mode spécifique d'établissement des droits et l'objectif réglementaire, mais, véritablement, entre l'évaluation de tous les droits de la liste maîtresse et les dépenses d'administration et de fonctionnement du parc national. Comme la liste des droits fait de temps à autre l'objet d'une révision, on peut supposer que l'intention est de maintenir le rapport entre le fonctionnement de nos parcs nationaux et le niveau du barème des droits. Cette situation est très différente de celle considérée par la Cour suprême dans Eurig.

Conclusion sur cette question

[22]       Pour les motifs qui précèdent, je conclus que l'imposition des droits est un exercice valable de la surveillance réglementaire incombant au ministre. Je suis d'avis que la question de savoir si les droits ont aussi les caractéristiques d'une taxe n'est pas pertinente.

[23]       Enfin, sur cette question, je soulèverai une préoccupation additionnelle dont les parties n'ont pas traité. Si j'avais conclu que ces droits constituaient une taxe, et non des droits de réglementation ou des frais pour la délivrance de permis, quel aurait été l'effet de cette conclusion? En vertu des dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867, la compétence provinciale se limite à l'imposition d'une taxe directe, alors que le gouvernement fédéral a le pouvoir d'imposer une taxe directe ou indirecte. La jurisprudence citée par les deux parties impliquait des situations qui faisaient intervenir les particularités de notre régime constitutionnel. L'affaire Eurig, par exemple, portait sur la question de savoir si les « frais d'homologation » prélevés par l'Ontario à l'égard des biens d'un défunt constituait une taxe et, le cas échéant, si la taxe était « indirecte » et par conséquent si elle excédait la compétence de la législature provinciale.


[24]       Dans Westbank, au paragraphe 2, le juge Gonthier a dit ceci au nom de la Cour :

             Notre Cour a examiné à de nombreuses reprises et dans plusieurs contextes la façon de qualifier un prélèvement gouvernemental. Cette qualification est pertinente dans l'examen de la constitutionnalité d'un prélèvement provincial qui présente des aspects de taxation indirecte puisque, s'il s'agit d'une redevance de nature réglementaire ou d'une composante d'un régime de réglementation, les provinces ont compétence en vertu de la Constitution pour l'imposer. Elle est également pertinente pour l'examen de l'art. 53 de la Loi constitutionnelle de 1867 parce que, si le prélèvement est une taxe, il doit alors être imposé par le législateur. Et, comme je le mentionne plus loin, si le prélèvement est qualifié de taxe, il est inapplicable en vertu de la Constitution à l'autre palier de gouvernement. [Non souligné dans l'original.]

[25]       En l'espèce cependant, deux niveaux différents de gouvernement ne sont pas en cause. Conclure que les droits constituent une taxe rendrait-il invalide le régime de réglementation? Ou, les droits constituent-ils une taxe indirecte relevant de la compétence du Parlement? Puisque j'ai conclu que les droits constituent des droits de réglementation, il n'est pas nécessaire d'examiner cette question.

Question 4 : Les droits sont-ils invalides du fait que, calculés en fonction d'un pourcentage, ils sont variables et non fixes?

[26]       Les demanderesses font valoir que les droits sont invalides parce qu'ils sont établis en fonction d'une variable. Elles soutiennent que les règlements ne permettent que des droits fixes. D'après mon examen de la législation applicable, je ne suis pas d'accord.

[27]       Conformément à l'article 39 du Règlement général, aucune partie ne peut vendre de boissons alcoolisées dans un parc national sans un permis délivré conformément au Règlement d'exploitation. Pour obtenir un permis, la partie doit envoyer une demande au directeur accompagné « du prix applicable fixé en vertu de l'article 24 de la Loi sur l'Agence des Parcs (article 4,Règlement d'exploitation) » . L'article 24 de la Loi sur l'Agence des Parcs prévoit que le ministre « peut, ... fixer le prix -- ou le mode de calcul du prix - à payer pour la fourniture de produits ou l'attribution de droits ou d'avantages par l'Agence » . Lorsqu'on les interprète dans leur contexte intégral, les mots « fixer » et « fixé » ne signifient pas qu'il faille établir les prix selon une somme absolue ou « fixe » . Rien dans ces dispositions ne limite les types de prix « aux prix fixés » . Le ministre a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le mode de calcul des prix. Ce pouvoir discrétionnaire doit comprendre le pouvoir d'établir des prix, sans égard au mode de leur calcul. Quant aux entreprises qui se font accorder le privilège de vendre des boissons alcoolisées, le ministre a décidé que le calcul des droits doit se faire sur le pourcentage des achats d'alcool de l'entreprise. Il ne s'agit pas d'un exercice erroné de sa compétence.

Question 4 : Les droits sont-ils discriminatoires?

[28]       Les demanderesses soutiennent que les droits pour la délivrance de permis pour les achats d'alcool sont discriminatoires. Les demanderesses fondent cet argument sur leur interprétation du paragraphe 4(2)du Règlement d'exploitation et de l'article 24 de la Loi sur l'Agence des parcs. Elles tentent d'inférer de leur interprétation selon laquelle les dispositions sont [traduction] « très précises quant à la façon de fixer les droits » que tous les droits sont identiques. La « discrimination » alléguée est que seuls les droits exigibles des entreprises qui vendent de l'alcool sont variables; tous les autres droits sont fixes.

[29]       Si l'on pousse cet argument à l'extrême, tous les droits exigés en vertu de l'article 24, quelle qu'en soit la fin, devraient être identiques; par exemple, les frais pour la demande d'un de permis d'exploitation devraient être égaux au montant des droits liés à l'achat d'alcool.

