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Date : 19991126


Dossier : IMM-1024-98


ENTRE :

     KANGGUAN WANG

     demandeur

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     défendeur


     MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE


LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE


[1]      Le 22 novembre 1999, j"ai rejeté la requête du demandeur visant l"obtention d"une ordonnance enjoignant au défendeur de justifier pourquoi on ne devrait pas le condamner pour outrage au tribunal pour non-respect de l"ordonnance du 16 avril 1999 de M. le juge Evans. Mes motifs écrits sont les suivants.

I - Contexte

[2]      À l"appui de sa requête, le demandeur a déposé l"affidavit de Priscilla Lee. Le défendeur y a répondu en déposant l"affidavit de Marissa Beata Bielski. Pour l"essentiel, les faits décrits ici ne sont pas contestés.

[3]      Le 14 avril 1997, le demandeur a présenté une demande de visa afin d"entrer au Canada à titre de résident permanent. Avant sa venue aux États-Unis en février 1990, le demandeur vivait depuis toujours dans la province de Fujian en Chine.

[4]      Le 3 février 1998, une agente des visas a reçu le demandeur en entrevue. Cette entrevue s"est tenue en mandarin, avec l"aide d"un interprète choisi par le demandeur. À ce moment-là, aucune réserve n"a été exprimée quant à l"interprétation, même si le demandeur parle le dialecte fuzhou.

[5]      L"agente des visas a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur, et ce dernier a demandé le contrôle judiciaire de cette décision. On ne trouve rien sur la langue ou sur l"interprétation dans les motifs allégués dans la demande de contrôle.

[6]      Le 16 avril 1999, le juge Evans a accueilli la demande et délivré l"ordonnance suivante :

La demande de visa du demandeur est renvoyée à un agent des visas différent pour qu"il rende une nouvelle décision.

[7]      Le 22 mai 1999, une convocation envoyée au demandeur précisait qu"il devait se présenter à une entrevue au consulat canadien à Détroit à 9 h 30, le 23 juin 1999. La lettre de convocation précisait que si le demandeur avait besoin d"un interprète, il devait l"obtenir de l"une de trois agences accréditées. Le feuillet d"instruction attaché à la lettre indiquait en caractères gras que [traduction ] " les arrangements pour obtenir les services d"un interprète et les frais y afférents sont à VOTRE charge ".

[8]      Il ressort du dossier que l"avocat du demandeur a eu certaines difficultés pour obtenir que les agences accréditées lui fournissent un interprète de dialecte fuzhou. En conséquence, il a envoyé un courrier électronique le 16 juin 1999 à M. Howard Spunt, consul et directeur de programme d"immigration au consulat général du Canada à Détroit, lui demandant l"autorisation d"utiliser un interprète indépendant de dialecte fuzhou à l"entrevue. L"avocat a aussi envoyé copie à M. Spunt de son courrier électronique à la Chinese Students and Scholars Association de l"Université du Michigan, dont un extrait était rédigé comme suit :

         [traduction]

         Le directeur du programme au consulat a délivré un diktat qui oblige tous les demandeurs à obtenir un interprète d"une de trois agences et je me suis adressé aux trois. Un des agences m"a répondu qu"elle n"avait personne qui parlait le dialecte fuzhou, alors que les deux autres ont déclaré qu"elles feraient des recherches, ce qui veut dire qu"elles n"avaient pas non plus une telle personne dans leur groupe.
         Si vous êtes intéressé à agir comme interprète, je vous invite à entrer en rapport avec moi et je demanderai l"autorisation nécessaire au directeur du programme.

[9]      Dans une lettre datée du 21 juin 1999, M. Spunt oppose un refus à la requête du demandeur. Il motive ce refus en déclarant que seuls les interprètes des trois agences accréditées peuvent être utilisés, que ces agences ont des interprètes de mandarin, et que, à son avis, le demandeur connaît suffisamment le mandarin.

