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Date : 20060529

Dossier : IMM‑4792‑05

Référence : 2006 CF 644

Ottawa (Ontario), le 29 mai 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

MANJULA TENNEKOON

HACINTHA DHANUSHI TENNEKOON

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit du contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé la demande d’asile des demanderesses parce qu’elles n’ont pas établi qu’il y avait une possibilité sérieuse qu’elles subissent un préjudice et qu’elles n’ont pas réfuté la présomption de l’existence de la protection de l’État.

 

I.          Les faits

[2]               La demanderesse, Majula Tennekoon (MT), et sa fille, Hacintha Dhanushi Tennekoon (HT), sont citoyennes du Sri Lanka. Elles ont affirmé craindre de retourner au Sri Lanka à cause de menaces proférées par Ganesh Sundaralingum (Ganesh), un prétendant éconduit de la fille.

 

[3]               Les demanderesses ont soutenu que Ganesh avait menacé HT parce que celle‑ci l’avait rejeté, et qu’il avait également menacé la famille. Ganesh aurait affirmé que ses menaces étaient sérieuses parce qu’il avait des liens avec les Tigres tamouls (TLET).

 

[4]               Les demanderesses ont raconté avoir ensuite pris la fuite pour les États‑Unis parce qu’un fonctionnaire à la retraite leur avait conseillé de le faire. Une fois arrivées aux États‑Unis, elles auront reçu pour conseil de ne pas demander l’asile dans ce pays. Elles sont donc parties au Canada.

 

[5]               La Commission a rejeté l’allégation de crainte fondée pour quatre raisons :

a)         la crainte subjective alléguée était dénuée d’un fondement objectif;

b)         deux membres seulement de la famille ont quitté le Sri Lanka, alors que c’était la famille en entier qui était menacée;

c)         la fille est restée à l’école et au Sri Lanka entre le mois de mars 2004, quand les menaces auraient été faites, et le mois de juin 2004, date à laquelle sa mère et elle sont parties pour les États‑Unis;

d)         les demanderesses n’ont pas demandé l’asile lors de leur séjour aux États‑Unis.

 

[6]               Au sujet de la protection de l’État, la Commission a conclu que l’omission de signaler les menaces proférées aux autorités sri‑lankaises représentait de la part des demanderesses un effort insuffisant pour se réclamer de la protection de l’État. Elle accordé plus de poids à la preuve documentaire qu’à l’opinion des demanderesses au sujet de la protection de l’État.

 

II.         Analyse

[7]               Pour ce qui est de la question du bien‑fondé de la crainte, la décision prise est habituellement fondée sur la crédibilité. La norme de contrôle est donc celle de la décision manifestement déraisonnable.

 

[8]               Pour ce qui est de la protection de l’État, la norme de contrôle applicable constitue en général une question litigieuse mais, en l’espèce, les demanderesses se fondent sur l’exception formulée dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à savoir qu’il n’est pas nécessaire de se réclamer de la protection de l’État parce qu’il serait futile de le faire. Il incombe au demandeur de prouver de « manière claire et convaincante » la futilité qu’il y a à se réclamer de la protection de l’État. La norme applicable est donc celle de la décision raisonnable.

 

[9]               Les demanderesses soutiennent que la décision relative au bien‑fondé de la crainte était déraisonnable ou manifestement déraisonnable, pourtant je ne vois rien de déraisonnable dans la conclusion de la Commission. Les demanderesses veulent essentiellement que la Cour réévalue la preuve et tire une conclusion différente – chose que la Cour ne devrait pas faire.

 

[10]           Les demanderesses ont tenté de contester la décision en faisant valoir que la Commission a rejeté l’allégation de crainte parce qu’il n’y a pas eu de confrontation, d’agression ou de préjudice physique. Si cela avait été le véritable motif, l’argument des demanderesses aurait pu être valable car il existe une abondante jurisprudence à l’appui du principe qu’il n’est pas nécessaire d’être victime de violence physique pour craindre avec raison d’être persécuté (Rajudeen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1984), 55 N.R. 129, [1984] A.C.F. no 601 (QL), et Serwaa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 2106 (QL), 2005 CF 1653).

 

[11]           Cependant, si on lit la décision dans son ensemble, on constate que la Commission a considéré que la crainte n’avait aucun fondement objectif, car il n’y avait aucune preuve que la menace était réelle. Rien ne prouvait que Ganesh était en mesure de la mettre à exécution. En particulier, la Commission n’a pas cru que Ganesh avait des liens avec les TLET.

 

[12]           Quant aux autres raisons pour lesquelles la Commission a tiré une conclusion défavorable aux demanderesses en ce qui concerne le bien‑fondé de leur crainte, rien ne permet de contester les conclusions tirées. Le délai n’a été qu’un simple facteur dans l’analyse, et il était raisonnable de mettre en doute les agissements des demanderesses qui, d’une part, sont restées au Sri Lanka et, d’autre part, n’ont pas demandé l’asile aux États‑Unis, même s’il aurait été difficile de l’obtenir (la preuve concernant ce qui a été dit précisément aux demanderesses n’est pas claire). Il était également raisonnable de se demander pourquoi deux membres seulement d’une famille, qui aurait elle‑même fait l’objet de menaces, avaient fui le Sri Lanka.

 

[13]           Quant à la protection de l’État, les demanderesses ont soulevé un point intéressant au sujet de la question de savoir si le critère des « sérieux efforts » dont il est question dans l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (C.A.F.), [1992] A.C.F. no 1189 (QL), a été remplacé par le critère de l’« efficacité » de la protection de l’État formulé dans l’arrêt Ward. Le problème pour les demanderesses est que, compte tenu des faits, cette question ne se pose pas réellement.

 

[14]           Au vu des faits, les demanderesses n’ont rien fait pour se réclamer de la protection de l’État, de sorte que la question des sérieux efforts par opposition à celle de la protection efficace de l’État est, dans une large mesure, non pertinente. Le fardeau qui leur incombait de réfuter la présomption en faveur de la protection de l’État a été sérieusement compromis parce qu’elles n’ont même pas tenté de solliciter l’aide des autorités sri‑lankaises.

 

[15]           Même en se fondant sur la preuve documentaire, les demanderesses n’ont pas pu établir qu’il aurait été vain pour elles de se réclamer de la protection de l’État parce que celle‑ci n’existait pas. Elles n’ont pas démontré qu’elles étaient visées par l’exception prévue dans l’arrêt Ward.

 

[16]           En outre, la Commission a tiré une conclusion de fait, et il n’a pas été prouvé que celle‑ci était manifestement déraisonnable : si les demanderesses avaient signalé à la police qu’un partisan des TLET menaçait de recourir à ces derniers contre elles, la police se serait intéressée à leur cas.

 

[17]           La seule raison invoquée pour expliquer pourquoi les demanderesses ne se sont pas adressées à la police est qu’un fonctionnaire à la retraite leur a dit de ne pas le faire et leur a conseillé de prendre la fuite. Il ne s’agit pas, en l’espèce, d’une preuve suffisante pour contester la présomption de protection de l’État.

 

[18]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                             IMM‑4792‑05

 

INTITULÉ :                                                            MANJULA TENNEKOON

                                                                                 HACINTHA DHANUSHI TENNEKOON

 

                                                                                 et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                      TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                    LE 24 MAI 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                 LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                                           LE 29 MAI 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Maureen Silcoff

 

POUR LES DEMANDERESSES

Marianne Zoric

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MAUREEN SILCOFF

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

           POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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