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Date : 20010731

Dossier : T-1299-99

HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE), LE MARDI 31 JUILLET 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MACKAY

ENTRE :

ALLEN TEHRANKARI

demandeur

- et -

SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE

LA COUR, STATUANT SUR la demande présentée par le demandeur en vue d'obtenir le contrôle judiciaire et l'annulation de la décision en date du 21 juillet 1999 par laquelle le Comité d'examen des griefs des détenus du Service correctionnel du Canada a rejeté son grief et en vue d'obtenir une ordonnance enjoignant au défendeur de prendre certaines mesures;

APRÈS AVOIR ENTENDU le demandeur, qui comparaissait pour son propre compte, et l'avocat du défendeur à Ottawa le 30 octobre 2000, date à laquelle le prononcé de la décision a été reporté à plus tard ET APRÈS EXAMEN des observations qui ont alors été formulées :

1. REJETTE la demande;

2. DIT que le défendeur a droit au montant des dépens sur lequel les parties peuvent s'entendre ou, à défaut d'entente, à la somme de 500 $ à titre de dépens.

« W. Andrew MacKay »

Juge                  

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


Date : 20010731

Dossier : T-1299-99

Référence neutre : 2001 CFPI 845

ENTRE :

ALLEN TEHRANKARI

                                                                                                  demandeur

- et -

SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

                                                                                                    défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]         La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée, relativement à une décision en date du 21 juillet 1999 par laquelle le Comité d'examen des griefs des détenus (le Comité) du Service correctionnel du Canada (le SCC ou le Service) a rejeté le grief qu'il avait déposé. Ce grief concernait le rejet de sa demande de réévaluation de niveau de sécurité, ainsi que certaines corrections à apporter à ses dossiers de gestion de cas du Service.


Les faits

[2]         Le demandeur, Allen Tehrankari (Tehrankari), a été incarcéré pour une période cumulative de douze ans, à partir de 1992, après avoir été reconnu coupable de plusieurs infractions avec violence. Sa date de libération d'office était fixée au 5 octobre 2000.

[3]         Le 27 mai 1999, le demandeur a déposé un grief au sujet de renseignements qui, selon ce qu'il affirmait, avaient été versés illicitement et illégalement à ses dossiers du SCC. Le principal point litigieux qu'il soulevait était la contestation de sa cote de sécurité. Il soutenait qu'en raison des renseignements contenus dans son rapport de classement selon le niveau de sécurité et dans l'évaluation en vue d'une décision rédigée le 15 avril 1999 par son agent de liberté conditionnelle de l'époque, sa cote était passée de « sécurité minimale » à « sécurité moyenne » , ce qui avait permis au Service de le garder incarcéré au pénitencier de Kingston et de refuser ses demandes de transfèrement dans des établissements à niveau de sécurité moins élevé.


[4]         À la suite du rejet de son grief au niveau de l'établissement carcéral, le demandeur a fait appel de cette décision devant le deuxième niveau (administration régionale). L'appel de son grief a également été rejeté. Au troisième niveau (administration centrale), le Comité a lui aussi rejeté le grief, mais a ordonné que les erreurs de fait que pouvaient contenir les dossiers du demandeur soient corrigées. Le Comité a statué que : 1) les erreurs de fait que pouvaient contenir les dossiers du demandeur devaient être corrigées; 2) il n'y avait aucune preuve de discrimination de la part du Service ou de ses agents; 3) la cote de sécurité était correcte, compte tenu des renseignements alors connus; 4) les préoccupations exprimées au sujet des risques d'évasion du demandeur étaient légitimes en raison de la mesure d'expulsion en suspens qui avait été prise contre lui et de sa tentative d'échapper à la police qu'il avait faite lors de son arrestation. C'est de cette décision dont le demandeur sollicite le contrôle judiciaire en l'espèce.

Prétentions et moyens du demandeur

[5]         C'est le troisième grief que le demandeur formule contre le SCC devant la Cour fédérale. La principale question en litige dans la présente instance en contrôle judiciaire est la cote de sécurité attribuée au demandeur et la manière dont elle a été modifiée alors qu'il était incarcéré. Je tiens à signaler que, lors de l'instruction de la présente affaire, M. Tehrankari n'était plus écroué. La vaste question des risques d'évasion a été examinée par Monsieur le juge Lemieux dans l'affaire Tehrankari c. Canada (Service correctionnel), (2000), 188 F.T.R. 206 (C.F. 1re inst.) (Tehrankari). Le juge Lemieux a rendu son jugement le 13 avril 2000.

