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                                                                                                                                  Date : 20010703

                                                                                                                               Dossier : T-983-00

                                                                                                       Référence neutre : 2001 CFPI 730

Entre :

                                                        MARCEL TOUSIGNANT

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                          - et -

                                   LE MINISTRE DES ANCIENS COMBATTANTS

                                                                                                                                          Défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire par laquelle le demandeur sollicite l'annulation d'une décision du Tribunal des anciens combattants (le « Tribunal » ) en date du 12 avril 2000. Celui-ci, dans le cadre d'un réexamen aux termes du paragraphe 32(1) de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. (1995), ch. 18 (la « Loi » ), a confirmé la décision du comité d'appel en date du 25 novembre 1997, refusant au demandeur une pension d'invalidité pour hernie hiatale en vertu de la Loi sur les pensions, L.R.C. (1985), ch. P-6.


[2]         C'est en vertu de l'effet combiné des règles 2 (définition du terme « avocat » ) et 119 des Règles de la Cour fédérale (1998), et aussi de l'article 45 du Règlement sur la formation professionnelle des avocats de l'École du Barreau du Québec, qu'il a été permis à la stagiaire madame Sirois-Vaillancourt de plaider pour le défendeur devant la Cour, sous la supervision de l'avocate Nadine Perron.

[3]         Le demandeur, âgé de 80 ans, a servi dans les Forces régulières de l'armée canadienne du 4 avril 1940 au 7 octobre 1944, comptant ainsi plus de quatre ans de service au sein des forces armées.

[4]         Suite au débarquement de Dieppe le 19 août 1942, lors de la Seconde Guerre mondiale, le demandeur aurait commencé à éprouver des problèmes gastriques. L'appelant a obtenu sa libération le 7 octobre 1944, au motif qu'il ne pouvait atteindre les aptitudes physiques militaires requises. Le 28 décembre 1994, le demandeur a déposé une demande de pension pour hernie hiatale, hémorroïdes et constipation chronique qu'il allègue découler de son service dans l'armée.

[5]         Dans une décision datée du 16 juin 1997, le Tribunal, section de la révision, a refusé au demandeur une pension d'invalidité en raison d'une hernie hiatale, mais lui a reconnu le droit à une pension d'invalidité partielle pour constipation chronique.

[6]         Cette décision fut confirmée en appel par la section d'appel du Tribunal le 25 novembre 1997. La section d'appel a conclu que la hernie hiatale dont souffrait le demandeur n'était pas reliée à son service durant la Seconde Guerre mondiale et a souligné que bien que le demandeur se soit plaint de troubles de nervosité et de douleurs à la poitrine depuis le débarquement de Dieppe, l'examen médical effectué pour sa libération des forces armées s'était avéré normal.


[7]         Le demandeur a alors présenté une demande devant le comité d'examen le 30 novembre 1999 pour réexamen de la décision conformément aux articles 18 à 24 de la Loi. La décision a de nouveau été confirmée par le Tribunal le 12 avril 2000, lequel a déterminé que les nouvelles preuves médicales soumises étaient de nature spéculative et non supportées par la preuve au dossier.

[8]         Le Tribunal a finalement conclu que la hernie hiatale est « [n]i imputable au service au cours de la Seconde Guerre mondiale ni survenue pendant celui-ci. » C'est cette décision qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[9]         Il importe de reproduire ici les dispositions statutaires pertinentes suivantes :

Loi sur les pensions, L.R.C. (1985), ch. P-6 :


21. (1) In respect of military service rendered during World War I or World War II and subject to the exception contained in subsection (2),

(a) where a member of the forces suffers disability resulting from an injury or disease or an aggravation thereof that was attributable to or was incurred during such military service, a pension shall, on application, be awarded to or in respect of the member in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I;

[. . .]

(d) an applicant shall not be denied a pension in respect of disability resulting from injury or disease or aggravation thereof incurred during military service or in respect of the death of a member of the forces resulting from that injury or disease or the aggravation thereof solely on the grounds that no substantial disability or disabling condition is considered to have existed at the time of discharge of that member;

21. (1) En ce qui concerne le service militaire accompli pendant la Première Guerre mondiale ou pendant la Seconde Guerre mondiale, et sous réserve du paragraphe (2) :

a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l'annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d'invalidité causée par une blessure ou maladie – ou son aggravation – survenue au cours du service militaire ou attribuable à celui-ci;

[. . .]

d) un requérant ne peut être privé d'une pension à l'égard d'une invalidité qui résulte d'une blessure ou maladie ou de son aggravation contractée au cours du service militaire, ou à l'égard du décès d'un membre des forces causé par cette blessure ou maladie ou son aggravation, uniquement du fait que nulle invalidité importante ou affection entraînant une importante incapacité n'est réputée avoir existé au moment de la libération de ce membre des forces;


Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. (1995), ch. 18 :



3. The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s'interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l'égard de ceux qui ont si bien servi leurs pays et des personnes à leur charge.

39. Le Tribunal applique, à l'égard du demandeur ou de l'appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l'occurrence;

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.




[10]       Le demandeur reproche essentiellement au Tribunal son application des dispositions statutaires ci-dessus eu égard à la preuve non contestée devant lui. Après révision du dossier, toutefois, je ne considère pas les conclusions de fait et de droit du Tribunal manifestement déraisonnables, lesquelles m'apparaissent au contraire tout à fait raisonnables.

