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Date : 20010516

Dossier : IMM-3412-00

Référence neutre : 2001 CFPI 492

Ottawa (Ontario), le mercredi 16 mai 2001

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                                          CHANGYAN LIN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]    Changyan Lin est un citoyen de la République populaire de Chine âgé de 38 ans qui a demandé à résider en permanence au Canada à titre de membre de la catégorie des travailleurs autonomes, en tant que chef, mets chinois. Il présente une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle une agente des visas, au Consulat général du Canada, à Seattle, É.-U., a refusé, le 24 mai 2000, sa demande de résidence permanente.

LES FAITS

[2]    M. Lin habite aux États-Unis depuis 1992. Pendant qu'il était dans ce pays, il travaillait comme chef dans un restaurant chinois.

[3]    L'agente des visas a conclu que M. Lin n'était pas un travailleur autonome au sens de la définition. L'agente a déclaré que M. Lin n'avait pas démontré qu'il avait l'intention ou qu'il était en mesure d'établir une entreprise en immigrant au Canada. L'agente a conclu que M. Lin n'avait pas d'expérience en matière de gestion financière et qu'il n'avait pas fait d'études dans ce domaine, ce qui serait essentiel à l'exploitation d'une entreprise. L'agente a également conclu que l'admission de M. Lin au Canada ne contribuerait pas de manière significative à la vie économique.

[4]    L'agente des visas a également apprécié la demande de M. Lin conformément au paragraphe 8(1) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 (le Règlement) et lui a attribué 57 points d'appréciation.


LES POINTS LITIGIEUX

[5]                 M. Lin a affirmé que l'agente des visas avait commis les erreurs susceptibles de révision ci-après énoncées :

i)           l'agente des visas n'a pas abordé l'appréciation avec un esprit ouvert;

ii)          l'agente des visas n'a pas apprécié la demande conformément au Règlement;

iii)          l'agente des visas a introduit un critère qu'elle ne comprenait pas elle-même;

iv)         l'agente des visas s'est fondée sur une conclusion de fait erronée.

[6]                 De plus, M. Lin s'est plaint que l'agente des visas n'avait pas répondu à toutes les questions qui lui avaient été posées lors du contre-interrogatoire; il a affirmé que l'agente des visas devrait être tenue de répondre à toute question qui lui est posée pendant le contre-interrogatoire. M. Lin sollicite également les dépens de la présente demande.

ANALYSE

[7]                 M. Lin n'a pas établi que l'agente des visas avait omis d'apprécier sa demande avec un esprit ouvert. Aucun élément de preuve n'étaye la thèse selon laquelle l'agente des visas était arrivée à sa conclusion avant d'avoir une entrevue avec M. Lin.


[8]                 Puisque j'ai tiré cette conclusion, je suis convaincue que l'agente des visas a commis une erreur en déterminant si l'entreprise envisagée par M. Lin allait contribuer de manière significative à la vie économique, et ce, même si à mon avis cette erreur ne prouve pas qu'il y a eu partialité. Dans les notes qu'elle a prises à l'entrevue, l'agente des visas a fait remarquer que [traduction] « le simple fait de fournir des aliments ne constitue pas un avantage économique significatif [...] » . Dans son affidavit, l'agente des visas a déclaré [traduction] qu' « [e]n ce qui concerne la contribution économique envisagée au Canada, [elle avait] exprimé des doutes au sujet du fait que la fourniture de repas-minute en soi constitue une contribution économique significative » .

