Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20010704

Dossier : T-1261-00

Référence neutre: 2001 CFPI 749

Entre :

                                                           RÉMY CARTIER

                                                                                                         Partie demanderesse

Et:

                                        PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                            Partie défenderesse

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]                Il s'agit en l'espèce d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision rendue le 16 juin 2000 par la Section d'appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la « CNLC » ) rejetant l'appel logé par le demandeur d'une décision de la CNLC lui refusant une libération avant l'expiration légale de sa peine et ordonnant son maintien en incarcération.

[2]                Par sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur demande à cette Cour d'annuler la décision de la Section d'appel et d'ordonner sa remise en liberté immédiate ou de lui octroyer une nouvelle audience devant la CNLC.


EXPOSÉ DES FAITS

[3]                Le demandeur purge depuis le 16 janvier 1990 une peine de 15 ans d'incarcération pour homicide involontaire. Conformément au calcul effectué en vertu de l'article 127 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, c. 20 (la « Loi » ), la date de libération d'office du demandeur a été fixée au 13 février 2000. Toutefois, à la suite de l'examen du cas du demandeur en prévision de sa libération d'office, la CNLC a ordonné le 12 janvier 2000 son maintien en incarcération et a interdit sa mise en liberté avant l'expiration légale de sa peine, soit le 30 janvier 2005. Dans ses motifs, la CNLC a indiqué qu'elle était convaincue que si le demandeur était libéré, il commettrait, avant l'expiration légale de sa peine, une infraction entraînant un dommage grave à une autre personne.

[4]                Le 8 mars 2000, le demandeur a fait parvenir à la Section d'appel de la CNLC les arguments à l'appui de son appel de la décision de la CNLC. Il a invoqué trois motifs devant la Section d'appel, soit que la CNLC avait violé un principe de justice naturelle durant l'interrogatoire du demandeur lors de l'audience, qu'elle avait commis une erreur de droit en interprétant le paragraphe 132(1) de la Loi, et qu'elle avait fondé sa décision sur des renseignements erronés ou incomplets.


[5]                Le 16 juin 2000, la Section d'appel a rejeté l'appel du demandeur.[1] En ce qui concerne l'allégation de violation d'un principe de justice naturelle, la Section d'appel a exprimé ce qui suit :

Nous croyons nécessaire de vous rappeler que la Commission, de par son mandat, a l'obligation d'obtenir et de tenir compte de toute l'information disponible, lorsqu'elle est appelée à évaluer le risque du cas à l'étude. L'écoute attentive de l'enregistrement de votre audience nous démontre que vous avez eu toute la latitude voulue pour faire part à la Commission de vos préoccupations et, plus particulièrement, de nier et/ou d'expliquer certaines informations contenues dans votre dossier. Dans les présentes circonstances, nous croyons que la Commission a bel et bien agi à l'intérieur et dans le respect de son mandat et, qu'en conséquence, il ne nous a pas été permis de constater la violation des principes de justice fondamentale.

Au sujet de l'erreur de droit dans l'interprétation du paragraphe 132(1) de la Loi, la Section d'appel a tenu les propos suivants :

[...] Dans votre cas, on peut constater, à l'écoute de l'enregistrement de votre audience ainsi qu'à la lecture attentive de la décision rendue, que la Commission s'est bien penchée sur chacun des facteurs identifiés dans la Loi, lorsqu'elle s'est dite convaincue qu'il y avait des motifs raisonnables de croire que, si libéré, vous commettriez avant l'expiration légale de votre peine, une infraction entraînant un dommage grave à une autre personne. En effet, la Commission a tenu compte de la gravité de l'offense pour laquelle vous purgez la présente peine de 15 ans d'emprisonnement pour homicide involontaire, de la persistance de votre comportement carcéral vous reliant directement à des actes de violence et à des individus identifiés pour leur propension à utiliser la violence et des évaluations psychologiques.

Finalement, en ce qui a trait aux renseignements erronés ou incomplets, la Section d'appel en est venue à la conclusion suivante :


Les faits et/ou informations ci-haut mentionnés se retrouvent d'une façon ou d'une autre dans votre dossier, en plus d'avoir été discutés et/ou réfutés lors de votre audience, alors que les commissaires ont jugé qu'il y avait des motifs raisonnables d'interdire votre mise en liberté. Aussi, nous devons vous rappeler que le rôle de la Section d'appel n'est pas de procéder à une réévaluation du risque et de substituer son jugement à celui des commissaires qui ont étudié votre cas, mais plutôt de s'assurer que la Loi, les politiques de la Commission ont été respectées, et qu'en plus la décision rendue est basée sur des renseignements adéquats, ce que nous avons reconnu plus haut dans la présente réponse à votre soumission d'appel.

