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Date : 20000404


Dossier : T-2368-98


OTTAWA (Ontario), le 4 avril 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU


ENTRE :

JOHN BOYKO et JEAN BOYKO

demandeurs

ET :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

AU NOM DU MINISTRE DE L"AGRICULTURE

défendeur


ORDONNANCE


[1]      La demande est rejetée.


" P. ROULEAU "

Juge

Traduction certifiée conforme


Martin Desmeules, LL.B.




Date : 20000404


Dossier : T-2368-98


ENTRE :

JOHN BOYKO et JEAN BOYKO

demandeurs

ET :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

AU NOM DU MINISTRE DE L"AGRICULTURE

défendeur



MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire d"une décision du Sous-comité des appels du Comité national du Compte de stabilisation du revenu net (CSRN), rendue le 5 novembre 1998, selon laquelle les Lignes directrices concernant les points de vente ont été correctement appliquées par l"Administration du CSRN.

[2]      Les faits donnant lieu à la présente demande sont les suivants. En 1991, les gouvernements provinciaux et fédéral ont participé à un accord en vertu de la Loi sur la protection du revenu agricole, L.C. 1991, ch. 22, établissant le programme du Compte de stabilisation du revenu net (" programme CSRN "). L"objectif du programme est de stabiliser les revenus des producteurs du secteur agricole primaire par l"établissement un compte individuel pour chaque participant, qui servira d"instrument d"épargne pendant les bonnes années de façon à ce que des fonds soient disponibles pour les années plus difficiles. Les demandeurs participent au programme CSRN, auquel on ne participe que sur une base volontaire.

[3]      Le programme permet à un producteur de faire des dépôts donnant ou non droit à la contribution de contrepartie. Un producteur peut déposer jusqu"à trois pour cent (3 %) de ses ventes nettes admissibles et recevoir des contributions de contrepartie financés conjointement par le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux participants. Un producteur peut aussi faire des dépôts additionnels jusqu"à concurrence de vingt pour cent (20 %) de ses ventes nettes admissibles, bien que les gouvernements ne donnent pas de contribution de contrepartie relativement à ces dépôts. Un boni d"intérêt de trois pour cent (3 %) est payé sur tous les dépôts.

[4]      L"accord instituant le CSRN donne au Comité national du CSRN un rôle consultatif au Canada. Le Comité national du CSRN est composé de représentants du gouvernement fédéral, des gouvernements provinciaux et des producteurs. Le Sous-comité des appels du Comité national du CSRN (le " Sous-comité des appels ") a été constitué conformément à l"article 6 de l"annexe C de l"accord instituant le CSRN pour entendre les appels des participants au programme CSRN portés à l"encontre des décisions de l"Administration du CSRN et pour faire des recommandations à l"Administration.

[5]      Chaque année, on demande aux participants au programme CSRN de remplir un formulaire pour décrire de façon détaillée leurs revenus et leurs dépenses dans diverses catégories. Les formulaires doivent être remplis conformément aux instructions que l"on trouve dans les trousses de demande et les manuels du producteur qui sont expédiés aux producteurs. Ces instructions comprennent des lignes directrices appelées les " Lignes directrices concernant les points de vente " conçues pour aider les participants à calculer leurs ventes nettes pour l"application du programme CSRN. L"accord instituant le programme CSRN définit les " ventes nettes admissibles " comme étant les ventes nettes de produits énoncés à l"annexe B de l"accord. La définition de " dépenses admissibles " ne joue aucun rôle dans la détermination de la valeur des " ventes nettes ", des " ventes nettes admissibles " ou dans le montant des contributions du gouvernement faites en vertu de l"article 4.2 de l"accord instituant le CSRN.

