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Date : 20050415

Dossier : IMM-5740-03

Référence : 2005 CF 512

Ottawa (Ontario), le 15 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

ENTRE :

JI LONG LIN

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                M. Lin est citoyen chinois. Le 4 juillet 2003, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande qu'il avait présentée en vertu du paragraphe 55(1) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles), en vue d'obtenir la réouverture de sa demande d'asile.

CONTEXTE

[2]                M. Lin est arrivé à Vancouver le 20 mars 2002 et il a aussitôt manifesté son désir de demander l'asile. Il a reçu un avis de convocation au bureau de Vancouver de ce qui était alors la Section du statut de réfugié (la SSR) le 13 mai 2002 pour discuter de sa demande. On lui a également remis un Formulaire de renseignements personnels (FRP) qu'il devait remplir et remettre dans un délai de 28 jours.

[3]                Quelques jours plus tard, M. Lin s'est installé à Toronto où, le 25 mars, il a retenu les services d'un avocat. Le lendemain, l'avocat a adressé une note télécopiée à la SSR de Vancouver pour l'informer du changement d'adresse de M. Lin et pour demander que l'entrevue prévue le 13 mai ait lieu à Toronto. Il a aussi demandé que les notes prises au point d'entrée concernant M. Lin lui soient envoyées et que le délai accordé pour le dépôt du FRP soit prorogé d'un mois.

[4]                Un agent de gestion des cas de Vancouver a répondu à l'avocat et l'a informé que le changement de lieu serait examiné une fois le FRP reçu. Il lui a rappelé que le FRP devait être remis au plus tard le 25 avril 2002, mais ce délai a ultérieurement été reporté au 20 mai. La lettre accordant la prorogation de délai précisait également que, si le FRP n'était pas déposé au plus tard le 20 mai, un avis de convocation à une audience sur le désistement serait donné. Le 20 mai, M. Lin n'avait toujours pas remis son FRP parce que son avocat n'avait pas encore reçu les notes prises au point d'entrée.

[5]                Le 5 juin, l'avocat a de nouveau demandé, par télécopieur, qu'on lui envoie les notes prises au point d'entrée et il a demandé un délai supplémentaire d'un mois pour la production du FRP. Il a reçu les notes ce jour-là. Comme M. Lin n'avait pas remis son FRP le 20 mai, un avis de convocation à « une audience sur le désistement de la demande d'asile » a été délivré le 6 juin. M. Lin a remis son FRP le 18 juin.

[6]                L'audience sur le désistement a eu lieu par téléconférence le 2 juillet 2002. M. Lin y était représenté par son avocat, qui a expliqué que le retard dans le dépôt du FRP était attribuable à la réception tardive des notes prises au point d'entrée. L'avocat a affirmé que les actes de M. Lin dénotaient son intention de poursuivre sa demande d'asile, qu'il n'avait jamais eu l'intention de se désister et qu'il était prêt à poursuivre l'affaire. Lorsqu'on lui a demandé si son client avait l'intention de produire de témoigner, l'avocat de M. Lin a répondu que non. Le commissaire a estimé que les raisons invoquées n'étaient pas suffisantes et il a prononcé le désistement. Il a étayé sa décision de motifs détaillés et complets. M. Lin a demandé l'autorisation de demander le contrôle judiciaire de la décision concernant le désistement. Sa demande d'autorisation a été rejetée le 18 novembre 2002.

[7]                Le 31 janvier 2003, M. Lin a demandé à la SPR de rouvrir la demande ayant fait l'objet d'un désistement en vertu du paragraphe 55(1) des Règles. À l'appui de sa demande, il a fait valoir qu'il était prêt à poursuivre sa demande, qu'il avait remis son FRP dûment rempli, que sa demande d'asile était authentique et qu'il serait injuste de ne pas lui donner la possibilité de présenter sa demande.

DÉCISION

[8]                Le vice-président adjoint par intérim de la SPR a rejeté la demande avec la mention suivante :

[Traduction] La demande de réouverture est rejetée. Le demandeur n'a pas fourni dans sa demande de renseignements dont n'avait pas été saisi le tribunal chargé de rendre la décision initiale concernant le désistement.

DISPOSITION CONTESTÉE

[9]                L'article 55 des Règles est libellé comme suit :

Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228

55. (1) Le demandeur d'asile ou le ministre peut demander à la Section de rouvrir toute demande d'asile qui a fait l'objet d'une décision ou d'un désistement.

