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Date : 20020626

Dossier : IMM-3033-01

Référence neutre : 2002 CFPI 709

ENTRE :

                                                         GILBERT JEAN-BAPTISTE

MARIE-EMMANUELLE JEAN-BAPTISTE GRÉGOIRE

                                                                                                                                              demandeurs

                                                                                  et

                                                  MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                   

                                                                                                                                                    défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX :

Les demandeurs, Gilbert Jean-Baptiste et son épouse Marie-Emmanuelle Jean-Baptiste Grégoire, sont citoyens d'Haïti. Le 24 mai 2001, la Section du statut de réfugié (le « tribunal » ) décide qu'ils ne sont pas réfugiés au sens de la Convention.


Le requérant principal est un activiste. Depuis 1992, il poursuit des activités politiques dans le but d'informer la population de la situation actuelle de son pays. Au cours des années, il aurait fondé en 1992, en 1995 et en 1997 des groupes politiques, il aurait fait de la radio en 1993 et 1994 et il aurait fondé une revue socio-politique en 1996. Il aurait cessé ses nombreuses activités lorsqu'il y avait trop de mécontentements ou qu'il ne se sentait plus en sécurité.

En octobre 1998, le requérant principal aurait recommencé à faire de la radio et il aurait poursuivi cette activité jusqu'au 12 mai 1999. Il aurait présenté des éditoriaux percutants dénonçant le gouvernement. Suite à ces éditoriaux, il aurait reçu de nombreuses menaces à la station de radio, chez lui et à son travail.

Le revendicateur principal allègue qu'il a décidé de quitter son pays suite aux menaces qui ont suivi un de ses éditoriaux. Le 12 mai 1999, il se serait rendu chez sa soeur avec son épouse et son fils. Le 28 juin 1999, la requérante et le fils auraient quitté Haïti pour le Canada. Le requérant les a rejoint au Canada le 9 août 1999.

Le 4 septembre 1999, les requérants et leur fils ont tenté d'entrer illégalement aux États-Unis. On leur aurait conseillé de revendiquer le statut de réfugié dans ce pays puisqu'ils avaient plus de chance d'être acceptés. Le fils a réussi à traverser la frontière. Les revendicateurs ont été détenus et ils ont décidé par la suite de revenir au Canada. Le 6 octobre 1999, à la frontière, ils ont revendiqué le statut de réfugié.


La requérante détient le statut de résidente permanente au Venezuela.

LA DÉCISION DU TRIBUNAL

Le tribunal détermine que la preuve n'est pas suffisante pour établir que les requérants ont une crainte bien fondée de persécution. Selon le tribunal, la preuve des demandeurs contient d'importantes contradictions et d'invraisemblances qui minent leur crédibilité et qu'il n'y pas de « possibilité raisonnable » de persécution si les requérants retournaient vivre en Haïti.

Le tribunal arrive à cette conclusion puisque 1) il y a des contradictions entre le témoignage du revendicateur principal et son FRP concernant le moment où il a décidé de quitter son pays et les dates de diffusions des différents éditoriaux; 2) l'invraisemblance que le requérant ait recommencé à faire de la radio avec des textes plus percutants après l'avoir quitté en 1994 pour une question de sécurité; 3) le magasinage de pays et le délai pour revendiquer le statut de réfugié; et 4) la requérante aurait pu quitter Haïti pour se rendre au Venezuela avant le 28 juin 1999, surtout qu'elle dit être en insécurité depuis 1994.


De plus, le tribunal soulève le fait que le revendicateur n'a pas présenté aucune preuve documentaire de ses éditoriaux qu'il aurait diffusés à Radio Plus pour la période de 1998-1999.

ANALYSE

Le tribunal détermine que certaines allégations des demandeurs minent grandement leur crédibilité et leur crainte subjective. Il s'agit donc, en espèce, d'une décision fondée sur des conclusions de fait. En vertu de l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, cette Cour ne devrait pas intervenir à moins que la décision du tribunal est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont il dispose, ce qui équivaut à une conclusion manifestement déraisonnable.

Dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada, Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793 à la page 844, le juge L'Heureux-Dubé a écrit au paragraphe 85 :


Nous devons nous souvenir que la norme quant à la révision des conclusions de fait d'un tribunal administratif exige une extrême retenue... . Les cours de justice ne doivent pas revoir les faits ou apprécier la preuve. Ce n'est que lorsque la preuve, examinée raisonnablement, ne peut servir de fondement aux conclusions du tribunal qu'une conclusion de fait sera manifestement déraisonnable, par exemple, en l'espèce, l'allégation suivant laquelle un élément important de la décision du tribunal ne se fondait sur aucune preuve... .

Dans l'affaire Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315, le juge Décary a statué, au paragraphe 4, au nom de la Cour d'appel fédérale:

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

Dans Shahamati c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 415, le juge Pratte a mentionné au nom de la Cour d'appel fédérale :

... on ne nous a pas convaincus que la conclusion que la Commission a tirée au sujet de la crédibilité était abusive ou arbitraire. Contrairement à ce qu'on a parfois dit, la Commission a le droit, pour apprécier la crédibilité, de se fonder sur des critères comme la raison et le bon sens.

