Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040401

Dossier : T-598-00

Référence : 2004 CF 507

Ottawa (Ontario), le 1er avril 2004

En présence de monsieur le juge James Russell

ENTRE :

          L'INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                          L'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                                                                                                                      défenderesse

                                                                             et

                          L'ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

                                                                                                                                       intervenante

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

NATURE DE LA DEMANDE

[1]                L'Institut professionnel de la fonction publique du Canada (le demandeur) a déposé une demande de contrôle judiciaire. Le demandeur représente plus de 9 000 vérificateurs employés par la défenderesse, l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'Agence).

[2]                L'Agence est tenue par la loi de développer un programme de dotation en personnel, notamment d'offrir des « recours » aux employés touchés par les décisions en la matière. Lorsqu'elle a été établie en 1999, l'Agence a exécuté un programme de dotation en personnel (le Programme). Le Programme porte sur la nomination et la mutation, internes ou externes, d'employés à des postes de l'Agence. Selon le demandeur, les procédures de recours qui ont été développées et appliquées dans le cadre du Programme n'atteignent pas les procédures minimales qui sont requises par le principe d'équité. Le demandeur dit que, en développant et en appliquant des procédures déficientes, l'Agence n'a pas agi raisonnablement et n'a pas développé un programme conforme à ses obligations selon la loi.

[3]                Le demandeur dit que le système de recours appliqué par l'Agence dans le cadre du programme est déraisonnable au point qu'il ne constitue pas un véritable système de recours. Les principales raisons suivantes sont avancées à l'appui de cette conclusion :

a.          le système ne requiert pas qu'un décideur externe impartial se prononce sur tous les aspects liés au processus de sélection;

b.          l'examinateur indépendant appelé à examiner certaines parties du processus de sélection manque d'indépendance parce qu'il dépend financièrement de l'Agence et parce qu'il relève d'elle sur le plan administratif;

c.          l'examinateur indépendant n'a pas le pouvoir d'exiger la communication aux plaignants des renseignements pertinents;


d.          le décideur, à l'étape de l'évaluation, peut demander des renseignements à des « experts » sans permettre au plaignant de répondre aux affirmations desdits experts;

e.          à toutes les étapes, il est interdit au décideur d'examiner l'ensemble des facteurs pertinents pour s'assurer que les candidats sont traités de manière uniforme; et

f.           l'examinateur indépendant est dépourvu du pouvoir de corriger les erreurs qu'il a pu déceler.

[4]                Le demandeur prie la Cour de déclarer que, en raison des erreurs déraisonnables et des lacunes procédurales évoquées ci-dessus, l'Agence n'a pas mis en oeuvre le mécanisme que requiert sa loi organique pour les recours en matière de dotation.

LES FAITS

Historique

[5]                L'Agence est née le 1er novembre 1999, à l'entrée en vigueur de la Loi sur l'Agence des douanes et du revenu du Canada (la Loi sur l'ADRC). Avant cette date, les vérificateurs employés par l'Agence faisaient partie du ministère du Revenu national et avaient pour employeur le Secrétariat du Conseil du Trésor.


[6]                Le paragraphe 4(1) de la Loi sur l'ADRC établit un organisme appelé Agence des douanes et du revenu du Canada. L'Agence accomplit le mandat de l'ancien ministère du Revenu national et il lui revient de fournir l'appui nécessaire à l'administration et à l'exécution des lois fédérales portant sur l'impôt, le commerce et les douanes.

[7]                L'Agence est un employé distinct selon la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la LRTFP). Elle peut établir ses propres exigences en ce qui a trait aux ressources humaines.

[8]                Le Parlement a conféré à l'Agence le droit exclusif et le pouvoir exclusif de nommer les employés qu'elle juge nécessaires pour la bonne conduite de ses affaires.

[9]                Lorsqu'ils étaient des employés du Conseil du Trésor, les vérificateurs relevaient, pour les recours en matière de dotation, du mécanisme prévu par la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (la LEFP).

[10]            Après l'entrée en vigueur de la Loi sur l'ADRC, la LEFP a cessé de s'appliquer aux vérificateurs transférés à l'Agence. Les recours en matière de dotation, pour les employés de l'Agence, sont maintenant régis par la Loi sur l'ADRC.

[11]            Dans l'exercice de ses pouvoirs, l'Agence n'est pas soumise aux dispositions de la LEFP. Le législateur a plutôt prévu dans la Loi sur l'ADRC que l'Agence doit élaborer son propre programme de dotation en personnel :



54. (1) L'Agence élabore un programme de dotation en personnel régissant notamment les nominations et les recours offerts aux employés.

54. (1) The Agency must develop a program governing staffing, including the appointment of, and recourse for, employees.

(2) Sont exclues du champ des conventions collectives toutes les matières régies par le programme de dotation en personnel.

(2) No collective agreement may deal with matters governed by the staffing program.


[12]            L'article 8 de la LEFP prévoit ce qui suit :


Sauf disposition contraire de la présente loi, la Commission a compétence exclusive pour nommer à des postes de la fonction publique des personnes, en faisant partie ou non, dont la nomination n'est régie par aucune autre loi fédérale.

Except as provided in this Act, the Commission has the exclusive right and authority to make appointments to or from within the Public Service of persons for whose appointment there is no authority in or under any other Act of Parliament.


[13]            Plus précisément, la Loi sur l'ADRC prévoit que l'Agence doit élaborer un programme de dotation, notamment des voies de recours, à l'intention de ses employés, selon ce que prévoit le paragraphe 54(1) de la Loi sur l'ADRC. Le paragraphe 54(2) de la Loi sur l'ADRC empêche les parties à une convention collective de négocier des dispositions de dotation régies par le Programme de dotation de l'Agence.

[14]            La procédure officielle de règlement des griefs exposée dans l'article 91 de la LRTFP n'est pas accessible aux employés de l'Agence qui s'estiment lésés par des décisions de dotation. Le paragraphe 91(1) de la LRTFP interdit les griefs lorsqu'il existe « un autre recours administratif de réparation... sous le régime d'une loi fédérale » . L'Agence a exprimé l'avis que sa politique de dotation, élaborée conformément au paragraphe 54(1) de la Loi sur l'ADRC, équivaut à « un recours administratif de réparation » , empêchant ainsi ses employés de se prévaloir de toute autre procédure de règlement des griefs en ce qui a trait aux décisions de dotation.


Le Programme de l'Agence en matière de dotation en personnel

[15]            Le 1er novembre 1999, l'Agence donnait effet au programme qu'elle avait élaboré en application du paragraphe 54(1) de la Loi sur l'ADRC.

[16]            Le Programme décrit les procédures employées par l'Agence pour pourvoir des postes au sein de l'Agence, ainsi que les recours offerts aux employés touchés par telles procédures. Le Programme comprend plusieurs volets, approuvés par le conseil de direction de l'Agence, qui intéressent des sujets particuliers tels que la délégation de pouvoir, les mécanismes de dotation et les recours en matière de dotation; il renferme aussi des directives de dotation, approuvées par le Commissaire de la fonction publique et relatives à des sujets apparentés. Ces directives constituent des annexes du Programme.

[17]            Le législateur a aussi autorisé l'Agence à établir dans son plan d'activité les principes de dotation devant régir le Programme. Les principes de dotation appliqués par l'Agence sont les suivants :

Objectivité :                           L'effectif doit adopter un comportement exempt de toute influence politique et bureaucratique. Les décisions de dotation doivent être prises librement sans aucune influence politique ou bureaucratique.

Représentativité : La composition de notre effectif reflète le marché du travail disponible.


Compétence :                         L'effectif possède les attributs requis pour accomplir son travail avec efficacité.

Équité :                                   Les décisions de dotation sont équitables, justes et objectives.

Transparence :                       Les communications visant la dotation sont ouvertes, honnêtes, respectueuses, en temps opportun, et clairement comprises.

Efficacité :                              Les processus de dotation sont planifiés et appliqués en fonction du temps et du coût et liés aux besoins fonctionnels.

Adaptabilité :                         Les processus de dotation sont souples et s'adaptent aux changements de circonstances et aux besoins particuliers de l'organisme.

Productivité :                          Donne lieu à la nomination du nombre de personnes nécessaires à la conduite efficace des affaires.

[18]            La LEFP ne s'applique pas aux opérations de dotation de l'Agence, et la Commission de la fonction publique (la Commission) n'a aucun pouvoir sur le mécanisme des nominations. Cependant, en vertu du paragraphe 56(2) de la Loi sur l'ADRC, la Commission peut vérifier périodiquement la compatibilité des principes du programme de dotation de l'Agence avec les principes régissant la dotation sous le régime de la LEFP.

[19]            Selon le Programme, les candidats à un poste donné doivent franchir trois étapes dans le processus de sélection.


