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Date : 20050223

Dossier : T-688-02

Référence : 2005 CF 281

ENTRE :

                                             CRÉATIONS MAGIQUES (CM) INC.

                                                                                                                                   demanderesse/

                                                                                                       défenderesse reconventionnelle

                                                                             et

                                                               MADISPRO INC.

                                                                                                                                     défenderesse/

                                                                                                      demanderesse reconventionnelle

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE:

[1]                La Cour est saisie en l'espèce d'une requête de la défenderesse pour rejet de l'action de la demanderesse en vertu de la règle 167 des Règles des Cours fédérales (les règles) au motif que l'échéancier imposé par cette Cour en mars 2004 n'a pas été respecté par la demanderesse et que, partant, la poursuite de l'action de la demanderesse accuse un retard injustifié.


Contexte

[2]                Le 29 avril 2002, la demanderesse entreprenait une action contre la défenderesse pour contrefaçon du brevet 2,088,098 portant sur une invention intitulée « coussin thermothérapeutique » .

[3]                Les actes de procédure ont été clos vers le 11 juillet 2002. De cette date jusqu'au 28 mai 2003, soit sur une période de plus de dix mois, il appert que la demanderesse n'a pas posé de gestes concrets pour faire avancer son action. Suite à un avis d'examen de l'état de l'instance, la Cour permit que l'action de la demanderesse se poursuive et imposa un échéancier par ordonnance datée du 25 août 2003.

[4]                Cette ordonnance prévoyait que les parties devaient poser les gestes requis dans le cadre de la poursuite d'une demande de contrôle judiciaire. Comme ce n'était toutefois pas là l'approche à suivre, la Cour réalisa le tout et requit des parties le 21 janvier 2004 qu'elles soumettent un échéancier propre à la poursuite d'une action. Dans l'intervalle, la demanderesse aurait toutefois produit son affidavit requis en principe sous la règle 306.

[5]                Le nouvel échéancier recherché par la Cour fut soumis de consentement, et, le 19 mars 2004, la Cour émit une ordonnance contenant l'échéancier qui suit :

[...]

3)              The parties shall adhere to the following deadlines:


a)              The service and filing by the Plaintiff of its Reply to the Defendant's Amended Statement of Defence and a Statement of Defence to its Amended Counterclaim by April 9, 2004.

b)              The service by both parties of their Rule 223 Affidavit of Documents by April 30, 2004.

c)              Examinations for discoveries of both parties to be completed by June 30, 2004.

d)              Replies to all undertakings and questions taken under advisement arising out of the examinations for discovery of the parties to be furnished by August 16, 2004.

e)              All motions for the adjudication of objections arising out of the examinations for discovery of the parties to be served and filed by September 15, 2004.

f)              Any further examinations for discovery to be completed by October 15, 2004.

4)              The whole with costs in the cause.

[6]                Quelque temps après la fin de cet échéancier, soit le 6 décembre 2004, la Cour tenait que ledit échéancier avait été respecté et elle émit alors une ordonnance réclamant des parties un échéancier pour les autres étapes à venir. Cette ordonnance se lit :

Vu que l'on doit tenir que l'échéancier contenu à l'ordonnance datée du 19 mars 2004 est maintenant complété, les procureurs de chaque partie devront dans les vingt (20) jours de la date de la présente ordonnance soumettre à la Cour - de façon conjointe dans la très grande mesure du possible - un échéancier qui visera les mesures à entreprendre subséquemment dans l'instance. Tout échéancier proposé par les parties devra se limiter aux seules mesures essentielles restant toujours à entreprendre.


[7]                Dans une lettre datée du 23 décembre 2004 adressée à la Cour, dont copie fut envoyée au procureur de la demanderesse, le procureur de la défenderesse dénonça vigoureusement le nouvel échéancier soumis par la demanderesse en soulignant que l'échéancier prévu à l'ordonnance du 19 mars 2004 n'avait pas été respecté par la demanderesse.

[8]                Conséquemment, il demandait à la Cour de rejeter l'action de la demanderesse.

