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Date : 20050817

Dossier : IMM-775-05

Référence : 2005 CF 1128

Vancouver (Colombie-Britannique), le mercredi 17 août 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUC MARTINEAU

ENTRE :

                                                           HARDIP KAUR KANG

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                          - et -

                                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                         ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visée à l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), concernant la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) de refuser, en date du 14 janvier 2005, de reconnaître à la demanderesse la qualité de « réfugié au sens de la Convention » suivant l'article 96 de la Loi ou de « personne à protéger » suivant l'article 97 de la Loi.


[2]                Hardip Kaur Kang, une citoyenne de l'Inde âgée de 30 ans, prétend avoir qualité de « réfugié au sens de la Convention » et de « personne à protéger » en raison des menaces de mort qu'elle aurait reçues de son oncle maternel, Dhana Singh Jhutty, après avoir refusé de lui remettre un terrain dont elle a hérité. Le père de la demanderesse est décédé en novembre 2002 et sa mère, en octobre 2002.

[3]                La demanderesse est arrivée au Canada le 8 avril 2003, après être passée par Taïwan, et a demandé l'asile le même jour. La Commission a conclu qu'elle n'avait pas qualité de « réfugié au sens de la Convention » ou de « personne à protéger » en raison de l'absence de lien entre elle et l'un des motifs prévus par la Convention et de la capacité de l'État de la protéger adéquatement.

[4]                La demanderesse conteste les deux conclusions. Selon elle, la Commission n'a pas tenu compte de tous les éléments de preuve qui lui avaient été présentés.

[5]                En premier lieu, elle fait valoir que la Commission ne s'est pas demandé si les Directives sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe (les Directives) permettraient de conclure à l'existence d'un lien entre elle et l'un des motifs prévus par la Convention.

[6]                En deuxième lieu, elle prétend que rien dans la décision de la Commission ne permet de croire que celle-ci a pris en considération les documents produits en preuve avant de conclure qu'elle pouvait obtenir la protection de l'État en Inde. Elle prétend subsidiairement que la preuve documentaire n'étaie pas la conclusion tirée par la Commission relativement à la protection de l'État, compte tenu de la corruption qui existe au sein de la police partout en Inde. En fait, on a avancé devant la Cour que l'oncle de la demanderesse pourrait soudoyer les policiers si la demanderesse portait plainte à la police.

[7]                Malgré l'habile présentation de l'avocat de la demanderesse, je ne suis pas convaincu que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle.


[8]                Premièrement, la Commission n'est pas tenue de traiter de tous les éléments de preuve dans ses motifs. En fait, elle est présumée avoir pris toute la preuve en considération, et il n'est pas nécessaire qu'elle parle expressément de chacun des éléments de preuve qu'elle a examiné (voirFlorea c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL); Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317; [1992] A.C.F. no 946 (C.A.F.) (QL)). Cette présomption existe, que la Commission mentionne qu'elle a examiné tous les éléments de preuve dont elle disposait ou non. Le fait de ne pas faire précisément mention d'un document ne signifie pas en soi que la Commission n'a pas tenu compte de tous les éléments de preuve pertinents (voirKisungu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 446; [2001] A.C.F. no 729 (C.F. 1re inst.) (QL)). Par conséquent, je suis d'avis que la Commission n'a pas commis d'erreur en rendant sa décision sans faire précisément mention du rapport du Département d'État américain de 2003 et d'un rapport d'Amnistie Internationale et sans renvoyer expressément aux Directives dans sa décision (voir Ayub c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1411; [2004] A.C.F. no 1707 (C.F. 1re inst.) (QL); Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.F.) (QL); Hazarat c. Canada (Secrétaire d'État), [1994] A.C.F. no 1774 (C.F. 1re inst.) (QL)).

