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Date : 20050324

Dossier : IMM-1566-04

Référence : 2005 CF 412

Ottawa (Ontario), le 24 mars 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

SZALO KAROLY

et SZUCS RITA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                La présente demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi ou la LIPR), a trait à la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 26 janvier 2004, portant que M. Karoly Szalo (le demandeur) et Mme Rita Szucs (la demanderesse) ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention suivant l'article 96 de la Loi ni des personne à protéger suivant l'article 97 de la Loi.

LES FAITS

[2]                Les demandeurs, des conjoints de fait, sont des citoyens de Hongrie. Le demandeur prétend être né dans une famille tzigane et être donc un Hongrois d'origine rom. Le couple a été victime de discrimination parce que la demanderesse, qui n'est pas d'origine rom, était considérée comme ayant trahi sa race en s'unissant à un Rom.

[3]                Les demandeurs prétendent qu'ils ont été battus, agressés et injuriés à maintes reprises. La demanderesse aurait été agressée au point où elle a fait une fausse couche et a dû être hospitalisée pendant une semaine. Le traumatisme qu'elle a subi l'a ensuite obligée à suivre un traitement pendant plusieurs mois. Ces événements ont amené les demandeurs à décider de ne pas avoir un autre enfant en Hongrie.


[4]                Le demandeur prétend que, quelques semaines après le début d'un nouvel emploi, des collègues de travail ont découvert qu'il était d'origine rom et s'en sont pris à lui. Il soutient que son employeur l'a alors congédié parce qu'il ruinait la réputation de l'entreprise. Les demandeurs ont, par la suite, rencontré deux anciens collègues du demandeur avec lesquels celui-ci s'était disputé. Ils se sont bagarrés avec eux. Le demandeur a eu une côté fracturée et la demanderesse a été frappée et s'est fait tirer les cheveux.

[5]                Comme la demanderesse avait peur de rester toute seule à la maison après ces incidents, les demandeurs ont décidé de déménager dans un nouvel appartement. À la même époque, le frère de la demanderesse, qui était apparemment un policier, a menacé de porter des accusations contre le demandeur s'il ne quittait pas la demanderesse. Les demandeurs ont dû se cacher et se promener dans la ville en secret. En outre, il leur était impossible de révéler où ils habitaient.

[6]                La demanderesse est devenue dépressive à cause de tous ces événements. Elle a dû recevoir des soins psychiatriques pendant de nombreuses semaines. Les problèmes ne se sont cependant pas arrêtés là : le demandeur aurait reçu des menaces et une personne lui aurait placé un couteau sur la gorge. Lorsque la demanderesse en a parlé à son frère policier, ce dernier a éclaté de rire et lui a dit que personne n'écoutait les Roms. En conséquence, les demandeurs sont arrivés au Canada en juillet 2001 et ont immédiatement revendiqué le statut de réfugié.

QUESTIONS EN LITIGE

[7]                1.         La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que les demandeurs n'étaient pas crédibles?


2.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans ses conclusions concernant la protection de l'État?

ANALYSE

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que les demandeurs n'étaient pas crédibles?

[8]                La norme de contrôle applicable aux questions relatives à la crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable (Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, au paragraphe 40; Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)). Cela étant dit, je ne pense pas que les demandeurs ont démontré que la Commission a commis une erreur.

[9]                Les demandeurs soutiennent que la Commission n'aurait pas dû s'appuyer sur une preuve documentaire, sauf si elle ne les jugeait pas crédibles. J'estime que la Commission a bien motivé sa décision à cet égard :

Le tribunal trouve que le demandeur n'est pas crédible, à cause des nombreuses incohérences et omissions concernant son témoignage oral et la preuve contenue dans son formulaire de renseignements personnels (FRP). Plusieurs fois durant l'audience, le demandeur a été vague et évasif et n'a pas témoigné de façon directe.

