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                                                                                                                                   Date: 20001211

                                                                                                                              Dossier: T-1234-98

ENTRE :

ANGELA NEVEAU, CHEF DE LA PREMIÈRE NATION BATCHEWANA

DES OJIBWAYS, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DE TOUS LES

AUTRES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION BATCHEWANA

DES OJIBWAYS, À L'EXCEPTION DE JOHN M. CORBIERE

ET D'ALICE CORBIERE

demandeurs

et

JOHN M. CORBIERE, GARY CORBIERE, DARLENE CORBIERE,

JOSEPH CORBIERE ET LE MINISTRE DES AFFAIRES

INDIENNES ET DU NORD CANADA

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]         Le 28 novembre 1984, le chef de la bande indienne Batchewana, telle qu'elle était alors connue, a obtenu un jugement au nom de la bande contre le défendeur John M. Corbiere (M. Corbiere). Le jugement s'élevait à 3 795,24 $, plus les intérêts et les dépens. La présente demande vise au paiement du montant accordé par ce jugement. Sans vouloir trop simplifier les choses, disons que les demandeurs cherchent fondamentalement à faire annuler une opération par laquelle M. Corbiere s'est départi d'un droit foncier ou à obtenir un jugement déclaratoire portant que l'opération est assujettie au droit que possède la bande.


[2]         J'ai conclu que cette cour n'a pas compétence pour accorder la réparation demandée. Voici les motifs pour lesquels la demande est rejetée.

LES FAITS

[3]         Les faits pertinents sont simples; ils ne sont pas contestés et ils peuvent être résumés comme suit.

[4]         Pendant la période pertinente, M. Corbiere possédait deux parcelles de terrains vacants situées dans la réserve Batchewana (les terres en question) dont la description légale est ci-après énoncée :

[TRADUCTION]

•                       L'ensemble du lotissement 2, parcelle B, emplacement Rankin, réserve indienne no 15D, en Ontario, figurant sur le plan d'arpentage LS 2544, Registre d'arpentage des terres du Canada, Ottawa;

•                       L'ensemble du lot 29, bloc J, emplacement Rankin, réserve indienne no 15D, figurant sur le plan F3615, Registre d'arpentage des terres du Canada, Ottawa.

[5]         Le droit de possession que M. Corbiere avait sur les terres en question était attesté par un certificat de possession et par un avis respectivement délivrés en vertu de l'article 20 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, dans sa forme modifiée, (la Loi sur les Indiens) et de la disposition que cet article remplaçait.


[6]         Les demandeurs dans l'action originale ont été désignés comme étant Garnet Boyer, chef de la bande indienne Batchewana, en son propre nom et au nom de tous les autres membres de la bande indienne Batchewana, à l'exception de John M. Corbiere et d'Alice Corbiere, qui étaient défendeurs dans cette action. Alice Corbiere était alors la conjointe de John M. Corbiere. Après que le jugement eut été obtenu contre M. et Mme Corbiere devant la Cour de district de l'Ontario le 24 septembre 1987, les demandeurs dans cette action-là ont obtenu un bref enjoignant au shérif de saisir et de vendre les biens immeubles et les biens meubles de M. Corbiere. Le bref a par la suite été renouvelé.

[7]         M. Corbiere a déclaré faillite le 21 août 1989. Le jugement obtenu par la bande était mentionné dans le bilan de M. Corbiere, comme l'était le foyer conjugal situé dans la réserve Batchewana. Les terres en question n'étaient pas expressément mentionnées, mais la bande, qu'un litige se rapportant aux terres en question avait opposé à M. Corbiere, était au courant du droit que M. Corbiere avait sur ces terres. La personne qui agissait alors comme avocat de la bande avait également échangé des lettres avec le syndic de la faillite de M. Corbiere au sujet du droit que possédait la bande d'exercer des recours à l'égard des terres en question.

[8]         Le 22 février 1990, M. Corbiere a obtenu une mainlevée absolue à l'égard de la faillite. La bande ne s'est pas opposée à la mainlevée.

[9]         Dans l'affidavit qu'il a établi à l'appui de cette demande, présentée par l'administrateur de la bande des demandeurs, il est déclaré que le solde dû par M. Corbiere par suite du jugement, avec les intérêts et les dépens, moins une somme de 459,41 $ que le syndic de la faillite a reçue, s'élevait à 26 899,80 $ au 31 mars 1998.