[6]                La Section d'appel a conclu que la décision de la CNLC était juste et raisonnable, qu'elle s'appuyait sur de l'information pertinente, crédible et adéquate, qu'elle était conforme à la Loi et aux politiques de la CNLC concernant l'interdiction de mise en liberté et qu'elle avait été rendue dans le respect des principes de justice fondamentale.

[7]                Le demandeur a déposé la présente demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de la Section d'appel de la CNLC le 17 juillet 2000.

QUESTIONS EN LITIGE

[8]                Les questions en litige suivantes ont été suggérées par le demandeur et adoptées par le défendeur :

i)          La Section d'appel de la CNLC a-t-elle agi sans compétence en étant composée d'uniquement deux commissaires et par surcroît rendant des décisions en première instance alors que la Section de première instance dans la même dossier était composée de trois commissaires?

ii)         La Section d'appel de la CNLC a-t-elle refusé d'exercer sa compétence en omettant de décider si la Section de première instance avait enfreint une règle de justice fondamentale?


iii)         La Section d'appel de la CNLC a-t-elle commis une erreur de droit sur les critères à rencontrer pour ordonner un maintien en incarcération et une interdiction de remise en liberté?

iv)        La Section d'appel de la CNLC a-t-elle commis une erreur de droit en prétendant à deux reprises que la Section de première instance avait utilisé le bon critère de décision en jugeant qu'elle avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur commettrait une infraction entraînant un dommage grave à une autre personne?

v)         La Section d'appel de la CNLC a-t-elle rendu une décision fondée sur une conclusion de faits erronée en confirmant la décision de la Section de première instance basée en partie sur des faits erronés ou non-fiables?

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[9]                Les articles pertinents de la Loi sont les suivants:



127.     (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l'individu condamné ou transféré au pénitencier a le droit d'être mis en liberté à la date fixée conformément au présent article et de le demeurer jusqu'à l'expiration légale de sa peine.

    (2) Sous réserve des autres dispositions du présent article, la date de libération d'office d'un individu condamné à une peine d'emprisonnement avant le 1er novembre 1992 est déterminée par soustraction de cette peine du nombre de jours correspondant à:

a) la réduction de peine, légale ou méritée, dont il bénéficie à cette date;

b) la réduction maximale de peine à laquelle il aurait eu droit sur la partie de la peine qui lui restait à subir en vertu de la Loi sur les pénitenciers et de la Loi sur les prisons et les maisons de correction, dans leur version antérieure à cette date.

    (3) La date de libération d'office d'un individu condamné à une peine d'emprisonnement le 1er novembre 1992 ou par la suite est, sous réserve des autres dispositions du présent article, celle où il a purgé les deux tiers de sa peine.

    (4) Lorsque les condamnations sont survenues avant le 1er novembre 1992 et le 1er novembre 1992 ou par la suite, la libération d'office survient, sous réserve des autres dispositions du présent article, à la plus éloignée des dates respectivement prévues par les paragraphes (2) et (3). [...]

127.    (1) Subject to any provision of this Act, an offender sentenced, committed or transferred to penitentiary is entitled to be released on the date determined in accordance with this section and to remain at large until the expiration of the sentence according to law.

    (2) Subject to this section, the statutory release date of an offender sentenced before November 1, 1992 to imprisonment for one or more offences shall be determined by crediting against the sentence

(a) any remission, statutory or earned, standing to the offender's credit on that day; and

(b) the maximum remission that could have been earned on the balance of the sentence pursuant to the Penitentiary Act or the Prisons and Reformatories Act, as those Acts read immediately before that day.

   (3) Subject to this section, the statutory release date of an offender sentenced on or after November 1, 1992 to imprisonment for one or more offences is the day on which the offender completes two thirds of the sentence.

    (4) Subject to this section, the statutory release date of an offender sentenced before November 1, 1992 to imprisonment for one or more offences and sentenced on or after November 1, 1992 to imprisonment for one or more offences is the later of the dates determined in accordance with subsections (2) and (3). [...]