[20]            Le processus de sélection est l'un des principaux mécanismes utilisés par l'Agence pour la promotion et la nomination de ses employés. L'expression « processus de sélection » s'entend de la procédure par laquelle une personne peut se déclarer intéressée par un poste, puis être évaluée et éventuellement nommée.

[21]            La première étape fait intervenir un « examen des conditions préalables » , au cours duquel les employés remplissent une déclaration d'intérêt ou demande une évaluation préalable des qualités. L'évaluation préalable des qualités est la procédure par laquelle un candidat indique ses intérêts professionnels et peut subir une évaluation préalable en vue de postes particuliers.

[22]            À l'étape des conditions préalables, le gestionnaire chargé du recrutement, ou son représentant (par exemple un jury de sélection), examine la déclaration d'intérêt de chaque candidat au regard des conditions préalables énumérées dans un énoncé des besoins de dotation. Cet énoncé est inséré dans chaque avis de concours. Il appartient aux candidats de produire les renseignements nécessaires attestant qu'ils remplissent les conditions préalables.

[23]            Seuls les candidats qui selon l'Agence remplissent les conditions préalables établies pour le concours sont admis à une « évaluation » , laquelle constitue l'étape suivante du processus de sélection. Les évaluations se déroulent à l'aide de tests normalisés, d'examens écrits, d'entrevues et de vérifications des références.


[24]            Durant l'étape de l'évaluation, le gestionnaire chargé du recrutement ou le jury de sélection évalue, par rapport aux qualités requises pour le poste à pourvoir, les candidats qui remplissent les conditions préalables. L'évaluation consiste à comparer les compétences ou la qualification d'un candidat par rapport à des critères établis d'évaluation, et non à comparer (ou à classer) les candidats les uns par rapport aux autres.

[25]            Les candidats qui sont jugés qualifiés sont inscrits dans une réserve de candidats qualifiés à partir de laquelle l'Agence peut procéder à des placements. Ils sont informés par écrit des résultats de leur évaluation ainsi que de la période au cours de laquelle ils pourront être pressentis pour obtenir un placement.

[26]            Le « placement » est l'étape finale du processus de sélection. À l'étape du placement, une sélection est effectuée parmi les candidats qualifiés, selon les exigences officielles du poste, elles-mêmes résultant des besoins opérationnels. Le placement ne résulte pas d'un classement des candidats selon le mérite.

[27]            Quand un gestionnaire décide de pourvoir un poste, il effectuera un choix parmi les candidats qualifiés de la réserve, en fonction des exigences préétablies pour le poste, elles-mêmes rattachées aux besoins opérationnels de l'Agence. Les critères de placement pourraient comprendre par exemple le niveau de compétence ou de qualification, la nature et l'étendue de l'expérience professionnelle et les impératifs de l'équité en matière d'emploi.

[28]            Le gestionnaire choisira les critères requis de placement parmi ceux qui figurent dans l'énoncé des besoins de dotation, et il évaluera les candidats par rapport à tels critères. Le placement, comme l'évaluation, consiste à mesurer les candidats par rapport à des critères précis, et non à comparer ou à classer les candidats.

[29]            Ceux qui sont qualifiés, mais non placés, sont informés du candidat qui est placé, des critères appliqués pour le placement et des recours à leur disposition.

Les recours établis par l'Agence en matière de dotation

[30]            Les candidats qui s'estiment lésés par des décisions prises à toute étape du processus de sélection peuvent exercer un recours prévu par le Programme. Les recours donnent la possibilité aux candidats non retenus d'exposer leurs doléances pour qu'elles puissent être étudiées rapidement. Le recours exercé porte sur le traitement de l'intéressé dans le processus de sélection, et non sur l'évaluation d'autres candidats.


[31]            L'Agence a élaboré trois niveaux de recours de dotation : rétroaction individuelle, révision de la décision et examen indépendant. Une rétroaction individuelle est possible à toute étape du processus de sélection et doit avoir lieu avant tout autre recours. La révision de la décision n'est possible que si un candidat est éliminé à l'étape de l'évaluation ou à celle du placement. L'examen indépendant n'est offert qu'aux candidats qui se rendent à l'étape du placement et qui décident de ne pas demander la révision de la décision.

[32]            À chaque niveau des recours de dotation, l'unique point qui est considéré est celui de savoir si l'employé a été traité d'une manière arbitraire. À aucun niveau des recours de dotation le décideur ne peut se livrer à un examen comparatif de la manière dont un candidat a été traité par rapport à un autre. Le mot « arbitraire » est défini ainsi dans les directives applicables au Programme :

Fait d'une manière déraisonnable ou arbitraire; le fait d'agir d'une manière contraire à la raison ou sans discernement; non fondé sur une explication rationnelle, sur la politique établie; quelque chose qui n'est pas le résultat d'un raisonnement appliqué à des considérations pertinentes; discriminatoire (c'est-à-dire application d'un traitement différent, ou refus à certaines personnes de privilèges usuels en raison de leur race, de leur âge, de leur sexe, de leur nationalité, de leur religion ou de leur appartenance syndicale).

[33]            Le genre de recours offert aux employés en vertu du Programme est censé correspondre à la nature et à l'importance de la décision de dotation en cause. Les grandes lignes du recours qui peut être exercé à chaque étape du processus de dotation figurent dans la Directive sur les recours en matière de dotation, qui est l'annexe L du Programme.


[34]            Les recours prévus par le Programme doivent être souples, rapides, efficaces et axés sur la concertation. Les principes directeurs sont les suivants : résolution diligente et rapide des problèmes, encouragement d'une culture du respect en milieu de travail, communication franche et niveau adéquat de responsabilisation de la direction. À titre d'exemple, un candidat injustement exclu à l'étape de l'examen des conditions préalables pourra être admis à l'étape de l'évaluation sans devoir attendre la fin du processus de sélection.

1)          Rétroaction individuelle

[35]            La rétroaction individuelle est dirigée par la personne (appelée « personne autorisée » ) responsable au premier chef de la décision de dotation.

[36]            La rétroaction individuelle est offerte aux candidats éliminés à l'étape de l'examen des conditions préalables. Les candidats qui contestent des décisions d'évaluation ou de placement doivent demander une rétroaction individuelle avant d'exercer d'autres recours prévus par le Programme.

[37]            La rétroaction individuelle permet à l'employé d'exprimer les doutes qu'il peut avoir à propos d'une décision de dotation, de recevoir des renseignements additionnels sur cette décision, d'obtenir une aide dans ses plans d'organisation de carrière et, le cas échéant, de bénéficier de mesures correctives.


[38]            Durant la rétroaction individuelle, la personne autorisée ou son représentant étudiera les doléances de l'employé, informera l'employé sur la décision en cause, répondra aux questions de l'employé, examinera la décision à la lumière des doléances de l'employé et, le cas échéant, prendra des mesures correctives. Il pourra par exemple autoriser l'employé à demeurer candidat dans un processus de sélection.

[39]            Le Programme prévoit que la rétroaction individuelle doit être axée sur le traitement du candidat exclu du processus de sélection, et non sur l'évaluation d'autres candidats ou employés. La rétroaction individuelle est décrite à la fois comme un mécanisme de recours et comme un élément clé du processus de gestion des carrières qui permet à l'employé d'obtenir des indications sur ses besoins de perfectionnement.

[40]            Le gestionnaire en charge de la rétroaction individuelle n'a pas le droit de divulguer de renseignements sur d'autres candidats sans leur autorisation écrite expresse.

[41]            La rétroaction individuelle peut se faire oralement ou par écrit. Puisque la séance de rétroaction est censée constituer à la fois un mécanisme de recours et un élément clé du processus de gestion des carrières, seuls peuvent y participer l'employé concerné et le gestionnaire. Cependant, un employé peut obtenir avant la séance l'aide d'autres personnes dans la préparation de ses arguments.

[42]            Les employés exclus d'un concours au motif qu'ils ne paraissent pas remplir les conditions préalables du poste ne peuvent pas être représentés ni se faire accompagner durant la séance de rétroaction individuelle.


2)          Révision de la décision

[43]            Les employés qui sont insatisfaits du résultat d'une rétroaction individuelle se rapportant aux étapes d'évaluation ou de placement du processus de sélection peuvent exercer un autre recours, en demandant la révision de la décision. La révision de la décision est effectuée par le chef de service de la personne autorisée.

[44]            Le chef de service qui procède à la révision de la décision décide lui-même de la manière dont se déroulera la révision. Il examinera l'information fournie par les parties (y compris les résultats de la rétroaction individuelle) et pourra faire les autres investigations et obtenir les autres renseignements susceptibles d'être nécessaires pour arriver à une décision. Il devra s'assurer que chacune des parties a véritablement la possibilité de présenter son point de vue. Le Programme n'interdit pas expressément aux parties d'appeler des témoins durant la révision de la décision.


