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     Dossiers : T-1724-99 et T-1755-99

ENTRE :

     T-1724-99

     ANGELO DEL ZOTTO

     demandeur

     et

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

     et JOHN EDWARD THOMPSON

     défendeurs

ET ENTRE :

     T-1755-99

     HERBERT NOBLE

     demandeur

     et

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

     et JOHN EDWARD THOMPSON

     défendeurs

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

     Que la transcription révisée ci-jointe des motifs de l'ordonnance que j'ai prononcés à l'audience tenue à Toronto (Ontario), le 3 décembre 1999, soit déposée conformément à l'article 51 de la Loi sur la Cour fédérale.

     François Lemieux

     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

LE 10 JANVIER 2000

Traduction certifiée conforme


Pierre St-Laurent, LL.M.


     Nos : T-1724-99

     T-1755-99

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     (SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE)

ENTRE :

     No T-1724-99

     ANGELO DEL ZOTTO

     demandeur

     et

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

     et JOHN EDWARD THOMPSON

     défendeurs

ET ENTRE :

     No T-1755-99

     HERBERT NOBLE

     demandeur

     et

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

     et JOHN EDWARD THOMPSON

     défendeurs

     -----------------------------------

     EN PRÉSENCE DE

     MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

     Salle d'audience no 1

     361, avenue University, 8e étage

     le vendredi 3 décembre 1999

     -----------------------------------


     CONTRÔLE JUDICIAIRE

     DISPOSITIF ET MOTIFS DE LA DÉCISION

GREFFIÈRE                                  Lisa Rotarore

AVOCATS

     T. G. HEINTZMAN, c.r.          )

     W. C. McDOWELL,          )              pour le demandeur

     I. BLOOM, c.r.              )

     S. ALBIN,                  )              pour les défendeurs

     (i)



     TABLE DES MATIÈRES

     Pages


     Dispositif et

     motifs de la décision ...............................................................      213 à 250

---L'audience, suspendue à 16 h 10, reprendra pour le prononcé de la décision


---Dispositif et motifs de la décision prononcés à 16 h 35

         LA COUR : Je vous ai déjà dit qu'en raison de l'état actuel des choses, le président d'enquête a ajourné l'affaire en attendant que la Cour statue sur la question et je crois comprendre qu'une conférence téléphonique de suivi est prévue la semaine prochaine à ce sujet. Compte tenu de ce fait, il importe, à mon avis, que je vous fasse part de mon jugement en ce qui concerne les deux demandes de contrôle judiciaire dont je suis actuellement saisi.

         Je ne m'exprimerai pas verbalement aussi bien que je le fais habituellement par écrit et me reporterai à un certain nombre de documents. Voici donc les motifs à l'appui de ma décision :

         Il s'agit en l'occurrence de demandes de contrôle judiciaire présentées respectivement par les demandeurs Angelo Del Zotto, no du greffe T-1724-99, et Herbert Noble, no du greffe T-1755-99.

         Ces demandes portent sur des décisions rendues par l'honorable juge Flanigan, un président d'enquête chargé de conduire une enquête instituée par le ministre en vertu de l'article 231.4 de la Loi de l'impôt sur le revenu, concernant les affaires financières de M. Del Zotto. Les décisions en cause faisaient suite à des requêtes présentées par les demandeurs en date des 16, 17 et 18 août 1999.

         Par ces requêtes, le demandeur, Angelo Del Zotto, a demandé ce qui suit :

1.          Une décision déclarant que, eu égard aux dispositions de l'article 231.4 de la Loi de l'impôt sur le revenu et aux impératifs d'équité et de justice fondamentale, l'objectif explicite de l'ordonnance rendue par M. Jean-Claude Couture, juge en chef de la Cour canadienne de l'impôt, le 15 décembre 1995, portant nomination de M. Flanigan pour enquêter [TRADUCTION] " sur les affaires de M. Angelo Del Zotto ", ainsi que l'autorisation donnée par M. Gravelle en date du 9 octobre 1992 visant une enquête [TRADUCTION] " sur les affaires de M. Del Zotto pour les années 1979 à 1985 " ne sont pas conformes aux prescriptions de la Loi de l'impôt sur le revenu du fait que

         a)      tant l'ordonnance que l'autorisation n'ont pas fait état [TRADUCTION] " d'un objectif touchant l'exécution ou l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu ", qu'elles sont inacceptablement vagues et ne doivent comporter qu'un seul objectif dûment autorisé et plus précisément défini. Subsidiairement, le ministre du Revenu national devrait être tenu de fournir à M. Del Zotto des précisions relatives aux questions sur lesquelles portera l'enquête;

         b)      compte tenu de l'objectif précis ou, subsidiairement, des précisions ainsi fournies, le principe d'équité veut que M. Del Zotto obtienne, bien avant l'audition des témoins, tous les renseignements pertinents détenus par le ministre, par l'agent enquêteur, par le président d'enquête et par toute autre personne chargée par le ministre d'appliquer et d'exécuter la Loi de l'impôt sur le revenu, afin de lui permettre de se préparer à contre-interroger les témoins et à répondre à leur témoignage;

         c)      l'équité exige que M. Del Zotto et son avocat aient inconditionnellement le droit d'assister à toute l'enquête et de contre-interroger tous les témoins ayant déjà fait l'objet d'un interrogatoire principal par l'agent d'enquête ou par son avocat;

         d)      M. Del Zotto veut faire trancher la question de savoir si M. Flanigan jouit d"une indépendance institutionnelle suffisante pour s'acquitter de l'obligation d'équité et de justice fondamentale;

         e)      M. Del Zotto veut, en application de la loi, obtenir une décision confirmant que toute assignation délivrée par le président d'enquête précédent ou qui assigne à une date ou à un lieu antérieur, est désormais caduque, qu"il est inacceptablement vague et, partant, invalide. M. Del Zotto veut qu'une décision vienne confirmer que seules sont valides les assignations délivrées par l'actuel président d'enquête pour les temps et lieu qu'il détermine;

         f)      M. Del Zotto sollicite des directives au sujet de la procédure à suivre en ce qui concerne les questions auxquelles l'avocat s'oppose. Le président d'enquête doit veiller à ce que ces questions fassent l'objet d'une transcription distincte et qu'elles soient enregistrées sur bande vidéo; toutefois, le témoin est autorisé à y répondre. Lorsque le témoin recevra instruction de son avocat de s'abstenir de répondre à la question posée, il y aura lieu d'obtenir d'une cour fédérale des directives pour déterminer si le domaine d'interrogation est approprié;

         g)      M. Del Zotto demande respectueusement que l'affaire soit renvoyée pour jugement devant la Cour fédérale en application de l'article 18.3 de la Loi sur la Cour fédérale.