[6]      Étant donné que les bénéfices du CSRN sont calculés à partir de la valeur des ventes nettes admissibles, il est nécessaire, à des fins administratives, de préciser le point de vente d"un produit pour déterminer sa valeur au moment de la vente et le revenu qu"en tire le producteur à ce moment. Les Lignes directrices tentent d"établir, pour le calcul des ventes nettes admissibles, la valeur du produit agricole au moment où il cesse d"être sous le contrôle du producteur. Selon les Lignes directrices, la valeur du grain au moment où il est livré au silo n"inclut pas les coûts de transport du grain au port de Vancouver ou de Thunder Bay.

[7]      En 1995, après l"abrogation de la Loi sur le transport du grain de l"Ouest, L.R.C. (1985), ch. W-8, qui a subventionné les frais de transport du grain du silo au port pendant plusieurs années par l"application du " taux du Pas du Nid-de-Corbeau ", la valeur du grain au silo a baissé car les coûts de transport du grain du silo au port ont augmenté. Bien que la politique du programme CSRN soit demeurée la même, à savoir que le coût du transport du grain au port ne peut être inclus dans les ventes nettes admissibles du producteur, certains silos ont commencé à indiquer leurs coûts de transport du grain jusqu"au port sur des bons au comptant.

[8]      En remplissant leur demande de 1996 relative au programme du CSRN, les demandeurs n"ont pas inclus le coût du transport du grain au port comme faisant partie de leur revenu, mais ils ont inclus ce montant dans leur demande de 1997. Par suite d"une vérification faite par l"Administration du CSRN, on a réévalué les comptes des demandeurs en réduisant leurs ventes nettes admissibles pour l"année 1997. Les demandeurs ont été informés de cette réévaluation dans une lettre datée du 19 août 1998. Le 26 août 1998, le représentant des demandeurs, Farm Business Consultants, demandait dans une lettre adressée à l"Administration du CSRN que le Sous-comité des appels annule la décision de l"Administraion du CSRN de réduire les ventes nettes admissibles des demandeurs. Ces appels étaient identiques à environ cinq cent cinquante appels interjetés par Farm Business Consultants au nom d"autres producteurs de grain participant au programme CSRN.

[9]      Les demandeurs ont sollicité une audience devant le Sous-comité des appels, mais leur demande a été rejetée au motif que selon la procédure du Sous-comité des appels, adoptée depuis sa création, le Sous-comité n"entend pas les observations orales des appelants mais leur permet plutôt de les présenter par écrit. Des observations écrites ont subséquemment été déposées par Farm Business Consultants pour le compte des demandeurs. Le 5 novembre 1998, le Sous-comité des appels a conclu que les lignes directrices avaient été appliquées correctement par l"Administration du CSRN et a recommandé le rejet de l"appel des demandeurs.

[10]      Les demandeurs veulent maintenant obtenir l"annulation de cette décision au motif que le Sous-comité des appel a commis une erreur de fait et de droit dans son interprétation des dispositions de l"accord instituant le CSRN, qui se rapportent à la déduction des dépenses de transport et de silos-élévateurs pour déterminer le montant des ventes nettes admissibles.

[11]      Après avoir lu attentivement les observations écrites des parties et examiné les arguments qui m"ont été soumis à l"audience, je rejette la demande pour les motfs qui suivent.

[12]      La compétence législative pour établir le programme CSRN et les objectifs fondamentaux de ce programme sont énoncés dans la Loi sur la protection du revenu agricole. Les dispositions pertinentes se lisent comme suit :


4(1) The Governor in Council may, by order, authorize the Minister to enter into an agreement with one or more provinces to provide for the establishment of any of the following programs:

(a) A net income stabilization account program;

[...]

4(2)(a) the program should not unduly influence the decisions of producers of agricultural products with respect to production or marketing, and should encourage adjustments with respect to production or marketing so as to improve the effectiveness of the responses of producers to market opportunities;

(b) the level of protection to be provided by, and the relative share of governmental contributions to be provided to, the program in relation to particular agricultural products or classes of agricultural products should be equitable and reasonably consistent with all other agreements, taking into account regional diversity;

[...]

