Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20051130

Dossier : T-475-03

Référence : 2005 CF 1613

ENTRE :

GENPHARM INC. et BELLCO S.p.A.

demanderesses

-et-

GAMBRO LUNDIA AB

défenderesse

ET ENTRE :

GAMBRO LUNDIA AB

demanderesse reconventionnelle

-et-

GENPHARM INC. et BELLCO S.p.A.

défenderesses reconventionnelles

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


LE JUGE HUGESSEN

[1]                Il s'agit d'une action concernant un brevet pour la préparation de liquides utilisés en hémodialyse, intervention médicale qui consiste à éliminer des déchets et des liquides de l'organisme des patients souffrant d'une insuffisance rénale. La défenderesse, Gambro Lundia AB ( « Gambro » ), est titulaire du brevet canadien no 1,286,284 (le « brevet 284 » ). Le brevet 284 concerne un système de préparation pour des interventions médicales, comme l'hémodialyse, d'un liquide obtenu en mélangeant un concentré en poudre et de l'eau. Le brevet 284 englobe l'utilisation d'une cartouche de concentré en poudre pour préparer un liquide employé dans l'hémodialyse, la cartouche elle-même, la méthode de fabrication de la cartouche, l'utilisation d'un concentré en poudre pour remplir la cartouche et le système formé par la combinaison d'un ou plusieurs de ces éléments. La filiale canadienne de Gambro, Gambro Canada Ltd., distribue « BiCart » , une cartouche de concentré de bicarbonate en poudre et les appareils d'hémodialyse pour le système breveté.

[2]                La demanderesse Genpharm Inc. ( « Genpharm » ) est le distributeur canadien des appareils d'hémodialyse Formula de la demanderesse Bellco S.p.A. ( « Bellco » ) qui fonctionnent soit avec un concentré de bicarbonate liquide ou un concentré en poudre sèche. Les appareils ont été modifiés de façon à pouvoir fonctionner avec des cartouches BiCart. Les demanderesses cherchent au moyen de leur action à obtenir un jugement déclaratoire portant qu'il n'y a pas de contrefaçon directe ou d'incitation à la contrefaçon lorsque les cartouches BiCart de Gambro sont utilisées avec les appareils Formula de Bellco. Elles contestent également la validité du brevet 284. Gambro a présenté une demande reconventionnelle en contrefaçon.

[3]                Les demanderesses présentent maintenant une requête en jugement sommaire et toute autre réparation subsidiaire de nature interlocutoire. Elles font essentiellement valoir ce qui suit : premièrement, elles ne sont pas responsables des actes qui constituent par ailleurs une contrefaçon du brevet 284 et ne contrefont pas le brevet 284 vu qu'elles n'utilisent pas elles-mêmes les cartouches BiCart de Gambro sur les appareils d'hémodialyse Formula qu'elles vendent au Canada; et deuxièmement, les hôpitaux et d'autres clients similaires à qui elles ont vendu de tels appareils ne contrefont pas le brevet 284 vu qu'en achetant les cartouches de Gambro à des fins d'utilisation sur les appareils, ces clients deviennent ainsi détenteurs d'une « licence implicite » qui les autorise à utiliser les cartouches de Gambro sur les appareils Formula de Genpharm.

[4]                Les éléments de preuve fournis au soutien de la première de ces propositions ne sont pas convaincants et la crédibilité du représentant de Genpharm, qui les a présentés dans le cadre de son témoignage, a été sérieusement atteinte lors de son contre-interrogatoire. J'estime qu'il existe une véritable question litigieuse à trancher, laquelle consiste à savoir si les employés de Genpharm utilisent les cartouches BiCart lorsqu'ils font la démonstration, la mise en place, les vérifications et donnent le calibre convenable aux appareils qu'ils vendent à leurs clients. Habituellement, une telle preuve serait suffisante pour statuer sur une requête en jugement sommaire, mais les demanderesses affirment, exposant davantage et plus à fond la deuxième des propositions mentionnées précédemment, que les cartouches qu'elles « utilisent » proviennent de leurs clients, lesquels les ont obtenues de Gambro et ont implicitement accordé une sous-licence à Genpharm en vertu de cette même licence implicite que Gambro leur avait accordée. Je doute très fortement que les documents produits au dossier de la présente requête étayent cet argument, mais comme il est certain que toutes les cartouches utilisées sur les appareils de l'une ou l'autre partie proviennent de Gambro, j'estime qu'il me faut à tout le moins en examiner brièvement le fondement juridique.