[10]      L"avocat du demandeur a tout de suite répondu à M. Spunt pour lui demander de revoir sa décision. Toutefois, il s"est rendu à Détroit avant d"avoir obtenu une réponse. Le 22 juin 1999, M. Spunt a envoyé la réponse suivante par télécopie :

         [traduction]

         Le message que je vous ai envoyé le 21 juin 1999 est sans équivoque. Si M. Wang ne désire pas poursuivre dans ces conditions, il peut demander (sans frais) que sa demande soit examinée par un autre bureau des visas.


[11]      Le 23 juin 1999, le demandeur s"est présenté à l"entrevue avec son avocat et avec un interprète indépendant. Après une attente d"à peu près trois heures dans une salle d"attente, où il n"y avait pas assez de chaises pour tout le monde, on les a informés que l"entrevue n"aurait pas lieu parce que l"interprète ne provenait pas de l"une des agences accréditées et qu"il n"avait pas reçu d"approbation au préalable.

[12]      Ce qui s"est produit ensuite est décrit dans l"affidavit de Priscilla Lee, déposé à l"appui de la requête du demandeur :

         [traduction]

         20.      M. Leahy m"a déclaré, et je crois sincèrement que c"est vrai, que par suite de ce qui s"est produit, M. Wang l"a accusé de l"avoir trompé intentionnellement en lui faisant prendre l"avion jusqu"au Michigan, perdre deux jours de travail, payer un interprète pour aider M. Leahy à le préparer pour l"entrevue qui n"a pas eu lieu, ainsi qu"un autre interprète pour l"entrevue, et il a refusé de rembourser à M. Leahy le coût de son voyage ou de payer les honoraires du Dr Chen, soit 150 $US, ce que M. Leahy...
         21.      M. Leahy m"a dit, et je crois sincèrement que c"est vrai, que par suite d"une demande de communication d"un document, faite après qu"il eut découvert que le défendeur avait un dossier à son sujet, il a appris qu"en octobre 1999 M. Spunt avait demandé à Ottawa de trouver une " solution durable " au problème causé par M. Leahy, qui refusait de s"incliner devant ses agents et devant lui; voir pièce " E ".
         22.      M. Leahy a déposé une demande de communication de document en mars, après que la Law Society of Upper Canada lui ait intimé en février de répondre sans délai à la plainte présentée à son sujet par le défendeur. M. Leahy m"a dit, et je crois sincèrement que c"est vrai, que le défendeur n"a donné aucune suite à l"offre de médiation de la Law Society et qu"il ne lui a pas fourni la documentation demandée.
         23.      Dans la semaine qui a suivi l"examen des documents obtenus par suite de sa demande, dont 40 pages étaient complètement enlevées et 11 partiellement enlevées, M. Leahy a écrit à M. Spunt et à tous les membres de son personnel, leur demandant de lui fournir dans la mesure du possible une corroboration directe des accusations faites par M. Spunt à son sujet. Il leur donnait jusqu"au 18 novembre pour répondre, après quoi il considérait qu"ils ne pouvaient prouver les accusations en question; voir les pièces " F " et " G ". Jusqu"ici, personne n"a répondu à cette demande.


[13]      Les renseignements suivants ont été fournis par le défendeur dans sa réponse. Le 20 août 1999, une deuxième convocation a été envoyée au demandeur, aux soins de son avocat, M. Leahy, pour une entrevue devant se tenir le 25 octobre 1999. À cette date, l"entrevue a effectivement eu lieu avec l"agente des visas Kim Brady. Cette entrevue s"est déroulée en mandarin, le demandeur étant accompagné d"un interprète rattaché à l"une des agences accréditées par le consulat. À la fin de l"entrevue, on a informé le demandeur qu"il faudrait un certain temps pour évaluer sa demande. Le 17 novembre 1999, il a reçu une réponse positive.