130.    (1) Sous réserve des paragraphes 129(5), (6) et (7), la Commission informe le détenu du renvoi et du prochain examen de son cas - déféré en application des paragraphes 129(2), (3) ou (3.1) - et procède, selon les modalités réglementaires, à cet examen ainsi qu'à toutes les enquêtes qu'elle juge nécessaires à cet égard.

   (2) Le délinquant dont le cas est examiné aux termes du paragraphe (1) ne peut être libéré d'office tant que la Commission n'a pas rendu sa décision à son égard.

   (3) Au terme de l'examen, la Commission peut, par ordonnance, interdire la mise en liberté du délinquant avant l'expiration légale de sa peine autrement qu'en conformité avec le paragraphe (5) si elle est convaincue:

a) dans le cas où la peine d'emprisonnement comprend une peine infligée pour une infraction visée à l'annexe I, que le délinquant commettra, s'il est mis en liberté avant l'expiration légale de sa peine, soit une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne, soit une infraction d'ordre sexuel à l'égard d'un enfant; [...]

130.     (1) Where the case of an offender is referred to the Board by the Service pursuant to subsection 129(2) or referred to the Chairperson of the Board by the Commissioner pursuant to subsection 129(3) or (3.1), the Board shall, subject to subsections 129(5), (6) and (7), at the times and in the manner prescribed by the regulations,

(a) inform the offender of the referral and review, and

(b) review the case,

and the Board shall cause all such inquiries to be conducted in connection with the review as it considers necessary.

    (2) An offender referred to in subsection (1) is not entitled to be released on statutory release before the Board renders its decision under this section in relation to the offender.

    (3) On completion of the review of the case of an offender referred to in subsection (1), the Board may order that the offender not be released from imprisonment before the expiration of the offender's sentence according to law, except as provided by subsection (5), where the Board is satisfied

(a) in the case of an offender serving a sentence that includes a sentence for an offence set out in Schedule I, or for an offence set out in Schedule I that is punishable under section 130 of the National Defence Act, that the offender is likely, if released, to commit an offence causing the death of or serious harm to another person or a sexual offence involving a child before the expiration of the offender's sentence according to law, [...]


132.       (1) Le Service et le commissaire, dans le cadre des examens et renvois prévus à l'article 129, ainsi que la Commission, pour décider de l'ordonnance à rendre en vertu de l'article 130 ou 131, prennent en compte tous les facteurs utiles pour évaluer le risque que le délinquant commette, avant l'expiration légale de sa peine, une infraction de nature à causer la mort ou un dommage grave à une autre personne, notamment:

a)     un comportement violent persistant, attesté par divers éléments, en particulier:

i) le nombre d'infractions antérieures ayant causé un dommage corporel ou moral,

ii) la gravité de l'infraction pour laquelle le délinquant purge une peine d'emprisonnement,

iii) l'existence de renseignements sûrs établissant que le délinquant a eu des difficultés à maîtriser ses impulsions violentes ou sexuelles au point de mettre en danger la sécurité d'autrui,

iv) l'utilisation d'armes lors de la perpétration des infractions,

v) les menaces explicites de recours à la violence,

vi) le degré de brutalité dans la perpétration des infractions,

vii) un degré élevé d'indifférence quant aux conséquences de ses actes sur autrui;

b)    les rapports de médecins, de psychiatres ou de psychologues indiquant que, par suite d'une maladie physique ou mentale ou de troubles mentaux, il présente un tel risque;

c)    l'existence de renseignements sûrs obligeant à conclure qu'il projette de commettre, avant l'expiration légale de sa peine, une infraction de nature à causer la mort ou un dommage grave à une autre personne;

d)    l'existence de programmes de surveillance de nature à protéger suffisamment le public contre le risque que présenterait le délinquant jusqu'à l'expiration légale de sa peine.

132.     (1) For the purposes of the review and determination of the case of an offender pursuant to section 129, 130 or 131, the Service, the Commissioner or the Board, as the case may be, shall take into consideration any factor that is relevant in determining the likelihood of the commission of an offence causing the death of or serious harm to another person before the expiration of the offender's sentence according to law, including

(a)    a pattern of persistent violent behaviour established on the basis of any evidence, in particular,

(i) the number of offences committed by the offender causing physical or psychological harm,

(ii) the seriousness of the offence for which the sentence is being served,

(iii) reliable information demonstrating that the offender has had difficulties controlling violent or sexual impulses to the point of endangering the safety of any other person,

(iv) the use of a weapon in the commission of any offence by the offender,

(v) explicit threats of violence made by the offender,

(vi) behaviour of a brutal nature associated with the commission of any offence by the offender, and

(vii) a substantial degree of indifference on the part of the offender as to the consequences to other persons of the offender's behaviour;

(b)    medical, psychiatric or psychological evidence of such likelihood owing to a physical or mental illness or disorder of the offender;

(c)    reliable information compelling the conclusion that the offender is planning to commit an offence causing the death of or serious harm to another person before the expiration of the offender's sentence according to law; and

(d)    the availability of supervision programs that would offer adequate protection to the public from the risk the offender might otherwise present until the expiration of the offender's sentence according to law.