[10]       Le 10 juillet 1997, Affaires indiennes et du Nord Canada a reçu un acte de transfert de terres et une demande visant à ce que tous les biens et les droits que M. Corbiere avait sur les terres en question soient transférés aux trois enfants de celui-ci, en leur qualité de tenants communs. Ces trois enfants sont tous désignés à titre de défendeurs dans la présente instance.

[11]       Le 17 juillet 1997, l'administrateur de la bande des demandeurs a informé par téléphone les représentants du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le MAINC) que la bande demandait conseil à un avocat au sujet de la reprise des terres en question en paiement d'une dette.

[12]       Le MAINC et les personnes concernées ont ensuite communiqué entre eux.

[13]       Le bref de saisie et de vente renouvelé a été enregistré contre les terres en question au bureau d'enregistrement des terres indiennes, à l'administration centrale du MAINC, le 26 novembre 1997.


[14]       Il est possible de résumer les principales communications entre les personnes concernées et le MAINC au cours de cette période en disant que le MAINC a informé la bande qu'il faudrait obtenir une ordonnance judiciaire pour que les terres en question puissent être transférées à la bande. L'avocat de la bande avait initialement fait savoir qu'il demanderait à la Cour de l'Ontario de donner des directives au sujet du pouvoir que possédait le shérif de saisir les terres. Il a par la suite fait savoir qu'il demanderait à cette cour-ci de donner des directives. Du mois de décembre 1997 au mois de février 1998, le MAINC a communiqué avec l'avocat des demandeurs au sujet des intentions de la bande et des procédures judiciaires envisagées.

[15]       Le 25 février 1998, l'avocat du MAINC a écrit à l'avocat des demandeurs pour l'informer que le MAINC s'abstiendrait d'approuver la demande de transfert de M. Corbiere pendant au moins un mois, mais que le MAINC tenait à assurer à M. Corbiere qu'à l'expiration de cette période, sa demande serait réexaminée.

[16]       Les procédures judiciaires n'ont pas été engagées aux mois de février ou de mars 1998.

[17]       Le 27 mars 1998, le MAINC a avisé M. Corbiere et l'avocat des demandeurs que les transferts avaient été approuvés conformément à l'article 24 de la Loi sur les Indiens.

[18]       Des certificats de possession en date du 17 avril 1998 ont été délivrés aux enfants de M. Corbiere à l'égard des terres en question.

[19]       La présente instance a été engagée le 16 juin 1998.


La réparation sollicitée dans la présente demande

[20]       Dans l'avis de demande, on sollicite la réparation de fond ci-après énoncée :

[TRADUCTION]

1)                   un jugement déclaratoire portant que les terres désignées comme étant l'ensemble du lot 29, bloc J, figurant sur le plan d'arpentage F3615, Registre d'arpentage des terres du Canada, Ottawa, emplacement Rankin, réserve indienne no 15D et parcelle B-1, plan RSO 336, réserve indienne Rankin 15D, sont confisquées en faveur de la première nation Batchewana des Ojibways;

2)                   une ordonnance de la nature d'un mandamus enjoignant au ministre des Affaires indiennes et du Nord Canada de délivrer des certificats de possession à l'égard de l'ensemble du lot 29, bloc J, figurant sur le plan d'arpentage G3615, Registre d'arpentage des terres du Canada, Ottawa, emplacement Rankin, réserve indienne no 15D, et parcelle B-1, plan RSO 336, réserve indienne Rankin 15D, en faveur de la première nation Batchewana des Ojibways (ci-après les terres en question);

3)                   un jugement déclaratoire portant que le transfert par le défendeur John M. Corbiere aux défendeurs Gary Corbiere, Darlene Corbiere et Joseph Corbiere est assujetti et subordonné au droit des demandeurs sur les terres en question et à la demande y afférente;

4)                   une ordonnance empêchant le transfert des certificats de possession à l'égard des terres en question autrement que conformément à une ordonnance de cette cour.

[21]       Lors de l'audition de cette affaire, l'avocat des demandeurs a déclaré sans équivoque que la présente demande n'est pas une demande de contrôle judiciaire. Cette observation est compatible avec le fait que l'avis de demande n'est pas conforme à la règle 301c) des Règles de la Cour fédérale (1998). La règle 301c) porte sur le contenu des demandes de contrôle judiciaire.