[9]                 Dans la décision Zhao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 182 F.T.R. 260 (C.F. 1re inst.), Madame le juge Reed a dit ce qui suit :

[12A]       Je considère qu'il est erroné de décrire la profession d'une personne comme faisant ou non une contribution significative à l'économie du Canada. En évaluant un demandeur dans la catégorie des travailleurs autonomes, c'est l'entreprise que la personne a l'intention d'établir ou d'acheter, ou dans laquelle elle a l'intention d'investir, qui doit faire une contribution significative à l'économie. Ainsi, une entreprise de dépanneur peut, selon les circonstances, faire ou non une contribution significative à l'économie. On ne peut dire qu'une personne qui désire exploiter un commerce de dépanneur ne peut être admise au Canada dans la catégorie des travailleurs autonomes parce que cette profession n'apporte pas une contribution significative à l'économie. De la même façon, l'entreprise que veut établir un courtier en valeurs mobilières peut, dans certaines circonstances, faire une contribution significative à l'économie et, dans certaines autres circonstances, ne pas en faire. Tout dépend des circonstances particulières à chaque cas. Par conséquent, le type de profession n'est pas en soi le facteur fondamental à considérer dans l'analyse requise.


[12B]       Toutefois, le facteur 4 est pertinent par rapport à la profession que la personne veut exercer, non parce qu'il sert à déterminer si cette profession peut apporter un avantage significatif à l'économie (qui n'est pas le bon critère à appliquer, comme je l'ai dit), mais parce qu'il est lié à la demande au Canada pour des personnes travaillant dans cette profession. Alors qu'un immigrant dans la catégorie des travailleurs autonomes peut recevoir le droit d'établissement même s'il a reçu 0 point en vertu du facteur 4, il se peut aussi qu'il ne reçoive pas le droit d'établissement alors qu'il a reçu 10 points. Ceci peut arriver lorsqu'il y a une demande considérable dans un domaine donné, mais que l'entreprise que la personne a l'intention d'établir n'apporte pas une contribution significative à l'économie. En termes simples, on peut dire que le type de profession est pertinent dans le cadre du facteur 4, mais que l'évaluation permettant de déterminer si une personne doit recevoir le droit d'établissement en tant travailleur autonome n'est pas déterminée en fonction du type de profession que l'immigrant potentiel veut exercer, mais plutôt en fonction de l'entreprise qu'il a l'intention d'établir ou d'acheter, ou dans laquelle il a l'intention d'investir. [Non souligné dans l'original].

Je souscris à cette analyse et je l'adopte.

[10]            En concluant que la fourniture d'aliments ne constitue pas en soi un avantage économique significatif, l'agente des visas a donc commis une erreur. L'enquête de l'agente des visas aurait dû porter sur l'avantage précis qu'offrait l'entreprise envisagée par M. Lin.

[11]            Toutefois, cette conclusion n'est pas déterminante puisque l'agente des visas a également conclu que M. Lin ne satisfaisait pas à la première partie de la définition du « travailleur autonome » , telle qu'elle est énoncée au paragraphe 2(1) du Règlement.

[12]            Cette définition est ainsi libellée :



« travailleur autonome » s'entend d'un immigrant qui a l'intention et qui est en mesure d'établir ou d'acheter une entreprise au Canada, de façon à créer un emploi pour lui-même et à contribuer de manière significative à la vie économique, culturelle ou artistique du Canada.


[1]            On n'a pas réussi à me convaincre que l'agente des visas a commis une erreur en tirant cette conclusion. L'inscription pertinente dans les notes du CAIPS se lit comme suit :

[Traduction] J'ai informé le DE de mes préoccupations, à savoir qu'il n'avait pas démontré qu'il serait en mesure de subvenir à ses besoins à titre de travailleur autonome. Il n'est pas nécessaire d'avoir déjà effectué un travail autonome, mais il lui serait probablement plus difficile d'accomplir pareil travail étant donné qu'il n'a jamais été travailleur autonome. Il a de l'expérience comme cuisinier, mais il a peu d'expérience en matière de gestion financière d'une petite entreprise. Enfin, compte tenu des déclarations qu'il a lui-même faites, je doute sérieusement qu'il ait réellement l'intention d'être travailleur autonome.

[13]            Dans les notes qu'elle a prises à l'entrevue, l'agente des visas a inscrit [TRADUCTION] « travail ou lancement d'une entreprise? L'idéal serait de créer une entreprise » .