[9]                Par ordonnance datée du 10 janvier 2005, la Cour reconnut qu'elle ne pouvait certes entériner l'échéancier soumis par la demanderesse et invita toutefois la défenderesse à procéder par requête si elle désirait rechercher le rejet de l'action de la demanderesse. Cette ordonnance du 10 janvier 2005 se lit :

Face au contenu de la lettre datée du 23 décembre 2004 de la défenderesse et demanderesse reconventionnelle (la défenderesse), la Cour ne peut certes acquiescer aux étapes que la demanderesse et défenderesse reconventionnelle (la demanderesse) cherche à mettre en place via le projet d'ordonnance que cette dernière a soumis le 23 décembre 2004.

La Cour ne peut non plus sur simple lettre considérer le remède recherché par la défenderesse dans le cadre de sa lettre datée du 23 décembre 2004. Si la défenderesse désire obtenir le rejet de l'action de la demanderesse, elle devra procéder par requête en bonne et due forme sous la règle 167 des Règles des Cours fédérales.

Une telle requête de la défenderesse, si cette dernière décide d'aller de l'avant, devra être signifiée et déposée dans les trente (30) jours de la présente ordonnance.

[10]            D'où la présente requête de la défenderesse où, par l'affidavit produit à son appui, la défenderesse nous informe que, hormis l'étape prévue au point 3a) de l'ordonnance du 19 mars 2004, la demanderesse n'a posé aucun autre geste utile. De façon significative, la demanderesse n'a pas au 30 avril 2004 signifié son affidavit de documents de la règle 223 bien que la défenderesse ait, elle, respecté cette échéance.


[11]            De fait, en date de l'audition de la requête à l'étude, la demanderesse n'avait toujours pas signifié son affidavit de documents.

[12]            Dans son affidavit en réponse à la requête à l'étude, la demanderesse soutient essentiellement que la confection de cet affidavit représente pour elle une tâche importante et que de décembre 2003 à l'été de 2004, elle a dû se concentrer à faire face à divers démêlés judiciaires en sus de la poursuite de la présente action.

Analyse

[13]            La défenderesse base clairement sa requête sur le fait que les termes de l'ordonnance de cette Cour datée du 19 mars 2004 n'ont pas été respectés (soit la non-production par la demanderesse de son affidavit de documents) et que ce non-respect entraîne un retard injustifié.

[14]            On peut donc soutenir valablement que la requête de la défenderesse s'inspire à la fois de la règle 167 ainsi que des règles 382(1)a) et 385, voire de la décision de cette Cour dans l'arrêt Ferrostaal Metals Ltd. v. Evdomon Corp. (2000), 181 F.T.R. 265 (confirmée en première instance par une décision du 21 juin 2000 et en Cour d'appel fédérale par une décision du 11 octobre 2001, référence 2001 FAC 297).

[15]            Dans ce dernier arrêt, il fut établi les principes suivants à l'égard d'un échéancier non respecté :

[14]      La cour pouvait s'attendre à ce que cet échéancier soit respecté puisqu'il intervenait dans un dossier déjà en contravention des règles (le dossier avait dû recevoir un avis d'examen de l'état de l'instance) et pour lequel la cour permettait la poursuite. Tout échéancier imposé par la cour se devait certes alors d'être pris au sérieux. Ceci est d'autant plus vrai pour tout demandeur puisqu'ultimement c'est son action qui est en jeu et c'est à lui à voir avant tout à l'avancement du dossier. Il en va de la crédibilité et du respect des ordonnances de cette cour.

(...)

[20]      À mon avis, un manquement injustifié à une ordonnance de la cour établissant un échéancier est en soi une chose sérieuse. Quand cette ordonnance vient suite à un exercice d'examen de l'instance, un manquement injustifié est encore plus sérieux et le degré de tolérance de la cour sera d'autant moindre. Après tout, la cour fait alors face à un dossier qui se trouve pour une deuxième occasion en état de délinquance. Le test à appliquer alors m'apparaît devoir être encore plus simple que celui que l'on peut tirer des arrêts France-Canada Éditions et Publications Inc. et al c. 2845-3728 Québec Inc., [1999] F.T.R. Uned. 149 (Div. 1re inst.), et Baroud v. Canada, [1998] F.C.J. No 1729; 160 F.T.R. 91 (Div. 1re inst.). À mon sens, une saine administration de la justice justifie que la constatation d'un manquement injustifié est alors suffisante en soi pour qu'un demandeur voie son action rejetée pour cause de retard.