146.    (1) Est constituée la Section d'appel composée d'un maximum de six membres de la Commission - dont le vice-président - choisis par le gouverneur en conseil, sur recommandation du ministre, parmi les membres à temps plein nommés en vertu de l'article 103.     (2) Un membre de la Section d'appel ne peut siéger en appel d'une décision qu'il a rendue.

    (3) De même, le membre d'un comité de la Section d'appel qui ordonne un nouvel examen en vertu du paragraphe 147(4) ne peut faire partie d'un comité de la Commission qui procède au réexamen ni d'un comité de la Section d'appel qui par la suite est saisi du dossier en appel.

146.    (1) There shall be a division of the Board known as the Appeal Division, consisting of not more than six full-time members designated by the Governor in Council on the recommendation of the Minister from among the members appointed pursuant to section 103, and one of those members shall be designated Vice-Chairperson, Appeal Division.

    (2) A member of the Appeal Division may not sit on an appeal from a decision in which the member participated.

    (3) A member of a panel of the Appeal Division that orders a new review of a case pursuant to subsection 147(4) may not sit on the panel of the Board that reviews the case or on a panel of the Appeal Division that subsequently reviews the case on an appeal.


PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR

Question 1

[10]            Lors de l'audience, Me Royer, le procureur du demandeur, m'a informé qu'il renonçait à ses arguments concernant la première question.

Question 2

[11]            Devant la Section d'appel, le demandeur a contesté l'interprétation qu'a faite la CNLC dans sa décision de propos tirés de l'affaire Cartier c. Canada (Procureur général) (1998), 165 F.T.R. 209 (C.F. 1re inst.), dans laquelle il était également demandeur. Le demandeur indique que son procureur a souligné devant la Section d'appel que le débat dans l'affaire Cartier, supra portait sur la suffisance du partage de l'information et non pas sur la fiabilité des motifs.


[12]            Le demandeur prétend que sur ce point, la Section d'appel n'a fait que confirmer que son procureur avait porté ce fait à son attention, et n'a fourni aucune réponse quant à savoir si la CNLC avait violé un principe de justice fondamentale en motivant sa décision à l'aide des propos tirés de l'affaire Cartier, supra. Le demandeur est d'avis que la Section d'appel se devait de prendre position, puisque son mandat établit clairement qu'elle doit s'assurer que la CNLC a respecté les règles de justice fondamentale.

[13]            Le demandeur soutient donc que la Section d'appel a refusé d'exercer sa compétence en omettant de répondre à l'allégation du demandeur quant à la violation d'un principe de justice fondamentale.

Question 3

[14]            Le demandeur rappelle d'abord qu'en vertu de l'article 127 de la Loi, un détenu a droit à une libération d'office lorsqu'il atteint les deux tiers de sa peine, mais qu'à titre de mesure d'exception, la CNLC peut interdire sa remise en liberté. Le demandeur souligne que dans son cas, puisqu'il purge une sentence pour homicide involontaire, le critère applicable est celui de l'alinéa 130(3)a) de la Loi.


[15]            Le demandeur indique également que la Loi prévoit au paragraphe 132(1) une liste non-exhaustive de facteurs dont la CNLC doit tenir compte lors de son évaluation du risque de libération conditionnelle. Le demandeur soutient que le sens commun veut que plusieurs de ces critères doivent être réunis afin que la CNLC puisse être convaincue que le délinquant commettra avant l'expiration légale de sa peine une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne. Selon le demandeur, les quatre facteurs énumérés au paragraphe 132(1) de la Loi doivent être évalués cumulativement, contrairement à ce que prétend la Section d'appel. Le demandeur est d'avis que ces facteurs pris isolément ne peuvent raisonnablement conduire à une conclusion que la CNLC est convaincue que le délinquant commettra une infraction causant la mort ou un dommage grave à autrui.


