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                  Date : 20011019

Dossier : T-836-01

Référence neutre : 2001 CFPI 1133

ENTRE :

ERIC WHITE

demandeur

- et -

E.B.F. MANUFACTURING LIMITED, ELECTROBRAID

FENCE LIMITED, E. DAVID BRYSON, et

NOVATEC BRAIDS LIMITED

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE KELEN

[1]        Le demandeur cherche à obtenir une injonction interlocutoire afin d'empêcher les défendeurs de porter atteinte à ses droits en tant que titulaire du brevet canadien « Electrobraid Fence » et de fabriquer et vendre le produit. Le demandeur est le titulaire du brevet « Electrobraid Fence » .


[2]        Les défendeurs E.B.F. Manufacturing Limited ( « EBF » ) et Electrobraid Fence Limited ( « Electrobraid Fence » ) sont des entreprises installées à Yarmouth, en Nouvelle-Écosse, qui fabriquent et commercialisent, respectivement, le produit « Electrobraid Fence » . E. David Bryson ( « Bryson » ) est à la fois l'unique actionnaire et l'administrateur de ces deux entreprises. Le quatrième défendeur est Novatec Braids Limited ( « Novatec » ), une entreprise de fabrication de cordes installée aussi à Yarmouth, qui avait été autorisée par le demandeur à fabriquer la clôture électrique brevetée.

Les faits

[3]        En 1997, le demandeur travaillait à la mise en marché de son invention : une clôture électrique. Le demandeur a été présenté au défendeur Bryson, lequel possédait les ressources financières et l'expérience professionnelle nécessaires afin d'aider le demandeur à fabriquer et commercialiser son invention. Le 4 septembre 1997, le demandeur et le défendeur Bryson ont conclu un accord entre actionnaires visant une nouvelle société : E.B.F. Manufacturing Limited. Conformément à cet accord, le défendeur Bryson a investi des efforts et de l'argent afin de développer et commercialiser le produit.

[4]        La nouvelle entreprise, EBF, a obtenu du financement de la province de la Nouvelle-Écosse, mais la province a exigé que les parties concluent un accord de licence concernant la fabrication et la vente de la clôture électrique brevetée. Cet accord de licence prévoyait le même procédé de paiement de redevances.


5]          En 1999 et en 2000, des désaccords sont survenus entre les parties au sujet du montant des redevances et du délai mis à les verser. Par conséquent, White a exercé les droits prévus à la clause ultimatum de l'accord entre actionnaires, en vertu desquels il pouvait acheter ou vendre cinquante pour cent (50 %) des actions. Le défendeur Bryson a exercé son option d'acheter cinquante pour cent des actions plutôt que de vendre les siennes. Le ou vers le 29 septembre 2000, Bryson a payé à White 125 000    $ pour les actions de ce dernier dans la compagnie EBF et a payé 125 000 $ à l'associée de White, Jennifer Fried, pour les actions de cette dernière dans cette même compagnie.

[6]        Suivant l'accord entre actionnaires et l'accord de licence, EBF bénéficiait d'une licence exclusive l'autorisant à fabriquer et vendre le produit breveté « Electrobraid Fence » en échange d'une redevance totalisant 2 pour cent (2 %) des recettes brutes.

[7]        Les désaccords entre les parties les ont conduites à des poursuites judiciaires devant la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse. L'une de ces poursuites est toujours en instance. De plus, les désaccords ont mené à une rupture des relations entre White, le titulaire du brevet, et Bryson, porte-parole et directeur d'EBF et d'Electrobraid Fence, les deux entreprises qui fabriquaient et vendaient le produit « Electrobraid Fence » .

[8]        Le demandeur prétend que l'accord de licence est résilié parce que les défenderesses EBF et Electrobraid Fence n'ont pas payé les redevances, n'ont pas respecté l'accord de licence relativement au délai de paiement de ces dernières et ont mal interprété la signification des [TRADUCTION] « recettes brutes » , base sur laquelle le calcul des redevances est effectué.


[9]        Depuis la date de la signature de l'accord entre actionnaires, le 4 septembre 1997, les défendeurs, EBF, Electrobraid Fence et Bryson, ont payé au demandeur 225 000 $ et lui ont remis un chèque de redevances totalisant 37 500 $, que White n'a pas encaissé de crainte que cela ne cause préjudice à ses droits. De plus, lesdits défendeurs ont payé 125 000 $ à Jennifer Fried. Ces différents paiements incluaient des avances sur les redevances, 250 000 $ pour les actions de White et Fried, et des paiements de redevances effectués après la délivrance des lettres patentes, laquelle a eu lieu le 27 mars 2001.

