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Date : 20050617

Dossier : IMM-2509-04

Référence : 2005 CF 840

Ottawa (Ontario), le vendredi 17 juin 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

ENTRE :

                                                             DURSUN ALI METE

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON


[1]                M. Mete, un citoyen turc, demande l'asile et le statut de réfugié au sens de la Convention en se fondant sur le fait qu'il est chrétien baptiste. Il a témoigné devant la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SPR) qu'il craint que, advenant son retour en Turquie, il sera persécuté parce qu'il s'est converti de l'islam au christianisme. En outre, la mission de M. Mete en sa qualité de baptiste consiste notamment à faire du prosélytisme, ou à convertir les autres et à propager la parole de Dieu. M. Mete craint, s'il s'acquitte de cette mission en Turquie, d'être persécuté par les extrémistes ou les intégristes musulmans et de ne pas être protégé par la police.

[2]                Les motifs de la SPR laissent implicitement entendre qu'elle a conclu que le témoignage de M. Mete était crédible. Toutefois, la SPR a rejeté la demande parce qu'elle a conclu que le préjudice que M. Mete redoute ne constitue pas de la persécution et n'est pas grave.

[3]                M. Mete sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. Il soutient que la SPR a commis une erreur en omettant de tenir compte de la nature cumulative du harcèlement et des attaques auxquels il faisait face, et il affirme que l'effet cumulatif de cette conduite donne lieu à une crainte fondée de persécution.

[4]                Les trois principes juridiques ci-après énoncés ne sont pas controversés. Premièrement, dans l'arrêt Rajudeen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1984), 55 N.R. 129, la Cour d'appel fédérale a défini la persécution comme suit : harceler ou tourmenter sans relâche par des traitements cruels ou vexatoires; tourmenter sans répit; tourmenter ou punir en raison d'opinions particulières ou de la pratique d'une croyance ou d'un culte particulier; succession de mesures prises systématiquement, pour punir ceux qui professent une religion particulière; période pendant laquelle ces mesures sont appliquées; préjudice ou ennuis constants quelle qu'en soit l'origine.


[5]                Deuxièmement, dans les cas où la preuve établit une série d'actions qui sont considérées comme de la discrimination plutôt que de la persécution, il faut tenir compte de la nature cumulative de cette conduite. Cette exigence reflète le fait que des incidents antérieurs peuvent servir de fondement à la crainte actuelle. Voir : Retnem c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 132 N.R. 53 (C.A.F.). Ce principe est également exprimé comme suit, au paragraphe 53 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le Guide sur le statut de réfugié) :

En outre, un demandeur du statut de réfugié peut avoir fait l'objet de mesures diverses qui en elles-mêmes ne sont pas des persécutions (par exemple, différentes mesures de discrimination), auxquelles viennent s'ajouter dans certains cas d'autres circonstances adverses (par exemple une atmosphère générale d'insécurité dans le pays d'origine). En pareil cas, les divers éléments de la situation, pris conjointement, peuvent provoquer chez le demandeur un état d'esprit qui permet raisonnablement de dire qu'il craint d'être persécuté pour des « motifs cumulés » .

[6]                Troisièmement, la SPR commet une erreur de droit en ne tenant pas compte de la nature cumulative de la conduite à l'endroit du demandeur. Voir : Bobrik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 85 F.T.R. 13 (1re inst.), au paragraphe 22, et les décisions faisant autorité que ma collègue, la juge Tremblay-Lamer, a examinées.

[7]                J'examinerai maintenant la question de savoir si la SPR a tenu compte comme il se doit de la nature cumulative de la conduite en question.

[8]                Comme l'a soutenu l'avocat du ministre, je reconnais que la SPR a dit qu'elle avait tenu compte de l'effet cumulatif de la conduite. Voici ce qu'elle a dit :

-            « Maintenant, je conclus que ce à quoi le demandeur s'exposerait s'il retournait en Turquie, bien que cela constituerait sans doute de la discrimination, que celle-ci n'équivaudrait pas, ni individuellement ni cumulativement, à de la persécution; »

-            « J'ai également déterminé si les actes discriminatoires, le harcèlement, peuvent cumulativement équivaloir à de la persécution, ou donner lieu à une réelle possibilité de persécution dans le futur. »

[9]                Toutefois, il ne suffit pas pour la SPR de dire simplement qu'elle a tenu compte de la nature cumulative des actes discriminatoires. Les motifs de la SPR sont les suivants :

-            pour être considérés comme de la persécution, les mauvais traitements subis ou prévus doivent être graves;

-            les incidents mentionnés par le demandeur constituent peut-être dans chaque cas de la discrimination ou du harcèlement, comme l'isolement social de la part de la famille, ou l'évitement de la part de la société, mais cela ne constitue pas de la persécution;


-            le préjudice redouté ne constitue pas de la persécution parce qu'il ne viole pas un droit fondamental et qu'il n'est pas grave, et parce que la preuve documentaire n'étaye pas objectivement cette crainte.

[10]            Cette analyse ne prenait absolument pas en considération l'effet cumulatif de la conduite que la SPR considérait comme de la discrimination ou du harcèlement, comme l'exigeait la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Retnem, et comme on l'explique dans le Guide sur le statut de réfugié. Le fait de conclure que la situation à laquelle les chrétiens font face à l'heure actuelle en Turquie ne viole pas un droit fondamental est une question distincte de celle que la SPR devait trancher, à savoir si l'effet cumulatif des actes discriminatoires constituait de la persécution. On peut mettre en question la pertinence pour la SPR de mentionner la preuve documentaire étant donné que la SPR a conclu que le témoignage de M. Mete était crédible et qu'il était fait mention, dans la preuve documentaire, du cas d'un chrétien qui distribuait le Nouveau Testament en Turquie et qui avait été battu si grièvement qu'il était par la suite entré dans le coma.

[11]            En omettant d'appliquer le bon critère juridique au sujet de ce qui constitue de la persécution pour des motifs cumulés, la SPR a commis une erreur de droit. Sa décision sera donc annulée.

[12]            Étant donné la conclusion que j'ai tirée, il n'est pas nécessaire d'examiner la façon dont la SPR considérait l'agression dont M. Mete avait été victime, à savoir que cela manifestait uniquement un « évitement de la part de la société » .

[13]            Les avocats n'ont pas proposé de question pour certification et je suis d'accord pour dire qu'aucune question de portée générale ne se pose dans ce dossier.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          que la décision que la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rendue oralement le 29 janvier 2004 et qui a été consignée par écrit le 18 février 2004 soit par les présentes annulée;

2.          que l'affaire soit renvoyée pour nouvelle décision par un tribunal différemment constitué.

                                                                                                                         _ Eleanor R. Dawson _                      

                                                                                                                                                     Juge                                     

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-2509-04

INTITULÉ :                                                                DURSUN ALI METE

c.

LE MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                       LE 18 MAI 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 17 JUIN 2005

COMPARUTIONS:

Frederick S. Wang                                                        POUR LE DEMANDEUR

Stephen Jarvis                                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Bay Street Immigration Lawyers, P.C.                           POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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