[16]            En l'espèce, le demandeur indique que les facteurs aux alinéas 132(1)b) et c) ne sont pas rencontrés. Quant au facteur à l'alinéa d), le demandeur est d'avis que la CNLC a commis une erreur de droit en ce qui concerne son interprétation. Puis, en ce qui a trait au facteur a), le demandeur souligne qu'il est divisé en sept éléments et que le libellé de l'alinéa implique nécessairement que plusieurs éléments doivent être présents pour conclure au comportement violent persistent. Le demandeur est d'avis que seuls les critères concernant la gravité de l'infraction pour laquelle le demandeur purge sa sentence et celui relatif au degré d'indifférence du délinquant à l'égard des conséquences de ses actes sont rencontrés, puisque le critère concernant les menaces explicites de recours à la violence n'est appuyé que sur deux informations non-fiables. Selon le demandeur, si la CNLC conclu que le demandeur commettra une infraction causant la mort ou des dommages graves à autrui sur la base seulement de ces deux critères, il s'agit d'une interprétation manifestement déraisonnable de la Loi.

Question 4

[17]            Le demandeur soutient que la Loi exige que la CNLC soit convaincue que le délinquant commettra une infraction causant la mort ou un dommage grave à autrui pour le priver de sa libération d'office. Le demandeur prétend que la Section d'appel a erré à deux reprises en mentionnant que le critère légal requis était que la CNLC soit convaincue qu'il y avait des motifs raisonnables de croire que le détenu commettrait une telle infraction. Le demandeur est donc d'avis que la Section d'appel a commis une erreur de droit en ce qui a trait au critère applicable en l'espèce, rendant sa décision illégale.

Question 5


[18]            Le demandeur prétend que lorsque la CNLC a conclu qu'il avait un comportement violent persistent et qu'il commettrait une infraction causant la mort ou un dommage grave à autrui, elle s'est appuyée sur des éléments provenant d'informations protégées qui n'ont jamais été considérées suffisamment fiables par les autorités policières pour servir de fondement à des accusations criminelles. Le demandeur est d'avis que la Section d'appel avait le pouvoir de réévaluer le risque que représentait le demandeur, et qu'elle se devait d'évaluer si l'information utilisée pour rendre la décision était pertinente et fiable. Le demandeur soutient que puisque la CNLC s'est appuyée sur des spéculations ou des interprétations provenant de faits non-fiables ou non-pertinents, la Section d'appel a tiré une conclusion erronée lorsqu'elle a indiqué que les faits et informations en question se trouvaient d'une façon ou d'une autre dans le dossier du demandeur et avaient été discutés ou réfutés lors de l'audience.

PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

Question 2

[19]            Le défendeur prétend que rien dans la décision de la Section d'appel n'indique que celle-ci ait manifesté un quelconque refus d'exercer sa compétence. Le défendeur maintient que la Section d'appel a examiné cet aspect de l'appel logé par le demandeur puisqu'elle indique qu'elle a soigneusement considéré les motifs soulevés par le demandeur et qu'elle conclut qu'il n'y a pas eu de violation des principes de justice fondamentale.


Question 3

[20]            Le défendeur maintient que l'interprétation du demandeur à l'effet que le sens commun veut que plusieurs critères énumérés au paragraphe 132(1) de la Loi soient réunis pour que la CNLC puisse être convaincue que le délinquant commettra avant l'expiration légale de sa peine une infraction causant la mort ou un dommage grave à autrui ne peut être valablement tirée de la Loi. Selon le défendeur, l'expression « tous les facteurs utiles » additionnée du mot « notamment » signifie sans aucun doute que la CNLC peut utiliser un ou plusieurs facteurs énumérés aux alinéas a) à d) de même que n'importe quel autre facteur qui pourrait lui être soumis et qui serait utile au processus décisionnel. Le défendeur indique que la Cour d'appel fédérale a confirmé cette interprétation lorsqu'elle a adopté la décision rendue en première instance par le juge Noël dans l'affaire Knapp c. Canada (Procureur général) (1997), 138 F.T.R. 201 (C.F. 1re inst.), conf. par (1998), 229 N.R. 22 (C.A.F.).

[21]            Le défendeur allègue également que les représentations faites aux paragraphes 40 à 49 du mémoire du demandeur sont dénuées de tout fondement et que la Section d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en analysant les critères à rencontrer pour ordonner le maintien en incarcération du demandeur.


