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Date : 20051011

Dossier : IMM-5331-04

Référence : 2005 CF 1375

Ottawa (Ontario), le 11 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

ENTRE :

MARCELA IVET GONZALEZ ROSALES

JENNIFER SANDOVAL GONZALEZ

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                En 2001, Mme Gonzalez Rosales est arrivée au Canada avec sa fille parce qu'elle craignait son ancien employeur mexicain, M. Federico Mayorga Villanueva. Mme Gonzalez Rosales a déclaré que Federico menaçait de s'en prendre à elle si elle ne faisait pas une fausse déclaration sous serment qui aurait aidé ce dernier à s'exonérer du meurtre d'un autre employé.

[2]                En 2004, un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a entendu la demande d'asile présentée par Mme Gonzalez Rosales et l'a rejetée. La Commission a jugé que Mme Gonzalez Rosales n'avait probablement plus rien à craindre de Federico, qu'elle ne s'était pas prévalue de la protection de l'État et qu'elle aurait pu vivre en sécurité dans une autre région du Mexique. Mme Gonzalez Rosales soutient que la Commission a commis un certain nombre d'erreurs et me demande d'ordonner une nouvelle audience. Je souscris aux observations de Mme Gonzalez Rosales et ferai donc droit à la présente demande de contrôle judiciaire.

I.         La question en litige

[3]                Les conclusions de la Commission étaient-elles étayées par la preuve?

II.      Analyse

(a)     Le contexte factuel

[4]                La Commission a jugé que Mme Gonzalez Rosales avait témoigné avec franchise. Voilà comment elle a relaté les événements qui ont précédé sa fuite au Canada.

[5]                En 1994, Mme Gonzalez Rosales a commencé à travailler pour Federico, d'abord dans un cabinet d'avocats et ensuite dans une agence de sécurité. Federico embauchait des ex-policiers, notamment M. Carlos Garcia Soto, avec qui Mme Gonzalez Rosales a eu une relation intime. Carlos lui a dit que Federico n'était pas vraiment avocat comme il le prétendait. Il a en outre déclaré que Federico avait commis des crimes de fraude à l'assurance, de vol d'autos, d'enlèvement et de meurtre dans le cadre des activités de son agence de sécurité. En 1998, Carlos a été assassiné et Federico a été le principal suspect de ce meurtre. Carlos avait une liaison avec l'épouse de Federico.

[6]                Pour se protéger, Federico a demandé à Mme Gonzalez Rosales de faire une fausse déclaration indiquant que Carlos faisait le trafic de drogue et que des trafiquants l'avaient menacé de mort. Mme Gonzalez Rosales a quitté son travail après avoir fait cette déclaration. Par la suite, la police lui a demandé de refaire sa déclaration. Avant qu'elle le fasse, Federico lui a rappelé ce qui était arrivé à Carlos lorsque celui-ci l'avait trahi.

[7]                Mme Gonzalez Rosales ne savait pas trop quoi faire mais, heureusement pour elle, il a été mis fin à l'enquête et Federico l'a laissée tranquille pendant un certain temps. Cependant, en 2000, l'enquête sur la mort de Carlos a été rouverte. Encore une fois, Federico a demandé à Mme Gonzalez Rosales de faire une fausse déclaration et il l'a menacée ainsi que sa fille de représailles si elle refusait de la faire. Elle a déclaré à Federico qu'elle ferait ce qu'il voulait mais s'est en fait préparée à quitter le pays.

[8]                Par la suite, la soeur de Mme Gonzalez Rosales, Yolande, lui a dit que la police la recherchait. Pour éviter la police, elle est allée vivre avec son frère à Reynosa, mais les autorités l'ont également recherchée dans cette ville. Sa soeur lui a alors conseillé de partir au Canada, ce qu'elle fit.

[9]                L'autre soeur de Mme Gonzalez Rosales, Norma Alicia, s'est rendue au bureau du ministère public pour essayer d'obtenir une copie de la première déclaration que Mme Gonzalez Rosales avait fait à la police en vue de préparer sa demande d'asile. Cela lui a été refusé. Elle en a conclu que l'enquête au sujet de Federico se poursuivait. Peu après, Norma Alicia a commencé à recevoir des menaces de mort et a par la suite été retrouvée morte au bord d'une route à Cuernavaca. Elle avait été battue à mort. La police a refusé de fournir à la famille un rapport expliquant son décès.

(b)     Mme Gonzalez Rosales était-elle encore en danger?