         L'avocat de M. Noble a, quant à lui, présenté à M. Flanigan des arguments - dont je cite quelques extraits - qui portent essentiellement sur ce qui suit :

1.          L"assignation lui ayant été signifiée est invalide et n"a plus d"application, et une nouvelle assignation valide doit lui être signifiée si sa présence est requise au tribunal. M. Noble fait respectueusement siens les arguments présentés au nom de M. Del Zotto.

2.          Quant à l'avis et à la communication concernant le témoignage de M. Noble, celui-ci appuie l"argument de M. Del Zotto voulant que, eu égard aux dispositions de l'article 234.1, le mandat relatif à l'enquête soit obligatoirement spécifié et restreint. De plus, M. Noble avalise et adopte la demande de M. Del Zotto voulant que lui soient communiqués avant l'audition des témoins tous les renseignements pertinents détenus par le ministre relatifs aux questions faisant l"objet de l'enquête. À cette fin, M. Noble requiert une ordonnance visant à obtenir un avis et la divulgation de tous les renseignements pertinents que possède le Ministre sur les questions le concernant qui feront l'objet de dépositions à l'enquête et, également, sur toutes les questions et pièces sur lesquelles on se propose de l'interroger.

         M. Noble fait siens les arguments présentés au nom de M. Del Zotto, auxquelles fait écho aujourd'hui son propre avocat, Me Gold, alléguant que son client ne saurait témoigner sans s'être effectivement préparé en pleine connaissance de cause, sans quoi l'avocat ne peut lui prêter qu'une aide tout à fait limitée.

         En ce qui concerne les questions de procédure, l'avocat de M. Noble, dans ses observations à M. Flanigan, a invoqué un certain nombre d"arguments :

1.          En premier lieu, que l"avocat du ministre interroge M. Noble seulement dans le cadre d'un interrogatoire principal dénué de questions suggestives.

2.          Une fois cet interrogatoire terminé, l'avocat de M. Noble doit avoir toute latitude pour contre-interroger son client sur toute question qui relève du mandat relatif à l'enquête.

3.          Dans la mesure où des questions soulevées au cours de l"interrogatoire d"un témoin touchent M. Noble, celui-ci devrait être en droit de contre-interroger le témoin à propos de ces questions.

         Une question a été soulevée concernant l'enregistrement sur bande vidéo, mais je ne crois pas devoir en faire état à ce stade-ci.

         On s'est également demandé aujourd'hui si Me Gold pouvait représenter d'autres témoins. Me Gold et M. Noble sollicitent des directives à ce sujet. Je ne crois pas cependant qu'il y ait là matière à litige aujourd'hui et la demande est en fait modifiée de façon que Me Gold soit présent aux audiences, sous réserve du consentement de M. Del Zotto.

         Tels sont donc les arguments présentés au président d'enquête, M. Flanigan. D'après ce qu'on m'a dit aujourd'hui, les décisions de ce juge figurent dans trois documents.

         Il y a d'abord sa décision du 1er septembre 1999. En deuxième lieu, M. Del Zotto a mentionné le dossier de la requête dans sa demande de sursis, soit la transcription de l'audience du 27 septembre 1999, où M. Flanigan a rendu d'autres décisions. Le troisième document est une lettre du 20 octobre 1999 que M. Flanigan a adressée à Me McDowell, coavocat de M. Del Zotto.

         L'avocat des défendeurs s'est opposé aux requêtes des demandeurs ayant donné lieu à la demande de contrôle judiciaire.

         Voici l'interprétation que je donne aux décisions du président d'enquête. Il était persuadé tout d'abord que les exigences juridiques étaient respectées en ce qui le concerne au regard de l'indépendance ou de l'impartialité sur le plan institutionnel. Il a jugé que des décisions comme celles rendues dans Beauregard et Valente ne s'appliquaient pas en l'espèce du fait qu'il n'est pas lui-même un organe judiciaire qui tranche des litiges ou détermine les droits des parties. Il s'est appuyé en cela sur les propos du juge Strayer dans les contestations faites par Del Zotto et Noble, en vertu des art. 7 et 8 de la Charte, contre cette enquête.

         J'ajouterais tout de suite que la Cour suprême a adopté le raisonnement du juge Strayer dans sa décision, à laquelle je me reporterai plus loin.

         À mon sens, le président d'enquête a adopté dans sa décision une méthode plus souple que celle utilisée par le juge en chef Lamer dans l'affaire Canadien Pacifique c. Matsqui, et a conclu que le degré d'impartialité requis était minime du fait que lui-même ne statuait sur aucune question et qu"il avait une fonction administrative.

         Quant à l"inamovibilité, le président d'enquête a déclaré que la question de l"indépendance institutionnelle ne jouait pas dans les cas où il y avait un tribunal ad hoc et où il n"y aurait ou ne pouvait y avoir d"effet sur l"avenir du président d"enquête (comme c"est le cas en l"espèce). De plus, toute action inappropriée que viendrait à prendre le Ministre pourrait, le cas échéant, être soumise au jugement de cette Cour.

         Sur le plan de la sécurité financière, il a indiqué qu'il avait signé un contrat avec le ministère du Revenu national et, partant, que cette question ne se posait pas.

         En outre, si je comprends bien sa décision, le président d'enquête a conclu qu'il jouissait d'une pleine autonomie, dont l'exercice est subordonné aux exigences de la loi. En d'autres termes, il a déclaré que la loi lui accordait l'autonomie voulue pour s'acquitter de ses fonctions avec indépendance et impartialité, ajoutant qu'il ne suffisait pas d'une vague allégation pour prouver la partialité ou le manque d'indépendance institutionnelles.

         En ce qui concerne les questions de procédure, il m'apparaît que le président d'enquête a admis l'existence d'une obligation d'équité tout en ajoutant qu'il était cependant impossible de dire généralement en quoi elle consistera dans une enquête comme celle-ci et qu'il faut confier au président d'enquête le soin de traiter certaines de ces questions à mesure qu'elles se présentent.

