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Date : 20040920

Dossier : T-1836-90

Référence : 2004 CF 1285

ENTRE :

                                              ELDERS GRAIN COMPANY LIMITED

                                                                             et

                         LES BRASSERIES CARLING O'KEEFE DU CANADA LIMITÉE

                                                                                                                                     demanderesses

ET :

                        LE NAVIRE M/V « RALPH MISENER » ET LES PROPRIÉTAIRES

           DU NAVIRE M/V « RALPH MISENER » ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES

                                              INTÉRESSÉES DANS LEDIT NAVIRE

                                                                             et

                                                   MISENER HOLDINGS LIMITED

                                                                             et

                                                            MISENER SHIPPING

                                                                                                                                            défendeurs

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON


[1]                Le 7 juillet 2003, j'ai rejeté l'action des demanderesses contre les défendeurs et accueilli la demande reconventionnelle des défendeurs avec intérêts au taux appliqué aux débiteurs de premier ordre du 9 juin 1989 jusqu'à la date du jugement, de même que des intérêts après jugement conformément aux termes du paragraphe 37(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7. En ce qui concerne les dépens, j'ai fait savoir dans ma décision qu'ils devaient faire l'objet d'une discussion.

[2]                Le 7 octobre 2003, j'ai rendu une ordonnance sur les dépens auxquels les défendeurs avaient droit.

[3]                Le 19 novembre 2003, à la suite de la demande présentée par les défendeurs pour obtenir une ordonnance corrigeant mon jugement du 7 juillet 2003, à savoir que les intérêts, comme les dépens, devaient faire l'objet d'une discussion, j'ai rendu l'ordonnance suivante :

L'action des demanderesses est rejetée et la demande reconventionnelle des défendeurs est accueillie. Les demanderesses sont condamnées à payer aux défendeurs la somme de 91 436,71 dollars canadiens. Les parties s'exprimeront sur les intérêts, avant jugement comme après jugement, et sur les dépens. [Non souligné dans l'original.]

[4]                Les défendeurs me présentent maintenant une demande concernant l'adjudication des intérêts. Ce qu'ils cherchent à obtenir, c'est une ordonnance leur accordant des intérêts composés, tant avant qu'après jugement, au taux commercial en vigueur.


[5]                Premièrement, en ce qui concerne l'adjudication d'intérêts au taux commercial en vigueur, il n'y pas la moindre preuve sur le taux en vigueur, et il n'y a pas non plus d'accord entre les parties. J'ajouterais qu'il n'y a pas non plus de preuve quant au taux appliqué aux débiteurs de premier ordre pendant la période en cause. Par conséquent, les défendeurs auront droit à un intérêt avant jugement au taux légal de 5 %. Pour ce qui est des intérêts après jugement, le taux sera le taux légal de 5 % plus l'indemnité additionnelle prévue par l'article 1619 du Code civil du Québec. Si les parties n'arrivent pas à s'entendre sur le montant de cette indemnité, elles devront s'adresser à moi au plus tard le 15 octobre 2004.

[6]                Je vais maintenant examiner la demande des défendeurs quant aux intérêts composés. M. O'Connor, au nom des défendeurs, soutient que ses clients ont droit à des intérêts composés et il appuie ses dires sur certains arrêts de la Cour d'appel fédérale (Voir Davie Shipbuilding c. La Reine, [1984] 1 C.F. 461 (C.A.F.); Monk c. Island Fertilizers (1989), 97 N.R. 384 (C.A.F.); et Ontario Bus Industries c. Federal Calumet (Le) (1992), 150 N.R. 149 (C.A.F.)). M. O'Connor s'appuie également sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada Banque d'Amérique du Canada c. Société de fiducie mutuelle, [2002] 2 R.C.S. 601.


