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Date : 20020826

Dossier : IMM-5-02

Référence neutre : 2002 CFPI 913

Vancouver (Colombie-Britannique), le lundi 26 août 2002

EN PRÉSENCE de Madame le juge Dawson

ENTRE :

                                          NAZIR HUSSAIN

                                                                                                  demandeur

                                                    - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]    Nazir Hussain est un citoyen du Pakistan qui fonde sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention sur sa nationalité, ses opinions politiques et son appartenance, en tant que membre et activiste politique, à un groupe social, soit le parti national unifié du peuple du Cachemire (UKPNP) qui tente d'obtenir du Pakistan, pour trois « états » du Cachemire, l'indépendance et la sécession.

[2]    Le demandeur soumet la présente demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié selon laquelle il n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

LA DÉCISION DE LA SSR

[3]    La SSR n'a pas tiré de conclusions défavorables quant à la crédibilité de M. Hussain. Le tribunal a reconnu que le demandeur était un membre et un activiste politique de l'UKPNP dans les régions d'Hurnameira et de Rawalakot de l'Azad Kashmir (le Cachemire libre) et a fait remarquer, acceptant apparemment la preuve soumise, qu'il continuerait à défendre ses opinions politiques quant à l'indépendance séculière de l'Azad Kashmir s'il retournait au Pakistan. Le tribunal, parce qu'il a conclu que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) au Pakistan, à l'extérieur de la région de l'Azad Kashmir, n'a pas examiné la question de savoir si M. Hussain avait raison de craindre d'être persécuté au Pakistan.


[4]                 La SSR a reconnu qu'un FIR (First Information Report) avait été enregistré contre M. Hussain par la police à Rawalakot pour des infractions prévues au Code pénal du Pakistan et dans les lois relatives au maintien de l'ordre public et que le FIR s'appliquait légalement partout au Pakistan. La SSR n'a pas cru qu'il y avait un mandat en vigueur pour l'arrestation de M. Hussain parce que l'explication qu'il a fournie quant à son incapacité d'obtenir une copie du soi-disant mandat n'était pas, selon la SSR, raisonnable et digne de foi. La SSR a conclu, en se fondant sur le caractère local des activités politiques de M. Hussain au sein de l'UKPNP et sur son absence de profil politique national, qu'il n'existait qu'une simple possibilité qu'il intéresse les autorités policières du Pakistan, le gouvernement militaire ou l'ISI (Inter-Services Intelligence Service) ailleurs au Pakistan. La SSR a déclaré ce qui suit :

Le tribunal a examiné la preuve documentaire dont il dispose, relativement au FIR enregistré par la police du Pakistan, et si les autorités policières à l'extérieur de l'Azad Kashmir seraient mises au courant d'un tel FIR. Cette preuve documentaire indique qu'une personne peut, en droit, être appréhendée partout au Pakistan en vertu de l'autorité d'un FIR enregistré pour une infraction recevable, telles celles identifiées. Le tribunal constate que le FIR émis contre le revendicateur a été enregistré au poste de police de Rawalakot et au palais de justice local. Une autre preuve documentaire déposée devant le tribunal indique que, sur le plan juridique, l'Azad Kashmir n'est pas simplement une autre province du Pakistan. L'Azad Kashmir possède son propre système juridique, des magistrats locaux ainsi que sa propre Haute cour et sa propre Cour suprême. Le revendicateur n'a pas de profil national au Pakistan. Ses activités politiques à l'UKPNP se confinent aux régions d'Hurnameira [sic] et de Rawalakot de l'Azad Kashmir. Compte tenu de ce qui précède, le tribunal estime qu'il n'existe pas plus qu'une simple possibilité que la situation du revendicateur soit portée à l'attention des autorités policières du Pakistan à l'extérieur de l'Azad Kashmir ou qu'il soit arrêté sous de fausses accusations politiquement motivées, fondées sur le FIR enregistré contre lui au poste de police et au palais de justice de Rawalakot. Le tribunal reconnaît que le gouvernement militaire du Pakistan et l'ISI peuvent exercer leur autorité partout au Pakistan. Cependant, étant donné le caractère local des activités politiques du revendicateur à l'UKPNP et son absence de profil politique national, le tribunal est d'avis qu'il n'existe pas plus qu'une simple possibilité que sa situation soit portée à l'attention du gouvernement militaire du Pakistan ou de l'ISI ailleurs au Pakistan. [Les notes en bas de page sont omises.]