         Il a cependant rendu les décisions suivantes. Au sujet tout d'abord de la portée excessive du mandat, et en se fondant sur un commentaire du juge Strayer dans la contestation d'ordre constitutionnel Del Zotto/Noble, il s'est dit d'accord avec les demandeurs et a limité la portée de l'enquête aux seules questions touchant l'application et l'exécution de la Loi, jugeant non pertinents et excluant les documents de nature personnelle qui n'avaient rien à voir avec la perception d'impôts.

         Quant à la présence des témoins et aux droits à l'avocat de M. Del Zotto, il a fait une analyse à deux volets, l'un concernant le droit à l'avocat du témoin et l'autre, le droit à l'avocat de M. Del Zotto.

         Et relativement aux droits d'un témoin et au droit du témoin à l"avocat, le président d'enquête s'est reporté à la disposition qui nous concerne aujourd'hui, le paragraphe 231.4(5) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui prévoit :

         " Quiconque témoigne à une enquête autorisée par le paragraphe (1) a le droit d'être représenté par avocat et, sur demande faite au ministre, de recevoir transcription de sa déposition. "

         Le président d'enquête a demandé ce qu'il fallait entendre par " représenté " par avocat au sens du paragraphe en question. En d'autres termes, il s'est interrogé sur la portée de ce droit. Il a conclu que seuls les droits énoncés dans ce paragraphe étaient reconnus au témoin, puis il a décidé ce qui suit :

1.          L'avocat du témoin peut interroger celui-ci après que l'a fait l'avocat du président d'enquête afin de tirer au clair toute question qu'il estime nécessaire de préciser et que le président d'enquête n'a pas jugée irrecevable.

2.          L'avocat du témoin ne peut contre-interroger celui-ci.

3.          Par souci d'équité envers le témoin, le président d'enquête accordera assez de latitude pour assurer que la déposition soit précisée.

4.          Une fois ces droits exercés, l'avocat de ce témoin n'a plus aucun droit ni aucune qualité au regard de l'enquête, à moins que le témoin soit rappelé. Il lui est interdit d'assister au déroulement de la procédure et de présenter après coup des arguments. Il lui est loisible cependant de demander au président d'enquête, une fois que son client a fini de témoigner, l'autorisation de présenter des arguments portant sur cette déposition.

5.          Ailleurs dans sa décision, le président d'enquête a indiqué que l'avocat d'un témoin pouvait s'opposer à des questions irrégulières.

         En ce qui touche maintenant les droits de M. Del Zotto et de son avocat, M. Flanigan s'est reporté au paragraphe 6 de l'article de loi que je viens de citer et qui prévoit :

         " Toute personne dont les affaires donnent lieu à une enquête autorisée par le paragraphe (1) a le droit d'être présente et d'être représentée par avocat tout au long de l'enquête, sauf si le président d'enquête nommé en vertu du paragraphe (2) en décide autrement, sur demande du ministre ou d'un témoin, pour tout ou partie de l'enquête, pour le motif que la présence de cette personne et de son avocat ou de l'un d'eux nuirait à la bonne conduite de l'enquête.

         Là encore, le président d'enquête a posé, me semble-t-il, la même question, celle de savoir ce que signifie dans ce contexte le mot " représentée ", et voici ce qu'il en a conclu :

1.          M. Del Zotto et son avocat ont le droit, sauf interdiction, d'assister à toute la procédure d'enquête.

2.          M. Del Zotto a les mêmes droits qu'un témoin sans plus, ce qui veut dire que son avocat est autorisé à lui poser des questions s'il est convoqué - et M. Del Zotto ne l'a pas été à ma connaissance - en vue de faire le point sur sa déposition.

3.          Au sujet des témoins autres que le client, M. Flanigan a jugé que le mot " représentée " au sens du paragraphe 6, signifiait que l'avocat de M. Del Zotto était en droit d'interroger chaque témoin pour en obtenir des éclaircissements et exposer de façon équitable le témoignage à M. Del Zotto. Cependant, cela ne lui donne pas le plein droit de contre-interroger le témoin, mais seulement d'obtenir des précisions, sous réserve d'intervention par le président d'enquête uniquement.

         Si je comprends bien, M. Flanigan a en outre indiqué ailleurs dans sa décision que l'avocat de M. Del Zotto pouvait s'opposer à des questions irrégulières.

         Pour en terminer avec les décisions de M. Flanigan, je veux dire simplement qu'à mon avis, celle du 27 septembre 1999 portait essentiellement sur le rôle de l'avocat du témoin. Je m"inspire du mémoire présenté à la Cour par M. Noble et j"espère brosser un tableau complet des décisions ultérieures.

         D'après moi, ces décisions énonçaient que l'avocat de M. Noble ne serait pas autorisé à assister à l'enquête jusqu'à ce que son client soit appelé à témoigner, après quoi il serait exclu de l'enquête. Le président d'enquête a évoqué, comme seul motif d'exception, le cas où Me Gold cesserait de représenter M. Noble; il pourrait alors demander à rester pour seconder l'avocat de M. Del Zotto.

         La deuxième précision porte sur le fait que le président d'enquête a décidé que l'on prendrait acte des objections soulevées au cours de l"enquête, et qu"on les soumettrait collectivement, et non individuellement, à un contrôle judiciaire une fois l'enquête terminée. En outre, lorsque les éclaircissements ont été recueillis, semble-t-il, le 27 septembre, le président d'enquête a indiqué que les tentatives visant à interrompre l"enquête exigeraient des mesures immédiates.

         Le troisième document explicatif est la lettre du 20 octobre 1999 adressée à Me McDowell disant - si mes notes sont exactes - qu'on ne reconnaît pas à M. Del Zotto le droit de convoquer des témoins. C'est l'agent enquêteur qui dirige l"audience, sous réserve de ce que peut dire le président d'enquête à un moment ou l'autre.

         Je cite maintenant ce passage de la lettre du 20 octobre 1999, où le président d"enquête dit textuellement ce qui suit :

         [TRADUCTION] " À mon avis, le texte de la décision indique manifestement que M. Del Zotto n'a pas le droit de convoquer des témoins. L'agent enquêteur dirige l"audience, sous réserve de la décision du président d'enquête. Si ce dernier est persuadé, au moment pertinent et dans un souci d'équité, qu'il faudrait convoquer un témoin pour préciser un élément de preuve, la question peut être traitée à ce moment-là. Cela signifie, d'après moi, que si le président d'enquête est persuadé, par souci d'équité envers un témoin, qu'on pourrait en convoquer un autre pour préciser un élément de preuve, ce point ferait l'objet d'une décision précise. "

         En ce qui concerne la communication, tant à M. Del Zotto qu'à un témoin, des éléments de preuve qu'on cherche à obtenir du témoin, il a jugé que ni l'un ni l'autre n"avait un pareil droit vu qu'aucune accusation n'avait été portée. Il s'est fondé en cela sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Guay c. Lafleur , que des modifications législatives ont plus tard atténué.