[45]            La révision de la décision est effectuée par le chef de service de la personne qui a pris la décision de dotation. Le chef de service peut effectuer la révision sur pièces, par téléconférence ou en présence des parties, mais la formule privilégiée est la révision sur pièces. Après examen des documents pertinents, le chef de service pourra procéder aux autres investigations nécessaires, notamment poser des questions à des spécialistes internes de la question ou à un spécialiste de la Section de l'affectation des ressources et du soutien professionnel, Direction générale des ressources humaines.

[46]            Il n'est pas expressément donné à l'employé l'occasion de revoir ou de commenter les renseignements additionnels recueillis par le chef de service, mais il semble que le Programme ne renferme rien pour empêcher cela en pratique.

[47]            Durant la révision, l'employé concerné peut être accompagné par la personne de son choix. Cependant, l'accompagnateur doit s'abstenir de participer au débat.

[48]            Si le chef de service arrive à la conclusion qu'il y a eu erreur dans le processus de sélection, il lui appartient de veiller à ce que des mesures correctives soient prises rapidement.

3)          Examen indépendant

[49]            Le recours de l'examen indépendant n'est offert qu'aux employés qui sont éliminés à l'étape finale du processus de sélection et qui décident de ne pas demander la révision de la décision.


[50]            Lorsqu'un employé dépose une demande d'examen indépendant, le Bureau de la gestion des différends (BGD) de l'ADRC décide, selon son appréciation exclusive, si l'affaire peut être soumise à examen indépendant. Les différends portant sur la compétence de l'examinateur indépendant ne sont donc pas réglés par l'examinateur indépendant, mais par le BGD, sans audition.

[51]            L'examinateur indépendant est choisi par le BGD sur une liste d'examinateurs qui sont recrutés contractuellement par l'Agence.

[52]            L'examen indépendant est mené par une personne sans parti pris, extérieure à l'Agence. Les examinateurs indépendants ne sont pas des préposés, des mandataires ou des administrateurs de l'Agence.

[53]            Les procédures régissant l'examen indépendant sont exposées dans des lignes directrices développées par l'Agence.

[54]            L'employé insatisfait doit présenter une demande écrite d'examen indépendant au gestionnaire qui a pris la décision de placement contestée, ainsi qu'au BGD. Le gestionnaire est encouragé à régler la plainte d'une manière informelle. S'il n'y réussit pas, le BGD assignera la plainte à un examinateur indépendant choisi sur la liste préétablie d'examinateurs. En général c'est l'examinateur suivant sur la liste qui sera choisi, eu égard à l'endroit géographique, à la langue, à la disponibilité et à l'accessibilité.

[55]            L'examinateur indépendant doit se récuser s'il surgit un conflit d'intérêts ou autre situation pouvant nuire à son impartialité.

[56]            L'examen indépendant peut prendre plusieurs formes, qui vont du simple examen sur pièces à l'audience en bonne et due forme. L'examinateur indépendant a toute latitude de déterminer la procédure d'examen, en tenant compte de la complexité du cas, des preuves que les parties entendent produire, enfin du principe d'équité. Les parties peuvent être représentées par un agent ou par un avocat et elles peuvent appeler des témoins qui déposeront devant l'examinateur indépendant.

[57]            Après examen de la preuve et des conclusions de l'employé et du gestionnaire chargé du recrutement, l'examinateur indépendant doit rendre une décision finale, qui liera les parties.

[58]            L'examinateur indépendant n'a pas le pouvoir d'assigner des témoins. Son pouvoir de réparation en ce qui concerne le processus de sélection est lui aussi limité. Il peut : ordonner la rectification d'une « erreur » dans le processus de placement, recommander la révocation d'un employé nommé, ou recommander l'intervention d'un autre gestionnaire dans la décision de placement. L'examinateur indépendant ne peut tenir compte d'événements qui se sont produits à l'étape de l'examen des conditions préalables ou à l'étape de l'évaluation, et il ne peut rendre aucune ordonnance concernant tels événements.

[59]            Il appartient au gestionnaire de prendre les mesures correctives ordonnées par l'examinateur indépendant.

Historique des procédures

[60]            Le 27 mars 2000, le demandeur déposait une demande pour qu'il soit déclaré que, en contravention du paragraphe 54(1) de la Loi sur l'ADRC, l'Agence a négligé d'élaborer un programme de recours en matière de dotation. Le demandeur sollicitait aussi une ordonnance de mandamus enjoignant à l'Agence de mettre en place un système de recours conforme aux exigences de la Loi sur l'ADRC.

[61]            Le 23 juin 2000, la défenderesse déposait une requête pour que soit rendue une ordonnance radiant l'avis de demande du 27 mars 2000, au motif que l'Agence avait déjà mis en place son programme et avait pleinement rempli ses obligations selon le paragraphe 54(1) de la Loi sur l'ADRC.


[62]            Par ordonnance datée du 29 janvier 2001, madame la protonotaire Aronovitch rejetait la requête en radiation. Saisi d'un appel à l'encontre de cette ordonnance, le juge O'Keefe a fait droit partiellement à l'appel, en concluant que la demande de mandamus n'avait aucune chance de succès parce que le demandeur n'avait pas préalablement exigé de l'Agence qu'elle adopte un programme adéquat de dotation. Le juge O'Keefe est arrivé à la conclusion que la demande de déclaration pouvait subsister. Un nouvel appel interjeté par l'Agence à la Cour d'appel fédérale a été rejeté.

DISPOSITIONS APPLICABLES

[63]            Les articles pertinents de la Loi sur l'Agence des douanes et du revenu du Canada, 1999, chapitre 17, sont les suivants :


50. L'Agence est un employeur distinct au sens de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

50. The Agency is a separate employer under the Public Service Staff Relations Act.

51. (1) Par dérogation aux paragraphes 11(2) et (3) et à l'article 12 de la Loi sur la gestion des finances publiques, l'Agence peut, dans l'exercice de ses attributions en matière de gestion du personnel :

51. (1) Notwithstanding subsections 11(2) and (3) and section 12 of the Financial Administration Act, the Agency may, in the exercise of its responsibilities in relation to personnel management,

a) déterminer les effectifs qui lui sont nécessaires et assurer leur répartition et leur bonne utilisation;

(a) determine its requirements with respect to human resources and provide for the allocation and effective utilization of human resources;

b) déterminer les besoins en matière de formation et perfectionnement de son personnel et en fixer les conditions de mise en oeuvre;

(b) determine requirements for the training and development of its personnel and fix the terms and conditions on which that training and development may be carried out;

c) assurer la classification des postes et des employés;

(c) provide for the classification of Agency positions and employees;

d) déterminer et réglementer les traitements auxquels ont droit ses employés, leurs horaires et leurs congés, ainsi que les questions connexes;

(d) determine and regulate the pay to which persons employed by the Agency are entitled for services rendered, the hours of work and leave of those persons and any related matters;


e) prévoir les primes susceptibles d'être accordées aux employés pour résultats exceptionnels ou réalisations méritoires dans l'exercice de leurs fonctions, ainsi que pour des inventions ou des idées pratiques d'amélioration;

(e) provide for the awards that may be made to persons employed by the Agency for outstanding performance of their duties, for other meritorious achievement in relation to those duties and for inventions or practical suggestions for improvements;f) établir des normes de discipline et fixer les sanctions pécuniaires et autres, y compris le licenciement et la suspension, susceptibles d'être infligées pour manquement à la discipline ou inconduite et préciser dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs ces sanctions peuvent être appliquées, modifiées ou annulées, en tout ou en partie;

(f) establish standards of discipline for its employees and prescribe the financial and other penalties, including termination of employment and suspension, that may be applied for breaches of discipline or misconduct and the circumstances and manner in which and the authority by which or by whom those penalties may be applied or may be varied or rescinded in whole or in part;

g) prévoir, pour des motifs autres qu'un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur et préciser dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs ces mesures peuvent être appliquées, modifiées ou annulées, en tout ou en partie;

(g) provide for the termination of employment or the demotion to a position at a lower maximum rate of pay, for reasons other than breaches of discipline or misconduct, of persons employed by the Agency and establish the circumstances and manner in which and the authority by which or by whom those measures may be taken or may be varied or rescinded in whole or in part;

h) déterminer et réglementer les indemnités à verser aux employés soit pour des frais de déplacement ou autres, soit pour des dépenses ou en raison de circonstances liées à leur emploi;

(h) determine and regulate the payments that may be made to Agency employees by way of reimbursement for travel or other expenses and by way of allowances in respect of expenses and conditions arising out of their employment; and

i) prendre les autres mesures qu'elle juge nécessaires à la bonne gestion de son personnel, notamment en ce qui touche les conditions de travail non prévues de façon expresse par le présent paragraphe.