[9]                Deuxièmement, il est bien établi en droit qu'une personne ne peut avoir qualité de réfugié que s'il existe un lien clair entre elle et l'un des cinq motifs prévus par la définition de « réfugié au sens de la Convention » . En l'espèce, la Commission a conclu que la demanderesse n'avait pas démontré qu'il existait un lien entre sa crainte et l'un de ces motifs. Elle a indiqué plus particulièrement que la demanderesse n'était pas persécutée du fait de son appartenance à un groupe social. Son oncle s'en prend à elle à cause de ce qu'elle a fait en tant que personne - refuser de lui remettre et vendre le terrain de ses parents qu'il convoitait. La Commission a conclu en conséquence qu'il n'existait pas de lien en l'espèce. J'ai examiné cet aspect de la décision de la Commission (ainsi que sa conclusion concernant la protection de l'État) selon la norme de la décision raisonnable simpliciter.


[10]            L'appartenance à un groupe social est un motif reconnu à l'article 96 de la Loi. En outre, bien qu'il ne soit pas nécessaire qu'ils soient visés personnellement, les demandeurs d'asile doivent établir qu'ils font l'objet de persécution pour un motif prévu par la Convention. Cette persécution doit être dirigée contre eux, soit personnellement, soit en tant que membres d'une collectivité : Rizkallah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 156 N.R. 1 (C.A.F.). Les victimes réelles ou potentielles de crime, de corruption ou de vendetta personnelle ne peuvent généralement pas établir un lien entre leur crainte de persécution et les motifs prévus par la Convention. À mon avis, la conclusion de la Commission selon laquelle aucun lien semblable n'a été établi en l'espèce est conforme à la jurisprudence et la Commission a fait preuve à cet égard de la prudence recommandée par les Directives, lesquelles indiquent que « [p]our que l'allégation de crainte de persécution d'une femme du fait de son sexe soit fondée, la preuve doit établir que la revendicatrice craint véritablement d'être persécutée pour un motif de la Convention et non qu'elle fait l'objet d'une forme de violence généralisée ou qu'elle a été la cible d'un seul crime perpétré contre elle comme personne » .


[11]            Rien en l'espèce ne permet de croire que les actes de violence redoutés par la demanderesse sont liés à son sexe. Il est vrai que les agressions sexuelles et d'autres formes de harcèlement sexuel sont des formes de torture utilisées fréquemment par la police et que la violence conjugale est courante et constitue également un problème grave en Inde, mais les actes que la demanderesse reproche à son oncle sont loin d'être des actes de violence liés au sexe (ces actes incluraient certainement le sati, l'immolation des veuves). En outre, la preuve n'indique pas que la demanderesse habitait avec son oncle ou que celui-ci exerçait un contrôle sur elle en qualité d'aîné de la famille. Il n'est pas allégué que la demanderesse, en tant que jeune femme célibataire, était contrainte par les traditions ou le droit coutumier de remettre son bien à son oncle. En fait, l'avocat de la demanderesse admet que le droit indien reconnaît qu'une femme peut hériter d'un terrain et en être propriétaire. La présente affaire n'appartient pas à l'une des catégories décrites dans les Directives et, à mon avis, ne s'apparente pas à un cas de violence conjugale ni aux actes perpétrés contre des femmes dans des situations de guerre civile ou aux autres crimes liés au sexe qui sont mentionnés dans les Directives ou dans la preuve documentaire. Par conséquent, la Commission pouvait raisonnablement conclure à l'absence de lien, comme elle l'a fait, parce que la crainte de la demanderesse résultait de ce qu'elle avait vécu personnellement en tant que victime de crime. Cette conclusion ne devrait donc pas être modifiée.

[12]            Troisièmement, en ce qui concerne les allégations de la demanderesse sur la question de la protection adéquate de l'État, il est bien établi que la Commission doit apprécier toute la preuve relative à l'État d'origine de la demanderesse (Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Malgorzat, [1991] A.C.F. no 337 (C.A.F.) (QL)). La Commission peut, pour prendre sa décision, examiner toute la preuve concernant les moyens pris par l'État pour protéger ses citoyens. La Cour suprême du Canada a dit dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, aux pages 724 et 725 :


Toutefois, [...] il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté.