Question 4

[22]            Le défendeur soutient qu'une décision faisant l'objet d'une demande de contrôle judiciaire ne peut être analysée de façon microscopique, et que le demandeur ne peut prétendre qu'il y a erreur en faisant une analyse de chaque mot pris individuellement. Selon le défendeur, afin de déterminer si une décision est entachée d'une erreur manifestement déraisonnable, il faut examiner l'ensemble des motifs rendus afin d'établir si oui ou non le test a été bien appliqué. En l'espèce, le défendeur est d'avis qu'il ne fait aucun doute que la CNLC a correctement appliqué les critères énoncés dans la Loi, et que le fait de mentionner les motifs raisonnables ne peut être qu'un ajout clérical qui ne peut d'aucune façon être interprété comme constituant une erreur manifestement déraisonnable.

Question 5


[23]            Le défendeur soutient qu'il y avait des éléments de preuve pouvant justifier la décision de refuser au demandeur sa demande de libération conditionnelle et qu'il n'est pas possible en l'espèce de conclure à une erreur manifestement déraisonnable. Le défendeur allègue également, en réponse à l'argument du demandeur, que le fait que les autorités portent ou non des accusations criminelles n'a aucune incidence et ne peut avoir d'impact dans l'appréciation d'une demande de mise en liberté. Le défendeur est d'avis que la preuve soumise devant la CNLC lui permettait de conclure comme elle l'a fait.

[24]            Finalement, le défendeur soutient que la décision de la Section d'appel est bien fondée en faits et en droit, et qu'il ne suffit pas pour le demandeur de donner une nouvelle interprétation des faits, mais plutôt qu'il lui fallait démontrer qu'une erreur manifestement déraisonnable a été commise par la Section d'appel de la CNLC. De l'avis du défendeur, cette démonstration n'a pas été faite.

ANALYSE

Question 1

[25]            Vu que le demandeur a renoncé à ses arguments sur ce point, je ne traiterai pas de cette question.

Question 2


[26]            En ce qui concerne la seconde question, je suis entièrement d'accord avec les propos du défendeur à l'effet que rien n'indique que la Section d'appel ait refusé d'exercer sa compétence. Dans sa décision, la Section d'appel a indiqué clairement, à la page 2, qu'elle avait considéré l'allégation du demandeur quant à la violation d'un principe de justice naturelle. Contrairement à ce qu'affirme le demandeur, la Section d'appel a pris position et a fourni une réponse quant à savoir si la CNLC avait violé un principe de justice naturelle, et ce, à la fin du paragraphe 3 de la page 2 :

Dans les présentes circonstances, nous croyons que la Commission a bel et bien agi à l'intérieur de son mandat et, qu'en conséquence, il ne nous a pas été permis de constater la violation des principes de justice fondamentale.

Je suis d'avis que les prétentions du demandeur à l'effet que la Section d'appel a refusé d'exercer sa compétence n'ont aucun mérite.

Question 3

[27]            Le paragraphe 132(1) de la Loi stipule que la CNLC doit prendre en compte tous les facteurs utiles afin d'évaluer le risque qu'un délinquant commette, avant l'expiration de sa peine, une infraction de nature à causer la mort ou un dommage grave à une autre personne. Cette disposition établit également une liste de facteurs à considérer, liste non-exhaustive puisqu'elle est introduite par le mot « notamment » .


[28]            Selon le demandeur, les facteurs énumérés au paragraphe 132(1) de la Loi devraient être évalués cumulativement, contrairement à ce que prétend la Section d'appel à la page 3 de sa décision. À mon avis, il n'y a aucun fondement à cet argument du demandeur. Tout d'abord, le vocabulaire du paragraphe 132(1) de la Loi n'appuie pas l'interprétation du demandeur. Les mots « tous les facteurs utiles » (je souligne) indiquent à mon avis que la CNLC doit seulement considérer les facteurs pertinents, que ce soit un ou plusieurs des facteurs énumérés au paragraphe 132(1) ou d'autres facteurs qui lui sont soumis et qu'elle considère utiles, et non tous les facteurs énumérés au paragraphe 132(1) de la Loi. De plus, le mot « notamment » , qui sert d'introduction à l'énumération des facteurs, indique qu'il ne s'agit que d'exemples de facteurs utiles, et non que tous ces facteurs doivent être considérés par la CNLC.