[14]            Dans son affidavit, l'agente des visas fait les déclarations suivantes :

[Traduction]

11.        J'ai demandé à M. Lin de quelle façon il serait en mesure d'exploiter une entreprise au Canada sans avoir une connaissance pratique de l'une ou l'autre des langues officielles du Canada. M. Lin a répondu qu'il connaissait les expressions anglaises communément employées dans son métier. Je lui ai demandé s'il pouvait faire des affaires en anglais. Il a répondu qu'il n'aurait pas besoin de parler l'anglais, puisqu'il aurait recours à des fournisseurs chinois. M. Lin a déclaré qu'il ne pourrait pas écrire un menu, lire un contrat, acheter du matériel ou organiser des services de base pour son entreprise sans l'aide d'un interprète. Il n'a jamais été garçon de table ou préposé au comptoir, et il n'a jamais exercé de profession exigeant qu'il communique avec des clients en anglais (ou en français). Au cours de la période de sept ans où il a vécu aux États-Unis, il a étudié l'anglais pendant trois mois seulement.

[...]


Je lui ai demandé de préciser ses intentions, s'il avait l'intention de trouver un emploi ou d'être travailleur autonome. Il a répondu qu'il avait l'intention de travailler comme employé pendant un certain temps, mais qu'il ne savait pas pendant combien de temps. Il a déclaré qu'idéalement, il créerait sa propre entreprise, mais qu'il ne savait pas s'il allait réussir dans les affaires. M. Lin n'avait jamais établi d'entreprise. Il a déclaré que le marché pour une petite entreprise au Canada serait plus favorable, mais il n'a pas pu fournir d'éléments de preuve crédibles à l'appui de cette assertion.

[15]           À mon avis, cette preuve n'a pas vraiment été contestée pendant le contre-interrogatoire.

[16]           Compte tenu des faits, l'agente des visas pouvait avec raison conclure, comme elle l'a fait, que M. Lin n'avait pas démontré qu'il avait l'intention et qu'il était en mesure d'établir ou d'acheter une entreprise au Canada. En arrivant à cette conclusion, l'agente des visas n'a pas introduit des critères extrinsèques et sa décision n'était pas viciée du fait qu'elle aurait tiré une conclusion de fait erronée au sujet du « Cast Ocean Seafood Restaurant » , dont il en sera ci-dessous fait mention d'une façon plus détaillée.

[17]           J'ai minutieusement examiné les observations de M. Lin selon lesquelles l'agente des visas n'avait pas apprécié la demande conformément à l'article 8 du Règlement. Je ne puis trouver aucune erreur susceptible de révision dans l'appréciation que l'agente des visas a effectuée conformément aux facteurs énoncés à l'annexe I du Règlement. On n'a pas demandé à l'agente d'exercer son pouvoir discrétionnaire conformément au paragraphe 11(3) du Règlement et, à mon avis, il n'y a rien dans le dossier qui obligeait l'agente des visas à envisager d'exercer son pouvoir discrétionnaire.


[18]            L'agente des visas a tenu compte de l'offre d'emploi du « Cast Ocean Seafood Restaurant » , qui est en fait l'East Ocean Seafood Restaurant, que M. Lin lui a présentée. La preuve de l'agente des visas à ce sujet est la suivante :

[Traduction]

9.      M. Lin a présenté une offre d'emploi du « Cast Ocean Seafood Restaurant » à Vancouver. Il a déclaré qu'un ami, à Vancouver, avait trouvé cet emploi pour lui. Avant l'entrevue, j'ai consulté l'assistance annuaire à Vancouver et je n'ai pu trouver aucun numéro de téléphone au nom de ce restaurant. J'ai demandé à M. Lin s'il savait pourquoi le restaurant n'était pas inscrit dans l'annuaire téléphonique. Il ne savait pas que le restaurant n'était pas inscrit. Il connaissait un peu M. Chen, qui avait signé la lettre, mais c'était son ami qui avait trouvé l'emploi. La date de la lettre était antérieure de deux semaines à celle de l'entrevue. J'ai demandé à M. Lin à quel moment il avait parlé pour la dernière fois à l'employeur éventuel et à quel moment il avait reçu la lettre. Il a déclaré avoir parlé à M. Chen un mois plus tôt et avoir également reçu la lettre de son ami environ un mois avant l'entrevue. Il ne pouvait pas expliquer pourquoi la date de la lettre était postérieure à celle à laquelle il a affirmé avoir reçu la lettre.

