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Date : 20020208

Dossier : IMM-5548-01

Référence neutre : 2002 CFPI 147

Toronto (Ontario), le vendredi 8 février 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

                          NATALIA MAXIMENKO

                                                             demanderesse

                                    et

          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                défendeur

            MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE MODIFIÉS

LE JUGE LEMIEUX

CONTEXTE


[1]              Natalia Maximenko (la demanderesse), une citoyenne de la Fédération de Russie et de la République de Moldova, demande un sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi dans l'attente de l'examen de sa demande d'autorisation dans laquelle elle conteste la décision de l'agent de révision des revendications refusées (l'ARRR), M. Mayhew, qui lui a refusé, en octobre 2001, le droit de faire partie de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (CDNRSRC). L'ARRR était d'avis que la demanderesse ne ferait pas face à un risque objectivement identifiable de menace pour sa vie, de sanctions extrêmes ou de traitement inhumain, si elle était expulsée du Canada.

[2]                 La demanderesse a affirmé devant la Section du statut de réfugié qu'elle craignait avec raison d'être l'objet d'une persécution, en Moldova, attribuable aux mauvais traitements infligés par son ex-mari, desquels elle ne peut être protégée par l'État. Son ex-mari était un policier qui a reçu sa formation en Moldova. La Section du statut de réfugié a rejeté sa revendication le 10 octobre 2000 et l'autorisation de contester cette décision a été refusée par un juge de la Cour le 13 février 2001.

[3]                 La Section du statut de réfugié a reconnu que la demanderesse avait été maltraitée par son ex-mari, lorsqu'ils vivaient à Moscow, après leur mariage. Le tribunal l'a jugée crédible. Il a conclu toutefois qu'elle ne s'était pas acquittée de l'obligation de faire des tentatives raisonnables en vue d'obtenir la protection de l'État, en Moldova, avant de venir au Canada pour y demander la protection du droit international.


[4]                 La Section du statut de réfugié a reconnu que la preuve documentaire sur les recours des femmes maltraitées en Moldova est peu abondante. Elle a fait état du rapport US DOS de 1999 qui indique que les femmes maltraitées par leur mari ont le droit d'intenter des poursuites judiciaires. Elle a conclu que les actes posés par son ex-mari qui l'a pourchassée jusqu'en Moldova, où elle était retournée vivre après le divorce, et qui a assailli son père étaient de nature criminelle. Des accusations auraient pu être portées si ces actes avaient été signalés à la police.

[5]                 La Section du statut de réfugié a conclu que la demanderesse ne s'était pas acquittée de l'obligation de démontrer qu'elle n'aurait pas obtenu la protection de l'État si elle l'avait sollicitée.

[6]                 L'ARRR a estimé que la demanderesse pourrait être exposée à un risque si elle retournait à l'endroit où son ex-mari vit. Toutefois, il a affirmé qu'elle avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) sûr dans la Fédération de Russie ou en Moldova. Il était d'avis que son ex-mari habitait toujours en Russie, mais que les preuves péremptoires démontrant que quelqu'un chercherait à pourchasser la demanderesse ou à la cibler pour lui faire du mal si elle retournait en Moldova étaient insuffisantes.

[7]                 L'ARRR a conclu que la République de Moldova ne refuserait pas de lui offrir la protection nécessaire et l'accès à un système judiciaire indépendant.

ANALYSE


[8]                 Pour obtenir gain de cause, la demanderesse doit établir (1) qu'il existe une question sérieuse à débattre; (2) qu'elle subirait un préjudice irréparable si l'injonction interlocutoire n'est pas accordée; et (3) que la prépondérance des inconvénients joue en sa faveur, en ce sens qu'elle souffrira d'un plus grand préjudice que le défendeur.

[9]                 Je commence l'analyse en convenant avec l'avocat du défendeur que la norme de contrôle du bien-fondé d'une décision prise par un ARRR est rigoureuse; la décision doit être manifestement déraisonnable. (Voir Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1522.)

[10]         Je suis d'avis que la demanderesse a établi la preuve nécessaire à la délivrance d'une injonction interlocutoire dans l'attente de l'examen de sa demande d'autorisation. Au chapitre du premier volet du critère en trois volets, elle a démontré une question sérieuse pouvant être débattue de plusieurs façons.