[6]         Dans son argumentation, le demandeur parle du traitement dont il aurait fait l'objet de la part du SCC et de ses agents et des pénibles démarches qu'il a entreprises pour porter la présente affaire devant la Cour. Il affirme que la décision du Comité devrait être révisée parce qu'elle est fondée sur des renseignements qui, soutient-il, étaient faux et ont été versés illicitement à ses dossiers. Il affirme que le Service a contrevenu à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi) dans son ensemble et à ses articles 23 et 24 plus précisément.


[7]         Bien que le demandeur n'ait pas abordé la question de la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer dans le cas de la décision du Comité, il affirme que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie et que la Cour devrait lui accorder les réparations qu'il réclame et notamment un bref de mandamus :

1.             enjoignant au Service et à ses agents d'enlever / effacer /supprimer / corriger tous les renseignements erronés qui ont été consignés illicitement et illégalement dans les dossiers du Service relatifs au cas du demandeur [...]

2.             enjoignant au Service et à ses agents de procéder - sous toutes réserves - à un examen approprié des dossiers du cas du demandeur et de modifier la cote de sécurité du demandeur conformément à la procédure prescrite par le Manuel de gestion des cas du Service et selon les prescriptions de la Loi [...]

3.                    enjoignant au Service et à ses agents de mener une enquête impartiale pour mettre au jour / révéler le préjudice que le Service et ses agents lui ont infligé délibérément en ne traitant pas son dossier conformément à la procédure prescrite par les Directives du Commissaire, par la Loi, la LCDP et l'énoncé de mission du Service;

4.          enjoignant au Service et à ses agents d'enlever / effacer /supprimer / corriger tous les renseignements erronés suivant lesquels le demandeur a fait semblant d'être blessé pour pouvoir sortir de l'établissement afin d'être hospitalisé à l'extérieur et de communiquer au demandeur des éléments de preuve légaux, raisonnables et admissibles au sujet de la consignation de ces renseignements inexacts dans les dossiers du cas du demandeur.

Prétentions et moyens du défendeur

[8]         Le défendeur affirme que les seules questions qu'il faut examiner sont celles de savoir si le Comité a commis une erreur justifiant la révision de sa décision et celle de savoir si la Cour a compétence pour accorder la réparation demandée.


[9]         La thèse du défendeur est que la plupart des points litigieux soulevés dans la présente demande ont déjà été tranchés dans d'autres instances introduites par le même demandeur. Lors de l'instruction de la présente affaire, le défendeur a soutenu que les seules questions soulevées par le demandeur qui n'ont pas déjà été examinées par les juges Lemieux (voir décision précitée) et Lutfy (Tehrankari c. Canada (Service correctionnel), (1999), 162 F.T.R. 289 (C.F. 1re inst.), sont les suivantes : 1) la cote de sécurité moyenne attribuée au demandeur; 2) les éléments contenus aux dossiers du SCC suivant lesquels le demandeur a utilisé des noms d'emprunt; 3) l'allégation suivant laquelle le demandeur a fait semblant de se blesser pour pouvoir être hospitalisé à l'extérieur. Les autres questions plaidées seraient chose jugée et ne pourraient être réexaminées par notre Cour.

[10]       Le défendeur affirme en outre que ces trois questions qui ne sont pas chose jugée sont en réalité des questions théoriques, étant donné qu'elles ont été résolues depuis que le Comité a rendu sa décision et qu'elles ne constituent plus des questions encore en litige qu'il faut trancher.

[11]       À l'appui de ses arguments, le défendeur invoque le paragraphe 30(1) de la Loi, qui oblige le SCC à assigner une cote de sécurité à chaque détenu. Les facteurs dont le Service doit tenir compte pour ce faire sont énumérés à l'article 17 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 (le Règlement). Le SCC maintient que, comme l'assignation de la cote de sécurité est en fin de compte une décision administrative discrétionnaire, le demandeur doit, pour que la Cour puisse intervenir, démontrer qu'on lui a nié son droit à l'équité procédurale ou encore que la décision était manifestement déraisonnable.

