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Date : 20050511

Dossier : IMM-9416-04

Référence : 2005 CF 671

Toronto (Ontario), le 11 mai 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY                         

ENTRE :

                                                               EMAD IBRAHIM

                                                                                                                                      demandeur

                                                                            et


                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                M. Ibrahim est citoyen égyptien. Il a demandé le contrôle judiciaire de la décision datée du 20 octobre 2004 par laquelle un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu'il n'est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Il affirme être une personne à protéger et il prétend craindre avec raison d'être persécuté à cause de sa religion, savoir qu'il est chrétien copte. Au terme de l'audience, j'ai informé les parties que je ferais droit à la demande et j'ai énoncé de courts motifs que je vais approfondir ci-dessous.


[2]                M. Ibrahim a affirmé avoir été victime de persécution à la suite d'un incident survenu en 1995 dans sa ville natale, Assiout : on l'avait vu en train de boire de l'eau en plein jour pendant le ramadan. Il explique avoir d'abord été agressé par un jeune musulman et, après qu'il se fut défendu, par une foule furieuse parce qu'elle croyait qu'il s'agissait de l'attaque d'un des siens par un membre de la minorité religieuse. Le demandeur a été sauvagement battu et a perdu connaissance. Des policiers sont ensuite intervenus et l'ont détenu pendant 17 heures pour l'interroger, après quoi ils lui ont ordonné de quitter la ville et de ne plus y revenir.

[3]                Ces événements, selon le demandeur, sont à l'origine d'une fatwa qui a été lancée contre lui dans une mosquée locale et qui a été communiquée aux extrémistes d'un bout à l'autre de l'Égypte. Il affirme avoir ensuite vécu en fuite pendant quatre ans. Pendant cette période, il a obtenu un diplôme en commerce à l'Université d'Assiout en suivant des cours par correspondance et il a passé ses examens au Caire. En avril 1999, il est retourné chez lui pour rendre visite à sa mère malade. Il dit que trois hommes ont tiré sur lui en juillet 1999. Il s'est ensuite enfui aux États-Unis. Cinq mois plus tard, il est rentré en Égypte, car il était inquiet parce que son père avait perdu son emploi à cause des torts attribués à son fils. Il a regagné les États-Unis en septembre 2001; il est arrivé au Canada en novembre 2003 et y a demandé l'asile.

[4]                La Commission a jugé que le récit de M. Ibrahim n'était pas crédible. En particulier, elle n'a pas cru qu'une foule l'aurait attaqué parce qu'il avait bu de l'eau pendant le ramadan, qu'une fatwa aurait été lancée pour un délit aussi négligeable ou qu'il aurait vécu caché. La Commission a également conclu que les documents objectifs sur la situation en Égypte ne révèlent aucun problème qui pourrait laisser croire à la persécution des chrétiens coptes.

[5]                Les questions soulevées par le demandeur sont les suivantes :


1.          La commissaire a-t-elle mal interprété la preuve et fondé sa décision sur des conclusions erronées en ce qui concerne le témoignage du demandeur et les documents relatifs à la situation dans le pays?

2.          La commissaire a-t-elle fait du zèle ou s'est-elle montrée trop pointilleuse dans l'examen de la demande, et a-t-elle omis de tenir compte des explications données à l'égard des incohérences qu'elle a perçues?

[6]                Les conclusions de fait de la Commission ne peuvent faire l'objet d'un contrôle que si elles sont erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve, c'est-à-dire que la norme applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable : Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration),[1998] 1 R.C.S. 982; Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 954; Traore c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1256; Liang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1501.

[7]                Je ne souscris pas à l'argument du demandeur voulant que la Commission, en l'espèce, ait fait preuve de zèle ou se soit montrée trop pointilleuse dans l'examen de sa demande. La prémisse sur laquelle repose cet argument, soit qu'une fatwa avait été lancée contre le demandeur ce qui créait pour lui un risque de préjudice dans toute l'Égypte de la part des extrémistes musulmans, devait être examinée et la Commission avait aussi le droit d'analyser attentivement l'exposé des faits et gestes du demandeur pendant les années subséquentes et ses déclarations à son arrivée ici.

[8]                Bien que certaines des incohérences perçues par la Commission soient discutables, compte tenu particulièrement des explications fournies par le demandeur, les conclusions de la Commission à cet égard ne sont pas manifestement déraisonnables et je ne saurais modifier sa décision pour ce motif.

[9]                J'estime toutefois que la Commission n'a pas bien compris la nature de la demande à la page 1 de ses motifs :[s]elon le demandeur, un groupe de musulmans l'ont assailli dans sa ville, Assiout, parce qu'il avait bu de l'eau durant le ramadan » . La Commission a ensuite conclu qu'il était invraisemblable qu'une fatwa puisse être lancée contre un chrétien pour cette raison dans un pays où une minorité importante de la population est chrétienne et ne jeûne pas pendant le ramadan.