La Cour d'appel fédérale a dit dans l'affaire Mostajelin c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (15 janvier 1993) A-122-90, sous la plume du juge Décary :

La conclusion de la Commission que la preuve de l'appelant n'était pas digne de foi est fondée sur le comportements de ce dernier, l'incompatibilité entre le Formulaire de renseignements personnels et le témoignage de l'appelant et un ensemble d'inconsistances et d'invraisemblances dans son témoignage. Cette Cour n'a pas le pouvoir de contrôler de telles conclusions relatives à la crédibilité.

Il ne fait aucun doute que la crédibilité du revendicateur principal a été sérieusement minée par les réponses qu'il a données dans son FRP et dans son témoignage oral.


Le tribunal soulève de nombreuses contradictions. Ces contradictions sont au coeur de la revendication. Le revendicateur allègue avoir décidé de quitter son pays suite aux différentes menaces qu'il aurait reçues après avoir diffusé un éditorial. Pourtant, il se contredit à savoir quand cet éditorial a été diffusé et de quel éditorial il s'agit.

À l'audience, le revendicateur a mentionné qu'il a pris la décision de quitter son pays en avril 1999 alors que dans son FRP il parle de mai. Le tribunal a déterminé que la confusion entourant la diffusion des éditoriaux minait la crédibilité du revendicateur. Le tribunal a écrit :

Le revendicateur aurait pris sa décision en avril, suite à des menaces reçues, parce qu'il avait fait un éditorial sur les ondes de la radio : « Lavalas et Duvaliéristes, deux frères siamois qui ne s'entendent pas » . Mais, selon son FRP, il aurait été fait en octobre 1998. L'éditorial sur le CIMO aurait été fait en avril mais à l'audience, le revendicateur a parlé de mai. Selon son FRP, en mai, il aurait demandé « À quand les résultats de l'enquête » . Le revendicateur n'est pas crédible.

Il faut se rappeler que le tribunal a la compétence d'évaluer la crédibilité du revendicateur. Les événements qu'il contredit sont à la base de sa revendication. Le tribunal allègue que « [d]ire simplement qu'il s'est trompé n'est pas une explication suffisante » . Le revendicateur est confus concernant l'événement qui aurait déclenché sa décision de quitter son pays.

Les requérants affirment que le tribunal n'aurait pas fait référence à certains événements qui remontent jusqu'en 1992. Pourtant, dans la décision, le tribunal fait un historique des implications socio-politiques du revendicateur principal ainsi que certains incidents qui s'en sont suivis.


De plus, le tribunal juge que le revendicateur principal n'avait pas une crainte subjective puisqu'il soutient qu'il est invraisemblable que le revendicateur a recommencé à faire de la radio avec des textes percutants après l'avoir quitté quelques années plus tôt pour des raisons de sécurité.

Le revendicateur avait déjà eu l'expérience de la radio, qu'il aurait quitté en décembre 1994, par crainte pour sa sécurité. S'il avait quitté parce qu'il craignait pour sa sécurité, il est invraisemblable de croire que, dans un tel contexte, il reprenne son service à la Radio avec des textes plus percutants, contrairement à ce qu'il faisait avant, dans sa revue GAFARD (pièce P-8), dont les articles sont plus doux, moins agressants et plus neutres, dont il a arrêté la publication pour sa sécurité. Le tribunal ne croit pas que le revendicateur avait une crainte subjective car il a repris la même activité volontairement. [c'est moi qui souligne]

Au sujet de la crainte subjective de la revendicatrice, il faut garder à l'esprit qu'elle a la résidence permanente au Venezuela. Le tribunal a conclu qu'elle aurait pu quitter Haïti avant le 28 juin 1999 et que ce délai mine à sa crainte subjective surtout qu'elle allègue une insécurité depuis 1994.

Le tribunal conclut que les comportements des requérants à la frontière minent grandement à leur crédibilité. Les revendicateurs ont tenté d'entrer illégalement aux États-Unis, un mois après l'arrivée au Canada du revendicateur principal. N'ayant pas aimé la façon dont les autorités américaines les ont traités, ils ont préféré revenir au Canada et faire une demande de revendication du statut de réfugié. Il ne faut pas oublier que la mère et la soeur de la revendicatrice résident aux États-Unis. Le magasinage de pays mine à la crédibilité des revendicateurs.


La décision du tribunal n'est pas déraisonnable. Les contradictions et l'invraisemblance qui sont au coeur de la revendication ainsi que le comportement des requérants à la frontière sont tous des éléments qui minent la crédibilité des revendicateurs. Pour ces raisons, le tribunal détermine que la preuve n'est pas suffisante pour conclure à une crainte bien fondée de persécution.

Cette demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question certifiée n'est proposée.

                "François Lemieux"                 

juge                          

Montréal (Québec)

le 26 juin 2002


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Date : 20020626

Dossier : IMM-3033-01

Entre :

GILBERT JEAN-BAPTISTE

MARIE-EMMANUELLE JEAN-BAPTISTE GRÉGOIRE

demandeurs

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                                  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                  


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :IMM-3033-01

INTITULÉ :

GILBERT JEAN-BAPTISTE

MARIE-EMMANUELLE JEAN-BAPTISTE GRÉGOIRE

demandeurs

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :le 20 mars 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : L'HONORABLE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :26 juin 2002

COMPARUTIONS:

Me Luc R. DesmaraisPOUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Diane LemeryPOUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Luc R. DesmaraisPOUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Morris RosenbergPOUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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