[12]       Dans le jugement Kelly c. Canada, (1993), 56 F.T.R. 166 (C.F. 1re inst.) (Kelly), le juge Denault a statué que, comme la décision discrétionnaire reprochée était de nature administrative, la Cour devait se borner à un examen de la légalité de la décision et qu'elle ne pouvait donc pas se lancer dans un examen approfondi du fond de l'affaire, comme le demandeur le souhaitait. La Cour a expliqué les limites de son pouvoir d'intervention en citant, à la page 169, les propos tenus par le juge Addy dans le jugement Cline c. Reynett (T-894-81, 18 mars 1981, décision non publiée) (C.F. 1re inst.) :


Un détenu n'a pas le « droit » d'être incarcéré dans une prison plutôt que dans une autre et la décision de le transférer d'un établissement à sécurité moyenne à un établissement à sécurité maximale ou vice versa est fondamentalement et essentiellement une décision administrative dans laquelle les tribunaux ne doivent pas s'immiscer sauf preuve non équivoque et manifeste que la décision fut prise arbitrairement, de mauvaise foi ou d'une manière capricieuse, qu'elle est fort injuste et cause un préjudice sérieux au détenu.

[13]       Dans le jugement Fortin c. Établissement de Donnacona, (1999), 153 F.T.R. 84 (C.F. 1re inst.), le juge Teitelbaum a rejeté une demande de contrôle judiciaire du rejet du grief déposé par un détenu au motif que la procédure suivie n'avait pas porté atteinte au droit du demandeur à la justice naturelle. Dans cette affaire, les motifs de la décision avaient été communiqués au demandeur, qui avait été en mesure de faire valoir des moyens de défense et de contester la source des renseignements dans le cadre d'une audience impartiale.

[14]       Dans le jugement Légère c. Canada, (1998), 133 F.T.R. 77 (C.F. 1re inst.), le juge Pinard a statué que, malgré le fait que la décision d'ordonner le transfèrement d'un détenu ou de refuser sa demande constitue une décision discrétionnaire qui oblige le décideur à respecter l'équité procédurale, la Cour, saisie d'une demande de contrôle judiciaire de cette décision ne peut substituer son opinion personnelle à celle de l'autorité administrative qui a rendu la décision. La Cour a cité l'arrêt Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, à la page 7, pour expliquer la démarche suivie par la Cour en matière de contrôle judiciaire des décisions discrétionnaires :

C'est [...] une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la Loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé.


Analyse

Norme de contrôle applicable

[15]       Voici ce que la Cour suprême du Canada a déclaré, dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 52, au sujet des décisions discrétionnaires des autorités administratives :      

La notion de pouvoir discrétionnaire s'applique dans les cas où le droit ne dicte pas une décision précise, ou quand le décideur se trouve devant un choix d'options à l'intérieur de limites imposées par la Loi.

En réaffirmant la méthode « pragmatique et fonctionnelle » exposée dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, la Cour a énoncé les quatre facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer la norme de contrôle applicable dans le cas d'une décision discrétionnaire. Ces facteurs sont les suivants : 1) la présence ou l'absence de clause privative; 2) l'expertise du décideur; 3) l'objet de la disposition contestée et de la loi dans son ensemble; 4) la nature des questions à trancher et leur incidence sur les conclusions de droit et de fait à tirer.

[16]       La Loi ne renferme aucune clause privative qui mettrait à l'abri d'un contrôle judiciaire les décisions du troisième degré du Comité. Toutefois, en ce qui concerne les questions portant sur l'administration carcérale, la Cour doit faire preuve d'un degré élevé de retenue compte tenu de l'expertise que le Comité possède dans ce domaine. L'objet de la Loi, et plus particulièrement de l'article 24, a été exposé par le juge Lemieux dans le jugement Tehrankari, précité, aux paragraphes 41 et 44 :


Selon la conception du Parlement, la qualité des renseignements prescrite par l'article 24 conduit à de meilleures décisions au sujet de l'incarcération du délinquant et [...] contribue à la réalisation de l'objet de la Loi. L'article 24 de la Loi, cependant, ne traite pas des inférences ou des évaluations que le Service tire des renseignements contenus dans les dossiers. On ne peut se servir de l'article 24 pour mettre en question les décisions du Service pour autant que les renseignements sur le fondement desquels ces conclusions sont tirées soient conformes à cette disposition. L'article 24 traite des faits primaires [...]