(i) provide for any other matters that the Agency considers necessary for effective personnel management, including terms and conditions of employment not otherwise specifically provided for in this subsection.

(2) Le commissaire, pour le compte de l'Agence, inflige les sanctions, y compris le licenciement et la suspension, visées à l'alinéa (1)f) et procède au licenciement ou à la rétrogradation visés à l'alinéa (1)g).

(2) The Commissioner must apply the penalties, including termination of employment and suspension, under paragraph (1)(f) and provide for termination or demotion under paragraph (1)(g) on behalf of the Agency.

52. (1) L'Agence peut établir des programmes d'assurances collectives ou d'autres avantages pour ses employés, fixer les conditions qui leur sont applicables, notamment en ce qui concerne les primes et cotisations à verser, les prestations et les dépenses à effectuer sur celles-ci ainsi que la gestion, le contrôle et la vérification des programmes, conclure des contrats à cette fin et verser les primes et cotisations.

52. (1) The Agency may establish or enter into a contract to acquire group insurance or benefit programs for its employees and may set any terms and conditions in respect of those programs, including those relating to premiums, contributions, benefits, management and control and expenditures to be made from those contributions and premiums, and may audit and make contributions and pay premiums in respect of those programs.

(2) La Loi sur la gestion des finances publiques ne s'applique pas aux primes ou cotisations versées par l'Agence ou perçues auprès des cotisants aux programmes visés au paragraphe (1) ni aux prestations qui sont versées à ceux-ci.

(2) The Financial Administration Act does not apply to any contributions made or premiums paid by the Agency or the members in respect of any program established under subsection (1) or any benefits received by the members of such a program.


53. (1) L'Agence a compétence exclusive pour nommer le personnel qu'elle estime nécessaire à l'exercice de ses activités.

53. (1) The Agency has the exclusive right and authority to appoint any employees that it considers necessary for the proper conduct of its business.(2) Les attributions prévues au paragraphe (1) sont exercées par le commissaire pour le compte de l'Agence.

(2) The Commissioner must exercise the appointment authority under subsection (1) on behalf of the Agency.

54. (1) L'Agence élabore un programme de dotation en personnel régissant notamment les nominations et les recours offerts aux employés.

54. (1) The Agency must develop a program governing staffing, including the appointment of, and recourse for, employees.

(2) Sont exclues du champ des conventions collectives toutes les matières régies par le programme de dotation en personnel.

(2) No collective agreement may deal with matters governed by the staffing program.

55. (1) En ce qui a trait aux concours internes, aux mutations et aux nominations effectués sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, les employés de l'Agence sont traités comme s'ils étaient des fonctionnaires au sens de cette loi et peuvent se prévaloir à cet égard des recours qui y sont prévus.

55. (1) For the purpose of deployments or appointments made, or closed competitions held, under the Public Service Employment Act, employees of the Agency must be treated as if they were employees within the meaning of the Public Service Employment Act and had the rights of recourse provided by that Act.

(2) La Commission de la fonction publique, après consultation du Conseil du Trésor, peut assortir de modalités la mutation d'employés de l'Agence à des ministères ou organismes sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique si elle estime que les principes du programme de dotation de l'Agence sont incompatibles avec les principes régissant la dotation sous le régime de cette loi.

(2) The Public Service Commission may, in consultation with the Treasury Board, set terms and conditions for the deployment of Agency employees to departments and agencies under the Public Service Employment Act if, in the opinion of the Commission, the principles governing the Agency's staffing program are incompatible with those governing staffing under the Public Service Employment Act.

(3) Lorsqu'elle les admet à postuler un emploi en son sein, l'Agence traite les fonctionnaires, au sens de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, comme s'ils étaient ses employés et avaient les mêmes recours que ceux-ci.

(3) When the Agency considers employees within the meaning of the Public Service Employment Act for employment within the Agency, it must treat them as if they were employees of the Agency and had the rights of recourse of Agency employees.

56. (1) La Commission de la fonction publique peut préparer - ou faire préparer - à l'intention de l'Agence un rapport sur la conformité du programme de dotation avec les principes énoncés dans le résumé du plan d'entreprise; elle envoie une copie du rapport au vérificateur général et au Conseil du Trésor.

56. (1) The Public Service Commission may prepare, or have prepared on its behalf, a report to the Agency on the consistency of the Agency's staffing program with the principles set out in the summary of its corporate business plan and must send a copy of the report to the Auditor General and the Treasury Board.


(2) La Commission de la fonction publique peut vérifier périodiquement la compatibilité des principes du programme de dotation de l'Agence avec les principes régissant la dotation sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et faire état de ses conclusions dans son rapport d'activités.

(2) The Public Service Commission may periodically review the compatibility of the principles governing the Agency's staffing program with those governing staffing under the Public Service Employment Act and may report its findings in its annual report.57. Les articles 32 à 34 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique s'appliquent aux commissaire, commissaire adjoint et employés de l'Agence. À ces fins, les commissaire et commissaire adjoint sont réputés être des administrateurs généraux, et les employés, des fonctionnaires, au sens de l'article 2 de cette loi.

57. Sections 32 to 34 of the Public Service Employment Act apply to the Commissioner, Deputy Commissioner and employees of the Agency. For the purposes of those sections, the Commissioner and Deputy Commissioner are deemed to be deputy heads and the employees of the Agency are deemed to be employees as defined in section 2 of that Act.

58. (1) Par dérogation à l'article 56 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, l'Agence est la seule autorité habilitée à conclure, avec l'agent négociateur d'une unité de négociation composée d'employés de l'Agence, une convention collective applicable aux employés de cette unité.

58. (1) Notwithstanding section 56 of the Public Service Staff Relations Act, the Agency has sole authority to enter into a collective agreement with the bargaining agent for a bargaining unit composed of Agency employees, applicable to employees in that bargaining unit.

(2) L'Agence doit préalablement consulter le Conseil du Trésor relativement à son plan de ressources humaines, notamment en ce qui a trait au total des augmentations des salaires et des avantages des employés.

(2) Before entering into collective bargaining, the Agency must consult with the Treasury Board on its human resource plan, including the total increases in employee salaries or benefits.

59. Après sa troisième année complète de fonctionnement, et périodiquement par la suite, l'Agence fait préparer par une personne ou un organisme, sauf elle-même ou ses administrateurs ou employés, une évaluation des recours qu'elle offre ou administre dans le cadre de la gestion de ses ressources humaines. Elle inclut un résumé de l'évaluation dans son rapport d'activités.

59. Following its third full year of operations and periodically after that, the Agency must have prepared, by a person or body other than the Agency, a director or an employee of the Agency, an assessment of the recourse that the Agency provides or administers in its management of human resources. The Agency must publish a summary of the assessment in its next annual report.


POINTS LITIGIEUX

[64]            Le demandeur soulève les points suivants :

Quelle est la norme de contrôle qu'il faut appliquer à la décision de l'Agence d'établir le mécanisme de recours en matière de dotation?

Le mécanisme de recours établi par l'Agence en matière de dotation doit-il, pour être raisonnable, se conformer aux règles de la justice naturelle?


Le mécanisme de recours établi par l'Agence en matière de dotation contrevient-il aux règles de la justice naturelle?

Le mécanisme de recours établi par l'Agence en matière de dotation est-il déraisonnable parce qu'il ne permet pas au décideur de prendre en compte tous les facteurs pertinents?

Le mécanisme de recours établi par l'Agence en matière de dotation est-il déraisonnable pour cause d'absence d'un pouvoir réparateur suffisant?

ANALYSE

Existence d'un contrôle judiciaire

[65]            Dans la présente demande, la Cour n'a pas devant elle une décision ou ordonnance déclarative prenant la forme d'un ensemble de motifs pouvant être soumis à contrôle judiciaire. Il n'y a que le Programme lui-même, le produit d'une décision non déclarative qui a été prise en conséquence des pouvoirs délégués à l'Agence par le paragraphe 54(1) de la Loi sur l'ADRC.

[66]            Ce constat soulève immédiatement deux questions fondamentales : le Programme et, en particulier, son mécanisme de recours tel qu'il a été institué par l'Agence, peuvent-ils être réformés par la Cour? Et, dans l'affirmative, quelle norme de contrôle faut-il appliquer?

[67]            Il a souvent été signalé que, même si toute attribution législative de pouvoir est en principe juridiquement limitée et susceptible d'examen, des considérations pratiques peuvent fort bien dissuader la juridiction de contrôle d'intervenir.