Le demandeur allègue qu'il a cherché à obtenir de l'aide de la police à deux occasions à propos de la persécution dont il dit avoir été victime, mais le tribunal a noté que le demandeur n'a pas inclus cette information dans son FRP. (Voir les pages 2 et 3 des motifs de la décision du 26 janvier 2004.)


[10]            Il est bien établi en droit que l'appréciation de la crédibilité, en particulier lorsqu'elle est fondée sur le comportement pendant le témoignage, relève de la compétence spécialisée de la Commission (Sun c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 636; De Rouiche c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1228).

[11]            En plus de n'être pas convaincue par le témoignage des demandeurs, la Commission a relevé de nombreuses incohérences, dont les suivantes :

Le demandeur allègue qu'il a cherché à obtenir de l'aide de la police à deux occasions à propos de la persécution dont il dit avoir été victime, mais le tribunal a noté que le demandeur n'a pas inclus cette information dans son FRP. Le demandeur a témoigné qu'il n'a pas inclus cette information dans son FRP parce qu'il ne savait pas bien quoi inclure dans l'exposé circonstancié de son FRP. Le tribunal n'a pas trouvé cette réponse adéquate, vu les exigences énoncées dans le préambule de la question no 37 du FRP. Le tribunal estime qu'il s'agit d'une omission importante. (Voir la page 3 des motifs de la décision du 26 janvier 2004.)

[...]

Le demandeur allègue qu'il a subi de la persécution en Hongrie du fait qu'il est d'ethnie rome, mais durant le témoignage oral qu'il a fourni lors de l'audience, quand on lui a demandé à quelle tribu ou à quel clan rom il appartenait - et quoiqu'il se soit présenté comme étant un musicien -, il ne pouvait ou ne voulait nommer la secte ou le clan rom dont il faisait soi-disant partie. En outre, quand on lui a demandé quelles coutumes ou traditions lui ou sa famille suivait, il a répondu que sa mère ne portait pas de pantalon. Le tribunal a tiré une conclusion défavorable de ce témoignage au sujet de l'ethnie dont le demandeur faisait soi-disant partie. (Voir la page 4 des motifs de la décision du 26 janvier 2004.)

[...]

Le demandeur a également allégué lors de son témoignage de vive voix, à l'audience, que des membres de sa famille étaient les agents de persécution. Il a été souligné pour le demandeur que ce dernier n'avait pas indiqué cette information dans son FRP. Encore là, le tribunal estime qu'il s'agit d'une omission importante. (Voir la page 4 des motifs de la décision du 26 janvier 2004.)


[...]

Le tribunal signale en outre que le demandeur a douze années de scolarité, qu'il est un électricien qualifié et qu'il a beaucoup plus d'instruction que la plupart des Roms. Les parents du demandeur ont un emploi stable, à long terme, dans la même entreprise depuis 35 ans. En se fondant sur le témoignage fourni par le demandeur à l'audience, le tribunal estime donc que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n'est pas un Rom. (Voir la page 4 des motifs de la décision du 26 janvier 2004.)

[12]            Je ne relève donc aucune erreur dans les conclusions de la Commission concernant la crédibilité car ces conclusions n'ont pas été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont la Commission disposait. J'aimerais souligner que même les demandeurs ont reconnu qu'il n'est jamais facile de déterminer si une personne est d'origine rom, mais que les coutumes, les vêtements, le nom de famille, le comportement et d'autres caractéristiques de ce genre sont les meilleurs indices qui peuvent être utilisés à cette fin. Cela étant dit, je ne vois pas quelle erreur la Commission a pu commettre en appliquant ces critères et en décidant que le demandeur n'était probablement pas un Rom.

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans ses conclusions concernant la protection de l'État?


[13]            Les demandeurs prétendent que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu qu'ils pouvaient bénéficier d'une protection adéquate de l'État en Hongrie et qu'ils auraient dû se prévaloir de cette protection avant de demander l'asile au Canada. J'estime cependant que la Commission a examiné avec soin la preuve qui lui a été présentée. Elle a conclu que les demandeurs n'avaient pas réfuté la présomption selon laquelle la Hongrie était en mesure de les protéger. Comme la Cour suprême du Canada l'a dit :

Il s'agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l'incapacité de l'État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection. D'après les faits de l'espèce, il n'était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l'État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward. Toutefois, en l'absence de pareil aveu, il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté. En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur. (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, au paragraphe 50) [non souligné dans l'original].