[7]                M. Laurendeau, qui représente les demanderesses, soutient que des intérêts composés ne devraient pas être accordés en l'espèce. Il s'appuie sur certaines décisions de la Cour fédérale (Voir Alcan Aluminium Ltée c. Unican Int. S.A. (1996), 120 F.T.R. 44; Alcan c. Unican (1996), 113 F.T.R. 81; Jesionowski c. « Wa-Yas » (Le) (1993), 55 F.T.R. 1; Shibamoto & Co. Ltd. c. Western Fish Producers Inc. (1991), 48 F.T.R. 176; et Engine and Leasing Co. c. Atlantic Towing Ltd. (1992), 51 F.T.R. 1). M. Laurendeau s'appuie en particulier sur une partie de ma décision dans l'affaire Alcan c. Unican (1996), 113 F.T.R. 81, où, au paragraphe 155, j'ai fait le commentaire suivant :

155]         D'après moi, le pouvoir discrétionnaire d'accorder un intérêt composé devrait être exercé en faveur d'une partie qui a gain de cause lorsqu'un tel octroi est nécessaire pour entièrement dédommager la partie demanderesse : autrement dit, d'après le principe restitutio in integrum. À mon avis, la partie gagnante doit démontrer que sa perte ne peut pas être convenablement dédommagée sans l'octroi d'un intérêt composé. En l'espèce, je ne suis pas convaincu que ce soit le cas.

[8]                M. Laurendeau invoque lui aussi, comme M. O'Connor, l'arrêt de la Cour suprême du Canada Banque d'Amérique du Canada, précité.

[9]                Pour les motifs que j'expose ci-dessous, je ne suis pas disposé à accorder les intérêts demandés par les défendeurs. Et je n'ai qu'à citer le paragraphe 55 des motifs du juge Major dans l'arrêt Banque d'Amérique du Canada, précité, où il déclare :

Règle générale, le tribunal n'accordera des intérêts antérieurs et postérieurs au jugement à taux composé que dans les affaires d'inexécution contractuelle où il est prouvé que les parties ont convenu, savaient ou auraient dû savoir que la somme faisant l'objet du litige porterait intérêt à un taux composé à titre de dommages-intérêts. Dans les autres affaires, des intérêts composés peuvent être accordés à titre de dommages-intérêts indirects, mais il faut alors satisfaire à l'exigence habituelle de prouver cet élément du préjudice.


[10]            Bien qu'il s'agisse en l'espèce d'une affaire d'inexécution contractuelle, il n'y a aucune preuve que les demanderesses « ont convenu, savaient ou auraient dû savoir que la somme faisant l'objet du litige porterait intérêt à un taux composé à titre de dommages-intérêts » . Par conséquent, l'espèce tombe dans l'autre catégorie d'affaires décrite par le juge Major, soit celles où il faut prouver que les intérêts composés font partie du préjudice. Les défendeurs n'ayant présenté aucune preuve sur ce point, leur demande d'intérêts composés doit échouer.

[11]            Pour ces motifs, je modifierai mon jugement du 7 juillet 2003. Son libellé sera le suivant :

L'action des demanderesses est rejetée et la demande reconventionnelle des défendeurs est accueillie. Les demanderesses sont condamnées à payer aux défendeurs la somme de 91 436,71 dollars canadiens, avec intérêts avant jugement au taux légal de 5 % à partir du 9 juin 1989 à la date du présent jugement, de même que des intérêts après jugement au taux légal de 5 %, plus l'indemnité additionnelle prévue par l'article 1619 du Code civil du Québec, le tout avec dépens en faveur des défendeurs.

                                                                                       « M. Nadon »               

                                                                                                     Juge                     

Ottawa (Ontario),

le 20 septembre 2004

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                       T-1836-90

INTITULÉ :                      ELDERS GRAIN CO. LTD. et al.

c.

LE « RALPH MISENER » et al.

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              QUÉBEC (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 30 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE NADON

DATE :                              LE 20 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Normand Laurendeau                        POUR LES DEMANDERESSES

John G. O'Connor                                    POUR LES DÉFENDEURS

Jean Grégoire

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robinson Sheppard Shapiro              POUR LES DEMANDERESSES

Montréal (Québec)

Langlois Gaudreau O'Connor                    POUR LES DÉFENDEURS

Québec (Québec)


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