[11]            Premièrement, la Section du statut de réfugié n'a pas été saisie de la question relative à la PRI et, par conséquent, elle ne l'a pas analysée dans ses motifs. L'ARRR a conclu qu'il existait une PRI dans la Fédération de Russie ou en Moldova. Une question sérieuse a été soulevée quant à savoir si l'ARRR a appliqué correctement le critère relatif à la PRI (voir Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 164 (C.A.F.)), et s'il avait le fondement probatoire pour le faire, si la protection étatique fondamentale avait été établie et si, en toute équité, la demanderesse devait avoir la possibilité de faire des observations sur cette question, qui n'avait pas été examinée par la Section du statut de réfugié.


[12]            La demanderesse, dans les affidavits qu'elle a présentés à l'appui de la présente demande de sursis, fait état de son enregistrement de résidence qui l'oblige à vivre en Moldova. Elle pourrait obtenir un enregistrement de résidence en Russie mais, pour ce faire, elle devrait acheter une maison, et elle n'en a pas les moyens, ou son employeur devrait lui fournir le logement, mais elle ne pourrait pas chercher d'emploi sans avoir un enregistrement de résidence dans la région de l'emploi éventuel.

[13]            Son affidavit fait état d'une pénurie de logements en Muldova, ce qui empêche les femmes de quitter leur mari qui les maltraite.

[14]         Je suis d'accord avec l'avocat de la demanderesse que la Section du statut de réfugié n'a pas tranché la question du caractère adéquat de la protection accordée par la République de Moldova aux femmes faisant l'objet de mauvais traitements par leur mari, malgré le fait qu'elle ait qualifié de criminels les actes posés par l'ex-mari de la demanderesse.

[15]            La demanderesse souligne que, selon les indications des Country Reports, les femmes en Muldova ne jouissent d'aucune protection contre la violence. Elle soulève donc une question sérieuse. Je reconnais que la portée de cette question est limitée et ne peut constituer une contestation parallèle de la décision de la Section du statut de réfugié étant donné que l'autorisation y afférente a été refusée par un membre de la Cour.   


[16]            La question sérieuse a été établie sur les deux erreurs de fait alléguées, à savoir, que son ex-mari a continué de résider en Russie et la conclusion de l'ARRR selon laquelle son ex-mari n'avait pas tenté de communiquer avec elle au cours des quatre mois précédant son départ pour le Canada, malgré la conclusion de fait tirée par la Section du statut de réfugié selon laquelle son ex-mari avait attaqué son père en juin 2000 et la preuve présentée à l'audience et dans son affidavit qui démontrait que son ex-mari vivait en Muldova.

[17]            Le préjudice irréparable a été établi particulièrement du fait que l'ARRR a reconnu que la demanderesse s'exposerait à un risque si jamais elle retournait à l'endroit où son ex-mari vit, car des questions sérieuses ont été soulevées quant à la viabilité de la PRI, au caractère adéquat de la protection offerte par la République de Moldova et à l'intérêt que son ex-mari aurait de s'en prendre encore à elle.

[18]            Compte tenu du fait qu'une question sérieuse et un préjudice irréparable ont été établis, la prépondérance des inconvénients favorise la demanderesse.


ORDONNANCE

1.                    Pour ces motifs, un sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi du Canada est accordé à la demanderesse dans l'attente de l'examen de sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire.

« François Lemieux »

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                                                                                                                                                                Juge                       

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                              IMM-5548-01

INTITULÉ :                           NATALIA MAXIMENKO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                                                                                

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE LUNDI 4 FÉVRIER 2002

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET

ORDONNANCE MODIFIÉS :             MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX      

DATE DES MOTIFS :                    LE VENDREDI 8 FÉVRIER 2002

COMPARUTIONS :                      

M. Arthur I. Yallen                    Pour la demanderesse

M. Tamrat Gebeyehu                   Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Yallen & Associates                         Pour la demanderesse

Avocats

204, rue St. George, 3e étage

Toronto (Ontario)

M5R 2A5

Morris Rosenberg                      Pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

      Date : 20020208

             Dossier : IMM-5548-01

Entre :

NATALIA MAXIMENKO

demanderesse

   

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                                 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE MODIFIÉS

                                                                                 

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