[29]            Le demandeur ne soumet aucune jurisprudence à l'appui de son interprétation du paragraphe 132(1) de la Loi. Quant au défendeur, il indique que la décision du juge Noël dans l'affaire Knapp, supra, d'ailleurs confirmée par la Cour d'appel fédérale, va directement à l'encontre de l'interprétation proposée par le demandeur. En effet, aux paragraphes 21 à 23 de sa décision, le juge Noël confirme l'interprétation suggérée par le vocabulaire du paragraphe 132(1) de la Loi :

À mon avis, ni le libellé de la disposition non plus que la façon dont la Commission l'interprète ne la rendent susceptible d'être contestée aux termes de l'article 7. L'article 132 de la Loi enjoint à la Commission de prendre en compte "tous les facteurs" utiles pour évaluer le risque de récidive, "notamment un comportement violent persistant, attesté par divers éléments". La disposition énumère ensuite différents éléments de preuve pouvant servir à établir l'existence d'un "comportement violent persistant".

Une simple lecture de la disposition indique que l'enquête doit porter principalement sur l'évaluation d'un "risque" et non sur la question de savoir si tous les facteurs ou quelques-uns d'entre eux sont présents. De plus, il est évident que la disposition ne renferme ni une énumération exhaustive de tous les facteurs utiles aux fins de cette évaluation ni une liste complète de tous les types d'éléments de preuve pouvant déterminer l'existence d' "un comportement violent persistant".


Ces caractéristiques ne rendent évidemment pas la disposition inopérante du fait qu'elle serait imprécise. La disposition en question encadre le débat d'une façon cohérente en renvoyant à certains critères. Elle permet également de tenir compte de tout autre facteur pertinent quant à la question de savoir si un délinquant risque de causer à nouveau la mort ou un dommage grave à une autre personne. Le législateur a ainsi reconnu qu'il est possible d'appliquer des facteurs non énumérés dans la disposition pour interpréter l'article 132 et, étant donné que la pertinence constitue la condition préalable à l'examen de tout pareil facteur, il n'y a pas lieu de dire que la disposition est imprécise sur le plan constitutionnel. [je souligne]

Par conséquent, je suis d'avis que le demandeur a tort d'affirmer que la CNLC doit considérer les facteurs énumérés au paragraphe 132(1) de la Loi de façon cumulative.

[30]            Quant aux allégations du demandeur à l'effet que les facteurs dont disposait la CNLC était insuffisants pour en arriver à la conclusion que le demandeur risquait de commettre, avant l'expiration légale de sa peine, une infraction de nature à causer la mort ou un dommage grave à une autre personne, elles sont également, à mon avis, dénuées de tout fondement. Dans sa décision, la CNLC a fait état, en détail, d'un nombre appréciable de facteurs pouvant raisonnablement mener à la conclusion qu'il existe un risque que le demandeur commette, avant l'expiration légale de sa peine, une infraction de nature à causer la mort ou un dommage grave à une autre personne.


[31]            À mon avis, aucun élément de preuve ne permet de dire qu'en arrivant à sa conclusion, la CNLC s'est fondé sur un principe erroné ou sur des facteurs non pertinents ou inappropriés, ni que la Section d'appel a commis une erreur en acceptant les motifs de la CNLC. De plus, la Section d'appel a discuté amplement du paragraphe 132(1) de la Loi et a suffisamment étudié les facteurs dont la CNLC a tenu compte au moment de sa décision.

Question 4

[32]            L'alinéa 130(3)a) de la Loi, qui s'applique au demandeur, stipule que la CNLC peut interdire la mise en liberté du délinquant avant l'expiration de sa peine si elle est convaincue que celui-ci commettra, s'il est mis en liberté avant l'expiration légale de sa peine, une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne. Il est donc clair à la lecture de cette disposition que la Loi exige qu'afin de refuser la liberté conditionnelle à un détenu, la CNLC soit convaincue du fait que le délinquant commettra une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne. Il n'est pas suffisant qu'elle croit ou ait des motifs raisonnables de croire que le délinquant commettra une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne.

[33]            En l'espèce, dans sa décision, la CNLC a indiqué ce qui suit à ce sujet, à la page 6 :

La C.N.L.C. est convaincue que vous commettrez un délit de violence causant un dommage grave à la victime avant l'expiration du mandat et en conséquence, elle ordonne le maintien en incarcération.


À mon avis, il ne fait aucun doute que la CNLC n'a pas erré dans son application du test.