(2) La demande est faite selon la règle 44.

(3) Si la demande est faite par le demandeur d'asile, celui-ci y indique ses coordonnées et en transmet une copie au ministre.

(4) La Section accueille la demande sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle.

Refugee Protection Division Rules,

SOR/2002-228

55. (1) A claimant or the Minister may make an application to the Division to reopen a claim for refugee protection that has been decided or abandoned.

(2) The application must be made under rule 44.

(3) A claimant who makes an application must include the claimant's contact information in the application and provide a copy of the application to the Minister.

(4) The Division must allow the application if it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice.

MANQUEMENT À LA JUSTICE NATURELLE

[10]            L'argumentation de M. Lin comporte deux volets. Il soutient, premièrement, que le refus de la SPR de rouvrir sa demande est un manquement à la justice naturelle et à l'équité. Il est clair, selon lui, que la SPR n'a pas appliqué le paragraphe 58(3) des Règles qui l'oblige à prendre en considération les explications données par le demandeur d'asile à l'audience sur le désistement, notamment le fait que le demandeur d'asile est prêt à commencer ou à poursuivre l'affaire. Cette omission porte atteinte, selon M. Lin, au droit que lui garantit la procédure d'être entendu.

[11]            Cet argument s'appuie sur l'affirmation de M. Lin voulant que, lorsqu'une demande de réouverture est présentée, le manquement à la justice naturelle n'est pas la seule question pertinente. La demande de réouverture a plutôt la nature d'un appel, d'une demande de réexamen ou d'examen ou d'une audience de novo de la décision concernant le désistement et il incombe donc au commissaire de considérer d'un point de vue distinct les éléments énoncés au paragraphe 58(3) des Règles. Pour résumer, M. Lin prétend que le rôle de la Commission, saisie d'une demande de réouverture, consiste à déterminer si le tribunal chargé de rendre une décision sur le désistement a correctement tenu compte des éléments en question.

[12]            Le paragraphe 58(3) des Règles a trait aux audiences sur le désistement et énonce les éléments dont il faut tenir compte avant de prononcer le désistement. L'audience sur le désistement et la demande de réouverture sont des procédures distinctes. L'ancienne loi ne comportait aucune disposition précise concernant la réouverture des demandes d'asile. La jurisprudence dictait cependant qu'une demande pouvait être rouverte s'il y avait eu manquement à un principe de justice naturelle : Longia c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 288 (C.A.F.). À défaut d'un manquement à la justice naturelle, une demande de réouverture ne pouvait pas être accueillie : Kononov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1121 (1re inst.); Serrahina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2003 CFPI 477.

[13]            Lorsque la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2002, ch. 27 (LIPR), a été promulguée, l'article 55 a été ajouté aux Règles. M. Lin prétend que, si le législateur avait eu l'intention de limiter la réouverture des demandes d'asile aux cas de manquement à la justice naturelle, il l'aurait dit. Il oblige plutôt la SPR à rouvrir une demande s'il y a eu manquement à la justice naturelle. Il ne dit pas qu'une demande ne peut pas être rouverte pour d'autres motifs.

[14]            Cette question a été analysée par le juge Mosley dans Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1153. Le juge Mosley a dit être d'avis que « [à] première vue, le libellé de la règle 55 des Règles de la SPR ne semble pas limiter les motifs permettant d'examiner les demandes de réouverture et le seul facteur qui appelle une décision positive est l'établissement par le demandeur de la violation de la justice naturelle » . Il a toutefois conclu que l'article 55 des Règles avait pour but de codifier la jurisprudence antérieure à la LIPR et que l'interprétation correcte est que « ... la demande de réouverture ne peut être accueillie que s'il est établi qu'il y a eu manquement à un principe de justice naturelle » . Je suis d'accord avec ce point de vue et je l'ai déjà dit dans Krishnamoorthy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 237. Plusieurs de mes collègues ont tranché dans le même sens : Shahid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1607, la juge Simpson, Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 279, le juge von Finckenstein, et Wackowski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2004 CF 280, la juge MacTavish.

[15]            En ce qui concerne l'examen des éléments énoncés au paragraphe 58(3) des Règles, M. Lin a raison de dire que le commissaire de la SPR qui procède à une audience sur le désistement est tenu de les prendre en considération. Cependant, si un demandeur d'asile estime que l'on n'a pas tenu correctement compte de ces éléments, c'est un contrôle judiciaire qu'il doit demander. M. Lin a eu recours à cette procédure mais n'a pas obtenu gain de cause. Il ne peut pas maintenant demander à la SPR de rouvrir sa demande pour les motifs énoncés du paragraphe 58(3) des Règles après que le tribunal a rejeté sa demande d'autorisation.