II - La nature des procédures pour outrage

[14]      Dans Olympia Interiors Ltd. c. Canada, ©1997ª 2 C.T.C. 70 (C.F. 1re inst.), le juge MacKay fait un résumé utile de la nature des procédures pour outrage au tribunal :

Est coupable d"outrage au tribunal quiconque désobéit à un bref ou une ordonnance de la Cour ou d'un de ses juges, ou agit de façon à gêner la bonne administration de la justice, ou à porter atteinte à l'autorité ou à la dignité de la Cour... Pour que pareille accusation tienne, il faut qu"il y ait eu des agissements spécifiques qui aillent à l"encontre de la responsabilité dont la Cour est investie pour assurer la bonne administration de la justice...
     ...
L"outrage au tribunal n"est pas quelque chose de trivial. La procédure en la matière est quasi pénale, en ce sens que dans l"éventualité d"une peine grave d"amende ou d"emprisonnement, il faut que l"intéressé qui pourrait être jugé coupable soit suffisamment prévenu à l"avance des faits relevés contre lui et qu"il soit jugé, sans l"ombre d"un doute raisonnable, coupable d"avoir sciemment commis l"infraction. Une définition de l"infraction se fera habituellement par référence à l"inobservation d"une certaine ordonnance de la Cour ou d"un de ses juges; autrement l"infraction serait difficile à prouver.

III - Les allégations des parties

[15]      Le demandeur soutient que la preuve qui m"est soumise démontre que M. Spunt a désobéi à l"ordonnance en cause, ou qu"il a agi de façon à gêner la bonne administration de la justice ou à porter atteinte à l"autorité ou à la dignité de la Cour. Les motifs à l"appui de la requête du demandeur sont exposés dans son avis de requête et dans les prétentions écrites déposées en son nom. Ces motifs sont regroupés par le demandeur sous quatre catégories : tortures physiques et mentales, obligation d"utiliser une langue donnée, annulation de l"entrevue et mauvaise foi.

[16]      Le demandeur soutient que M. Spunt lui a infligé des douleurs physiques et mentales en l"obligeant à rester debout et à se faire du mauvais sang pendant près de trois heures. Il soutient aussi que M. Spunt a manifesté son mépris en ordonnant dans quelle langue l"entrevue devait se dérouler. On peut trouver une preuve additionnelle de ce mépris dans l"annulation arbitraire de l"entrevue par M. Spunt. Finalement, il est allégué que ce faisant M. Spunt avait l"intention de susciter un conflit entre le demandeur et son avocat, étant motivé pour cela par son désir de ruiner sa pratique du droit.

[17]      Le défendeur soutient que le demandeur n"a pas présenté une preuve à première vue de l"outrage au tribunal. Rien dans la preuve n"indique que le défendeur aurait refusé de réexaminer ou n"aurait pas réexaminé la demande de résidence permanente présentée par le demandeur. En fait, le défendeur s"est acquitté de toutes ses obligations en vertu de l"ordonnance, détail qui aurait dû être porté à l"attention de la Cour par le demandeur. L"ordonnance du juge Evans n"exigeait pas que le défendeur fournisse un interprète de dialecte fuzhou. Il est clair que M. Spunt avait l"autorité requise pour exiger qu"on se conforme aux lignes directrices portant sur les interprètes. Par conséquent, le retard qui s"est produit dans le traitement de la demande de visa ne peut être imputé à M. Spunt.

IV - Analyse

[18]      Le 6 avril 1999, le juge Evans a ordonné que la demande de résidence permanente du demandeur soit renvoyée à un agent des visas différent pour qu"il rende une nouvelle décision.

[19]      Je note que M. Spunt n"est pas cité comme partie défenderesse et qu"on ne lui a pas signifié personnellement le dossier de requête, même si une personne jugée coupable d"outrage au tribunal peut se voir imposer une " peine grave ". Compte tenu de ma conclusion, il n"est toutefois pas nécessaire que je décide si M. Spunt aurait dû avoir un avis en bonne et due forme en l"instance.