[22]       La présente demande vise fondamentalement à remettre en question le litige opposant la première nation demanderesse et M. Corbiere au sujet de l'obligation continue qui existe par suite du jugement que les membres de la bande ont obtenu en 1984. Ainsi, dans le mémoire des faits et du droit des demandeurs, les questions soulevées par la présente demande sont énoncées comme suit :

[TRADUCTION]

1)                   Le défendeur John M. Corbiere doit-il encore de l'argent à la bande par suite des jugements susmentionnés et, dans l'affirmative, quel est le montant dû?

2)                   La cession des biens du failli John Corbiere et la mainlevée subséquente ont-elles eu pour effet d'éteindre le jugement ou de libérer John Corbiere?

3)                   Quel est l'effet de l'alinéa 178(1)e) de la Loi sur la faillite, L.R.C. (1985), ch. B-3?

4)                   Quelles sont les conséquences découlant du fait que le défendeur John M. Corbiere n'a pas divulgué au syndic de la faillite et n'a pas déclaré dans son bilan le droit qu'il avait sur les deux terres en question au moment où il a déclaré faillite?

5)                   Quel rapport existe-t-il entre l'article 29 et le paragraphe 89(1) de la Loi sur les Indiens?

6)                   Que doit faire un Indien ou une bande, en vertu de l'article 89 de la Loi sur les Indiens, en vue de procéder à une opposition, à une saisie ou à une exécution contre un Indien qui possède des biens immeubles dans une réserve?

7)                   Quel est l'effet du transfert d'un certificat de possession entre Indiens sans contrepartie ou moyennant une contrepartie inadéquate lorsque le bénéficiaire du transfert a connaissance de l'existence d'un droit antérieur sur le bien immeuble?

LA QUESTION PRÉLIMINAIRE DE LA COMPÉTENCE

[23]       La compétence que possède cette cour lui est conférée par la loi; il ne s'agit pas d'une compétence intrinsèque. Il s'agit donc avant tout de savoir si la Cour a compétence pour trancher les questions soulevées et pour accorder la réparation sollicitée par les demandeurs.

ANALYSE


[24]       Les demandeurs affirment que cette cour a compétence dans la présente instance conformément à l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, dans sa forme modifiée; ils invoquent plus précisément l'alinéa 17(2)a) et le paragraphe 17(4). L'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale prévoit essentiellement ce qui suit :

17. (1) Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, la Section de première instance a compétence concurrente, en première instance, dans les cas de demande de réparation contre la Couronne.

17. (1) Except as otherwise provided in this Act or any other Act of Parliament, the Trial Division has concurrent original jurisdiction in all cases where relief is claimed against the Crown.

(2) La Section de première instance a notamment compétence concurrente en première instance, sauf disposition contraire, dans les cas de demande motivés par :

(2) Without restricting the generality of subsection (1), the Trial Division has concurrent original jurisdiction, except as otherwise provided, in all cases in which

a) la possession par la Couronne de terres, biens ou sommes d'argent appartenant à autrui;

(a) the land, goods or money of any person is in the possession of the Crown;

...

...

(4) La Section de première instance a compétence concurrente, en première instance, dans les procédures visant à régler les différends mettant en cause la Couronne à propos d'une obligation réelle ou éventuelle pouvant faire l'objet de demandes contradictoires.

(4) The Trial Division has concurrent original jurisdiction to hear and determine proceedings to determine disputes where the Crown is or may be under an obligation, in respect of which there are or may be conflicting claims.

[25]       L'argument des demandeurs pose un problème; en effet, les paragraphes 17(1) et 17(2) confèrent une compétence à la Cour fédérale à l'égard des actions intentées contre la Couronne. Or, la présente instance n'est pas une action, et elle n'est pas engagée contre Sa Majesté la Reine du chef du Canada. Le paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale définit la « Couronne » comme s'entendant de Sa Majesté du chef du Canada.


[26]       Dans la mesure où l'on se fonde expressément sur l'alinéa 17(2)a) de la Loi sur la Cour fédérale, les terres en question ne sont pas en la possession de la Couronne comme elles doivent l'être pour que la disposition en cause s'applique (voir : Powless c. Sandy (1995), 95 F.T.R. 57 (C.F. 1re inst.)).