[14]            En outre, la Cour a statué à maintes reprises que la Commission avait eu raison de conclure que les Hongrois d'origine rom pouvaient bénéficier d'une protection adéquate de la part de l'État (Orban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 559, [2004] A.C.F. no 681; Olah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 623; Pal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 894;Bela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 902).


[15]            Les demandeurs s'appuient sur Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 2 CF 239, pour affirmer que la Commission a commis une erreur en considérant qu'ils auraient dû demander la protection d'organismes financés par l'État plutôt que celle de la police. Or, les faits dans l'affaire Molnar, précitée, sont différents de ceux en cause en l'espèce. Dans cette affaire, les prétendus agents de persécution étaient des policiers, alors qu'en l'espèce, non seulement les agents de persécution n'étaient pas des policiers, mais le propre frère de la demanderesse était policier. Il n'était donc pas déraisonnable que la Commission présume qu'un aussi proche parent interviendrait si sa soeur se faisait harceler. En outre, la Commission a elle-même fait référence à Molnar, en rappelant cependant que les agents de persécution n'étaient pas des policiers dans l'affaire dont elle était saisie :

Le tribunal établit une distinction entre la présente instance et la récente décision rendue par la Cour fédérale dans l'affaire Molnar. Dans la décision Molnar, les prétendus agents de persécution étaient des policiers. Toutefois, en l'espèce, le tribunal ne considère pas que la police a persécuté les demandeurs. (Voir la page 12 des motifs de la décision du 26 janvier 2004.)

[16]            La Cour a aussi indiqué à de nombreuses reprises que, pour savoir si un demandeur peut bénéficier de la protection de l'État, on peut tenir compte de la protection qui peut être offerte non seulement par la police mais aussi par des organismes administrés ou financés par l'État (Nagy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 281, [2002] A.C.F. no 370;Zsuzsanna c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1206, [2002] A.C.F. no 1642; Szucs c.Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1614).

[17]            Enfin, la Commission a analysé de manière approfondie de nombreux documents traitant de la qualité de la protection offerte par l'État en Hongrie. Dans les longs motifs qu'elle a rédigés, la Commission a fait référence à un grand nombre d'éléments de preuve confirmant ou niant que la Hongrie peut offrir une protection adéquate à ses citoyens. Après avoir pris ces documents en considération, elle a conclu :

Le tribunal considère que les demandeurs ne se sont pas prévalus pleinement des possibilités s'offrant à eux en matière de plainte et de réparation. Aucune preuve n'indique qu'il y a des circonstances empêchant les demandeurs d'utiliser les divers recours disponibles. (Voir la page 12 des motifs de la décision du 26 janvier 2004.)

[18]            Pour tous les motifs exposés ci-dessus, je conclus que la Commission n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a déterminé que les demandeurs n'étaient pas crédibles et que, de toute façon, ils peuvent bénéficier d'une protection adéquate de l'État en Hongrie. Par conséquent, je suis d'avis que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[19]            Aucune partie n'a proposé de question aux fins de certification.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

-          que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

-            qu'aucune question ne soit certifiée.

                        « Pierre Blais »                 

                                 Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                             IMM-1566-04

INTITULÉ :                                                             SZALO KAROLY ET AL.

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                                     TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :                                   LE 9 MARS 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                           LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                                           LE 24 MARS 2005

COMPARUTIONS :

Szalo Karoly                                                            POUR LEUR PROPRE COMPTE

et Szucs Rita

Allision Phillips                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Szalo Karoly                                                            POUR LEUR PROPRE COMPTE

et Szucs Rita

Toronto (Ontario)

John. H. Sims, c.r.                                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)


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