5.(1) An Agreement shall provide for the required elements of each program to be established under the agreement, including without limiting the generality of the foregoing, any elements that may be prescribed and the following required elements;

(c) the manner of determining the income of producers and the manner of determining the value of the eligible agricultural products produced by them;

(e) the circumstances in which the conditions under which a payment will be made to a producer or group of producers, the method of determining the amount of a payment, and the manner in which the payment will be made;

8.(1) An agreement that provides for the establishment of a net income stabilization account program shall, in addition to the required elements referred in subsection 5(1), provide for:

(a) the eligible net sales, eligible production costs, gross margin and maximum eligible net sales, or the methods of determining the sales, costs and margin, that enable a producer to participate in the program;

4(1) Le gouverneur en conseil peut, par décret, autoriser le ministre à conclure avec une ou plusieurs provinces un accord instituant, séparément ou conjointement, le programme et un ou plusieurs des régimes suivants :

régime universel, assurance-récolte ou assurance-revenu.

[...]

4(2)a) le maintien du libre choix des producteurs qui ne doit pas être indûment restreint par le régime ou programme, lequel vise à permettre à ceux-ci de mieux s"adapter aux contraintes du marché en ce qui touche la production et la commercialisation;



b) la nécessité de l"équité et d"une relative uniformité, compte tenu des particularités régionales, entre les divers accords dans la protection offerte, d"une part, et dans les contributions respectives des gouvernements relativement à des produits agricoles - ou catégories de produits - donnés, d"autre part;


[...]

5(1) L"accord prévoit, outre ceux qui peuvent être ajoutés par règlement, les éléments constitutifs du régime ou programme institué, et notamment :



c) le mode de détermination du revenu des producteurs et de la valeur de leurs produits agricoles admissibles;


e) les cas et conditions dans lesquels les paiements à un producteur ou à un groupe de producteurs doivent se faire, ainsi que les modalités de leur versement et le mode de détermination de leur montant;

8(1) L"accord instituant un programme fixe, outre ceux déjà mentionnés au paragraphe 5(1), les éléments suivants :



a) le mode de détermination et le niveau des coûts de production et des marges brutes à partir duquel un producteur est admissible, ainsi que, dans le cas des ventes nettes, le seuil et le plafond;


[13]      Il est reconnu depuis longtemps que les organismes administratifs établissent fréquemment un ensemble cohérent de lignes directrices qui leur sont utiles dans l"exercice de leurs pouvoirs discrétionnaires d"origine législative, comme ceux octroyés par la Loi sur la protection du revenu agricole mentionnés précédemment. Les politiques permettent aux organismes publics d"élaborer des lignes directrices pour réduire l"écart entre un pouvoir discrétionnaire général conféré par la loi et son application à une affaire donnée. Les tribunaux reconnaissent que l"exercice constant d"un pouvoir discrétionnaire administratif mène inévitablement à l"élaboration d"une politique générale sur l"exercice de ce pouvoir. Le contenu de la politique doit être conforme au pouvoir octroyé par la loi habilitante et la politique ne peut être élaborée ou appliquée de mauvaise foi, être fondée sur des considérations inappropriées ou avoir des objectifs étrangers à l"objet de la loi. La jurisprudence a établi clairement que s"il est satisfait à ces critères, les tribunaux feront preuve de prudence et de retenue en examinant des mesures administratives de ce genre. Ces principes de droit ont été exposés par la Cour suprême du Canada dans l"arrêt Maple Lodge Farms c. Le gouvernement du Canada (1982), 137 D.L.R. (3d) 558; [1982] 2 R.C.S. 2, à la page 7 :
     En interprétant des lois [...] qui mettent en place des arrangements administratifs souvent compliqués et importants, les tribunaux devraient, pour autant que les textes législatifs le permettent, donner effet à ces dispositions de manière à permettre aux organismes administratifs ainsi créés de fonctionner efficacement comme les textes le veulent [...] [et] les cours devraient, si c"est possible, éviter les interprétations strictes et formalistes et essayer de donner effet à l"intention du législateur appliquée à l"arrangement administratif en cause. C"est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s"ingérer dans l"exercice qu"un organisme désigné par la loi fait d"un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et [...] si on ne s"est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l"objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.
[14]      La Cour d"appel fédérale a suivi ce raisonnement dans l"arrêt Carpenter Fishing Pool c. Canada (1998), 155 D.L.R. (4th) 572, [1998] 2 C.F. 548, ou le juge Décary a écrit, à la page 561 :
     Dans la mesure où le ministre élabore la politique dans l"exercice des pouvoirs généraux [...] et dans la mesure où il n"applique pas cette politique aveuglément dans l"exercice de son pouvoir discrétionnaire de délivrer un permis particulier, la mesure consistant à délivrer le permis, bien que de nature administrative et par ailleurs susceptible de contrôle judiciaire, ne peut être contestée en vertu des règles générales applicables aux mesures administratives pour ce qui touche à son élément stratégique [...]. Les cours de révision saisies de la contestation d"une mesure administrative [...] devraient prendre soin de ne pas appliquer à l"élément législatif la norme de contrôle applicable aux fonctions administratives. La distinction est peut-être ténue, mais chaque fois qu"une personne conteste indirectement une politique en matière de quotas en contestant directement la délivrance d"un permis, les tribunaux devraient isoler la contestation indirecte et l"assujettir aux normes applicables au contrôle d"une mesure législative qui ont été définies dans l"arrêt Maple Lodge Farms .