[...]

27.      [...] Il n'a pas précisé le nom du restaurant. Je note qu'il est étrange que le propriétaire d'un restaurant ne puisse pas épeler correctement le nom de son restaurant dans une lettre qu'il aurait censément rédigée.

[19]            L'agente des visas aurait pu signaler le numéro de téléphone inscrit dans l'offre d'emploi, mais elle n'était pas tenue de le faire. Pour les motifs énoncés par l'agente des visas, tels qu'ils sont ci-dessus énoncés, il n'était pas déraisonnable de ne pas accorder d'importance à l'offre d'emploi. Une offre d'emploi crédible aurait pu et aurait dû être mieux documentée. À mon avis, la décision de l'agente n'était pas viciée du fait que celle-ci a dit que le restaurant n'était pas inscrit dans l'annuaire téléphonique.


[20]            Étant donné que, selon le dossier, il était raisonnablement loisible à l'agente des visas de décider que M. Lin n'avait pas démontré qu'il avait l'intention et qu'il était en mesure d'établir ou d'acheter une entreprise au Canada, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[21]            Par l'entremise de son avocat, M. Lin a soulevé une question procédurale découlant du refus de l'agente des visas, sur les conseils de son avocat, de répondre aux questions qui lui avaient été posées lors du contre-interrogatoire. Si je comprends bien, M. Lin a demandé un jugement déclaratoire portant que les agents des visas devraient être tenus de répondre à toute question qui leur est posée pendant le contre-interrogatoire. Il est possible de faire une analogie avec le paragraphe 9(3) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, qui exige que la personne qui demande à être admise au Canada réponde franchement aux questions de l'agent des visas.


[22]            La règle 95(2) des Règles de la Cour fédérale (1998) permet à une personne qui est contre-interrogée au sujet d'un affidavit de répondre à une question au sujet de laquelle une objection a été formulée, sous réserve de son droit de faire déterminer, sur requête, le bien-fondé de la question. Les avocats adopteront probablement cette pratique en cas de doute réel au sujet du bien-fondé d'une question. Toutefois, l'avocat qui est certain qu'une question n'est pas appropriée peut à bon droit, à mon avis, conseiller au témoin de ne pas répondre à la question. Si, sur les conseils de son avocat ou pour une autre raison, le témoin refuse à tort de répondre à une question, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de sanctionner ce comportement au moyen des dépens ou, le cas échéant, de faire une inférence à partir du refus de répondre à une question légitime. Or, il n'existe aucun fondement justifiant le prononcé du jugement déclaratoire sollicité. Comme je l'ai fait remarquer au cours des plaidoiries, le jugement déclaratoire demandé risque d'entraîner un tort sérieux ou beaucoup d'ennuis.

[23]            Étant donné que le demandeur n'a pas eu gain de cause, il n'est pas nécessaire d'examiner la demande qu'il a faite au sujet des dépens. Les avocats n'ont proposé la certification d'aucune question grave en ce qui concerne les points que j'ai jugés déterminants.

                                                              ORDONNANCE

[24]            LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Eleanor R. Dawson »

            Juge                         

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                                              IMM-3412-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                            Changyan Lin

c.

Le ministre de la Citoyenneté

et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                 le 18 avril 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR :                               MADAME LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                           le 16 mai 2001

ONT COMPARU :

M. Timothy E. Leahy                                            pour le demandeur

M. John Loncar                                                    pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Timothy E. Leahy                                            pour le demandeur

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                           pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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