[...]

[J]e suis d'avis qu'il faut appliquer la norme de la décision correcte si la question porte sur la bonne interprétation de l'article 24 de la Loi, mais la norme de la décision raisonnable simpliciter si la question porte soit sur l'application des principes juridiques appropriés aux faits soit sur le bien-fondé de la décision de refus de corriger les renseignements dans le dossier du délinquant. La norme de la décision manifestement déraisonnable s'applique aux pures questions de fait.

Chose jugée

[17]       Voici la définition de la chose jugée que l'on trouve dans le Black's Law Dictionary (6e éd.) :

[TRADUCTION]

Principe suivant lequel le jugement définitif rendu sur le fond par un tribunal compétent tranche définitivement la contestation entre les parties et leurs ayants cause et constitue, en ce qui les concerne, une fin de non-recevoir absolue à toute action en justice subséquente mettant en cause la même contestation, demande ou cause d'action. (Non souligné dans l'original.)

[18]       Après examen des décisions que notre Cour a déjà rendues au sujet de M. Tehrankari et de tous les points litigieux soulevés en l'espèce par le demandeur, j'accepte le synopsis des questions en litige proposé par le défendeur et je conclus qu'il ne reste que trois points litigieux à trancher. Par voie de conséquence, les présents motifs ne portent que sur la cote de sécurité, l'utilisation de noms d'emprunt et l'allégation de blessure feinte.

Caractère théorique


[19]       Le défendeur soutient que les questions qui ne sont pas chose jugée sont devenues théoriques. Dans l'arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, le juge Sopinka, qui s'exprimait au nom de la Cour suprême du Canada, a discuté des principes permettant de savoir si une question est purement théorique et, dans l'affirmative, si le tribunal acceptera de l'examiner. À la page 356, il écrit ce qui suit :

La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu'un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu'une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s'applique quand la décision du tribunal n'aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l'affaire. Cet élément essentiel doit être présent non seulement quand l'action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision. En conséquence, si, après l'introduction de l'action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu'il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique. Le principe ou la pratique général s'applique aux litiges devenus théoriques à moins que le tribunal n'exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l'appliquer. J'examinerai plus Loin les facteurs dont le tribunal tient compte pour décider d'exercer ou non ce pouvoir discrétionnaire.

La démarche suivie dans des affaires récentes comporte une analyse en deux temps. En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l'affaire. La jurisprudence n'indique pas toujours très clairement si le mot « théorique » (moot) s'applique aux affaires qui ne comportent pas de litige concret ou s'il s'applique seulement à celles de ces affaires que le tribunal refuse d'entendre. Pour être précis, je considère qu'une affaire est « théorique » si elle ne répond pas au critère du « litige actuel » . Un tribunal peut de toute façon choisir de juger une question théorique s'il estime que les circonstances le justifient.

Lorsqu'une partie affirme qu'une question en litige est théorique, le tribunal se penche habituellement sur cette allégation avant d'examiner le bien-fondé de tout argument portant sur l'affaire. Pour le profit du demandeur, qui n'est pas représenté par un avocat, je tiens à statuer sur le fond de la question principale, même si elle peut être théorique.

Cote de sécurité


[20]       La question relative à la décision qui a été prise au sujet de la cote de sécurité attribuée au demandeur serait théorique pour deux raisons. En premier lieu, à la suite de la décision que le Comité a prise le 21 septembre 1999, l'agente de liberté conditionnelle Stephanie Saunders a révisé la cote de sécurité pour laquelle le demandeur a formulé un grief. Indépendamment des renseignements qui, selon ce que le demandeur affirmait, avaient influencé la première cote qui lui avait été attribuée en avril 1999, la révision s'est soldée par l'attribution d'une cote de sécurité minimale. Le SCC a cependant aussi porté cette cote de sécurité à moyenne pour tenir compte du niveau d'incarcération plus élevé qui était nécessaire dans le cas du demandeur en raison de la mesure d'expulsion en suspens qui avait été prise contre lui et de sa tentative d'évasion lors de son arrestation. La nouvelle cote attribuée au demandeur par Mme Saunders en septembre 1999 a remplacé la cote contestée qui lui avait assignée en avril 1999 par Mme Corrigall, ce qui aurait eu pour effet de régler l'objet du grief et de rendre la question théorique.