         Il a déclaré que l'enquête qu'il menait était de nature purement administrative, qu'elle ne tranchait rien du tout ni ne statuait sur quoi que ce soit. Ce n"était pas une enquête judiciaire ou quasi judiciaire, mais une enquête privée. Il s"agissait d"une enquête instituée par le ministre et visant à établir des faits qu'il juge nécessaires pour s'acquitter de ses obligations consistant à évaluer et à percevoir les impôts. Il a souligné qu'aucune accusation n'avait été portée et que les nouvelles cotisations restaient encore à établir. Il a dit en outre que ni l'arrêt Guay c. Lafleur ni la Loi ne reconnaissaient à M. Del Zotto le droit de décider de l"objet de l'enquête.

         Il s'est également reporté à l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Irvine en soulignant qu'on en était encore à la première étape de la procédure et que la Cour devait prendre garde de ne pas surcharger ni compliquer indûment le processus d'enquête visant l'application de la loi. Il a ensuite ajouté que la Cour était portée à ne pas intervenir dans une enquête encore embryonnaire dont l'objet consistait à déterminer les faits essentiels.

         Il a également mentionné que le cas qui se présentait à lui contrastait avec celui d'un organisme habilité à prendre des décisions ayant des effets préjudiciables pour un individu. Il a dit ensuite que les opinions que les membres de la Direction des enquêtes spéciales pouvaient avoir sur M. Del Zotto n'étaient que préliminaires et que la Direction n'avait rien tranché du tout. Si j"ai bien compris, il a établi une distinction d'avec l"arrêt Stinchcombe du fait qu'aucune accusation criminelle n'avait été portée.

         Quant à la validité des assignations, M. Flanigan a rejeté l'argument de caducité. Il s'est reporté en cela aux conclusions du juge Strayer dans la précédente affaire Del Zotto et jugé que ces citations étaient toujours valides, qu'elles n'étaient pas venues à expiration et que l'avocat de M. Noble en avait eu amplement avis; c'est pourquoi, il a rejeté la requête.

         Je voudrais simplement aborder ici deux autres sujets : en premier lieu, la question de la norme de contrôle qui se pose toujours, comme vous le savez, dans le cadre d"une demande de contrôle judiciaire comme celle-ci.

         Considérant en outre les critères que Mme le juge L'Heureux-Dubé a énoncés dans l'arrêt Baker, rendu en juillet dernier, soit la présence ou l'absence d'une clause privative, l'expertise du tribunal, l'objet de la disposition et la nature du problème en question, j"applique la norme de la décision correcte. Aucune clause privative n'existe en l'espèce. De par sa nature, le problème en cause ne porte pas sur des questions de fait, mais sur des conclusions d'ordre juridique; il ne s'agit pas de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, mais essentiellement de questions de droit. Quant à l'expertise du tribunal, j'estime que ce critère n'entre pas en jeu. En application de cette norme, la question qui se pose donc à moi est celle de savoir si la décision du président d'enquête est conforme à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale : a-t-il commis une erreur susceptible d'un contrôle judiciaire?

         À mon avis, nous sommes aux prises avec un problème de nature législative du fait que dans les deux dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu que j'ai citées, le législateur a délimité les droits des témoins et, dans ce cas-ci, ceux de M. Del Zotto, qui fait l'objet de l'enquête. Cependant, j"estime qu"il ne s'agit pas seulement d"une question d"interprétation législative, car le droit à la représentation n"est pas prévu et il faut s'en remettre aux principes d'équité et de la common law pour tisser ce que j'appelle la toile de fond sur laquelle doivent s'inscrire les droits de participation que le législateur envisageait.

         Avant d'aborder les décisions du président d'enquête et de commenter l'affaire, je me propose de formuler un certain nombre d'observations, la première étant que la Cour suprême du Canada a clairement dit à maintes reprises durant les trente dernières années qu'il faut éviter les généralisations en matière d'équité et de justice fondamentale, qu'il existe tout un éventail de droits de participation, qu'aucun modèle ne convient à toutes les situations et que la teneur de ces droits est fonction des circonstances.

         C'est ce qui ressort clairement des propos tenus par Mme le juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Baker, où elle a dit que la notion d'équité procédurale était éminemment variable et que son contenu était tributaire du contexte particulier de chaque affaire. Je me reporte particulièrement ici au paragraphe 21 des motifs de son jugement, où elle dit que l'existence de l'obligation d'équité ne détermine pas quelles exigences s'appliqueront dans des circonstances données et qu'il faut tenir compte de toutes les circonstances pour décider de la nature de cette obligation.

         Mme le juge L'Heureux-Dubé a poursuivi en disant au paragraphe 22 que, même si l'obligation d'équité était souple et variable et qu'elle reposait sur une appréciation du contexte de la loi particulière et des droits visés, il était utile d'examiner les critères à appliquer pour déterminer les droits procéduraux requis par l'obligation d'équité dans des circonstances données.

         Je ne vais pas les reprendre un à un, mais comme on en a la liste je vais simplement les résumer. Mme L'Heureux-Dubé a considéré les facteurs suivants : la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir. Elle a fait remarquer que plus le processus prévu, la fonction du tribunal, la nature de l'organisme rendant la décision et la démarche à suivre pour y parvenir ressemblaient à une prise de décision judiciaire, plus il était probable que l'obligation d'agir équitablement exige des protections procédurales proches du modèle du procès.

         Voilà qui est clairement énoncé au paragraphe 23. Je répète : plus le processus prévu, la fonction du tribunal, la nature de l'organisme rendant la décision et la démarche à suivre pour y parvenir ressemblent à une prise de décision judiciaire, plus il est probable que l'obligation d'agir équitablement exigera des protections procédurales proches du modèle du procès.

         Le deuxième facteur qu'elle a examiné est la nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle agit l'organisme.