[15]      Dans la présente affaire, les Lignes directrices en question sont clairement une politique étudiée qu"ont élaborée les parties à l"accord instituant le CSRN à la suite d"une consultation publique et après des années de délibérations des fonctionnaires du CSRN et des membres du Comité. Elles s"appliquent de façon générale à tous les participants volontaires au programme CSRN. Il n"y a pas de preuve en l"espèce selon laquelle il y a eu mauvaise foi ou qu"on s"est fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l"objet de la loi dans l"élaboration des lignes directrices. Bien que la présente demande soit formulée comme une contestation directe de la recommandation faite par le Sous-comité d"appel d"appliquer la politique, la vraie nature de la plainte des demandeurs porte sur la politique elle-même; en d"autres termes, ils s"élèvent contre le fait que l"expression " ventes nettes admissibles " n"inclut pas les coûts de transport du grain au port et soutiennent que les Lignes directrices constituent en quelque sorte une modification illégale de l"accord instituant le CSRN. Cependant, toute la preuve présentée à la Cour établit clairement que la signification du terme " ventes nettes admissibles " n"a jamais, depuis la création du programme jusqu"à aujourd"hui, inclus les coûts de transport du grain au port, et que l"accord instituant le CSRN n"a jamais été modifié officiellement pour refléter des changements d"une telle nature. Bref, les Lignes directrices perpétuent la même politique que celle qui a toujours existé dans le cadre du programme CSRN.
[16]      Étant donné ces circonstances, rien ne justifie la Cour d"intervenir sous forme de contrôle judiciaire.

[17]      Pour ces motifs, la demande est rejetée.
" P. ROULEAU "
Juge

OTTAWA (Ontario)
Le 4 avril 2000


Traduction certifiée conforme

Martin Desmeules, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :                  T-2368-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          John Boyko et autre c. Le procureur général du Canada au nom du ministre de l"Agriculture

LIEU DE L"AUDIENCE :              Regina (Saskatchewan)

DATE DE L"AUDIENCE :              14 janvier 2000

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU


EN DATE DU :                  4 avril 2000



ONT COMPARU :

M. Kevin C. Mellor                  POUR LES DEMANDEURS
M. Russell T. Hart                  POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Mellor and Anderson

Regina (Saskatchewan)              POUR LE DEMANDEUR
Gerrand, Rath, Johnson              POUR LE DÉFENDEUR

Regina (Saskatchewan)

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