[21]       En second lieu, la question de la cote de sécurité est devenue d'autant plus théorique depuis que le demandeur a été élargi et qu'il se trouve en liberté conditionnelle. J'accepte l'argument du défendeur suivant lequel les cotes de sécurité ne concernent que les délinquants qui sont incarcérés et qu'une fois qu'un détenu est mis en liberté, il ne fait plus l'objet d'une cote de sécurité. La Cour refuse donc d'intervenir pour corriger d'anciens dossiers qui ne s'appliquent plus au demandeur.

[22]       Bien qu'elle soit théorique, la question est utile pour comprendre le fond de l'affaire et les dispositions suivantes de la Loi sont essentielles pour comprendre les arguments qui me sont soumis.

23. (1)      Le Service doit, dans les meilleurs délais après la condamnation ou le transfèrement d'une personne au pénitencier, prendre toutes mesures possibles pour obtenir :

1)       les renseignements pertinents concernant l'infraction en cause;

b)    les renseignements personnels pertinents, notamment les antécédents sociaux, économiques et criminels, y compris comme jeune contrevenant;


c)    les motifs donnés par le tribunal ayant prononcé la condamnation, infligé la peine ou ordonné la détention -- ou par le tribunal d'appel -- en ce qui touche la peine ou la détention, ainsi que les recommandations afférentes en l'espèce;

d)    les rapports remis au tribunal concernant la condamnation, la peine ou    l'incarcération;

e)    tous autres renseignements concernant l'exécution de la peine ou de la détention, notamment les renseignements obtenus de la victime, la déclaration de la victime quant aux conséquences de l'infraction et la transcription des observations du juge qui a prononcé la peine relativement à l'admissibilité à la libération conditionnelle.

(2)    Le délinquant qui demande par écrit que les renseignements visés au paragraphe (1) lui soient communiqués a accès, conformément au règlement, aux renseignements qui, en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et de la Loi sur l'accès à l'information, lui seraient communiqués.

(3) Aucune disposition de la Loi sur la protection des renseignements personnels ou de la Loi sur l'accès à l'information n'a pour effet d'empêcher ou de limiter l'obtention par le Service des renseignements visés aux alinéas (1)a) à e).

24. (1) Le Service est tenu de veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements qu'il utilise concernant les délinquants soient à jour, exacts et complets.

(2) Le délinquant qui croit que les renseignements auxquels il a eu accès en vertu du paragraphe 23(2) sont erronés ou incomplets peut demander que le Service en effectue la correction; lorsque la demande est refusée, le Service doit faire mention des corrections qui ont été demandées mais non effectuées.

[23]       L'article 30 de la Loi oblige le Service à attribuer une cote de sécurité à chaque détenu.

30. (1)      Le Service assigne une cote de sécurité selon les catégories dites maximale, moyenne et minimale à chaque détenu conformément aux règlements d'application de l'alinéa 96z.6).

                       (2)      Le Service doit donner, par écrit, à chaque détenu les motifs à l'appui de l'assignation d'une cote de sécurité ou du changement de celle-ci.

[24]       Le règlement d'application de la Loi prévoit ce qui suit en ce qui concerne l'attribution d'une cote de sécurité appropriée à un détenu :

17. Le Service détermine la cote de sécurité à assigner à chaque détenu conformément à l'article 30 de la Loi en tenant compte des facteurs suivants :

a)     la gravité de l'infraction commise par le détenu;

b)     toute accusation en instance contre lui;

c)     son rendement et sa conduite pendant qu'il purge sa peine;

d)    ses antécédents sociaux et criminels, y compris ses antécédents comme jeune contrevenant s'ils sont disponibles;


e)    toute maladie physique ou mentale ou tout trouble mental dont il souffre;

f)     sa propension à la violence;

g)    son implication continue dans des activités criminelles.