[5]                L'argument des demanderesses repose principalement sur le principe qu'en droit, le vendeur d'un objet breveté « cède » les droits qui lui étaient conférés par le brevet relativement à cet objet et accorde implicitement à l'acquéreur une licence pour l'utiliser de la manière décrite dans le brevet.Vu que les clients de Genpharm sont également tous des clients de Gambro et que cette dernière, exclusivement, continue de les approvisionner en cartouches, on affirme que Genpharm, elle-même, ne contrefait pas le brevet et n'incite pas ses clients à contrefaire le brevet de Gambro. Compte tenu des faits de l'espèce, il s'agit d'un argument plutôt surprenant si l'on considère le coût minime de la cartouche (moins de 10 $) malgré son rôle important dans un système de combinaison d'éléments valant des milliers de dollars, un tel lien n'étant pas différent de celui qui existe entre la bougie d'allumage et l'automobile. Il serait assurément étonnant que l'achat du premier appareil donne implicitement une licence qui permet d'exercer les droits afférents au brevet dont le véhicule fait l'objet.

[6]                Les demanderesses prétendent à tort que le brevet 284 couvre non seulement les divers éléments faisant partie de la combinaison revendiquée mais également la combinaison elle-même. La vente de la cartouche brevetée donne certainement le droit de l'utiliser mais non celui d'exercer les droits afférents aux autres éléments protégés par le brevet. En réponse à cet argument, les demanderesses affirment que la cartouche constitue l'élément principal et essentiel du brevet 284 et le seul qui n'est pas couvert par l'antériorité. C'est possible, mais les demanderesses n'ont présenté aucun témoignage d'expert relativement à l'état de la technique ni à l'état des connaissances de la personne versée dans l'art à qui le brevet s'adresse, et la défenderesse, qui a déposé l'affidavit d'un expert, conteste ce point. D'après l'état actuel du dossier, il s'agit donc là d'une véritable question litigieuse à instruire qu'il ne convient pas de trancher dans le cadre d'un jugement sommaire.

[7]                Les demanderesses s'appuient largement sur l'arrêt prononcé par la U.S. Court of Appeal for the Federal Circuit dans Anton/Bauer Inc. and Alex Desoro v. PAG LTD., 329 F.3d 1343 (Fed. Cir. 2003). Dans cette affaire, la demanderesse Anton/Bauer était titulaire d'un brevet pour un ensemble bloc-piles ( « Battery Pack Combination » ) (le « brevet 204 » ). Le brevet 204 revendiquait une invention de combinaison pour des plaques de connexion mâle et femelle à verrouillage et déverrouillage. Anton/Bauer vendait les plaques de connexion mâles séparément ou avec les blocs-batteries. L'entreprise vendait directement les plaques de connexion femelles à l'industrie des télévisions portatives et des caméras vidéo de même qu'aux utilisateurs finals. Elle n'a jamais vendu ensemble les plaques de connexion mâle et femelle, objet de la combinaison brevetée. La défenderesse PAG vendait un bloc-batterie qui pouvait être utilisé en combinaison avec les plaques de connexion femelles, ce qui formait la combinaison brevetée. La Cour a fait remarquer que les ventes de plaques de connexion femelles étaient autorisées, et que rien dans la preuve n'indiquait que l'utilisation des plaques de connexion femelles était restreinte. Elle a statué que Anton/Bauer accordait à ceux qui achetaient sa plaque de connexion femelle une licence implicite les autorisant à exercer les droits afférents à l'invention revendiquée dans le brevet 204 et, qu'en conséquence, l'utilisation qu'en faisaient les acheteurs du bloc-batterie de PAG ne constituait pas de la contrefaçon.

[8]                J'estime qu'une distinction peut facilement être établie avec l'espèce. Dans Anton/Bauer, la Cour a fait remarquer que le fait pour la demanderesse de vendre séparément les plaques de connexion mâle et femelle et non en combinaison, [traduction] « ne signifie pas, à lui seul, que Anton/Bauer ne voulait pas accorder une licence implicite » . Elle a toutefois souligné que [traduction] « des faits différents auraient pu conduire à un autre résultat » . Elle a noté, par exemple, que si Anton/Bauer avait vendu ensemble les plaques de connexion mâle et femelle, elle aurait pu trancher le litige différemment. En l'espèce, il appert que Gambro vendait et continue de vendre des cartouches de remplacement uniquement aux personnes à qui elle a vendu ses appareils, et, bien que ces utilisateurs peuvent également utiliser les appareils des demanderesses à un moment donné, cela ne signifie pas qu'une licence implicite avait initialement été accordée pour utiliser les cartouches avec d'autres appareils que ceux de Gambro. On ne saurait non plus conclure que Gambro a consenti à l'utilisation de ses produits sur les appareils de Genpharm du simple fait qu'elle avait accepté de vendre des cartouches de BiCart à d'anciens clients qui ont ensuite acheté des appareils de Genpharm; à mon avis, ces ventes sont justifiées par le fait qu'un refus de vendre à ces clients aurait pour effet de mettre la vie de patients en danger, vu qu'aux yeux des patients qui requièrent des traitements d'hémodialyse, la cartouche est littéralement une question de vie ou de mort.