[5]                 En outre, à cause de l'absence de profil politique national de M. Hussain, la SSR a conclu qu'il ne ferait pas l'objet de persécution de la part des partis pro-Pakistan ou des groupes comme le Parti du peuple pakistanais (PPP).


[6]                 Quant au témoignage de M. Hussain selon lequel il n'y avait aucun endroit au Pakistan où il pourrait vivre en sécurité parce qu'il continuerait à défendre ses opinions politiques, la SSR a fait remarquer que la preuve documentaire dont le tribunal disposait établissait que les principaux dirigeants des groupes politiques partisans de l'indépendance du Cachemire avaient été détenus par la police pendant une courte période pour avoir milité, à l'extérieur de l'Azad Kashmir, en faveur de l'indépendance, qu'il n'y avait pas, sauf pour des références à l'enlèvement et à la détention du président de l'UKPNP par des individus qu'on pense être des membres des forces de sécurité du gouvernement, d'autres renseignements qui se rapportaient au traitement que subissaient les membres de l'UKPNP, que le secrétaire général de l'UKPNP avait accordé une entrevue exclusive à un journal à Islamabad et que la lettre du secrétaire général de l'UKPNP soumise en preuve pour appuyer la revendication de M. Hussain ne mentionnait pas que les activités du parti étaient ciblées à l'extérieur de l'Azad Kashmir. La SSR a alors conclu que :

[...] Étant donné le caractère local des activités politiques du revendicateur à l'UKPNP et de son profil politique localisé à l'UKPNP, le tribunal estime qu'il n'existe pas plus qu'une simple possibilité que le revendicateur soit victime de persécution à l'extérieur de l'Azad Kashmir en raison de ses opinions politiques ou de son appartenance à un groupe social particulier.

[7]                 Finalement, la SSR a examiné la question de savoir s'il est raisonnable pour M. Hussain, dans toutes les circonstances, de chercher un refuge au Pakistan à l'extérieur de l'Azad Kashmir, et a conclu qu'il n'existait pas d'obstacles liés au déplacement, à la langue, à l'emploi ou la vie sociale qui l'empêchaient de chercher un tel refuge.


ANALYSE

[8]                 Il est reconnu en droit qu'il n'est pas nécessaire de trancher au préalable, avant d'examiner la question de savoir s'il existe une PRI, la question de savoir si un revendicateur a raison de craindre d'être persécuté dans sa région d'origine. Voir l'arrêt Kanagaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1996), 194 N.R. 46 (C.A.F.). Il en est ainsi parce que s'il existe une PRI, un revendicateur ne peut pas, par définition, craindre avec raison d'être persécuté dans le pays de sa nationalité.

[9]                 L'essentiel de l'argumentation présentée par M. Hussain est que la SSR, étant donné sa conclusion selon laquelle il était un membre et un activiste au sein de l'UKPNP au Cachemire, de celle selon laquelle une personne peut aux termes des lois du Pakistan être arrêtée n'importe où dans le pays lorsqu'un FIR est enregistré et de celle selon laquelle il continuerait à défendre ses opinions politiques quant à l'indépendance du Cachemire s'il déménageait dans une autre région du Pakistan, a fait une supposition lorsqu'elle a conclu, en raison de son absence de profil politique national et de son incapacité à fournir une copie du mandat d'arrestation lancé contre lui, que le demandeur avait une PRI.

[10]            La SSR a procédé à une longue analyse de la revendication de M. Hussain et a examiné toutes les questions qu'il a soulevées. La Cour ne devrait pas intervenir à l'égard de la conclusion tirée par la SSR quant à l'existence d'une PRI lorsque cette conclusion est tirée en prenant en compte la preuve dont elle dispose.