[10]      Les ventes de l'Electrobraid Fence en 1999 et en 2000 ont été de 2,5 millions et 4,2 millions de dollars respectivement. Si ces ventes représentent les « recettes brutes » , les redevances y afférentes seraient de 134 000 $.

[11]      La défenderesse Novatec fabriquait la clôture électrique brevetée avec le consentement écrit du demandeur White et des défendeurs EBF et Bryson,. Cette fabrication s'est poursuivie avec l'accord des parties pendant environ trois (3) ans, jusqu'au 28 mars 2001, date à laquelle les avocats du demandeur ont exigé que Novatec cesse la fabrication de l' « Electrobraid Fence » . Novatec affirme qu'elle a cessé immédiatement la fabrication des clôtures. À ce moment, la défenderesse EBF devait 232 986 $ à Novatec. Novatec indique qu'elle n'a rien fabriqué pour EBF pendant le mois d'avril 2001 et pendant la première partie du mois de mai 2001. Ensuite, Novatec s'est entendue avec EBF pour lui fournir des cordes, mais n'a pas recommencé à fabriquer l' « Electrobraid Fence » . EBF a payé 232 986 $ à Novatec, soit le montant qui était dû lorsque Novatec a cessé la production des clôtures en mars 2001.


[12]      Le demandeur White affirme que Novatec continue toujours de fabriquer la clôture électrique brevetée. Peu d'éléments de preuve appuient cette allégation, et elle est contraire à la preuve soumise par le témoin de Novatec, lequel a été contre-interrogé au sujet de son affidavit.

Analyse juridique

[13]      Depuis la décision de la Cour suprême dans RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, de nombreuses décisions de la Cour fédérale ont évalué le bien-fondé des demandes d'injonction interlocutoire en se basant sur l'analyse en trois étapes établie par les juges Sopinka et Cory dans cet arrêt, à la page 334 :

L'arrêt Metropolitan Stores établit une analyse en trois étapes que les tribunaux doivent appliquer quand ils examinent une demande de suspension d'instance ou d'injonction interlocutoire. Premièrement, une étude préliminaire du fond du litige doit établir qu'il y a une question sérieuse à juger. Deuxièmement, il faut déterminer si le requérant subirait un préjudice irréparable si sa demande était rejetée. Enfin, il faut déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse le redressement en attendant une décision sur le fond. Il peut être utile d'examiner chaque aspect du critère et de l'appliquer ensuite aux faits en l'espèce

Par conséquent, il est approprié d'appliquer le critère de l'arrêt RJR au cas présent.

(1)        Question sérieuse à juger

Il faut en premier lieu déterminer si le demandeur a un litige sérieux à soumettre au tribunal. Dans le cas présent, je suis d'avis que le demandeur a démontré l'existence d'un litige sérieux l'opposant aux défendeurs.

(2)        Préjudice irréparable


Il faut ensuite déterminer si des dommages-intérêts pourraient constituer une réparation suffisante pour le demandeur. L'injonction interlocutoire est un recours en equity discrétionnaire qui ne sera pas accordé si le demandeur ne démontre pas qu'il subira un préjudice irréparable. Le terme « irréparable » a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu'à son étendue. C'est un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue pécuniaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié par des dommages et intérêts. Il est constant qu'une injonction interlocutoire ne peut être accordée que dans les cas où la preuve démontre clairement un préjudice irréparable. La jurisprudence établit que le demandeur, en l'espèce, doit démontrer, par une preuve claire ne tenant pas de la conjecture qu'il « subirait » un préjudice irréparable du fait de la continuation de la fabrication et de la vente par les défendeurs du produit breveté « Electrobraid Fence » ; Centre Ice Ltd. c. Ligue nationale de hockey (1994), 166 N.R. 44 (C.A.F.).

(a)         Perte d'achalandage

Le demandeur allègue qu'il subissait une perte d'achalandage. Les tribunaux ont examiné une multitude d'affaires où la perte d'achalandage ne constituait pas automatiquement un préjudice irréparable. De plus, une perte d'achalandage doit être établie par « des éléments de preuve clairs » , après quoi on détermine si cette perte est quantifiable pécuniairement. On doit avoir fait la preuve des deux éléments du préjudice irréparable invoqué concernant la perte d'achalandage. Dans le cas présent, le demandeur n'a pas présenté de preuve claire de ces deux éléments relativement à sa perte d'achalandage.