[16]            L'approche suggérée par M. Lin représente, à mon avis, une contestation indirecte de la décision sur le désistement et de la décision du tribunal rejetant la demande d'autorisation s'y rattachant. Par ailleurs, l'examen de la décision sur le désistement et de son fondement est, en vertu de l'ordonnance rejetant la demande d'autorisation, chose jugée. Si M. Lin a raison de dire qu'une demande peut être rouverte pour d'autres motifs qu'un manquement à la justice naturelle (et je ne me prononce pas sur ce point parce que je n'ai pas à le faire compte tenu des faits dont je suis saisie), je crois qu'elle ne pourrait l'être que s'il produisait de nouveaux éléments de preuve au sens où cette expression est employée et interprétée en droit.

[17]            Il convient également de tenir compte du régime établi par la LIPR et ses règlements d'application. La décision concernant le désistement est, bien évidemment, très importante pour M. Lin, mais celui-ci n'est pas sans recours. Il peut, et c'est probablement ce qu'il fera, tirer parti de l'article 112 et bénéficier d'un examen des risques avant renvoi (ERAR).

SUFFISANCE DES MOTIFS

[18]            Le deuxième volet de l'argumentation de M. Lin a trait à la suffisance des motifs. Les observations écrites abordent dans une certaine mesure la question de savoir s'il est obligatoire de fournir des motifs, mais cela n'a pas d'importance parce que les parties conviennent que la mention citée plus haut dans les présents motifs constitue les motifs de la décision du commissaire.

[19]            M. Lin affirme que ces motifs sont insuffisants parce qu'ils ne permettent pas de déterminer si la SPR a tenu compte des [traduction] « éléments qu'il faut prendre en considération quant au désistement » . Comme j'ai analysé les éléments en question dans mon examen du premier argument de M. Lin, il s'ensuit que ces motifs ne peuvent pas être jugés insuffisants pour la raison invoquée.

[20]            J'ai examiné le dossier ainsi que les motifs fondamentaux invoqués dans la demande de réouverture. Il n'y a aucune allégation de manquement à la justice naturelle. Les motifs énumérés sont plutôt une répétition des observations faites devant le commissaire par M. Lin à l'audience sur le désistement. Dans les circonstances, la SPR n'avait pas grand-chose à dire sur la demande de réouverture. Les motifs répondent aux observations de M. Lin et ils sont suffisants.

CERTIFICATION

[21]            M. Lin a proposé la question suivante pour certification :

[Traduction] Saisie d'une demande de réouverture d'une demande d'asile en vertu de l'article 55 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, la SPR doit-elle se limiter à examiner s'il y a eu manquement à la justice naturelle?

[22]            M. Lin fait valoir que la Cour d'appel fédérale n'a pas eu l'occasion de statuer sur cette question. Le défendeur s'oppose à la certification pour le motif qu'il n'y a pas de débat judiciaire concernant l'article 55 des Règles. Selon le ministre, il est établi en droit que, à défaut d'un manquement à la justice naturelle, une demande d'asile ne peut pas être rouverte. Le seul débat à la Cour fédérale porte sur la question de savoir si une décision de rouvrir une demande est de nature interlocutoire ou finale. M. Lin n'a invoqué aucun texte faisant autorité pour prouver que la loi n'est pas claire en ce qui a trait aux motifs de réouverture d'une demande.

[23]            M. Lin a tout à fait raison de dire qu'aucune décision n'a encore été rendue en appel relativement à l'article 55 des Règles, qui est une nouvelle disposition. Il se peut que la Cour d'appel fédérale doive, à un certain moment, donner des instructions à cet égard. Toutefois, compte tenu des faits dont j'ai été saisie, cela n'est pas le cas en l'espèce. Je refuse donc de certifier la question.   

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE le rejet de la demande de contrôle judiciaire.

                                                                                   « Carolyn Layden-Stevenson »           

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-5740-03

INTITULÉ :                                                                JI LONG LIN c.

                                                                                    MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 14 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 15 AVRIL 2005

COMPARUTIONS :

Yehuda Levinson                                                           POUR LE DEMANDEUR

Angela Marinos                                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

                                                                                   

Levinson & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)                                                          POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                POUR LE DÉFENDEUR

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