[27]       En ce qui concerne le paragraphe 17(4) de la Loi sur la Cour fédérale, cette instance n'est pas de la nature d'une action d'interplaiderie, comme le sont généralement les instances visées par le paragraphe 17(4). Toutefois, l'arrêt Roberts c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 322 fait autorité en ce qui concerne le principe selon lequel une situation factuelle peut être visée par le paragraphe 17(4), même si l'affaire n'est pas de la nature d'une instance d'interplaiderie.

[28]       Dans l'affaire Roberts, précitée, deux bandes revendiquaient chacune le droit d'utiliser et d'occuper une réserve particulière. Il a été jugé que la Couronne avait une obligation directe découlant de la nature du titre aborigène et de l'obligation qui lui incombait à l'égard des terres détenues pour les Indiens, selon laquelle la Couronne était obligée de détenir ces terres pour l'usage et le profit de l'une des bandes. Les demandes contradictoires se rapportaient donc à l'obligation de la Couronne, de sorte que l'instance était visée par ce qui est maintenant le paragraphe 17(4).


[29]       En l'espèce, je conclus que les demandes contradictoires ne se rapportent pas à l'obligation directe de la Couronne, mais qu'elles se rapportent plutôt à l'étendue, le cas échéant, du droit que possèdent les demandeurs de faire exécuter un jugement contre les défendeurs. La Couronne n'est pas partie à l'instance. Conformément à l'article 21 de la Loi sur les Indiens, le MAINC est obligé de tenir un registre des terres de réserve où sont inscrits les détails concernant les certificats de possession, mais les demandeurs n'ont pas réussi à me convaincre que cette obligation est telle que la présente demande est visée par le paragraphe 17(4) de la Loi sur la Cour fédérale et partant qu'elle relève de la compétence de cette cour.

[30]       De même, en vertu de l'article 20 de la Loi sur les Indiens, le ministre est tenu d'approuver l'octroi par le conseil d'une bande de la possession d'une terre à un Indien, mais je ne suis pas convaincue que cela donne naissance à une obligation directe de la part de Sa Majesté au sens du paragraphe 17(4) de la Loi sur la Cour fédérale. Comme il en sera ci-dessous fait mention, il s'agit plutôt d'une décision de nature administrative prise par un office fédéral.

[31]       J'examinerai maintenant expressément chaque moyen de fond invoqué par les demandeurs. Les titres figurant ci-dessous se rapportent aux moyens invoqués par les demandeurs, tels qu'ils sont énumérés au paragraphe [20] ci-dessus.

1)       Jugement déclaratoire portant que les terres en question sont confisquées en faveur des demandeurs

3)       Jugement déclaratoire portant que le transfert des terres en question aux enfants de M. Corbiere est assujetti aux demandes des demandeurs


[32]       Dans l'arrêt ITO Int. Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752, la Cour suprême a réitéré les trois conditions fondamentales qui doivent exister pour qu'il soit possible de conclure que la Cour fédérale a compétence :

1.                   une attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral;

2.                   l'existence d'un ensemble de règles de droit fédérales essentiel à la solution du litige et qui constitue le fondement de l'attribution légale de compétence; et

3.                   « une loi du Canada » au sens de l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, sur laquelle est fondée l'affaire.

[33]       À part l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale, dont il a été ci-dessus été question, les demandeurs n'ont mentionné aucune loi du Parlement fédéral attribuant à cette cour la compétence voulue pour trancher les questions qu'ils soulèvent et ils n'ont pas non plus désigné un ensemble existant de règles de droit fédérales qui constitue le fondement de l'attribution de compétence.


[34]       Le droit de procéder à une exécution à l'encontre des terres de réserve semble être régi par l'article 29 de la Loi sur les Indiens, mais pour que le mécanisme d'exécution soit examiné, les demandeurs doivent au préalable établir que M. Corbiere doit de l'argent par suite d'un jugement valide, ce qui nous oblige par ailleurs à déterminer si le jugement que les demandeurs ont obtenu est visé par l'alinéa 178(1)e) de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3, dans sa forme modifiée, (la Loi sur la faillite et l'insolvabilité). Il s'agit d'une loi fédérale, mais conformément au paragraphe 183(1) de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, la juridiction de première instance, auxiliaire et subordonnée en matière de faillite et en d'autres procédures autorisées par la Loi est conférée aux tribunaux provinciaux. Normalement, le créancier qui a obtenu jugement avant la faillite du débiteur peut, après la libération du failli, demander aux tribunaux civils de rendre un jugement déclaratoire portant que la demande est visée par l'alinéa 178(1)e) de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.