[10]            Mais ce n'est pas ce qu'a prétendu le demandeur. Selon son Formulaire de renseignements personnels et son témoignage oral, il est évident que s'il ne s'était pas défendu contre le jeune homme, la foule ne serait pas intervenue, la police ne se serait pas mêlée de l'affaire et la fatwa n'aurait pas été lancée. Le demandeur a prétendu avoir été attaqué par la foule parce qu'il s'était bagarré avec le jeune musulman, puis avoir été battu et laissé pour mort. Ce n'était que parce qu'il a survécu à l'attaque qu'une fatwa a été lancée contre lui. L'analyse de la Commission reposait donc sur une conception erronée et banalisée des éléments de preuve présentés par le demandeur quant à l'incident déclencheur.


[11]            L'analyse faite par la Commission de la situation dans le pays, bien que détaillée, porte sur plusieurs éléments qui n'ont aucun lien avec la demande (p. ex., conversion forcée de jeunes filles coptes, problèmes de réparation des églises, etc.). La commissaire a retenu la preuve documentaire préparée par la Commission elle-même pour des travaux de recherche parce que ces éléments de preuve « proviennent de sources diverses qui n'ont aucun intérêt dans l'issue de la présente demande; je les estime, par conséquent, impartiaux » . Elle a conclu que la preuve démontrait l'existence de discrimination et non pas de persécution.

[12]            Certains des éléments de preuve présentés par le demandeur sont manifestement tirés de sources chrétiennes, y compris d'organisations coptes, qui s'inquiètent des pressions exercées sur les minorités coptes. D'autres documents fournis par le demandeur provenaient de ce qu'on pourrait appeler avec justesse des tierces parties objectives. Les motifs de la commissaire n'indiquent pas pourquoi les sources de ces éléments de preuve devraient être jugées comme ayant un intérêt dans l'issue de la demande ou comme partiales. La commissaire ne donne aucune raison expliquant pourquoi elles seraient partiales.

[13]            Il ressort clairement de la preuve versée au dossier, tant celle réunie par la Commission pour ses propres travaux de recherche que celle présentée par le demandeur, que des actes graves de violence sectaire sont commis ou peuvent être commis en Égypte pour des motifs apparemment banals. Un des exemples fournis est une dispute entre un commerçant et un client qui a entraîné une émeute et des morts. Les éléments de preuve produits par le demandeur brossent un tableau plus sombre de la situation en Égypte que ceux sur lesquels s'est appuyée la Commission pour conclure que les coptes sont victimes de discrimination et non de persécution.


[14]            Le défendeur soutient à juste titre qu'il est loisible à la Commission de s'appuyer sur les éléments de preuve documentaire qu'elle préfère et d'attribuer l'importance qu'elle estime juste aux éléments de preuve, dans la mesure où elle tient compte, pour rendre sa décision, de tous les éléments de preuve dont elle a été saisie. La Commission a indiqué qu'elle était au fait des allégations selon lesquelles les cas de persécution des chrétiens coptes ne sont pas tous déclarés mais, en bout de ligne, a opté pour ses propres éléments de preuve indiquant que les chrétiens coptes ne sont pas persécutés en Égypte : Mahendran c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 134 N.R. 316 (C.A.F.); Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.); Medarovik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 61.

[15]            Le demandeur affirme que la Commission n'a pas tenu compte des contradictions entre les éléments de preuve documentaire dont elle avait été saisie. Il donne à titre d'exemple la transcription d'un exposé fait à la Commission par M. Rachad Antonius, spécialiste montréalais des minorités chrétiennes en Égypte. M. Antonius affirme sans équivoque, à la page 30 de la transcription, que des coptes sont bel et bien persécutés par des musulmans violents en Égypte. À la page 15 de sa décision, la Commission invoque le témoignage de M. Antonius pour conclure qu'il s'agit d'actes préjudiciables isolés et d'actes de violence. Bien que M. Antonius ait établi une distinction entre ces actes et les actes de persécution par l'État, il appert clairement de son témoignage, selon moi, qu'il s'agit de violence organisée par des groupes musulmans et non pas seulement d'incidents isolés.


[16]            Dans l'ensemble, je suis convaincu que la Commission a mal interprété les éléments de preuve et a fondé sa décision sur des conclusions erronées, sans tenir compte de tous les éléments de preuve. Par conséquent, la demande est accueillie.

[17]            Aucune question grave de portée générale n'a été proposée et aucune n'est certifiée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée à la Commission pour réexamen par un tribunal constitué différemment.

                                                                                                                         « Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                   IMM-9416-04

INTITULÉ:                                                   EMAD IBRAHIM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 10 MAI 2005

LIEU DE L'AUDIENCE :                           TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                                 LE 11 MAI 2005

COMPARUTIONS :

Chantal Desloges                                         POUR LE DEMANDEUR

Mary Matthews                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green and Spiegel

Toronto (Ontario)                                          POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                        POUR LE DÉFENDEUR

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