[11]            Par conséquent, à titre d'exemple, je suis d'avis que la SSR pouvait conclure de l'incapacité de M. Hussain à fournir une copie du mandat d'arrestation qu'un tel mandat n'avait pas été lancé.

[12]            Cependant, malgré les motifs exhaustifs de la SSR, je suis convaincue, après avoir examiné attentivement les observations des parties et le dossier du tribunal, et pour les motifs ci-après énoncés, que l'intervention de la Cour est justifiée.

[13]            La SSR a omis de traiter des témoignages des deux témoins qui avaient été appelés afin de corroborer la prétention de M. Hussain selon laquelle il ne serait pas en sécurité s'il retournait au Pakistan et continuait à exercer ses activités politiques. Les témoins ont tous deux déclaré être des activistes au sein de l'UKPNP et des réfugiés au sens de la Convention. Le premier a déclaré que la loi martiale existait au Pakistan, que la situation est grave pour les gens qui défendent la cause de l'indépendance du Cachemire et qu'il savait par expérience que M. Hussain ne serait en sécurité nulle part au Pakistan. Le deuxième témoin a affirmé que chaque rassemblement ou manifestation entraînait des arrestations et des détentions par le gouvernement du Pakistan, par ses services de renseignements et par la police. Il a témoigné que les organisations fondamentalistes sont très bien armées et qu'en leur présence les activistes de l'UKPNP sont toujours en danger.


[14]            La SSR n'a évidemment pas l'obligation de faire référence à toute la preuve qui lui est soumise. Cependant, plus la preuve qui n'est pas expressément mentionnée et analysée est importante, plus il est probable qu'une cour de révision tire de l'omission d'avoir mentionné cette preuve la conclusion qu'on l'a écartée.

[15]            En l'espèce, la preuve était si importante pour la réponse de M. Hussain sur la question de l'existence d'une PRI qu'on peut conclure de l'omission de la SSR d'y avoir fait référence que cette preuve a été écartée et que la conclusion de la SSR a été tirée sans que la preuve ait été prise en compte.

[16]            La conclusion précédemment mentionnée est facile à tirer compte tenu du fait que l'inférence de la SSR était fondée sur le caractère local des activités politiques de M. Hussain et de son appartenance à l'UKPNP et sur ce que la SSR a caractérisé comme étant une absence de renseignements dans la preuve documentaire sur le traitement que reçoivent les membres de l'UKPNP.

[17]            Le premier motif est un peu difficile à comprendre. Si M. Hussain exerçait des activités politiques à Karachi ou à Islamabad, il ne serait plus considéré comme un activiste confiné aux régions d'Hurnameira et de Rawalakot. Le fait pour la SSR de se fonder sur le silence de la preuve documentaire, sans faire référence aux témoignages exprès, appuie la conclusion selon laquelle les témoignages ont été écartés.

[18]            La SSR n'avait pas l'obligation d'accepter les témoignages des deux témoins appelés pour corroborer le témoignage du demandeur, mais l'omission d'avoir mentionné ces témoignages et de les avoir analysés constitue une erreur susceptible de contrôle.


[19]            Par conséquent, la décision de la SSR est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire.

[20]            Les avocats n'ont soumis aucune question aux fins de la certification et aucune question n'est certifiée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE PAR LA PRÉSENTE :

1.    La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, rendue en date du 18 décembre 2001, est annulée. L'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire.

2.    Aucune question n'est certifiée.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                        SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

   

NO DU GREFFE :                                   IMM-5-02

  

INTITULÉ :                                             Nazir Hussain c. M.C.I.

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Calgary (Alberta)

  

DATE DE L'AUDIENCE :                    Le 7 août 2002

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :              LE JUGE DAWSON

  

DATE DES MOTIFS :              Le 26 août 2002

  

COMPARUTIONS :

  

Birjinder P.S. Mangat                              POUR LE DEMANDEUR

  

Tracy King                                                            POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

  

Birjinder P.S. Mangat                              POUR LE DEMANDEUR

Calgary (Alberta)

  

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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