[10]            La Commission a accepté le témoignage de Mme Gonzalez Rosales au sujet de ses rapports avec Federico et la crainte qu'elle éprouvait à son sujet, mais elle a conclu qu'elle n'était plus en danger.

[11]            La Commission a fait référence à un article de journal qui citait une déclaration de Federico, devenu président de l'Association des agences de sécurité privées, au sujet de la réglementation par le gouvernement des entreprises de sécurité. La Cour a conclu à partir de cet article que Federico était un homme public très en vue et qu'il ne faisait donc plus l'objet d'une enquête. Mme Gonzalez Rosales n'avait donc plus rien à craindre de lui.

[12]            Je ne vois pas sur quoi repose cette conclusion de la Commission. Le fait que Federico était président d'une association ou cité dans les médias n'indique aucunement que la police continuait à faire enquête sur lui ou non. Il arrive que la police fasse enquête sur des personnes en vue. De plus, Mme Gonzalez Rosales savait que Federico souhaitait faire de la politique et que ce qu'elle savait de son passé pourrait le gêner. C'est pourquoi, d'après les preuves présentées à la Commission, Mme Gonzalez Rosales avait des raisons de continuer à craindre Federico, qu'il fasse ou non encore l'objet d'une enquête.

(c)     Pouvait-elle obtenir la protection de l'État?

[13]            La Commission a noté que Mme Gonzalez Rosales n'avait pas déclaré à la police qu'elle craignait Federico. Elle a fait remarquer que le Mexique était un État démocratique qui fournissait des services de police à ses citoyens et qui essayait de sévir contre la corruption dans la police. La Commission a donc estimé que Mme Gonzalez Rosales aurait dû essayer d'obtenir la protection de l'État au Mexique au lieu de demander l'asile au Canada.

[14]            La Commission n'a toutefois pas tenu compte des éléments de preuve selon lesquels Federico entretenait des liens étroits avec la police et semblait être mesure de la manipuler. Elle n'a pas non plus tenu compte du fait que la soeur de Mme Gonzalez Rosales avait été tuée après avoir parlé à la police. J'estime que la preuve présentée à la Commission indiquait clairement que Mme Gonzalez Rosales avait une raison valable d'avoir peur de demander la protection de l'État. C'est pourquoi la Commission n'aurait pas dû rejeter sa demande d'asile pour ce motif. La personne qui craint avec raison d'être persécutée et qui ne veut, pour des motifs raisonnables, se réclamer de la protection de l'État, a droit à la protection accordée aux réfugiés (art. 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27).

(d)     Mme Gonzalez Rosales aurait-elle été en sécurité dans une autre région du Mexique?

[15]            La Commission a jugé que Mme Gonzalez Rosales pouvait quitter Cuernavaca pour se trouver du travail et vivre en sécurité dans la ville de Mexico ou à Villa Hermosa, ville où vit sa soeur. La Commission a émis un doute sur le fait que Federico la rechercherait dans ces villes.

[16]            Là encore, la Commission n'a pas fait référence à la preuve pertinente. Mme Gonzalez Rosales a déclaré que la police, probablement à la demande de Federico, était venue la rechercher à Reynosa. Il est difficile de savoir pourquoi la Commission a estimé que Mme Gonzalez Rosales serait en sécurité dans d'autres régions du Mexique. De plus, la Commission n'a pas examiné la question de savoir s'il aurait été raisonnable que Mme Gonzalez Rosales déménage à Mexico ou à Villa Hermosa, comme elle était obligée de le faire (Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.) (QL)).

III.    Conclusion

[17]            J'estime que les conclusions de la Commission n'étaient pas étayées par la preuve dont elle disposait et je dois par conséquent faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune partie n'a proposé la certification d'une question de portée générale et aucune n'est formulée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.          Aucune question de portée générale n'est formulée.

« James W. O'Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


Annexe

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

Définition de « réfugié »

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Immigration and Refugee Protection Act, S.C. 2001, c. 27

Convention refugee

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-5331-04

INTITULÉ :                                        MARCELA IVET GONZALEZ ROSALES et al.

                                                            c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 13 JUIN 2005

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                               LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                       LE 11 OCTOBRE 2005

COMPARUTIONS :

J. Byron Thomas                                   POUR LES DEMANDERESSES

John Provart                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Professional Corp.                                 POUR LES DEMANDERESSES

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada        POUR LE DÉFENDEUR

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