         En troisième lieu, elle a tenu compte de la nature et de l'étendue de l'obligation d'équité en fonction de l'importance de la décision pour les personnes visées, ajoutant que plus la décision est importante pour la vie de ces personnes et plus elles se répercutent sur elles, plus les protections procédurales requises seront rigoureuses.

         En quatrième lieu, elle a considéré comme autre facteur pertinent pour déterminer la procédure, les attentes légitimes des personnes qui contestent la décision.

         Le cinquième facteur, dont on a parlé aujourd'hui, est l'analyse visant à définir quelles procédures sont requises par l'obligation d'équité. Cette analyse devrait également prendre en considération et respecter les choix de procédures que l'organisme fait lui-même, surtout quand la loi habilite le décideur à le faire ou quand l'organisme possède l'expertise voulue pour déterminer la procédure appropriée dans les circonstances.

         Ma seconde observation d'ordre général porte sur le fait que la question dont je suis saisi a été elle-même évoquée dans la contestation constitutionnelle à laquelle les demandeurs étaient parties. Je suis conscient de la différence découlant du fait que la contestation des demandeurs était d'ordre constitutionnel et qu"elle visait l'enquête, son mandat ainsi que l"assignation délivrée à M. Noble et, comme je vous l'ai déjà dit, la Cour suprême a entériné la décision du juge Strayer.

         Mais ce que je veux établir ici, c'est que la teneur de la décision du juge Strayer relative à la contestation fondée sur les art. 7 et 8 ainsi que la façon dont il a interprété la loi et la disposition visée sont pertinentes en l'espèce et s'inscrivent dans les décisions que je dois rendre aujourd'hui. En d'autres termes, il n"y a pas de division étanche entre l'arrêt de la Cour suprême du Canada, les propos du juge Strayer dans l'affaire Del Zotto et les décisions que je dois rendre en l'espèce et qui sont fondées sur le droit administratif. Ces deux questions sont intimement liées du fait que le juge avait dû prendre certaines décisions touchant l'enquête, sa portée et d'autres sujets.

         Je me reporterai donc à la décision du juge Strayer, publiée dans [1997] 3 C.F. 40, et je soulignerai trois ou quatre éléments que j'estime importants et qui découlent de cette décision.

1.          Il a dit au paragraphe 10 de cette décision qu" : " Une enquête semblable à celle qui nous intéresse en l'espèce ne débouche sur aucune conclusion et se déroule en privé. " Puis il a établi une distinction entre cet aspect de la question et la situation qui prévalait dans l'affaire Starr c. Houlden , arguant que des conclusions de fait et de droit de nature criminelle et d'ordre public pouvaient en découler, ce qui n'est pas le cas dans une enquête comme celle-ci.

         Il a déclaré que l'enquête n'a rien conclu en fait de culpabilité ou de responsabilité et il s'est reporté spécialement à l'opinion de Mme le juge Wilson dans l'arrêt Thomson. Il importe, à mon avis, de lire la note de renvoi no 6 dans l'exposé du juge Strayer qui fait sienne l'opinion du juge Wilson. L'affaire Thomson, comme vous le savez, portait sur l'art. 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions et, ce qu'a retenu le juge Strayer de la décision de Mme le juge Wilson, c'est que cet article avait pour objectif précis de déterminer s'il existe des éléments prouvant que certaines parties nommées ont commis une infraction et qu'il " ne sert ni à déterminer des droits ni à imposer des responsabilités ". Le juge Strayer a précisément intégré cette opinion à son jugement : aucune détermination de droits ni imposition de responsabilités, comme on peut le lire au paragraphe 5 de son exposé des motifs au regard de ce que je viens de dire. J'en conclus donc qu"en entérinant ses motifs, la Cour suprême du Canada a fait sienne l"opinion du juge Strayer sur les droits et les responsabilités.

         Le deuxième élément qui se dégage de la décision du juge Strayer concerne l'argument des demandeurs. Il a dit à ce sujet que l'argument des demandeurs voulant que l'enquête vise simplement à recueillir des éléments de preuve en vue d'intenter une poursuite criminelle était trop simpliste et prématuré du fait qu'aucune accusation n'avait été portée, comme il le dit au paragraphe 8 de sa décision.

         Le juge Strayer a indiqué que la Loi de l'impôt sur le revenu, bien qu'assortie de sanctions pénales, était essentiellement de nature administrative et il s'est reporté aux deux arrêts de la Cour suprême McKinlay Transport et Thomson en concluant notamment, (ce qui est pertinent pour les fins de mon analyse) qu'en l'espèce, Revenu Canada avait indiqué - comme l'avocat m'en a informé aujourd'hui - que des accusations pouvaient être portées contre M. Del Zotto en vertu des alinéas 1a) et d) de l'art. 239. Au paragraphe 23 de sa décision, le juge Strayer a indiqué que les accusations qui pouvaient être portées étaient relatives à l"évasion fiscale au moyen de fausses déclarations, à la falsification de documents, aux échappatoires ou au complot en vue de commettre l'un de ces actes, et je cite :

         " Il ne s'agit pas d'une règle de droit criminel ordinaire, mais d'une règle de droit conçue pour garantir le respect des exigences d'auto-déclaration de la Loi de l'impôt sur le revenu , que le juge La Forest a qualifiée d'élément de ce qui est, en réalité, un régime de réglementation dans le passage de l'arrêt Thomson précité. "

         Et pour faire le tour de la question, le juge Strayer a mentionné aux paragraphes 26 et 27 que l'assignation pouvait être contestée généralement ou à l'égard d'un document particulier devant le président d'enquête ou, s'il y a lieu, dans le cadre d'un contrôle judiciaire s'il peut être démontré que, dans les circonstances particulières de l'affaire, une atteinte au droit constitutionnel d'une personne est sur le point de se produire. Puis, il a ajouté que des objections pouvaient également être soulevées à ce moment-là sur la pertinence d'un document donné quant aux fins légitimes de l'enquête.

         Et je cite le paragraphe 27, où il a dit que :

         L'article 231.4 sous le régime duquel l'enquête visée par l'espèce est menée garantit à la fois au témoin et à la " cible " de l'enquête le droit d'être " représenté " par un avocat sauf dans des circonstances exceptionnelles, [m]algré les suggestions de l'avocat des appelants.

         Il n'y a selon lui aucune décision qui appuie l'affirmation selon laquelle l'avocat qui représente un témoin ou une cible ne serait pas autorisé à soulever des objections quant à la pertinence ou à la constitutionnalité d'une assignation ou d'un document particulier et il a dit que le sens normal du mot " représenté " devait comprendre ce droit.