[20]      Me fondant sur les affidavits déposés et sur les plaidoiries des avocats, je conclus que le demandeur n"a pas établi une preuve à première vue justifiant la délivrance d"une ordonnance enjoignant au ministre défendeur ou à M. Spunt de se justifier et de dire pourquoi ils ne devraient pas être déclarés coupables d"outrage au tribunal.

[21]      Le demandeur n"a pas fait la preuve que le ministre a eu connaissance des faits, ou qu"on puisse inférer qu"il en a eu connaissance, ce qui est un des éléments constitutifs de l"outrage au tribunal (Bhatnager c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration), [1990] 2 R.C.S. 217). Les faits démontrent clairement que le dossier du demandeur a fait l"objet d"une nouvelle décision par un agent des visas différent, selon ce qui était prévu dans l"ordonnance.

[22]      Le demandeur semble croire que le refus de M. Spunt de procéder à l"entrevue avec un interprète indépendant était une forme de représailles contre son avocat, mais je ne peux conclure au vu de la preuve que cette décision était erronée et encore moins qu"elle était vindicative. Rien ne démontre que le demandeur a reçu un traitement différent de celui accordé à tous les autres demandeurs ayant besoin d"un interprète. Il ne semble pas non plus dans les circonstances qu"il soit déraisonnable d"exiger qu"un demandeur fasse les arrangements requis et paie pour l"interprétation.

[23]      Je comprends que le demandeur et son avocat ont connu une certaine frustration dans leurs recherches pour obtenir un interprète de dialecte fuzhou. Toutefois, le demandeur aurait pu persévérer auprès des représentants des deux agences accréditées qui devaient le contacter à nouveau. De plus, le demandeur n"aurait pas dû être surpris qu"on ne puisse procéder à l"entrevue en l"absence d"un interprète accrédité.

[24]      À mon avis, la requête est sans fondement. Rien dans la preuve ne démontre que le ministre défendeur ou M. Spunt aient désobéi à une ordonnance de la Cour, ou qu"ils aient agi de façon à gêner la bonne administration de la justice ou à porter atteinte à l"autorité ou à la dignité de la Cour.

[25]      De plus, j"ai fortement l"impression que ces procédures poursuivent un objectif qui n"a rien à voir avec l"affaire du demandeur. Les derniers paragraphes de l"affidavit de Priscilla Lee font ressortir que la personne s"estimant vraiment lésée est l"avocat du demandeur, et non ce dernier.


     ORDONNANCE

[26]      En conséquence, la requête est rejetée avec dépens contre le demandeur, au nom de qui cette requête a été présentée, au montant de 500 $. L"avocat du demandeur a voulu présenter une question à certifier à la fin de l"audience. Cette requête a été rejetée au motif que cette démarche n"est pas appropriée dans les circonstances.


     Roger R. Lafrenière

     Protonotaire

Toronto (Ontario)

Le 26 novembre 1999


Traduction certifiée conforme


Jacques Deschênes

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats inscrits au dossier

No DU GREFFE :                  IMM-1024-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :          KANGGUAN WANG

     demandeur

                             et


                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     défendeur

DATE DE L"AUDIENCE :              LE LUNDI 22 NOVEMBRE 1999
LIEU DE L"AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE

DE M. LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

EN DATE DU :                      VENDREDI 26 NOVEMBRE 1999

ONT COMPARU                  M. Timothy E. Leahy
                             pour le demandeur
                         M me Andrea M. Horton
                             pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER      Timothy E. Leahy, Esq.

                         Avocat

                         5075, rue Yonge, pièce 408

                         Toronto (Ontario)

                         M2N 6C6

                             pour le demandeur
                         Morris Rosenberg
                         Sous-procureur général du Canada
                             pour le défendeur

                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA



Date : 19991126


Dossier : IMM-1024-98


                         Entre :

                         KANGGUAN WANG

demandeur


et



                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

défendeur


                        

            

                                                                         MOTIFS DE L"ORDONNANCE

                         ET ORDONNANCE

                            

                        

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