18.(1) Pour l'application de l'article 30 de la Loi, le détenu reçoit, selon le cas :

a)     la cote de sécurité maximale, si l'évaluation du Service montre que le détenu :

(i) soit présente un risque élevé d'évasion et, en cas d'évasion, constituerait une grande menace pour la sécurité du public,

(ii) soit exige un degré élevé de surveillance et de contrôle à l'intérieur du pénitencier;

        b)    la cote de sécurité moyenne, si l'évaluation du Service montre que le détenu :

(i) soit présente un risque d'évasion de faible à moyen et, en cas d'évasion, constituerait une menace moyenne pour la sécurité du public,

(ii) soit exige un degré moyen de surveillance et de contrôle à l'intérieur du pénitencier;

c)     la cote de sécurité minimale, si l'évaluation du Service montre que le détenu :

(i) soit présente un faible risque d'évasion et, en cas d'évasion, constituerait une faible menace pour la sécurité du public,

(ii) soit exige un faible degré de surveillance et de contrôle à l'intérieur du pénitencier.

[25]       Au troisième niveau d'appel du présent grief, le demandeur a fait valoir que le fait que le Service avait contrevenu au paragraphe 24(2) de la Loi en se fiant à des renseignements inexacts qui se trouvaient dans ses dossiers avait rendu illégales la cote de sécurité moyenne qui lui avait été attribuée ainsi que son assignation dans un établissement « approprié » . Comme le juge Lemieux l'a précisé au paragraphe 52 de sa décision, au sujet d'autres questions également présentées par le même demandeur :

Le paragraphe 24(2) soulève des questions différentes, parce que ce ne sont pas n'importe quels renseignements concernant un délinquant qui peuvent faire l'objet de correction de la manière prévue dans ce paragraphe. Le paragraphe 24(2) ne vise que les renseignements auxquels le délinquant a eu accès en vertu du paragraphe 23(2), lequel renvoie à son tour aux renseignements obtenus par le Service en vertu du paragraphe 23(1). La structure des articles 23 et 24 de la Loi définit le type de renseignements visés par la correction. Il s'agit de renseignements sur le profil que le Service peut utiliser pour prédire le comportement probable d'un délinquant.

[26]       Par ailleurs, en ce qui concerne le bref de mandamus réclamé par le demandeur pour forcer le Service à corriger sa cote de sécurité, le jugement Kelly, précité, est instructif :

[...] le requérant à l'instance s'attendait à ce que cette Cour examine le bien-fondé des motifs figurant dans le Rapport récapitulatif sur l'évolution du cas [...] ceci n'est pas de ma compétence.


...

[...] un bref de mandamus est une voie de recours accordée pour forcer l'exécution d'une obligation publique impérative. Si l'obligation nécessite l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, le bref de mandamus me saurait imposer un résultat particulier [...] Pour ce qui est de la demande du requérant visant à obtenir une ordonnance qui forcerait l'intimé à respecter toutes les dispositions législatives applicables et ses obligations prévues par la common law, la Cour ne saurait accorder un bref de mandamus sous cette forme. [Aux pages 171 et 172].

[27]       Dans l'évaluation en vue d'une décision qu'elle a rédigée le 15 avril 1999, Mme Jocelyn Corrigall a tenu compte de chacun des facteurs énumérés dans le Règlement. Elle a recommandé qu'on attribue au demandeur la cote de sécurité minimale. Toutefois, sur la foi des renseignements contenus dans plusieurs des dossiers du cas du demandeur, et en particulier des renseignements suivant lesquels le demandeur présentait un risque élevé d'évasion, l'agent de liberté conditionnelle a porté de « minimum » à « moyenne » la cote de sécurité du demandeur. Lors de la révision qui a eu lieu au niveau national, le Comité a confirmé la façon dont ce pouvoir discrétionnaire avait été exercé.

[28]       À mon avis, la cote de sécurité attribuée à un détenu n'est pas fondée sur les renseignements connus ou obtenus dont il est question au paragraphe 23(1) de la Loi. À l'instar du juge Lemieux, j'estime que le paragraphe 24(2) vise à garantir l'exactitude des renseignements factuels de base qui sont recueillis en vertu du paragraphe 23(1). Ce paragraphe ne peut être invoqué pour considérer que le Service a violé la Loi en ce qui concerne la cote de sécurité qui a été accordée.