[11]       C'est, dans l'affaire MacDonald c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 346 (QL), au paragraphe 21, que le juge Cullen a souligné la norme de contrôle applicable en l'espèce, soit celle du manifestement déraisonnable :

Lorsque la Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, elle ne peut pas substituer sa propre décision à la décision de l'office ou du tribunal qui est à l'étude. Comme le cadre législatif confère une compétence exclusive au Tribunal des anciens combattants (révision et appel) et comme la clause privative rend ses décisions définitives et exécutoires, la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable : . . .

[12]       En l'espèce, après avoir clairement indiqué être conscient de son obligation, en vertu de l'article 3 ci-dessus reproduit, d'interpréter de façon large toute la législation, et, en vertu de l'article 39 ci-dessus reproduit, de trancher en faveur du requérant toute incertitude quant au bien-fondé de la demande, le Tribunal a exprimé ce qui suit :


Pendant son étude approfondie de toute la documentation relative à cette demande, le Tribunal s'est tenu compte de la référence de Me Pinel à la douleur de M. Tousignant à la poitrine, en 1944, ainsi que des problèmes continues (sic) jusqu'à l'année 1946.

Le Tribunal note qu'on a enregistré, pour la première fois suite au licenciement de M. Tousignant, lors de son séjours (sic) à l'hôpital Hôtel-Dieu de Montréal, du 29 octobre au 12 novembre 1973. Me Pinel soumet que ce rapport médical du 12 novembre 1973 : "... vient encore confirmer que les symptômes étaient présents vingt ans avant la découverte du diagnostic en 1993...". Il réfère, en plus, aux opinions médicales du Dr Arakelian, en date du 16 octobre 1995, et surtout celle du 3 avril 1998, lorsque le docteur notait : "Sur le plan affectif ... peu symptomatique".

Le Tribunal a pris note de l'avis médical d'un conseiller médical, daté du 9 juillet 1996, où il est démontré que l'affection d'hernie hiatale était diagnostiquée en 1993 et que les symptômes desquels M. Tousignant souffrait pendant le service étaient plutôt reliés à son état d'anxiété.

Puisque "brûlements épigastriques" fut consigné en 1973 (Annexe-9), il est tout probable que des symptômes de l'affection réclamée existaient avant que l'affection d'hernie hiatale fut diagnostiquée en 1993. Mais ce n'est qu'en 1993 qu'un diagnostic précis fut consigné au dossier.

Le tribunal note, en plus, qu'il n'y a aucune donnée radiologique pendant le service, ni même de problèmes notés au commencement de la période du licenciement de M. Tousignant en 1944. Aussi à noter et l'opinion médicale d'un conseiller médical qui relie les plaintes de M. Tousignant pendant son service à son état d'anxiété.

Le Tribunal doit donc conclure que les rapports du Dr Jean Arakelian sont de nature spéculative et non supportés par la preuve au dossier. Par conséquent, la décision antérieure d'un comité d'appel en date du 25 novembre 1997 est donc confirmée.

[13]       Le Tribunal a ensuite conclu, tel qu'indiqué précédemment, que la hernie hiatale du demandeur était « [n]i imputable au service au cours de la Seconde Guerre mondiale ni survenue pendant celui-ci. »


[14]       Ainsi, il appert que le Tribunal a jugé qu'une partie des éléments de preuve devant lui démontrait que les symptômes quant à l'état de santé du demandeur, pendant son service au cours de la Seconde Guerre mondiale, étaient reliés à son état d'anxiété et que l'autre partie des éléments de preuve était de nature spéculative. La décision du Tribunal ne fait état d'aucune incertitude. Rien ne permet de conclure que le Tribunal a refusé ou ignoré quelque élément de preuve non contredit qui aurait pu lui sembler vraisemblable en l'occurrence. Dans les circonstances, toute disposition légale pertinente étant interprétée de façon large, je ne vois pas comment le Tribunal aurait pu tirer de la preuve des conclusions plus favorables au demandeur. Comme l'a si bien dit mon collègue le juge Muldoon, dans Hunt c. Canada (ministre des Anciens combattants), [1998] A.C.F. no 377 (QL), au paragraphe 9 de sa décision du 20 mars 1998 :

Bien que l'article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) impose au Tribunal d'accepter tout élément de preuve non contredit, encore faut-il que cette preuve soit crédible. Le requérant est tenu au critère applicable en matière civile et doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'il a effectivement contracté la maladie dont il souffre aujourd'hui alors qu'il servait sous les drapeaux. Son avantage réside dans le fait que la preuve sera interprétée de la manière qui lui est la plus favorable. Ce critère de preuve applicable en matière civile doit être interprété conjointement avec l'article 21 de la Loi sur les pensions, L.R.C. (1985), ch. P-6, ouvrant droit à pension. . . .

[15]       Étant donc d'opinion que la preuve devant le Tribunal, considérée à la lumière des principes édictés aux dispositions statutaires ci-dessus reproduites, pouvait lui permettre de raisonnablement conclure que l'invalidité du demandeur n'était pas causée par une hernie hiatale « survenue au cours du service militaire ou attribuable à celui-ci » , je dois, à regrets, rejeter la demande de contrôle judiciaire.

                                                               

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 3 juillet 2001

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