[35]       En l'espèce, les demandeurs cherchent à faire exécuter un bref de saisie et de vente délivré par les tribunaux de l'Ontario. Or, en Ontario, lorsqu'une question se pose à l'égard des mesures que doit prendre le shérif qui exécute un bref d'exécution, une requête visant à l'obtention de directives peut être présentée en vertu de la règle 60.17 des Règles de procédure civile de l'Ontario.

[36]       Dans l'arrêt Mintuck v. Valley River Band No 63A, [1977] 2 W.W.R. 309 (C.A. Man.), la Cour d'appel du Manitoba a statué qu'une action intentée par un membre d'une bande qui avait allégué qu'il avait illicitement été porté atteinte aux droits qui lui étaient reconnus par suite de la location d'une terre située dans une réserve avait à juste titre été intentée devant le tribunal de la province et ne relevait pas de la compétence exclusive de la Cour fédérale.


[37]       À mon avis, les dispositions législatives susmentionnées et l'arrêt Mintuck montrent clairement que le litige portant sur le droit que les demandeurs possèdent sur les terres en question relevait à juste titre de la compétence des tribunaux de l'Ontario. La compétence que possède cette cour de statuer sur les droits respectifs des demandeurs et des défendeurs individuels n'a pas été établie.

2)       Une ordonnance de la nature d'un mandamus enjoignant au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien de délivrer aux demandeurs un certificat de possession à l'égard des terres en question

[38]       Au début de l'audience, l'avocat des demandeurs a fait savoir que ses clients s'étaient désistés de la demande visant à l'obtention d'un mandamus et qu'ils sollicitaient plutôt conformément au paragraphe 22(1) de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985) ch. C-50, dans sa forme modifiée, un jugement déclaratoire portant que les demandeurs avaient le droit de recevoir pareils certificats.

[39]       Je suis convaincue qu'en délivrant un certificat de possession en vertu du paragraphe 20(2) de la Loi sur les Indiens, le ministre défendeur prend une décision administrative ou exerce un pouvoir discrétionnaire, de sorte que lorsqu'il prend cette décision administrative, le ministre agit à titre d'office fédéral au sens de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. Voir : Fee c. Bradshaw, [1982] 1 R.C.S. 609.


[40]       L'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale prévoit clairement qu'en pareil cas, une réparation de la nature d'un jugement déclaratoire visant le ministre défendeur peut uniquement être sollicitée au moyen d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de la Loi sur la Cour fédérale. Or, comme les demandeurs l'ont concédé, la présente instance n'est pas une demande de contrôle judiciaire, et la demande n'a pas non plus été présentée dans le délai prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale.

[41]       La Cour n'a donc pas compétence en l'espèce pour accorder un jugement déclaratoire contre le ministre.

d)    Ordonnance empêchant le transfert des certificats de possession

[42]       Comme il en a ci-dessus été fait mention, les certificats de possession ont été transférés aux enfants de M. Corbiere. Les demandeurs ont donc concédé que cette question n'a plus qu'un intérêt théorique.

CONCLUSION

[43]       Pour ces motifs, j'ai conclu que la Cour n'a pas compétence pour accorder les réparations de fond sollicitées par les demandeurs.


[44]       Il faut examiner deux autres questions, à savoir un appel de l'ordonnance par laquelle le protonotaire adjoint Giles a rejeté la requête que Darlene Corbiere avait présentée en vue d'obtenir une ordonnance radiant le nom de sa mère, Alice Corbiere, de l'intitulé de la cause, et la question des dépens.