[29]       Je suis convaincu que l'interprétation que le Comité a faite du paragraphe 24(2) était raisonnable. Le demandeur n'a présenté aucun élément de preuve permettant de penser que le Comité n'a pas tenu compte des éléments d'information dont il disposait ou qu'il a nié au demandeur son droit à l'équité procédurale. Le Comité a appliqué correctement la loi lorsqu'il a interprété le paragraphe 24(2) et lorsqu'il a jugé que la cote de sécurité attribuée à un détenu ne faisait pas partie des renseignements factuels auxquels songeait le législateur lorsqu'il a édicté cette disposition.

[30]       Pour rendre sa décision, le Comité a tenu compte de la façon dont le Service avait exercé son pouvoir discrétionnaire à la lumière des éléments de preuve qui étaient alors connus et il a tenu compte de l'application du paragraphe 24(2), avant de conclure qu'il y avait lieu, eu égard aux circonstances, d'attribuer la cote de sécurité moyenne au demandeur. La Cour n'est pas persuadée que la décision du Comité était déraisonnable.

Noms d'emprunt

[31]       La question des noms d'emprunt que l'on attribue au demandeur s'explique par l'orthographe erronée de son nom dans plusieurs de ses dossiers du SCC. Bien que, dans la première décision administrative, il ait été jugé que l'allégation relative aux noms d'emprunt devait demeurer dans le dossier du demandeur pour expliquer les erreurs dans la graphie de son nom, la Cour conclut qu'à la suite de la note à verser au dossier rédigée par Mme Stephanie Saunders le 12 octobre 1999 et des conséquences de cette note sur les dossiers du SCC concernant le demandeur, cette question est devenue théorique. Voici le texte de cette note :

[TRADUCTION]


À la suite des vérifications déjà effectuées au sujet des présumés noms d'emprunt de l'intéressé, la soussignée a examiné les dossiers de l'intéressé et a parlé avec une agente par intérim de gestion des peines, Mme Lisa Manson-Shillington. De toute évidence, les présumés noms d'emprunt s'expliquent par l'orthographe erronée de son nom dans plusieurs dossiers, notamment dans son document de placement pénitentiaire initial. Mme Manson-Shillington m'a confirmé que je pouvais modifier les noms d'emprunt pour faire suite à ces vérifications.

[32]       Comme cette question a été résolue et que le dossier du demandeur a été corrigé, il n'existe plus de question encore en litige entre les parties et il n'est pas nécessaire pour la Cour de formuler des commentaires sur une question qui est de toute évidence théorique.

Légitimité de la blessure

[33]       L'allégation que le demandeur a fait semblant d'être blessé pour pouvoir être hospitalisé à l'extérieur en vue d'une éventuelle évasion est la seule question relative aux risques d'évasion qui n'a pas été soumise au juge Lemieux. Malgré l'affirmation du demandeur suivant laquelle cette blessure était réelle et malgré le dépôt des notes de l'infirmière qui s'est occupée de lui pour justifier cette assertion, je ne puis conclure que le Comité a rendu une décision manifestement déraisonnable. Sur la foi des renseignements dont il disposait, le Comité a conclu que l'allégation devait être libellée en des termes moins incendiaires, mais que l'essentiel des préoccupations soulevées devait être conservé dans le dossier du demandeur et je ne vois aucune raison de modifier cette conclusion.

[34]       Au moment où l'allégation de « fausse blessure » a été consignée à son dossier, le demandeur a demandé qu'elle en soit supprimée. En réponse à cette demande, le sous-directeur a écrit au demandeur une lettre dans laquelle il déclarait que l'allégation avait été légitimement versée au dossier, mais qu'elle serait modifiée pour mieux en refléter les motifs. Insatisfait de cette réponse, le demandeur a déposé un grief de premier niveau.