[34]            Toutefois, tel que le souligne le demandeur, la Section d'appel a fait référence à deux reprise au concept de « motifs raisonnables de croire » , à la page 3 :

Dans votre cas, on peut constater, à l'écoute de l'enregistrement de votre audience ainsi qu'à la lecture attentive de la décision rendue, que la Commission s'est bien penchée sur chacun des facteurs identifiés dans la Loi, lorsqu'elle s'est dite convaincue qu'il y avait des motifs raisonnables de croire que, si libéré, vous commettriez avant l'expiration légale de votre peine, une infraction entraînant un dommage grave à une autre personne. [je souligne]

et à la page 4 :

Les faits et/ou informations ci-haut mentionnés se retrouvent d'une façon ou d'une autre dans votre dossier, en plus d'avoir été discutés et/ou réfutés lors de votre audience, alors que les commissaires ont jugé qu'il y avait des motifs raisonnables d'interdire votre mise en liberté.    [je souligne].

[35]            Dans les deux cas, la référence au concept de « motifs raisonnables de croire » apparaît dans un contexte où la Section d'appel ne faisait que reprendre et expliquer les motifs de la CNLC. La Section d'appel n'indique à aucun moment que la CNLC a appliqué le mauvais test et il m'appert qu'elle ne cherchait pas non plus à modifier le test appliqué par la CNLC.


[36]            Bien qu'il s'agisse d'une erreur pour la Section d'appel de dire que la CNLC s'est dite « convaincue qu'il y avait des motifs raisonnables de croire » que le demandeur commettrait une infraction si libéré, il ne s'agit pas d'une erreur de droit dans le cadre de l'interprétation de la Loi, comme le suggère le demandeur. La Section d'appel ne fait que résumer la décision de la CNLC. Il s'agit tout simplement d'une mauvaise transcription des motifs de la CNLC qui, à mon avis, n'a aucun impact sur le critère légal à utiliser dans le cadre de l'alinéa 130(3)a) de la Loi ou sur la décision de la Section d'appel.

[37]            Conséquemment, puisque la CNLC a appliqué le test approprié lors de son évaluation de la preuve, je suis d'avis que les prétentions du demandeur doivent être rejetées.

Question 5

[38]            Le demandeur prétend finalement que la CNLC s'est appuyée sur des spéculations ou des interprétations provenant de faits non-fiables ou non-pertinents, et que la Section d'appel a commis une erreur en n'évaluant pas si l'information était pertinente et fiable.

[39]            À mon avis, encore une fois, ces allégations sont mal fondées. Premièrement, comme l'indique le défendeur, le fait que les autorités portent ou non des accusations criminelles contre le demandeur n'est pas pertinent dans le contexte de la demande de libération conditionnelle. Ensuite, contrairement aux dires du demandeur, la Section d'appel a examiné la preuve et les faits à l'appui de la décision de la CNLC, et a mentionné dans sa décision qu'elle avait procédé à un tel examen, à la page 4 :


Les faits et/ou informations ci-haut mentionnés se retrouvent d'une façon ou d'une autre dans votre dossier, en plus d'avoir été discutés et/ou réfutés lors de votre audience, alors que les commissaires ont jugé qu'il y avait des motifs raisonnables d'interdire votre mise en liberté. Aussi, nous devons vous rappeler que le rôle de la Section d'appel n'est pas de procéder à une réévaluation du risque et de substituer son jugement à celui des commissaires qui ont étudié votre cas, mais plutôt de s'assurer que la Loi, les politiques de la Commission ont été respectées, et qu'en plus la décision rendue est basée sur des renseignements adéquats, ce que nous avons reconnu plus haut dans la présente réponse à votre soumission d'appel.

[40]            Je suis d'avis que la preuve qui se trouve au dossier et qui a été soumise à la CNLC lui permettait d'en arriver à la conclusion qu'elle a tirée, et permettait également à la Section d'appel d'affirmer que la décision rendue par la CNLC était basée sur des renseignements adéquats.

CONCLUSION

[41]            Puisque, à mon avis, la Section d'appel n'a commis aucune erreur en l'espèce qui me permette d'intervenir, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée, le tout avec dépens en faveur du défendeur.

                                                                                                                      Marc Nadon

                                                                                                                                   Juge

O T T A W A (Ontario)

le 4 juillet 2001



[1] La décision de la Section d'appel de la CNLC se trouve à la page 7 du dossier du demandeur.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.