[68]            La jurisprudence quelque peu hétérogène sur cet aspect montre que la Cour s'appuie sur des raisons politiques, des raisons de principe et des raisons statutaires pour refuser d'intervenir, mais il est difficile d'y déceler un principe directeur général.

[69]            Ainsi, le juge Gibson s'est débattu avec cette question dans l'affaire Alberta c. Canada (Commission du blé), [1998] 2 C.F. 156, en particulier avec le sens de l'expression « objet de la demande » , au paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale et dans les dispositions correspondantes des Règles de la Cour fédérale (1998). Dans cette affaire, le juge Gibson devait statuer entre autres sur une demande de contrôle judiciaire portant sur le programme de livraison de grains de la Commission canadienne du blé, et il s'agissait de savoir si ce programme était un « objet » à l'égard duquel une demande de contrôle judiciaire était recevable.


[70]            Après un examen approfondi des précédents applicables et des arguments rivaux, le juge Gibson était arrivé à la conclusion que dans cette affaire le programme de livraison de grains était à l'abri de tout contrôle judiciaire. Appel fut interjeté devant la Cour d'appel fédérale, qui rejeta l'appel sur le fond. Cependant, la Cour d'appel a aussi trouvé compréhensible « que le juge des requêtes qui a disposé de l'avis de requête introductif d'instance considère que les longues propositions de l'appelante manquaient de précisions et ne pouvaient être l'objet d'un contrôle judiciaire » . Voir l'arrêt Alberta c. Canada (Commission canadienne du blé) (1998), 234 N.R. 74, à la page 78.

[71]            Évidemment, le Programme qui nous occupe ici est le programme de recours en matière de dotation établi par l'Agence conformément au paragraphe 54(1) de la Loi sur l'ADRC. Le Programme et ses dispositions touchant les recours sont assez complexes, mais leur effet se manifeste surtout sur les vérificateurs travaillant pour l'Agence. Le Programme est axé sur les besoins complémentaires de l'Agence et de ses employés, de telle sorte qu'il ne s'intéresse pas à la mise en oeuvre d'une politique comme c'était le cas pour le programme de livraison de grains dans l'arrêt Alberta, précité. Le champ du Programme, et le fait qu'il reste relativement non controversé, font cependant qu'il se prête mal à une réformation en l'absence de circonstances et décisions particulières, et la manière dont le Programme a été constitué, après étude et consultation préalables, signifie qu'il ne se prête pas aisément à des redressements par contrôle judiciaire.

[72]            À mon avis cependant, l'aspect le plus troublant de la présente affaire est le fait que la Loi sur l'ADRC elle-même renferme une disposition qui prévoit l'examen du Programme.


[73]            Selon le paragraphe 56(1) de la Loi sur l'ADRC, la Commission peut présenter à l'Agence un rapport sur les questions de conformité et peut envoyer une copie de tout rapport ainsi préparé au vérificateur général et au Conseil du Trésor. Selon le paragraphe 56(2), la Commission peut vérifier périodiquement la compatibilité des principes régissant le Programme avec les principes régissant la dotation sous le régime de la LEFP, et elle peut faire état de ses conclusions dans son rapport annuel. Par ailleurs, selon l'article 59, après sa troisième année complète de fonctionnement, et périodiquement par la suite, l'Agence fait préparer par une personne ou un organisme, sauf elle-même ou ses administrateurs ou employés, une évaluation des recours qu'elle offre ou administre dans le cadre de la gestion de ses ressources humaines, et elle inclut un résumé de l'évaluation dans son rapport annuel suivant.

[74]            Tout compte fait, ces dispositions constituent un moyen continu et assez complet de revoir le Programme tout entier, à la fois sous l'angle des objectifs opérationnels de l'Agence et sous l'angle des intérêts des employés, en quête de recours véritables.

[75]            Ma première réserve, c'est que le législateur a déjà prévu un moyen de revoir le Programme en tant que tel, ainsi que sa faculté de répondre aux intérêts à la fois de l'employeur et de l'employé. On peut dès lors à mon avis douter sérieusement de l'opportunité pour la Cour d'examiner le Programme à une date donnée, pour ensuite rendre un jugement déclaratoire du genre de celui qu'envisage la présente demande, une demande qui suppose un examen spéculatif de questions plutôt qu'une décision ou ordonnance particulière rendue en vertu du Programme ou en application du mécanisme des recours.

[76]            Ma deuxième réserve est que, s'agissant de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, je ne suis pas persuadé que le législateur voulait que la Cour examine, de la manière envisagée par cette demande, un programme complexe de recours et de mesures de dotation mis en oeuvre en vertu d'un texte qui prévoit déjà un mode d'examen efficace, permanent et détaillé.

[77]            Au surplus, le demandeur voudrait que la Cour déclare que l'Agence a négligé de développer un programme de recours en matière de dotation, contrevenant ainsi au paragraphe 54(1) de la Loi sur l'ADRC. Il faut pour cela que la Cour examine des points d'interprétation législative et de mise en application des lois, sans l'avantage d'avoir devant elle des exemples précis de cas déraisonnables ou injustes, et dans un contexte où il y a une place considérable pour un débat théorique et un désaccord sur la manière dont les dispositions du Programme relatives aux recours fonctionneront en pratique. Les moyens invoqués par le demandeur sont donc à mon avis pure conjecture à ce stade de la vie du Programme. Le Programme a été mis en application, et ses principales caractéristiques ont été officialisées dans des textes, mais le demandeur voudrait que la Cour intervienne dans un débat quelque peu abstrait, sans qu'il existe un véritable différend sur un ensemble donné de faits. Il y a une grande part d'hypothèse dans cette demande et, à mon avis, la Cour devrait refuser d'intervenir et de rendre un jugement déclaratoire dans un cas où il reste beaucoup à déterminer et à débattre, jusqu'à ce qu'apparaissent des exemples précis d'erreurs qui donneront vie à la véritable nature de la panoplie de recours établis par l'Agence.

[78]            Par conséquent, je suis d'avis que cette demande de contrôle judiciaire et de jugement déclaratoire est mal à propos, prématurée et spéculative et que la Cour devrait refuser d'y donner suite. Cette conclusion dispose de cette demande. Cependant, gardant à l'esprit qu'une juridiction d'appel pourrait ne pas partager mes vues sur ce point, j'examinerai les autres aspects dont je suis saisi.

Norme de contrôle

[79]            Pour le cas où le Programme et son mécanisme de recours devraient être jugés réformables ainsi que le demandeur a tenté de m'en convaincre, il convient d'examiner la norme de contrôle à appliquer. Encore une fois, ce point pose un problème ici parce que je n'ai devant moi aucune décision ou ordonnance. L' « objet » qu'il est demandé à la Cour de réformer est constitué par le Programme lui-même. Le demandeur exprime l'avis qu'une analyse pragmatique et fonctionnelle conduira à la conclusion que la norme de la décision raisonnable simpliciter est la norme qu'il convient d'appliquer ici, même si le demandeur reconnaît aussi que « la définition de la norme de la décision raisonnable simpliciter, dans l'arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] A.C.S. no 17, se prête mieux à des décisions déclaratives qu'à des décisions non déclaratives comme celle dont il s'agit ici » .


[80]            L'Agence affirme que trois questions distinctes doivent être examinées sous cette rubrique. En premier lieu, le point de savoir si l'Agence a agi dans les limites de ses pouvoirs officiels est une question de droit et de compétence qui est réformable selon la norme de la décision correcte. Deuxièmement, le point de savoir si le Programme répond ou non aux principes d'équité (dans la mesure où ce point peut être décidé dans le cadre de cette demande) est une question mixte de droit et de fait, qui est réformable selon la norme de la décision raisonnable. Troisièmement, la forme et le contenu du Programme relèvent du pouvoir discrétionnaire de l'Agence, et une analyse pragmatique et fonctionnelle donnerait à penser que c'est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui devrait s'appliquer s'ils sont soumis à révision.

[81]            L'un des problèmes majeurs que pose cette demande est son ampleur; le demandeur invite simplement la Cour à déclarer que l'Agence « a négligé d'élaborer un programme de recours en matière de dotation ainsi que l'exige l'article 54 de la Loi sur l'Agence des douanes et du revenu du Canada » . Les moyens et arguments avancés par le demandeur sont les suivants : le manquement de l'Agence réside dans le fait que le Programme n'est pas conforme aux règles de la justice naturelle, et le Programme est déraisonnable parce qu'il ne permet pas d'examiner si les candidats sont traités uniformément et parce que les examinateurs indépendants sont dépourvus d'un réel pouvoir de réparation.