L'appel de l'ordonnance du protonotaire adjoint

[45]       Au mois de novembre 1999, la défenderesse Darlene Corbiere a présenté une requête, conformément à la règle 369 des Règles de la Cour fédérale (1998), en vue d'obtenir une ordonnance modifiant l'intitulé de la cause de façon à radier le nom de sa mère, Alice Corbiere, pour le motif que même si la règle 67(3) exige que l'intitulé de la cause désigne chaque demandeur et chaque défendeur, sa mère n'était ni demanderesse ni défenderesse et n'était plus membre de la première nation demanderesse. Il était également allégué que l'on causait de l'embarras à Alice Corbiere personnellement en la désignant ainsi à titre de partie.

[46]       Le protonotaire adjoint Giles a rejeté la requête, en disant ce qui suit :

[5]            L'action vise à un redressement pour tous ceux qui étaient membres de la bande lorsque la première action a été introduite, sauf pour le couple [Alice et John M. Corbiere]. Il est possible que, si l'épouse n'était plus exclue, elle serait, en tant que membre de la bande au moment où l'action originale a été introduite, fondée à recevoir une part des sommes recouvrées, en sa qualité de membre à ce moment-là, bien qu'elle ne soit pas membre aujourd'hui. Je ne modifierai donc pas l'intitulé de la cause pour exclure le nom de l'épouse de la désignation des demandeurs.


[47]       Darlene Corbiere interjette appel contre cette décision en affirmant que le protonotaire adjoint a commis une erreur en désignant l'instance comme étant une action, qu'il a commis une erreur en disant qu'Alice Corbiere était membre de la bande « au moment où l'action originale a été introduite » , qu'il a commis une erreur en concluant que si elle n'était pas exclue, Alice Corbiere serait « fondée à recevoir une part des sommes recouvrées » et qu'il a commis une erreur en disant que l' « action vise à un redressement pour tous ceux qui étaient membres de la bande lorsque la première action a été introduite, sauf pour le couple » .

[48]       La norme de contrôle qui s'applique à un appel d'une décision rendue par le protonotaire est bien établie. À moins de soulever une question essentielle au règlement de la question finale, les ordonnances discrétionnaires des protonotaires ne devraient être modifiées en appel que si elles sont fondées sur un mauvais principe ou sur une appréciation erronée des faits. Or, à mon avis, le protonotaire n'a pas commis d'erreur de principe et n'a pas interprété les faits d'une façon erronée.

[49]       Alice Corbiere n'est pas partie à la présente instance, mais la règle 114(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) prévoit qu'un recours collectif peut être exercé par l'une ou plusieurs personnes au nom de toutes les personnes qui ont un intérêt commun dans l'instance ou de certaines d'entre elles. À mon avis, il n'est donc pas erroné en principe de nommer dans l'intitulé de la cause des personnes qui ne sont pas parties à une instance de façon à désigner d'une façon appropriée la catégorie de personnes qui sont représentées.


[50]       Quant aux erreurs qui ont été alléguées, la première n'est tout simplement pas importante; en effet, il s'agit tout au plus d'une erreur d'écriture. À mon avis, la deuxième n'est pas une erreur, mais constitue plutôt une mention exacte du fait qu'Alice Corbiere était membre de la bande lorsque la demande originale a été présentée. Quant aux autres erreurs qui ont été alléguées, le protonotaire a uniquement dit qu'il était possible que si Alice Corbiere n'était plus exclue, elle avait droit, en sa qualité de membre de la bande au moment où l'action originale a été introduite, à une partie du montant recouvré. Aux fins de la requête dont le protonotaire adjoint était saisi, je ne puis conclure qu'il s'agit d'une erreur de principe susceptible de vicier la décision.

[51]       Par conséquent, l'appel de l'ordonnance rendue par le protonotaire adjoint est rejeté, Darlene Corbiere devant verser aux demandeurs un montant de 500 $ au titre des dépens, et ce, quelle que soit l'issue de la cause.

LES DÉPENS

[52]       J'ai conclu que la demande devrait être rejetée et que les demandeurs devraient payer les dépens. Le facteur qui, selon moi, a une importance primordiale en ce qui concerne la question des dépens se rapporte à la mesure dans laquelle les défendeurs ont inutilement séparé leurs défenses.


