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Date : 20051005

Dossier : IMM-9315-04

Référence : 2005 CF 1351

Halifax (Nouvelle-Écosse), le 5 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

ENTRE :

FARHAT KHAN

ALYA KHAN

FAISAL KHAN

SAAD KHAN

NAHEED BEGUM

MARIUM FARHAT KHAN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON

[1]         M. Farhat Khan est citoyen du Pakistan; il réclame le statut de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger. Les autres demandeurs sont son épouse, Naheed Begum, et leurs jeunes enfants. Lorsqu'il a déposé devant la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), il a déclaré qu'il craignait les membres du Mouvement Mohajir Quami (le MMQ), un parti politique au Pakistan. Selon ses dires, sa crainte est due au fait que lui et son défunt beau-frère ont été les seuls témoins de l'assassinat d'un médecin chiite et de deux de ses patients par trois membres du MMQ. M. Khan et son beau-frère connaissaient les agresseurs et la police a donc recueilli leurs dépositions.

[2]         La Commission a rejeté la demande de M. Khan et de sa famille; elle a notamment conclu que M. Khan n'était pas crédible. La question déterminante dans la présente demande de contrôle judiciaire de cette décision concerne la demande faite à la Commission de recevoir en preuve un document, même si celui-ci n'avait pas été communiqué et transmis à la Commission 20 jours avant l'audience, comme le prescrit le paragraphe 29(4) des Règles de la Section de la protection des réfugiés(DORS/2002-228) (les Règles).

[3]         Ce document était l'assignation à témoigner originale délivrée par un tribunal pakistanais à M. Khan relativement à l'assassinat du médecin chiite de 1994. L'avocat de M. Khan a informé la Commission qu'il venait tout juste de recevoir ce document du Pakistan. Elle a refusé de l'accepter en preuve pour les motifs suivants (exposés verbalement) :

                        [TRADUCTION]

                                                LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :       Je crois. Je crois que le commissaire a un pouvoir discrétionnaire. Et que ce pouvoir ne peut être appliqué qu'à certains documents qui n'existaient pas - qui sont probablement dans cette période. Si ce document existait depuis 1994, il aurait dû être produit conformément aux règles. Je ne l'accepte donc pas, maître.

[4]         Dans ses motifs exposés par écrit, la Commission s'est ainsi justifiée :

En ce qui a trait au document en cause, qui remonte à 1994, le conseil faisait valoir que le demandeur ne l'avait pas produit plus tôt. Le tribunal estimait toutefois qu'il ne convenait pas d'admettre la communication de ce document au début de l'audience, car ce document existait depuis 1994, et le conseil avait eu amplement de temps pour le communiquer en conformité avec l'article 29 des Règles.

[5]         Les dispositions pertinentes sont les articles 29 et 30 des Règles, qui se lisent comme suit :

29(1) Pour utiliser un document à l'audience, la partie en transmet une copie à l'autre partie, le cas échéant, et deux copies à la Section, sauf si les présentes règles exigent un nombre différent de copies.

29(1) If a party wants to use a document at a hearing, the party must provide one copy to any other party and two copies to the Division, unless these Rules require a different number of copies.

29(2) Pour utiliser un document à l'audience, la Section en transmet une copie aux parties.

29(2) If the Division wants to use a document at a hearing, the Division must provide a copy to each party.

29(3) En même temps qu'elle transmet les copies à la Section, la partie lui transmet également une déclaration écrite indiquant à quel moment et de quelle façon elle en a transmis une copie à l'autre partie, le cas échéant.

29(3) Together with the copies provided to the Division, the party must provide a written statement of how and when a copy was provided to any other party.

29(4) Tout document transmis selon la présente règle doit être reçu par son destinataire au plus tard :

29(4) Documents provided under this rule must be received by the Division or a party, as the case may be, no later than

a) soit vingt jours avant l'audience;

(a) 20 days before the hearing; or

b) soit, dans le cas où il s'agit d'un document transmis en réponse à un document reçu de l'autre partie ou de la Section, cinq jours avant l'audience.

(b) five days before the hearing if the document is provided to respond to another document provided by a party or the Division.

30. La partie qui ne transmet pas un document selon la règle 29 ne peut utiliser celui-ci à l'audience, sauf autorisation de la Section. Pour décider si elle autorise l'utilisation du document à l'audience, la Section prend en considération tout élément pertinent. Elle examine notamment :

30. A party who does not provide a document as required by rule 29 may not use the document at the hearing unless allowed by the Division. In deciding whether to allow its use, the Division must consider any relevant factors, including

a) la pertinence et la valeur probante du document;

(a) the document's relevance and probative value;

b) toute preuve nouvelle qu'il apporte;

(b) any new evidence it brings to the hearing; and

c) si la partie aurait pu, en faisant des efforts raisonnables, le transmettre selon la règle 29. [Non souligné dans l'original.]

(c) whether the party, with reasonable effort, could have provided the document as required by rule 29.

[underlining added]

[6]         L'article 30 prévoit la sanction applicable lorsque les documents ne sont pas communiqués dans les délais. Les documents produits en retard ne peuvent être utilisés sans la permission de la Commission. Lorsqu'elle décide si elle doit accorder cette permission, la Commission est tenue de prendre en compte tous les facteurs pertinents, notamment les trois facteurs précisés à l'article 30. Cette disposition concilie la nécessité d'assurer la communication en temps utile des preuves et le bon déroulement des audiences d'une part et, d'autre part, la nécessité de respecter l'équité procédurale.

[7]         En l'espèce, ni la transcription de l'instance ni les motifs de la Commission ne montrent qu'elle a pris en compte les facteurs pertinents, notamment la pertinence et la valeur probante de l'assignation et qu'elle s'est demandé si, en faisant des efforts raisonnables, le demandeur aurait pu la transmettre plus tôt. En réalité, la Commission a considéré le simple fait que le document existait depuis 1994 comme déterminant. Pour tirer cette conclusion, la Commission a mal interprété l'article 30 et elle n'a pas exercé correctement le pouvoir discrétionnaire qu'il lui conférait.

[8]         En ce qui a trait à l'importance de cette erreur, la Commission a tiré une inférence défavorable du fait que « [l]e demandeur n'a pas présenté de documents judiciaires [...] sur l'incident [de 1994] » et elle a ensuite conclu qu'elle ne croyait pas que M. Khan ait jamais été témoin de l'incident de 1994, qui constituait un élément essentiel de sa demande. Dans les circonstances, je conclus que la Commission a fait une erreur importante en ne considérant pas comme il se devait la question de l'admissibilité de l'assignation.

[9]         J'ai examiné les observations du ministre, qui prétend que la décision de la Commission ne devrait pas être annulée vu ses autres conclusions quant à la crédibilité. Cependant, je ne suis pas disposée à me livrer à des conjectures sur l'issue qu'aurait eue la cause si la Commission n'avait pas commis une erreur susceptible de contrôle au sujet de l'élément essentiel de la demande de M. Khan.

[10]       Les avocats n'ont demandé la certification d'aucune question et je conclus que la présente demande ne soulève aucune question grave de portée générale.

ORDONNANCE

[11]       LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision rendue le 21 octobre 2004 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugiéest annulée.

2.          L'affaire est renvoyée à la Commission pour y être réexaminée par un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-9315-04

INTITULÉ :                                        FARHAT KHAN ET AL.

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 27 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                       LE 5 OCTOBRE 2005

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman                                                                         POUR LES DEMANDEURS

Anshumala Juyal                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman and Associates                                                           POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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