[82]            Dans un cas comme celui-ci, où il est demandé à la Cour de disposer d'un aspect non juridictionnel et de prononcer sur la légalité de divers éléments de la conception d'un programme, une analyse pragmatique et fonctionnelle classique revêt une notable complexité. Il n'y a évidemment aucune clause privative, mais il y a une procédure intégrée d'examen. L'expérience de l'Agence se rapporte aux questions fiscales et douanières, mais, parce que le législateur a confié à l'Agence le soin de concevoir le programme, l'Agence a pris avis sur les aspects intéressant la dotation et les recours et elle a donc acquis dans ces matières des connaissances spécialisées que la Cour n'a pas. Ces facteurs me donnent à penser que l'Agence appelle une certaine retenue judiciaire. L'objet du texte législatif me donne aussi à penser que l'Agence est fondée à une retenue considérable, compte tenu que la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] A.C.S. no 18, 2003 CSC 19 (Q.L.), a jugé que les cours de justice doivent montrer d'autant plus de circonspection lorsque le texte législatif concerné vise à résoudre et à mettre en équilibre des orientations rivales ou les intérêts de diverses communautés. En l'espèce, il me semble que, lorsqu'elle a imaginé le Programme, l'Agence devait à tout le moins mettre en équilibre les objectifs rivaux et les intérêts des syndicats, de la direction et des employés non représentés.

[83]            Par ailleurs, lorsque l'on considère ici la nature de la question, on constate qu'aucun fait n'est soumis à l'examen de la Cour, si ce n'est les aspects contestés du Programme lui-même; et les questions d'équité, d'uniformité et de fonction réparatrice sont davantage du ressort de la Cour, ce qui signale un niveau de retenue moindre.


[84]            J'arrive à la conclusion que, pour l'examen des aspects du Programme soulevés par le demandeur, à savoir la justice naturelle, l'uniformité et la fonction réparatrice, la norme devrait être celle de la décision raisonnable simpliciter. Si la Cour est d'avis que l'Agence a répondu aux sujets d'inquiétude d'une manière qui ne va au rebours de cette norme, alors l'Agence aura agi en conformité avec les pouvoirs que lui donne le paragraphe 54(1) de la Loi sur l'ADRC.

[85]            Cela signifie que la Cour doit procéder à une analyse approfondie du Programme sous l'angle des moyens avancés par le demandeur pour voir s'il contient des lacunes, mais, dès lors qu'un raisonnement pouvait validement conduire l'Agence à concevoir le Programme comme elle l'a conçu, la Cour devra s'abstenir d'accorder le jugement déclaratoire demandé ici.

Les moyens soulevés

Le mécanisme de recours établi par l'Agence en matière de dotation doit-il, pour être raisonnable, se conformer aux règles de la justice naturelle?

[86]            Selon le demandeur, il y a deux raisons pour lesquelles le Programme et son mécanisme de recours doivent se conformer aux règles de la justice naturelle et de l'équité procédurale.

[87]            D'abord, le demandeur invoque l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), [2001] 2 R.C.S. 781. Au paragraphe 21, la Cour suprême confirmait le point suivant :

Confrontés à des lois muettes ou ambiguës, les tribunaux judiciaires infèrent généralement que le Parlement ou la législature voulait que les procédures du tribunal administratif soient conformes aux principes de justice naturelle.

[88]            Les règles de la justice naturelle ne sont pas, dans le texte de la Loi sur l'ADRC, écartées par déduction nécessaire. Par conséquent, en l'absence d'une disposition législative contraire expresse, il faut présumer que le législateur voulait que l'Agence établisse en matière de dotation un système de recours qui soit conforme aux règles de la justice naturelle et de l'équité procédurale. Si le mécanisme conçu par l'Agence ne se conforme pas auxdites règles, alors il ne s'agit pas d'un véritable système de « recours » selon ce que prévoit le paragraphe 54(1) de la Loi sur l'ADRC.

[89]            Deuxièmement, l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, chapitre 44, prévoit ce qui suit :


2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme

2. Every law of Canada shall, unless it is expressly declared by an Act of the Parliament of Canada that it shall operate notwithstanding the Canadian Bill of Rights, be so construed and applied as not to abrogate, abridge or infringe or to authorize the abrogation, abridgment or infringement of any of the rights or freedoms herein recognized and declared, and in particular, no law of Canada shall be construed or applied so as to

e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations;

(e) deprive a person of the right to a fair hearing in accordance with the principles of fundamental justice for the determination of his rights and obligations;


[90]            L'Agence n'a pas été soustraite à l'application de la Déclaration canadienne des droits. L'article 54 de la Loi sur l'ADRC doit donc être interprété de telle sorte que l'Agence ne soit pas autorisée à concevoir un mécanisme de recours qui refuse aux employés le droit à une audition impartiale, selon les principes de justice fondamentale.

[91]            Le demandeur affirme donc que l'Agence est tenue de concevoir, en matière de dotation, un système de recours qui soit conforme aux règles de la justice naturelle et de l'équité procédurale.

[92]            Je ne vois aucune raison d'exprimer mon désaccord avec le demandeur sur ce point.

Le mécanisme de recours établi par l'Agence en matière de dotation contrevient-il aux règles de la justice naturelle?

[93]            Le demandeur fait valoir que les règles de la justice naturelle comportent deux éléments fondamentaux : « nul n'est juge en sa propre cause » (la règle qui interdit la partialité ou l'absence d'indépendance), et « l'autre partie doit aussi être entendue » (obligation d'entendre l'autre partie). Selon le demandeur, le mécanisme de recours en matière de dotation qui a été conçu par l'Agence contrevient à l'une et l'autre maximes.

[94]            En premier lieu, le demandeur dit que les trois niveaux de recours en matière de dotation contreviennent tous à la règle qui interdit la partialité. Pour les employés éliminés d'un concours à l'étape de l'examen des conditions préalables ou à l'étape de l'évaluation, les appels sont jugés par un décideur qui est un employé de la direction. Pour la rétroaction individuelle, la décision est prise par l'employé lui-même qui est l'auteur de la décision contestée. Dans la révision de la décision, la décision est prise par le chef de service de cet employé. Par conséquent, le décideur n'est pas, dans ces conditions, indépendant et impartial.

[95]            Selon le demandeur, l'examen indépendant contrevient lui aussi aux principes de justice naturelle, parce que les examinateurs indépendants ne sont pas en réalité indépendants. Les trois conditions essentielles de l'indépendance sont l'inamovibilité, la sécurité financière et le contrôle administratif (Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 75).

1)          Crainte raisonnable de partialité

[96]            Le demandeur dit que l'examinateur indépendant n'a ni sécurité financière ni contrôle administratif. S'il en est ainsi, c'est parce que l'Agence (dans la plupart des cas par l'entremise du BGD) :

a.          rémunère l'examinateur indépendant pour chaque cas;

b.          fixe le niveau maximal de rémunération de l'examinateur indépendant;

c.          décide qui fera partie de la réserve d'examinateurs indépendants;

d.          décide quel examinateur indépendant compris dans la réserve sera assigné à tel ou tel cas;

e.          décide de la compétence de l'examinateur indépendant (c'est-à-dire décide si telle ou telle affaire peut être soumise à l'examen d'un tiers);

f.           décide des éléments de preuve qui peuvent être présentés à l'examinateur indépendant en ce qui a trait aux employés autres que le plaignant;


g.          oblige l'examinateur indépendant à l'informer de sa décision avant sa communication officielle; et

h.          prépare des versions « expurgées » des décisions en vue de leur distribution.

[97]            L'Agence est entièrement libre de choisir l'examinateur indépendant, lequel dépend de la volonté future de l'Agence de lui assigner ou non d'autres cas.

[98]            Le demandeur fait observer qu'il est bien établi par la jurisprudence qu'une partie à un conflit de travail ne peut proposer son propre employé pour qu'il siège au sein d'un conseil tripartite. Cette règle a été élargie aux cas où la relation entre la direction et la personne désignée est telle qu'il existe une crainte raisonnable de partialité parce que la personne désignée dépend financièrement d'une partie ou d'une personne ayant un intérêt dans l'issue de l'affaire. Par exemple, un hôpital ne peut désigner l'employé d'un autre hôpital lorsque les deux hôpitaux sont régis par des conventions collectives très semblables et sont membres de la même association provinciale.

Re : Foothills Provincial General Hospital Board and United Nurses of Alberta, Local 115 et al. (1986), 27 D.L.R. (4th) 665 (C.A. Alb.).

Re : Simmons and Government of Manitoba (1981), 129 D.L.R. (3d) 694 (C.A. Man.).

Refrigeration Workers Union, Local 516 c. Labour Relations Board of British Columbia (C.A. C.-B.), [1986] B.C.J. No. 286 (C.A.).