[35]       En réponse à son grief de premier niveau, le demandeur a reçu la décision suivante du directeur le 1er mars 1996 :

[TRADUCTION]

Il n'y a aucun doute que vous avez subi une blessure, mais nous nous demandons si vous ne vous êtes pas volontairement blessé vous-même. Vous avez précisé que vous étiez grièvement blessé, alors que le rapport médical signale que la blessure est mineure.

Votre dossier de gestion de cas fait état d'antécédents d'évasions et de violence, ainsi que des risques que vous présenteriez éventuellement pour la collectivité en cas d'évasion [...]

Le directeur a confirmé pour ces motifs la première décision ordonnant que l'allégation demeure au dossier du demandeur. Le demandeur a ensuite tenté sans succès de formuler un grief de deuxième niveau. Ce grief a été rejeté pour défaut de déposer le grief dans le délai imparti.

[36]       Je conclus, en ce qui a trait à la question de la présumée fausse blessure, que le demandeur a essayé, dans la présente demande de contrôle judiciaire, de faire ce que le juge Lemieux lui a interdit de faire, c'est-à-dire de contester une décision remontant à 1996 qu'il aurait pu contester à l'époque, mais qu'il n'a pas contestée.

[...] Le demandeur ne peut, par la voie du contrôle de la décision du commissaire, attaquer indirectement des décisions antérieures qu'il a eu l'occasion de contester directement au moment approprié, sous réserve des délais prescrits à l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [jugement Tehrankari, au paragraphe 30].


[37]       Bien que le demandeur ait essayé de plaider cette question en se fondant sur le paragraphe 24(2) de la Loi, je suis d'avis qu'à moins qu'ils ne se rapportent à ceux qui ont été obtenus en liaison avec le paragraphe 23(1), les renseignements contestés ne peuvent être corrigés en conformité avec la Loi. Cela est d'autant plus vrai lorsque, comme en l'espèce, les renseignements contestés constituent une évaluation fondée sur les faits connus.

[38]       L'allégation de feindre d'être blessé en vue d'orchestrer une évasion est une appréciation que l'équipe de gestion du cas du demandeur a faite à l'époque et cette appréciation reposait sur les éléments d'information qui étaient alors connus et elle n'a pas été par la suite remise en question dans les délais prescrits. Je ne suis pas persuadé que le Comité a agi de façon déraisonnable en refusant de réexaminer cette question.

Dispositif

[39]       Je rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Le demandeur n'a présenté aucun élément de preuve permettant de penser que le Comité a agi en violation des principes de l'équité procédurale ou qu'il a rendu des décisions déraisonnables.

[40]       Je constate que, dans le jugement Tehrankari, précité, le juge Lemieux a souligné, au paragraphe 32, que « tout redressement découlant de la présente procédure doit prendre en compte le caractère spécial du contexte carcéral » . Je ne trouve en l'espèce aucun motif de conclure que le Service n'a pas agi en conformité avec sa mission de faciliter la réadaptation des délinquants tout en assurant une protection suffisante du public. Les décisions rendues au cours de toute la procédure de règlement des griefs que le demandeur conteste maintenant étaient conformes à la loi et aux faits alors connus et aucun argument convainquant n'a été soumis à la Cour pour justifier l'annulation de la décision du Comité.


Ordonnance

[41]       La demande est rejetée et le défendeur a droit au montant des dépens sur lequel les parties

peuvent s'entendre ou, à défaut d'entente, à la somme de 500 $ à titre de dépens.

« W. Andrew MacKay »         

Juge                         

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                  T-1299-99                    

INTITULÉ :                 Allen Tehrankari c.

Service correctionnel du Canada

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              30 octobre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                 Monsieur le juge MacKay

DATE DES MOTIFS :                                     31 juillet 2001

COMPARUTIONS:

Allen Tehrankari                                pour le demandeur

Jeff Anderson                                    pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Allen Tehrankari

201A, rue Florence

Ottawa ON K1R 5N5                                      pour le demandeur

Ministère de la Justice

Édifice commémoratif de l'Est

284, rue Wellington, 2e étage

Ottawa ON K1A OH8                                     pour le défendeur


                                            

             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

        SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Date : 20010731

Dossier : T-1299-99

ENTRE :

ALLEN TEHRANKARI

demandeur

- et -

SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

défendeur

                                                                                                                                                  

             MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                                                                                  

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