Selon le juge Heald dans Centre Ice Ltd. c. Ligue nationale de hockey (précité), à la page 47 :

Cette façon d'envisager la question va à l'encontre de la jurisprudence de notre Cour suivant laquelle la confusion ne donne pas, en soi, lieu à une perte d'achalandage et qu'une perte d'achalandage n'établit pas, en soi, que quelqu'un a subi un préjudice irréparable pour lequel il ne peut être indemnisé par des dommages-intérêts. La perte d'achalandage et le préjudice irréparable qui en découle ne peuvent être inférés; ils doivent être établis par des « éléments de preuve clairs » . Or, il manque de toute évidence de tels « éléments de preuve clairs » dans le présent dossier.[¼] Si elle est établie au terme d'une instruction complète de l'affaire, la perte d'achalandage, de réputation et de caractère distinctif peut fort bien constituer un préjudice irréparable et conduire au prononcé d'une injonction permanente. Cependant, ainsi qu'il ressort de la jurisprudence de notre Cour, faute d'éléments de preuve établissant clairement qu'un préjudice irréparable résulterait à cette étape-ci de la confusion créée, la Cour ne devrait pas prononcer d'injonction interlocutoire.

(b)         Situation financière précaire

Le demandeur allègue qu'il est dans une situation financière si précaire qu'il serait forcé de déclarer faillite si une injonction n'était pas accordée. Il n'y a pas d'éléments de preuve clairs démontrant que le demandeur serait acculé à la faillite. La preuve établit plutôt que le demandeur a reçu 225 000 $ de certains défendeurs au cours de la dernière année ainsi qu'un chèque de 37 500 $, qu'il n'a pas encaissé de crainte que cela ne cause préjudice à ses droits. De toute façon, une situation financière précaire peut être redressée par l'octroi de dommages-intérêts. De plus, il n'y a pas d'éléments de preuve clairs démontrant qu'une injonction permettrait à White d'obtenir des ressources financières, étant donné que la fabrication et la vente de l' « Electrobraid Fence » se sont révélées être une entreprise coûteuse et risquée.

(c)         Perte de part du marché


Le demandeur allègue qu'il a subi une perte de part du marché à cause des défendeurs. Selon l'accord de licence, les défendeurs possèdent le droit exclusif de fabriquer et vendre le produit « Electrobraid Fence » . Le demandeur allègue qu'il a tenté d'attirer d'autres entreprises pour fabriquer et vendre le produit « Electrobraid Fence » , mais il n'y a pas, en l'espèce, d'éléments de preuve clairs le démontrant. Quoi qu'il en soit, une perte de part du marché peut être compensée par l'octroi de dommages-intérêts.

(d)       Incapacité des défendeurs de payer des dommages-intérêts

Le demandeur allègue que les défendeurs ne seront pas en mesure de payer des dommages-intérêts ou de verser les redevances dues. La preuve démontre clairement que, depuis les deux dernières années, les défendeurs ont payé des sommes considérables à White ainsi qu'à d'autres créanciers. Par conséquent, il n'y a pas d'éléments de preuve clairs démontrant que les défendeurs ne seront pas en mesure de payer les dommages-intérêts si l'action du demandeur est accueillie.

(e)             Fonctionnement sécuritaire


Le demandeur allègue que la défenderesse EBF n'a pas bien conseillé les clients en ce qui a trait au fonctionnement sécuritaire du produit « Electrobraid Fence » , portant ainsi atteinte à l'achalandage afférent à la clôture électrique brevetée. Toutefois, la preuve et les allégations indiquent qu'il est seulement possible, et non probable, qu'une perte d'achalandage permanente résulte de l'information incorrecte des consommateurs au sujet du fonctionnement sécuritaire du produit « Electrobraid Fence » . En l'espèce, il n'y a pas d'éléments de preuve clairs démontrant une telle situation et, de toute façon, il n'a pas été prouvé qu'une perte d'achalandage ne pourrait pas être compensée par des dommages-intérêts.

(f)         Conclusion concernant le préjudice irréparable

Rien ne prouve que le défendeur subirait un préjudice irréparable, c'est-à-dire, un préjudice ne pouvant être compensé par des dommages-intérêts, si les défendeurs continuent de fabriquer et de vendre la clôture électrique. Les défendeurs admettent qu'ils doivent des redevances au demandeur concernant les ventes de cette dernière, et ils en ont versé une partie. Il est nécessaire que la preuve permette de conclure que le requérant subirait un préjudice irréparable. En l'espèce, la preuve du préjudice irréparable est loin d'être claire.