         Je veux mentionner une autre affaire qu'on a évoquée tout au long de l'audience d'aujourd'hui; il s'agit de l'arrêt de la Cour suprême du Canada Irvine c. Canada [1987] 1 R.C.S. 181, dont les motifs ont été prononcés par le juge Estey au nom de la Cour. Cet arrêt, comme nous le savons tous je pense, porte sur les droits et obligations des personnes visées par les mesures administratives prises en vertu de l'article 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions ainsi que sur une ordonnance du président de l'ancienne Commission sur les pratiques restrictives du commerce enjoignant de témoigner sous serment dans le cadre d'une enquête relative à un éventuel complot punissable en vertu de l'article 32 de la susdite loi.

         Je veux citer l'art. 20 de cette loi parce qu'il a une certaine incidence sur un problème qui se pose à moi aujourd'hui. En voici le texte :

         " Un membre de la Commission peut permettre à toute personne dont la conduite fait l'objet d'une enquête et doit permettre à quiconque est personnellement interrogé sous serment d'être représenté par un avocat. "

         Et le juge Estey a souligné à la page 201 que la Commission devait autoriser un témoin à être représenté par un avocat. Cela était obligatoire, mais discrétionnaire au regard d'une personne dont la conduite fait l'objet d'une enquête.

         Voici encore deux autres citations tirées de la page 209 de l'arrêt Irvine. Le principal point en litige portait sur la nature et l'étendue du rôle des divers avocats des demandeurs en ce qui a trait au sens du mot " représenté " au paragraphe 20(1) de la Loi . Il dit à la page 210 : " La disposition législative (par. 20(1)) est laconique. Les termes " d'être représenté par un avocat " sont décisifs en l'espèce. "

         Il poursuit en disant : " Dans quel sens un tribunal doit-il interpréter ces termes dans le cadre de la Loi ? " Puis, il ajoute : " Ces termes qu'on trouve dans la loi ont été peu interprétés par les tribunaux, même si historiquement on en a fait abondamment usage dans notre théorie du droit. "

         Le juge Estey a ensuite soigneusement examiné l'évolution du principe de l'équité procédurale en remontant plusieurs années, pour en arriver à l'évolution progressive dont les avocats des demandeurs ont fait état aujourd'hui. Et je ne crois pas qu'il y ait là matière à controverse.

         En ce qui concerne l'art. 20 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, je me reporte à la page 227 où le juge, se référant à cet article, déclare que la Loi confère un droit à l'assistance d'un avocat avec réserve dans un cas et sans réserve dans l'autre, tout en observant que l'article ne fournit à l'organisme administratif et aux tribunaux judiciaires aucun guide sur sa mise en oeuvre ou son application.

         Il a cité la jurisprudence américaine au sujet du mot " représenté ", a examiné la législation canadienne et déclaré à la page 231, comme on l'a cité devant moi aujourd'hui, ce qui suit :

         " Compte tenu des différences importantes qui existent, tant sur le plan des faits que sur celui du droit, entre une enquête publique tenue sous le régime de The Public Enquiries Act et une procédure d'enquête qui, en l'espèce, se déroule entièrement à huis clos et qui, généralement, n'entraîne pas systématiquement un préjudice, une poursuite ou une dépossession, la jurisprudence portant sur les enquêtes publiques n'est guère utile pour ce qui est de résoudre les points litigieux dont nous sommes saisis. "

         Il a ajouté ensuite à la page 231 :

         " Ni le par. 20(1) de la Loi ni le principe de l'équité ne confèrent aux appelants le droit de contre-interroger les témoins à l'enquête. "

         Il a ensuite signalé que la souplesse de la notion d'équité varie selon la nature de l'enquête et les conséquences qu'elle peut avoir pour les individus en cause. Les caractéristiques de la procédure, la nature du rapport qui en résulte, sa diffusion publique et les sanctions qui peuvent s'ensuivre lorsque les événements qui suivent le rapport seront enclenchés, détermineront l'étendue du droit à l'assistance d'un avocat et, lorsque l'avocat est autorisé sans plus par la loi, le rôle de cet avocat.

         Il a fait ressortir qu'un organisme d'enquête devait être maître de sa propre procédure et que lorsqu"il détenait des pouvoirs décisionnels, des considérations différentes entraient en scène. Dans ce cas, la preuve qui pèse contre la personne qui fait l'objet de l'enquête doit lui être communiquée. Puis il a ajouté que c'est ce que prévoit la loi à diverses étapes de l'enquête.

         Il s'est reporté à la page 235 du jugement de lord Wilberforce dans la cause Wiseman v. Borneman, en signalant qu'il fallait prendre garde de ne pas surcharger et compliquer indûment l'application de la loi, puis il a évoqué le processus à l'état embryonnaire qui consiste à établir les faits essentiels pour examen. Le juge Estey a dit dans cet arrêt qu"il suffisait que l'officier enquêteur autorise toutes les parties à être représentées par des avocats en mesure de s'opposer aux irrégularités de l'interrogatoire et de réinterroger leurs clients pour préciser le témoignage donné et s'assurer qu'un tableau complet de la situation soit tracé par les témoins qu'ils représentent.

         Je veux simplement attirer votre attention sur les questions précises en cause - et je ne les passerai pas en revue parce qu'il se fait tard. Je voulais seulement vous signaler que les droits dont l'officier enquêteur se souciait sont énoncés à la page 189 de l'arrêt du juge Estey. La Cour suprême du Canada a infirmé un jugement de notre Cour et rétabli celui du juge Collier qui avait annulé une décision de l'officier enquêteur refusant aux personnes dont la conduite faisait l'objet d'une enquête et aux témoins représentés par avocat d'être présents durant toute la durée de l'interrogatoire. Il avait également annulé le refus de permettre aux avocats des personnes dont la conduite fait l'objet d'une enquête d'interroger de nouveau et sans restriction leurs propres clients et de contre-interroger d'autres témoins.

         Le juge Collier avait annulé un autre aspect de la question, qui n"est pas pertinent aujourd"hui. Dans un sens, la décision du président d"enquête dans Irvine était assez semblable aux décisions de l'officier enquêteur dans cette affaire.