[99]            Le demandeur fait valoir que, si la dépendance financière donne des raisons de craindre une partialité de la part d'un candidat proposé pour siéger au sein d'un conseil tripartite, elle est encore plus susceptible de faire craindre la partialité d'un organe constitué d'un membre unique. Par conséquent, de dire le demandeur, parce que l'Agence s'attribue le pouvoir exclusif de nommer les examinateurs indépendants et parce qu'elle les rémunère pour chaque cas (créant ainsi le contexte où les examinateurs indépendants dépendent financièrement du bon vouloir de l'Agence), le mécanisme des recours établi par l'Agence en matière de dotation contrevient aux règles de la justice naturelle.

[100]        Le demandeur affirme aussi que l'examinateur indépendant n'a aucun contrôle administratif sur l'examen qu'il effectue. L'examinateur indépendant ne peut décider des éléments de preuve qu'il admettra et il doit informer l'Agence, par l'entremise du BGD, de l'évolution du cas. Ces contrôles administratifs exercés sur l'examinateur font qu'il est permis de douter de sa partialité.

2) Autres violations des règles de la justice naturelle : le droit d'être entendu

[101]        Les principes de justice naturelle requièrent que l'intéressé connaisse les allégations dont il est l'objet (toutes les pièces pertinentes doivent lui être communiquées) et qu'il ait une occasion raisonnable d'y réagir.

Chong c. Canada (Conseil du Trésor) (1999), 170 D.L.R. (4th) 641 (C.A.F.)

Barton c. Canada (Procureur général) (1993), 66 F.T.R. 54 (1re inst.)

Wiebe c. Canada, [1992] 2 C.F. 592 (C.A.), à la page 595

Cardinal c. Établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643

[102]        Le demandeur fait valoir que, à l'étape de la rétroaction individuelle et à celle de la révision de la décision, il n'existe aucun mécanisme permettant à l'employé concerné de forcer la communication de renseignements pertinents. Même au stade de l'examen indépendant, les renseignements personnels qui concernent l'évaluation d'autres employés ne sont communiqués au plaignant qu'avec l'approbation d'un représentant de l'Agence. Il n'existe aucun mécanisme permettant à l'examinateur indépendant d'évaluer l'à-propos d'une décision de l'Agence de refuser la communication de renseignements concernant d'autres employés.

[103]        Durant la révision de la décision, le chef de service peut prier des spécialistes internes de la question de donner des interprétations portant sur la politique ou la procédure. Le plaignant n'a pas la possibilité d'obtenir les renseignements complémentaires recueillis par le chef de service, et il ne peut pas non plus y répondre.

[104]        Le demandeur considère que l'absence d'une communication adéquate, aux trois niveaux de recours, constitue une violation des règles de la justice naturelle. L'impossibilité pour le plaignant de répondre aux renseignements recueillis par le décideur constituerait également une entorse aux règles de la justice naturelle.


[105]        Finalement, sur ce point, le demandeur relève que Mme Christine Coffey, dans son affidavit produit au nom de l'Agence, invoque la Loi sur la protection des renseignements personnels pour justifier le refus de communiquer des renseignements relatifs à d'autres candidats. Cependant, la Cour a déjà jugé que la Loi sur la protection des renseignements personnels ne peut limiter l'accès à des renseignements auxquels a droit une personne en vertu des règles de la justice naturelle. Par conséquent, la Loi sur la protection des renseignements personnels n'est pas une raison acceptable de refuser la communication.

H. c. R., [1986] 2 C.F. 71 (1re inst.)

[106]        Pour autant que soient concernés les arguments du demandeur sur ce point en ce qui a trait à la rétroaction individuelle, ces aspects ont déjà été examinés dans le détail par la juge Dawson dans l'affaire Anderson c. Canada (Agence des douanes et du revenu), [2003] A.C.F. no 924, page 1. Après une longue analyse du processus de rétroaction individuelle, la juge Dawson écrivait ce qui suit :

345. Eu égard au contexte législatif, institutionnel et social dans lequel une décision sera prise à la suite de la plainte d'un candidat mécontent d'apprendre qu'il ne répond pas aux conditions essentielles d'un poste, et après mise en équilibre des facteurs susmentionnés, il ne m'apparaît pas que l'équité procédurale requiert une révision de la part d'un tiers indépendant. Plus précisément, je suis d'avis que le recours offert sous la forme d'une rétroaction individuelle s'accorde tout à fait avec les exigences de l'équité procédurale.

46. L'équité procédurale s'entend d'une occasion réelle de présenter les faits pertinents et de faire étudier pleinement et objectivement sa position par le décideur. Ainsi que l'écrivait le juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Baker, précité, à la page 837, l'objet des droits de participation contenus dans le devoir d'équité est de « garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d'une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal, institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu'ils soient considérés par le décideur » .


47. Le recours constitué par la rétroaction individuelle requiert qu'un employé dispose d'une information utile à propos de son évaluation. Un employé sait, après avoir pris connaissance de l'avis de poste vacant et de l'énoncé des exigences de dotation, ce que sont les conditions essentielles d'un poste. Un employé est conscient également de son aptitude à remplir les conditions essentielles du poste. Il n'a pas été démontré qu'un employé a besoin d'un représentant pour expliquer en quoi l'évaluation de ses titres et qualités est erronée ou comment il a établi qu'il répond aux conditions essentielles. Avant la séance de rétroaction individuelle, un employé est libre d'obtenir par tout moyen l'information qui lui permettra d'expliquer ou de présenter ses arguments durant la séance. Il a donc une occasion raisonnable de présenter ses arguments.

48. L'équité procédurale requiert aussi que les décisions soient rendues par un décideur objectif et ne donnent prise à aucune crainte raisonnable de partialité. Il ne va pas de soi à mon avis que le responsable d'un jury de sélection ne sera pas, de par cette position, enclin à modifier la décision du jury de sélection si on lui montre qu'une erreur a été commise. En droit, hormis une restriction législative, les décisions de nature non juridictionnelle peuvent être réexaminées et modifiées. (Voir Brown & Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, édition à feuilles mobiles (Canvasback Publishing : Toronto, 1998), page 12:6100.) Étant donné l'absence évidente d'un intérêt pécuniaire ou matériel chez le gestionnaire qui a mené la séance de rétroaction individuelle dans l'affaire qui nous occupe, et vu la nature de la décision contestée, il me semble que la norme d'impartialité qui s'impose est moins rigoureuse que celle qui est appliquée aux décisions de nature judiciaire. La preuve ne montre pas que les responsables des séances de rétroaction individuelle afficheront de ce seul fait une fermeture d'esprit inacceptable.

49. Il convient de noter qu'il existe un intérêt public dans la prise rapide des décisions. Le gestionnaire qui conduit la séance de rétroaction individuelle est bien placé pour expliquer pleinement, exactement et rapidement la raison pour laquelle un candidat a été exclu du concours. Ce gestionnaire a également les compétences requises pour donner son avis sur les besoins de perfectionnement du candidat.

50. Quant à la règle qui, à l'étape de la séance de rétroaction individuelle, empêche un employé d'évoquer la manière dont d'autres employés ont été traités et de se renseigner sur l'évaluation d'autres candidats, la seule question à cette première étape de la procédure de sélection concerne l'examen de la qualification du candidat par rapport aux conditions essentielles du poste. La décision prise est objective par nature, en ce sens qu'un candidat remplit ou ne remplit pas les conditions essentielles du poste. La manière dont les autres candidats sont jugés n'intéresse pas la question objective de savoir si un candidat en particulier répond ou non aux conditions essentielles. Le devoir d'équité ne requiert donc pas d'offrir l'accès à une information qui ne présente aucun intérêt à ce stade de la procédure de sélection.

51. En résumé, je suis d'avis que le recours offert au moyen de la rétroaction individuelle à un candidat dont on juge qu'il ne remplit pas les conditions essentielles d'un poste s'accorde avec les exigences de l'équité procédurale.

[107]        Je ne vois aucune raison de m'écarter de l'analyse et des conclusions de la juge Dawson sur ce point.

[108]        S'agissant de l'aspect du Programme qui concerne la révision de la décision, il est possible de tirer, pour l'indépendance, la crainte raisonnable de partialité et la représentation, des conclusions semblables à celles déjà tirées au regard de la rétroaction individuelle. Mais le demandeur soulève deux autres points qui requièrent un examen.

[109]        En premier lieu, le demandeur dit que, pour la révision de la décision, le gestionnaire réviseur peut demander un avis d'expert sur les questions de dotation et de ressources humaines, avis que l'employé n'a pas le droit de voir. Partant, dans un tel cas, l'employé ne connaîtra pas les arguments qu'il doit réfuter, et, sur le plan de la procédure, cela est injuste. Non seulement l'employé ne verra pas l'avis d'expert, mais il n'aura pas le droit d'appeler des témoins ou de produire des éléments de preuve.