[30]       Il convient de noter aussi que les taux de 2 % et de 3 % appliqués à la bière et à d'autres alcools respectivement s'appliquent à toutes les entreprises achetant de l'alcool. Il n'y a aucune discrimination dans la façon dont on applique les droits aux entreprises.

[31]       L'imposition de droits différents pour le permis de vendre de l'alcool ne mène, ni à la conclusion que les droits sont discriminatoires, ni à la conclusion que, même s'ils l'étaient, ils seraient ultra vires.

Question 5 : L'accord d'administration locale avec la municipalité de Jasper fait-il obstacle à l'imposition de droits?

[32]       Les demanderesses soutiennent que conformément à un accord d'administration locale (l'accord), le ministre a conféré à la municipalité de Jasper le pouvoir d'imposer des droits d'exploitation d'entreprises. Elles soutiennent donc que le ministre n'a plus ce pouvoir d'imposition.

[33]       L'argument des demanderesses est que l'accord donne à la municipalité de Jasper tous les pouvoirs d'une municipalité sauf ceux qui ont trait à l'aménagement territorial. L'accord définit l'aménagement territorial comme [traduction] « la prévision, la réglementation et le contrôle de l'utilisation et du développement des bâtiments et des terres » , ce qui ne comprend pas la délivrance de permis d'exploitation et le prélèvement de droits d'exploitation. À leur avis, il s'ensuit que l'accord n'exclut pas la détermination des droits, laquelle reviendrait donc à la municipalité.

[34]       Selon la preuve présentée, la seule demanderesse dont l'entreprise se trouve dans la municipalité de Jasper est Athabasca Motor Hotel (1972) Ltd. Par conséquent, cet argument, s'il était valable, ne serait utile qu'à cette seule demanderesse.

[35]       L'analyse de la question suppose l'examen de l'accord. Comme les demanderesses l'ont fait remarquer, selon l'article 4.1.1 de l'accord, la municipalité de Jasper [traduction] « a tous les pouvoirs d'une municipalité conformément auMunicipal Government Act sauf ceux portant sur l'aménagement du territoire, son développement, les annexions et l'environnement » . L'article 4.1.2 prévoit que la municipalité [traduction] « a tous les droits, obligations, devoirs, pouvoirs et fonctions qui lui sont délégués en vertu de la Loi sur les parcs nationaux du Canada » (Non souligné dans l'original).

[36]       Advenant l'adoption par la municipalité d'un règlement portant sur une question déjà visée par la Loi sur les parcs, l'article 6.2 de l'accord prévoit l'abrogation, après approbation du ministre, des passages concernés de la loi. Plus important encore, l'article 6.3 stipule que [traduction] « rien dans le présent accord ne portera atteinte à l'application d'un règlement quelconque pris en vertu de la Loi sur les parcs nationaux du Canada, jusqu'à ce que le règlement soit abrogé ou modifié de telle sorte qu'il ne s'applique plus à la municipalité de Jasper » .

[37]       Ces dispositions de l'accord constituent une réponse parfaite à la position des demanderesses selon laquelle l'accord confère d'office [traduction] « tous les pouvoirs d'une municipalité » . Les pouvoirs doivent être accordés un à un et les dispositions correspondantes de la Loi sur les Parcs doivent être abrogées ou modifiées de manière à exclure la municipalité. Selon le témoignage de M. Barry Romanko, gérant des services immobiliers du Parc national de Jasper et souscripteur d'affidavit produit par le défendeur, bien que les parties à l'accord (soit le ministre et la municipalité de Jasper) aient convenu d'envisager le transfert à la municipalité du pouvoir de délivrer des permis d'exploitation, pour le moment, le ministre conserve ce pouvoir.

[38]       A mon avis, les dispositions du Règlement d'exploitation relatives au permis d'exploitation et, par renvoi, celles de l'article 24 de la Loi sur les Parcs qui autorisent le ministre à « fixer le prix - ou le mode de calcul du prix » demeurent en vigueur, puisqu'elles n'ont été ni abrogées, ni modifiées. Sauf transfert de pouvoir à la municipalité, le ministre exerce le pouvoir de fixer les droits de délivrance de permis.

Réparation

Conclusion

[39]       En résumé, je suis convaincue que les droits sur les boissons alcoolisées imposés aux demanderesses sont valides, car :

!           les droits constituent des droits de réglementation;

!           les droits ne sont pas discriminatoires;

!           les droits ne sont pas rendus invalides du fait qu'ils sont établis selon un pourcentage;


!           le ministre peut encore imposer les droits dans le territoire de la municipalité de Jasper, en dépit de l'accord d'administration locale.

Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter la demande avec dépens.

ORDonnance

La Cour ordonne que :

[40]       La demande est rejetée avec dépens en faveur du défendeur.

« Judith A. Snider »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COURFÉDÉRALE

Avocats inscrits au dossier

Dossier :                                         T-361-04

IntitulÉ :                                        620 CONNAUGHT LTD. ET AUTRES c. Procureur général du Canada et AL.

Lieu de l'audience :                  Edmonton (Alberta)

DATE De l'audience :                Le 16 juin 2005

Motifs de l'ordonnance

et ordonnance :                        La juge Snider

DATe des motifs :                       Le 23 juin 2005

Comparutions :                                                             

Jack N. Agrios, o.c., c.r.                                                           POUR les DEMANDERESSES

Janet Agrios

Bruce Hughson                                                                          POUR les DÉFENDEURS

Avocats inscrits au dossier :

Jack N. Agrios Professional Corporation                                   POUR Les DEMANDERESSES

Avocats

Edmonton (Alberta)

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                            POUR LES DÉFENDEURS

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