[13]            La protection de l'État n'a pas à être parfaite. On considère qu'un demandeur peut obtenir la protection de l'État si celle-ci est opportune et adéquate, même si elle n'est pas parfaite. En l'espèce, la Commission a conclu que la demanderesse n'avait pas réussi à réfuter la présomption de protection de l'État. Le fardeau de preuve qui incombe à un demandeur est, en quelque sorte, directement proportionnel au degré de démocratie atteint dans l'État en cause : plus les institutions de l'État sont démocratiques, plus le demandeur doit avoir cherché à épuiser les recours qui s'offrent à lui. Plusieurs décisions semblent indiquer que, lorsque l'État en cause est un état démocratique comme en l'espèce, le demandeur doit faire davantage que simplement démontrer qu'il s'est adressé à certains membres du service de police ou d'une autre autorité judiciaire et que ses démarches ont été infructueuses (voir Kadenko et al. c. Canada (Solliciteur général) (1996), 206 N.R. 272 (C.A.F.); Zhuravlvev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 3 (C.F. 1re inst.)). En fait, il a été décidé que le refus de fournir une protection à l'échelle locale ne constitue pas un refus de l'État en l'absence d'une preuve de l'existence d'une politique plus générale selon laquelle la protection de l'État ne s'étend pas au groupe visé (Zhuravlvev, précitée).


[14]            Quatrièmement, la question du refus de fournir une protection devrait être évaluée en fonction des mêmes critères que l'incapacité de fournir une protection, et la preuve documentaire, notamment les Directives, peut être utile à cet égard. Ainsi, lorsqu'elle établit s'il est objectivement déraisonnable, pour un demandeur, de ne pas avoir demandé à l'État de le protéger, la Commission devrait tenir compte, parmi d'autres facteurs pertinents, du contexte social, culturel, religieux et économique dans lequel se trouve le demandeur. Par exemple, si une femme a été victime de persécution fondée sur le sexe parce qu'elle a été violée, elle pourrait être ostracisée dans sa collectivité si elle demande la protection de l'État (voir les Directives). Comme je l'ai mentionné plus haut cependant, la demanderesse n'a pas établi de manière satisfaisante qu'elle craint d'être persécutée parce qu'elle est une femme. L'avocat n'a pas été en mesure en l'espèce de présenter à la Cour un document de la preuve documentaire qui constituerait une « preuve claire et convaincante » de l'absence de protection de l'État, ce qui signifie que la Commission a dû évaluer le témoignage de la demanderesse elle-même concernant des incidents personnels survenus dans le passé lors desquels l'État n'a pas assuré sa protection.


[15]            En l'espèce, la Commission a simplement conclu qu'il était déraisonnable que la demanderesse n'ait pas demandé la protection d'autorités supérieures en Inde. Le raisonnement d'ensemble qu'elle a adopté respecte les principes généraux mentionnés ci-dessus et est conforme à la jurisprudence pertinente (bien que l'opinion de la Cour puisse ne pas être unanime sur la question de l'application de ces principes et de leur étendue dans un cas particulier). Malgré le fait que la police est corrompue en Inde, il reste que la demanderesse n'a tenté qu'une seule fois d'obtenir son aide. Par conséquent, bien qu'un résultat différent semble possible, la Cour ne devrait pas modifier la conclusion finale tirée par la Commission relativement à la protection de l'État, laquelle n'est pas déraisonnable dans les circonstances de l'espèce.

[16]            Aucune question de portée générale n'a été proposée, et aucune ne sera certifiée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

          « Luc Martineau »          

          Juge

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                             IMM-775-05

INTITULÉ :                                                            HARDIP KAUR KANG

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    LE 10 AOÛT 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                            LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                                           LE 17 AOÛT 2005

COMPARUTIONS:

Mishal Abrahams                                                       POUR LA DEMANDERESSE

Scott Nesbitt                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Singh, Abrahams et Joomratty                            POUR LA DEMANDERESSE

Surrey (Colombie-Britannique)

John H. Sims, c.r.                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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