[9]                Lorsque l'on compare les deux affaires, il est également très important de considérer, comme je l'ai déjà indiqué, que les produits vendus n'ont pas la même importance. Dans Anton/Bauer, la Cour a souligné à la note 3 :

[traduction] Nous n'abordons pas la question de savoir s'il est possible de déduire que la vente de toute partie (quelle qu'elle soit) de la combinaison emporte l'octroi d'une licence autorisant l'exercice des droits afférents à la combinaison brevetée.

[10]            Par conséquent, même si le droit énoncé par le Federal Circuit était finalement jugé applicable au Canada, Anton/Bauer ne saurait s'appliquer aux faits de l'espèce, lesquels me semblent plutôt établir que Gambro n'avait pas l'intention (et non le contraire) d'autoriser les acheteurs des cartouches de BiCart à exercer les droits afférents au brevet 284. J'estime, en outre, que de solides considérations de politique générale justifient de limiter la notion d'octroi d'une licence implicite à l'acheteur d'un article breveté lorsqu'il s'agit d'un brevet comportant une nouvelle combinaison d'éléments. La protection accordée aux combinaisons revendiquées serait grandement menacée si l'utilisateur final pouvait exercer les droits afférents à un brevet simplement en achetant l'élément le moins onéreux (et, en l'espèce, jetable) lorsqu'il s'agit d'un élément vendu séparément et pour lequel le titulaire du brevet n'a imposé à l'acheteur aucune condition et restriction expresses quant au droit de l'utiliser ou de le revendre.

[11]            Certes, au bout du compte, la question de savoir si le vendeur a accordé une licence implicite autorisant l'exercice des droits afférents à son brevet est une question de fait qui doit être tranchée uniquement lorsque l'ensemble des rapports entre l'acheteur et le vendeur est examiné et que les conclusions qui s'imposent selon leur état d'esprit respectif sont tirées. En l'espèce, la preuve établit qu'au moins un certain nombre des clients de Genpharm avaient besoin de cette licence pour être à l'abri des poursuites en contrefaçon de brevet que Gambro pourrait intenter. Cette situation démontre que ces clients pensaient vraiment que Gambro ne leur avait pas octroyé une licence ou qu'ils n'en obtiendraient pas. Dans tous les cas où il y a vente, il est exceptionnel, mais certes pas impossible, que l'acheteur obtienne plus d'avantages que ceux qu'il avait négociés. C'est pourquoi il faut conclure qu'aucune licence n'a été accordée.

[12]            Comme je l'ai déjà mentionné, vu ma conclusion que les demanderesses n'ont pas établi qu'il n'y avait aucune véritable question litigieuse à trancher, la requête en jugement sommaire doit être rejetée.

[13]            Les demanderesses ont sollicité des ordonnances subsidiaires au cas où la Cour n'arriverait pas à la conclusion qu'elles n'ont pas contrefait le brevet 284. La plupart de ces ordonnances subsidiaires se rattachent à des « faits censés être importants » qui ne sont pas contestés. Il est vrai que la défenderesse n'a peut-être pas encore produit des preuves contredisant ces faits, mais j'estime que de telles ordonnances n'ont aucun fondement dans les circonstances actuelles et que la question devrait être posée au juge qui présidera la conférence préparatoire.

[14]            Les demanderesses ont proposé une autre ordonnance subsidiaire fondée sur l'art. 220 des Règles par laquelle elles demandent à la Cour de trancher la question de droit préliminaire de savoir si les droits découlant du brevet de Gambro sont épuisés lorsque celle-ci vend à un client les cartouches de BiCart, et si les demanderesses, dans la mesure où elles ne vendent pas de cartouches au Canada, ne seront pas tenues responsables de la contrefaçon du brevet 284. En l'absence d'un exposé conjoint des faits, la question proposée est loin d'être purement une question de droit et une telle ordonnance ne serait pas indiquée actuellement.

[15]            La requête en jugement sommaire n'ayant aucun fondement, elle n'aurait pas dû être présentée. La défenderesse a droit aux dépens taxés selon un tarif supérieur que je fixerais à 15 000 $, payables sans délai quelle que soit l'issue de la cause.


ORDONNANCE

La requête en jugement sommaire est rejetée et les dépens, fixés à 15 000 $, sont adjugés à la défenderesse et payables sans délai quelle que soit l'issue de la cause.

« James K. Hugessen »

Juge

Ottawa (Ontario)

30 novembre 2005


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-475-03

INTITULÉ :                                        GENPHARM INC. et al c. GAMBRO LUNDIA AB

LIEU DE L'AUDIENCE :                  OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                17 NOVEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONANCE :                           LE JUGE HUGESSEN

DATE :                                                30 NOVEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

TIM GILBERT ET SHONAGH MCVEAN                              DEMANDERESSES

DOUGLAS N. DEETH ET HEATHER E.A.WATTS               DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GILBERT, s.a.r.l.

TORONTO (ONTARIO)                                                         DEMANDERESSES

DEETH WILLIAMS WALL, s.a.r.l.

TORONTO (ONTARIO)                                                            DÉFENDERESSES

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.