         Je veux ici résumer les propos que Mme le juge Wilson a tenus dans l'affaire Thomson à propos de l'arrêt Irvine. Je n'ai pas le numéro du paragraphe sous les yeux, mais je vais le citer. Elle dit :

         " Notre Cour a conclu, dans l'arrêt Irvine , précité, que le par. 20(1) conférait à ceux qui subissaient un interrogatoire sous serment un droit limité à l'assistance d'un avocat. L'avocat peut s'opposer à ce que soient posées à son client des questions irrégulières et peut le soumettre à un nouvel interrogatoire afin d'élucider son témoignage. L'avocat n'a toutefois pas le droit d'assister à l'interrogatoire d'autres témoins et, en conséquence, il ne peut évidemment pas les contre-interroger. Pour ce qui est des personnes dont la conduite fait l'objet d'une enquête en vertu de la Loi, le par. 20(1) investit la Commission du pouvoir discrétionnaire de leur permettre d'être représentées par un avocat. Cette disposition crée une faculté. Il est donc concevable qu'une personne dont la conduite fait l'objet d'une enquête n'en soit pas informée et qu'on lui refuse l'assistance d'un avocat. Cela dépendra de la manière dont la Commission exercera son pouvoir discrétionnaire. "

         Après cette introduction plutôt longue, j'en arrive aux questions précises qui ont été soulevées et j'aurais voulu disposer de plus de temps pour pousser le raisonnement plus loin. Laissez-moi traiter ces questions une à la fois parce que je suis arrivé à la conclusion que je dois rejeter les présentes demandes de contrôle judiciaire en raison essentiellement de mon point de vue touchant l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans la cause Baker, des propos du juge Strayer au sujet de cette enquête dans l'arrêt Del Zotto et de ce que la Cour suprême du Canada a décidé dans le pourvoi Irvine, le tout étayé par les deux arrêts que celle-ci a rendus dans Thomson et McKinlay, précités, où elle a défini la nature de ces dispositions particulières de la Loi de l'impôt sur le revenu et les circonstances où des infractions pénales peuvent s'ensuivre.

         Je veux traiter brièvement tout d'abord de l'argument avancé par l'avocat de M. Del Zotto, disant que l'autorisation était illégale, qu'il fallait formuler des allégations précises et que l'objet devait être identifié. Il avait le droit de savoir en quoi il consistait, mais les intéressés ont soutenu qu'ils n'en savaient rien, que ce pouvait être un cheval de Troie qui accorderait au ministre des pouvoirs illimités pour chercher à en savoir plus long.

         Eh bien, je crois que la Cour suprême du Canada nous a dit que cela ne suffisait pas à invalider l'autorisation. Je me reporte à ce qui a été dit dans l"arrêt McKinlay au sujet de la portée très large de l'art. 231.4, qui commence ainsi : " Le Ministre peut, pour l'application et l'exécution de la présente Loi ... "

         La Cour suprême du Canada, rappelant une affaire à laquelle je me suis moi-même reporté au cours de cette discussion avec l'avocat, en l'espèce l'arrêt James Richardson and Sons c. Le Ministre du Revenu national [1984] 1 R.C.S. 614, s'est exprimée ainsi : " Oui, les termes de l'article - il s'agit en l'occurrence du paragraphe 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu - sont très généraux ", puis elle s'est employée à définir ce qu'il fallait entendre par une fin appropriée.

         La Cour suprême du Canada a établi quatre critères et a dit que le critère applicable à la question de savoir si le ministre agit dans un but prévu par la Loi, c'est-à-dire un but connexe à l'exécution de la Loi, est un critère objectif et cette question doit être tranchée en fonction d'une interprétation juste du paragraphe et de son application aux circonstances. Si le but consiste à obtenir des renseignements portant sur l'assujettissement à l'impôt d'une personne déterminée dont l'assujettissement fait l'objet d'une enquête, cela constituait une fin au sens de la loi.

         À mon avis, à la lumière des principes que j'ai évoqués, les exigences de la loi en fait d'objectif approprié sont remplies en l'espèce. Je suis également d'avis que la portée de cet objectif a été suffisamment définie pour permettre aux demandeurs, dans le vaste contexte de l'obligation d'équité et en regard des principes que j'ai mentionnés, de savoir que l'enquête portant sur des années d'imposition données et, plus particulièrement, l"assignation adressée à M. Noble relativement à des transactions précises, répondent aux exigences de la loi et de l'équité dans les circonstances de l'espèce.

         Je m'appuie en cela sur trois autres facteurs. La nature de l'enquête, celle de l'investigation et son objectif qui consiste à établir les faits. J"accepte la proposition de l'avocat du ministre que l'analogie, fondée sur des motifs raisonnables et probables, qui a servi d"argument principal pour étayer la présente affaire devant la Cour suprême du Canada au regard de l'art. 8 de la Charte, constitue également un facteur. En relisant cette disposition, je crois que l'intention du législateur est de permettre à Revenu Canada d'agir, dans l'affaire Del Zotto, exactement comme le législateur l'entendait. Le législateur voulait que le ministre dispose des moyens voulus pour enquêter en vue d'appliquer et d'exécuter la loi. Il s'agit donc d"une recherche des faits et, dans les circonstances particulières à l'espèce, l'objectif et la matière de l'enquête ont été suffisamment définis.

         En ce qui concerne le mandat, je pense que le juge Strayer a particulièrement mis en relief, dans l"arrêt Del Zotto , la grande portée de ce mandat, et que le juge Flanigan l"a restreinte en limitant l'enquête à l'objectif pertinent, soit l'exécution et l'application de la Loi .

         En ce qui a trait à la portée de l'audience et des droits de participation, M. Heintzman a avancé le solide argument d"après lequel le législateur voulait reconnaître dans cette loi l'éventail complet des droits de participation qui découlent de la notion d"audience et que cette audition était envisagée par le législateur. Il a cité à l'appui les mots " Hearing Officer " en disant que la nature du processus engagé comportait une audience.

         En ce qui concerne son argumentation très habile, je crois qu"il interprète mal la loi pour trois raisons : (1) la lecture du texte de loi et de l'article en question fait ressortir une distinction fondamentale entre, d'une part, la nature de l'enquête, qui est conduite par un président d'enquête nommé par le ministre relativement à la Loi de l'impôt sur le revenu et, d'autre part, l"application de la loi. Dans ce processus, le rôle du président d'enquête est très restreint et délimité, ses attributions consistant en réalité à arbitrer dans un sens la procédure qui va se dérouler. Les pouvoirs de ce président sont très limités du fait qu'ils sont assujettis aux articles 4 et 5 de la Loi sur les enquêtes . Ce sont les pouvoirs de citer à comparaître et de prendre des mesures d'exécution au cas où certaines questions viennent à surgir au cours de l'audience, si bien que la nature de l"audience et celle du rôle du président d"enquête qui la dirige sont extrêmement circonscrits, ce que confirme d'ailleurs la version française de la loi.