[21]      Certes, une radiation d'action entraîne à coup sûr un préjudice certain pour un demandeur. Toutefois, en termes d'examen de l'état de l'instance, l'appréciation du préjudice pour une partie ne fait pas partie de l'équation à retenir (voir l'arrêt Multibond Inc. c. Duracoat Powder Manufacturing Inc., [1999] F.T.R. NO.029 (Div. 1re inst.). Ceci m'apparaît d'autant plus vrai lorsque l'on se situe, comme ici, dans une situation post-avis d'examen de l'état de l'instance. S'il y a un préjudice à prendre alors en considération c'est celui de la Cour et de ses utilisateurs qui se conforment aux règles et aux ordonnances. Tel que l'a écrit mon confrère Hargrave dans l'arrêt Trusthouse Forte California Inc. et al. v. Gateway Soap & Chemical Co. (1998), 161 F.T.R. 88 (Div. 1re inst. proto.), en page 89:

These reasons touch on the need for litigants to recognize that they must not delay proceedings unreasonably so as to tie up the court's resources needlessly. If a plaintiff should do so he or she stands to have the action dismissed. For the court to do otherwise results in stale proceedings which not only bring the court and its case management process into disrespect, but also affects and indeed may prejudice other litigants who wish to have their litigation resolved expeditiously.

(...)


[24]      Une partie qui dispose d'une ordonnance de la cour, et spécialement une partie demanderesse, ne peut laisser les diverses étapes prévues à cette ordonnance venir à expiration sans en temps opportun chercher à obtenir par requête une modification de l'ordonnance.

[Non souligné dans l'original.]

[16]            À mon sens, le retard toujours présent de la part de la demanderesse à produire son affidavit de documents constitue en l'espèce un manquement et un retard injustifiés.

[17]            La preuve au dossier dont la Court peut se saisir indique que c'est de consentement que la demanderesse acquiesçait à l'échéancier que la Cour entérinait par son ordonnance du 19 mars 2004. Si tant est que la demanderesse faisait face depuis décembre 2003 à des distractions majeures, elle se devait de ne pas acquiescer à l'échéancier de mars 2004.

[18]            La Cour doit ajouter à cet égard qu'elle n'est de toute manière pas convaincue que les difficultés vécues par la demanderesse l'empêchaient de respecter la date du 30 avril 2004 pour la production de son affidavit.


[19]            La demanderesse semble suggérer d'autre part dans son dossier de réponse que son affidavit de documents serait en bout de course assez simple et que l'affidavit qu'elle produisit sous la règle 306 en octobre 2003 pourrait servir d'affidavit de documents de la règle 223. Cela ne peut tenir. L'ordonnance du 19 mars 2004 exigeait un affidavit sous la règle 223 - ce qui est totalement différent d'un affidavit sous la règle 306. De plus, si les documents déjà colligés en octobre 2003 par la demanderesse suffisaient pour respecter les exigences de la règle 223, il eut été facile pour la demanderesse de produire à la fin avril 2004 son affidavit de documents.

[20]            Vu les motifs qui précèdent et bien que la Cour répugne à tirer une telle conclusion, elle doit dans les circonstances accueillir avec dépens la requête de la défenderesse et rejeter l'action de la demanderesse pour cause de retard injustifié. Rendu au stade présent et compte tenu du cumul passé, on ne pourrait soutenir que la Cour fasse passer ici la procédure avant le droit.

Richard Morneau

protonotaire

Montréal (Québec)

le 23 février 2005


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

INTITULÉ :


T-688-02

CRÉATIONS MAGIQUES (CM) INC.

                                                              demanderesse/

                                     défenderesse reconventionnelle

et

MADISPRO INC.

                                                               défenderesse/

                                    demanderesse reconventionnelle


LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                            14 février 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               Me Richard Morneau, protonotaire

DATE DES MOTIFS :                                   23 février 2005

ONT COMPARU :


Me Daniel M. Kochenburger

POUR LA DEMANDERESSE/

DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

Me Richard Uditsky

POUR LA DÉFENDERESSE/

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :


Me Daniel M. Kochenburger

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE/

DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE


Mendelsohn

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE/


DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

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