(3) La prépondérance des inconvénients

La dernière question de l'analyse en trois étapes établie par la Cour suprême dans RJR-MacDonald (précité) concerne l'appréciation de la prépondérance des inconvénients. À la page 406, la Cour suprême affirme ceci :

« Compte tenu des exigences minimales relativement peu élevées du premier critère et des difficultés d'application du critère du préjudice irréparable¼, c'est à ce stade que seront décidées de nombreuses procédures interlocutoires. »

     


Dans le cas présent, il n'est pas nécessaire d'examiner la prépondérance des inconvénients étant donné que l'on n'a pas établi de préjudice irréparable. Incidemment, j'estime qu'une injonction aurait pour effet de changer le statu quo, de mettre fin au litige et de faire fermer l'entreprise des défendeurs et de les rendre insolvables, causant ainsi la mise à pied des employés. D'un autre côté, si l'injonction est refusée, le demandeur continuera d'avoir droit aux redevances, qui deviendront exigibles si cette cour, ou la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, rend jugement en sa faveur au procès. Ainsi, la prépondérance des inconvénients favorise les défendeurs, ce qui serait un motif de refus de l'injonction interlocutoire.

Conclusion

[14]      Étant donné qu'il n'y a pas d'éléments de preuve clairs établissant un préjudice irréparable ou démontrant que la prépondérance des inconvénients favorise l'imposition d'une injonction interlocutoire, cette partie de la requête est rejetée. Le demandeur n'a pas démontré qu'en l'absence d'injonction interlocutoire ses droits deviendraient caducs ou subiraient une atteinte avant la date de l'instruction. Le demandeur a une question sérieuse à faire trancher, et l'imposition, à ce stade, d'une injonction interlocutoire mettrait fin au litige. Il n'est pas opportun que la Cour décide de questions de fait complexes dans le cadre de la présente demande d'injonction interlocutoire. Pour ces motifs, la demande d'injonction interlocutoire est rejetée avec dépens à suivre.

Procès accéléré


Le demandeur cherche également à obtenir une ordonnance visant à accélérer le déroulement de l'instance et à fixer un échéancier au sujet des étapes préparatoires à l'instruction. À l'audition de cette requête, les parties ont consenti à ce que les interrogatoires préalables et les autres mesures préparatoires soient terminées d'ici le 15 décembre 2001. Ainsi, la Cour ordonnera, sur consentement des parties, que la procédure préparatoire soit terminée d'ici le 15 décembre 2001. À ce moment, les parties pourront produire une demande de conférence préparatoire conformément à la règle 258 des Règles de la Cour fédérale (1998). L'instance sera gérée à titre d'instance à gestion spéciale conformément à la règle 384 des Règles de la Cour fédérale (1998).

     « Michael A. Kelen »

JUGE   

Ottawa (Ontario)Le 19 octobre 2001

Traduction certifiée conforme

                                                      

Ghislaine Poitras, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N ° DU GREFFE : T-836-01

INTITULÉ DE LA CAUSE : ERIC WHITE

c.

E.B.F. MANUFACTURING LIMITED, ELECTROBRAID FENCE LIMITED, E. DAVID BRYSON, et

NOVATEC BRAIDS LIMITED

LIEU DE L'AUDIENCE : Halifax (N.-É.)

DATE DE L'AUDIENCE : 26 septembre 2001

MOTIFS DU JUGEMENT PAR : Le juge Kelen

DATE DES MOTIFS : 19 octobre 2001

ONT COMPARU :

M. Colin D. Piercey POUR LE DEMANDEUR

M. Michael J. Wood, c.r. POUR LES DÉFENDEURS

E.B.F. Manufacturing Limited,

Electrobraid Fence Limited et E. David Bryson

M. S. Clifford Hood, c.r. POUR LE DÉFENDEUR

Novatec Braids Limited

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart McKelvey Stirling Scales POUR LE DEMANDEUR

Halifax (N.-É.)

Burchell Green Hayman Parish POUR LES DÉFENDEURS

Halifax (N.-É.) E.B.F. Manufacturing Limited,


Electrobraid Fence Limited et E. David Bryson

Hood & Associate POUR LE DÉFENDEUR

Yarmouth, (N.-É.) Novatec Braids Limited

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