[53]       À l'audition de la présente affaire, M. Corbiere était représenté par son fils, Gary Corbiere, qui est avocat. Gary Corbiere a également agi en son nom personnel. Le mémoire des faits et des points d'argumentation qui a été déposé pour le compte de ces deux défendeurs portait sur la question de savoir si les terres de réserve sont en droit assujetties aux saisies effectuées sous le régime d'un acte judiciaire, mais il était également fait mention du mémoire des faits et du droit de la codéfenderesse Darlene Corbiere, sur lequel on se fondait. Dans le cadre de l'argumentation orale, des questions autres que celle de la compétence ont été examinées en détail.

[54]       Darlene Corbiere a comparu par l'entremise d'une avocate à l'audience. Le mémoire des faits et du droit qui a été déposé pour son compte soulevait carrément la question de la compétence de la Cour. L'argumentation orale de l'avocate était principalement axée sur la question de la compétence.

[55]       Joseph Corbiere a également comparu par l'entremise d'un avocat à l'audience. Le dossier a été déposé pour son compte à l'audience, sur autorisation. Il ne renfermait pas d'affidavit de documents et il était bref. Les questions de droit soulevées étaient limitées à l'effet des articles 178 et 180 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Dans le cadre de l'argumentation orale, l'avocat a en bonne partie adopté les arguments des avocats des autres défendeurs individuels.

[56]       Le ministre défendeur n'a pas déposé de dossier en réponse, mais il a comparu par l'entremise d'un avocat à l'audience. Dans le cadre de son argumentation orale, l'avocat du ministre n'a pas sollicité les dépens.

[57]       Compte tenu de ces faits, j'ai conclu que les demandeurs devraient payer les dépens comme suit :


1)       Les défendeurs John M. Corbiere et Gary Corbiere ont droit à un mémoire de frais pour la présente instance, lequel sera taxé selon la colonne II du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998);

2)       La défenderesse Darlene Corbiere a droit à ses dépens, qui seront taxés selon la colonne III du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998);

3)       Le défendeur Joseph Corbiere a droit à ses dépens pour avoir comparu devant moi et pour la préparation de cette audience, lesquels seront taxés selon la colonne II du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998).

ORDONNANCE

[58]       IL EST PAR LES PRÉSENTES ORDONNÉ ET STATUÉ CE QUI SUIT :

1.          L'appel que la défenderesse Darlene Corbiere a interjeté contre l'ordonnance du protonotaire adjoint Giles est rejetée.

2.             La demande est rejetée.

3.          La défenderesse Darlene Corbiere versera aux demandeurs les dépens de l'appel de l'ordonnance du protonotaire adjoint, lesquels sont fixés à 500 $, et ce, quelle que soit l'issue de la cause.


4.             Les demandeurs verseront aux défendeurs les dépens de la présente demande comme suit :

a)          Les défendeurs John M. Corbiere et Gary Corbiere ont droit à un mémoire de frais dans la présente instance, lequel sera taxé selon la colonne II du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998);

2)       La défenderesse Darlene Corbiere a droit à ses dépens, qui seront taxés selon la colonne III du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998);

3)       Le défendeur Joseph Corbiere a droit à ses dépens, pour avoir comparu devant moi et pour la préparation de cette audience, lesquels seront taxés selon la colonne II du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998).

« Eleanor R. Dawson »

_________________________________

Juge

Ottawa (Ontario),

le 11 décembre 2000.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                 T-1234-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :                Angela Neveau et autres c. John M. Corbiere et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 4 octobre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE du juge Dawson en date du 11 décembre 2000

ONT COMPARU :

David G. Stone                                                  POUR LES DEMANDEURS

Terence Robinson                                              pour Joseph M. Corbiere, défendeur

Kimberly Murray                                               pour Darlene Corbiere, défenderesse

Gary Penner                                                      pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord Canada, défendeur

Gary Corbiere                                                   pour John M. Corbiere, défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet d'avocats de David G. Stone    POUR LES DEMANDEURS

Sault Ste. Marie (Ontario)

Cabinet d'avocats de Terence Robinson            pour Joseph M. Corbiere, défendeur

Sarnia (Ontario)

Aboriginal Legal Services                                  pour Darlene Corbiere, défenderesse

Toronto (Ontario)


Morris Rosenberg                                             pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord

Sous-procureur général du Canada                    Canada, défendeur

Ottawa (Ontario)

Cabinet d'avocats de Gary Corbiere                  pour John M. Corbiere, défendeur

Georgina Island (Ontario)

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