         Ainsi, si l'on interprète raisonnablement la loi en question, le législateur n'avait pas l'intention, à mon avis, d'instituer une audience. Tout ce qui ressort en l'espèce est le fait qu'une enquête ministérielle a lieu dans le cadre de laquelle il se pourrait que certaines questions surgissent qui nécessitent l'intervention d'un président d'enquête, lequel exerce ses attributions sous l'égide de la Loi sur les enquêtes.

         Et pour clore ce sujet, je dirais que si le législateur avait voulu que les pleins droits de participation découlent du mot " hearing ", il l'aurait clairement précisé comme il l'a fait à l'article 23 de la Loi sur les transports nationaux , Statuts du Canada 1970, N-17 où l'Office des transports du Canada était habilité, dans ce cas-là, à mener une enquête, sans pouvoir trancher quoi que ce soit avant qu"une audience ait lieu. L"affaire actuelle diffère considérablement, comme la Cour d'appel fédérale l'a signalé dans sa décision de 1993, où elle a analysé l"économie de la loi et la nature de la décision.

         Je serai maintenant très bref. Ainsi, les questions de l"objet de l'enquête et de la portée des droits de participation sont, dans un certain sens, réglées. J'ajouterais, juste pour clore le sujet, qu"à mon avis, ces droits doivent être interprétés quant à leur portée, de la manière dictée par la Cour suprême du Canada dans l"arrêt Irvine et que le président d'enquête en a tenu compte dans ses décisions et qu"il a appliqué correctement la loi à cet égard.

         Trois autres points très brefs. En ce qui a trait à l'indépendance institutionnelle, je n'ai pas grand-chose à ajouter aux motifs du juge Flanigan. J"accepte son analyse. J'ajouterais seulement que la seule autre affaire que je connaisse où il a été question d'un tribunal ad hoc est celui qui a fait l'objet de l'arrêt de la Cour suprême dans Lippe, qui portait sur un tribunal municipal ad hoc dans la province de Québec. La Cour suprême du Canada a validé l'ensemble du système bien qu'il fût question d'un tribunal ad hoc et qu'il se fût agi d'accusations de nature criminelle. Par conséquent, tous les arrêts que nous connaissons, comme les arrêts Beauregard et Valente, ne s"appliquent pas à la sorte de fonction et de rôle que remplit le président d'enquête dans le cadre limité qu'est le sien.

         Je crois avoir traité la question du contre-interrogatoire. Encore une fois, la notion d'équité procédurale et l'interprétation des termes " représenté par un avocat " découlent des principes établis dans l"arrêt Irvine et je ne vois rien dans la décision du président d'enquête qui constitue une application ou une interprétation erronée de la loi ou des principes de la common law.

         En ce qui a trait à la communication, je crois, encore une fois, que l'analyse du président d'enquête est appropriée. À mon avis, l"arrêt Stinchcombe s'applique en l'espèce et nous n'avons pas affaire, à ce stade-ci, à des accusations criminelles mais à une enquête privée instituée par le ministre et dont l'objectif consiste à établir les faits. Je ne vois donc aucune exigence quelconque, en matière de communication, qui serait appropriée dans des circonstances différentes, sauf ce qu"a décidé le président d'enquête à cet égard.

         J'aborde enfin deux points concernant l"assignation à comparaître et sa validité. Je suis d"avis que l"assignation est valide.

1.          Je crois que l"assignation comportait la souplesse nécessaire pour que des modifications de lieu, de temps et de circonstances puissent intervenir.

2.          L'avocat de M. Noble a constamment participé à la procédure.

3.          L'avocat du Ministre y a toujours associé les témoins.

         Je considère que ces assignations ont été dûment autorisées et convenablement émises et qu'aucun changement de circonstances dont l'avocat a fait état ne vicie de quelque manière la validité de ces documents.

         Finalement, - et je vous remercie de votre patience - en ce qui concerne l'éventualité que l'avocat de M. Noble vienne prêter main forte à celui de M. Del Zotto, je n'ai rien à ajouter à ce que le juge Flanigan a déjà dit sur cette question, qu'il a dite susceptible d'un débat ultérieur. Considérant ce qui précède, je suis généralement d'avis que le président d'enquête a bien respecté, en l'espèce, les normes de la loi et celles de la common law et qu'il a conçu un système approprié aux circonstances dans le respect de l'intention du législateur et dans un esprit de franc-jeu.

         Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

         Je veux terminer en disant que j'ai été heureux d"entendre vos arguments que vous avez magistralement fait valoir. Je regrette d'avoir pris tant de temps, mais j'ai pensé qu'il convenait de vous faire part à tout le moins des présents motifs pour vous permettre d'envisager les étapes suivantes.

         Merci beaucoup.


---Sur quoi, l'audience a été ajournée à 18 h 15.


                     Le texte qui précède est une transcription assistée par ordinateur CERTIFIÉE vraie et fidèle de mes notes sténographiques au meilleur de mes capacités.

                     ________________________________________

                     Section de la transcription

                     [Contrôle de la qualité]

                     par : __________________________________

                     LINDA JELLISON, sténographe judiciaire

                     Téléphone : 416-482-3277

                     Toronto, 7 décembre 1999

                     Rev. 29 décembre 1999


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


Nos DU GREFFE :              T-1724-99 / T-1755-99


INTITULÉ DE LA CAUSE :      Angelo Del Zotto c. Ministre du Revenu national et autres
                     Herbert Noble c. Ministre du Revenu national et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 3 décembre 1999


MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

EN DATE DU :              10 janvier 2000


ONT COMPARU :

Thomas Heintzman,              POUR LE DEMANDEUR (DEL ZOTTO)

William McDowell

Alan Gold                  POUR LE DEMANDEUR (NOBLE)

Ivan Bloom                  POUR LES DÉFENDEURS

Steven Albin


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarty Tétrault              POUR LE DEMANDEUR (DEL ZOTTO)

Toronto (Ontario)

Gold & Fuerst              POUR LE DEMANDEUR (NOBLE)

Morris Rosenberg              POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

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