[110]        Le demandeur dit aussi que, parce que la politique à l'origine du Programme ne permet pas à un employé de connaître les évaluations d'autres candidats, l'employé qui s'estime lésé n'a aucun moyen de contester la conclusion de la révision d'une décision ni d'établir le caractère « arbitraire » de la manière dont il a été traité.


[111]        L'Agence est d'avis que, sur ce point comme sur la contestation menée par le demandeur contre le Programme en général, le demandeur se livre à des conjectures et anticipe quelque peu. L'Agence fait observer que le Programme n'interdit pas au demandeur d'accéder aux avis d'expert ou autres renseignements. Lorsque cela peut se révéler utile, le chef de service chargé de la révision peut remettre à l'employé des rapports et autres documents et l'inviter à y réagir. L'employé n'est nullement empêché non plus d'appeler des témoins ou de produire des preuves à l'appui de ses arguments. Tout employé qui souhaite produire de telles preuves doit simplement demander l'autorisation de le faire, et cette demande sera étudiée de la manière habituelle et en conformité avec les facteurs présents dans chaque cas, notamment la pertinence et l'équité.

[112]        S'agissant de l'intervention d'un représentant de l'employé dans la révision de la décision, l'Agence fait observer que le Programme n'empêche nullement un représentant de s'exprimer au nom d'un employé durant le recours en question. Encore une fois, c'est au chef de service chargé de la révision qu'il revient d'en décider selon les circonstances du cas et, si un employé s'estime lésé par une décision individuelle, cette décision peut être réformée par la Cour.

[113]        Après examen du « processus de révision de la décision » , dans les Directives du Programme de dotation relatives aux recours en matière de dotation, il apparaît que l'Agence dit vrai et qu'il n'existe aucune règle empêchant l'accès à l'information et à la représentation dans un cas donné. En réalité, le chef de service chargé de la révision a toute latitude de répondre aux besoins du cas qui lui est assigné. Il est libre d'effectuer la révision comme il l'entend. Il doit s'assurer que la révision se déroule d'une manière impartiale et que la personne autorisée et l'employé exerçant le recours ont la possibilité de présenter leurs points de vue. Son mandat est de procéder à la révision et de recueillir les renseignements qui sont nécessaires pour arriver à une décision.

[114]        Il n'y a en conséquence aucune règle interdisant le partage de renseignements, la représentation ou les sauvegardes de procédure, sauf sous un aspect particulier. Les Directives sur les recours disent que « les renseignements personnels relatifs à d'autres candidats ou employés ne peuvent être communiqués » . À mon avis, cette interdiction n'invalide pas le Programme contrairement à ce que prétend le demandeur.

[115]        Les directives sur les recours renferment des dispositions générales qui traitent de la communication de renseignements. L'article 4 des directives est ainsi formulé :

Les recours prévus par le Programme de dotation sont subordonnés à la Loi sur l'accès à l'information et à la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Pour la rétroaction individuelle et la révision de la décision, les personnes autorisées ne peuvent communiquer les renseignements personnels d'autres employés sans l'autorisation écrite expresse de l'employé concerné.

Les renseignements concernant l'évaluation ou le traitement d'un autre candidat au cours du processus de sélection sont considérés comme des renseignements personnels et ne peuvent pas être divulgués.

Les personnes autorisées doivent communiquer tous les renseignements utiles à l'employé qui exerce le recours, sauf les renseignements susceptibles de compromettre la sécurité nationale ou l'intégrité d'une méthode normalisée d'évaluation, et sauf les renseignements dont la divulgation contreviendrait à la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[116]        Digne de mention ici est la règle selon laquelle les personnes autorisées « doivent communiquer tous les renseignements utiles à l'employé qui exerce le recours » , sauf dans les cas précisés.

[117]        Le point crucial ici, selon la perspective du demandeur, est la règle qui interdit de communiquer des renseignements « concernant l'évaluation ou le traitement d'un autre candidat au cours du processus de sélection... » . Après lecture de ces directives, il m'apparaît que les renseignements en question sont considérés comme des renseignements personnels et qu'ils ne peuvent être communiqués « sans l'autorisation écrite expresse de l'employé concerné » .

[118]        Le demandeur fait valoir que cette règle empêchera l'employé qui exerce le recours d'établir qu'il a été traité d'une manière arbitraire, selon la définition du mot « arbitraire » . Cette règle, d'affirmer le demandeur, sapera également le principe du mérite qui est au coeur de la dotation au sein de la fonction publique.

[119]        Le Programme nous rappelle que le régime qu'il établit est sans rapport avec un quelconque classement. Sous la rubrique « évaluation » , par exemple, nous apprenons que l'évaluation « consiste à comparer les compétences et qualités du candidat par rapport aux critères établis d'évaluation, et non à comparer les candidats (c'est-à-dire à les classer) » . Sous la rubrique « placement » , nous apprenons que le placement « consiste à évaluer un candidat par rapport à certains critères de placement et non à classer des candidats » .


[120]        S'agissant du placement, le Programme souligne clairement que « les candidats pressentis pour être placés seront informés de la manière dont les critères de placement ont été appliqués dans la décision de placement » , puis il précise ensuite que « les candidats doivent être informés par écrit des résultats de l'étape du placement; l'information en question comprendra le nom de la personne choisie pour le placement, et les critères appliqués » .

[121]        Avec cette information, l'employé qui a une plainte à formuler peut invoquer les procédures de recours. Comme le Programme met l'accent sur les compétences et qualités d'un candidat par rapport à des critères établis d'évaluation, et non sur la comparaison entre candidats ou sur leur classement, les renseignements personnels concernant d'autres candidats ne sont pas utiles pour la compréhension qu'a un employé de la manière dont est prise une décision particulière de placement. Cependant, les critères utilisés dans le processus de placement, ainsi que le nom de la personne effectivement choisie, doivent être communiqués par écrit. Lorsqu'il s'agit d'établir le caractère arbitraire du processus de sélection, et puisque le classement ne fait pas partie de la méthode d'évaluation et de nomination, il me semble qu'un employé n'aura pas le droit d'alléguer un traitement arbitraire par rapport à un autre candidat, mais pourra seulement faire valoir que, eu égard aux critères établis pour l'examen des conditions préalables, pour l'évaluation ou pour le placement, il a été traité d'une manière arbitraire. Si l'on suppose une multiplicité de candidats pour un examen des conditions préalables, une évaluation ou un placement, candidats qui tous satisfont aux critères établis, les candidats trompés dans leurs espoirs ne pourront faire valoir qu'ils ont été traités d'une manière arbitraire parce qu'ils auraient dû être classés devant le candidat retenu.


[122]        Ainsi, pour ce qui est de participer au Programme tel qu'il est décrit dans les directives, et pour ce qui est d'exercer un recours, l'employé n'a pas besoin des renseignements personnels relatifs à d'autres candidats. Partant, on peut difficilement affirmer qu'il est déraisonnable pour le Programme d'exclure tels renseignements de « l'ensemble des renseignements utiles pour l'employé qui exerce un recours » .

[123]        Je prends note cependant de l'affaire Sargeant c. Canada (Agence des douanes et du revenu), [2002] A.C.F. no 1372. Elle concerne l'une de seulement deux demandes de contrôle judiciaire qui, au moment de l'audition de la présente affaire, avaient été instruites par la Cour et qui intéressent certains aspects du mécanisme établi par l'Agence en matière de recours. Dans cette affaire, l'Agence, réagissant à la décision de l'examinateur indépendant selon laquelle un sommaire des notes attribuées à tous les candidats intéressait la question de savoir si la direction avait choisi les cinq candidats qui avaient obtenu les notes les plus élevées dans une évaluation, avait décidé de remettre le sommaire en question aux demandeurs. Le fait d'exclure les renseignements personnels n'empêche donc pas de comparer des notes d'examen pour savoir s'il y a eu traitement arbitraire. En l'absence d'une décision précise et d'un ensemble précis de faits, il est difficile de justifier les arguments du demandeur sur ces points.


[124]        Mais je ne crois pas que ce soit là le véritable problème du demandeur. À mon avis, le demandeur cherche à faire valoir que le système des recours établi par l'Agence est intrinsèquement arbitraire, déraisonnable et contraire à la volonté du législateur exprimée dans le paragraphe 54(1) de la Loi sur l'ADRC, et cela parce qu'il exclut le classement du processus de sélection. Et cela, à mon avis, n'est pas une question à laquelle la Cour est à même de répondre, compte tenu de la preuve dont je dispose dans cette demande. En dernière analyse, cet aspect devient une question d'interprétation législative et d'intention du législateur.

[125]        Essentiellement, à mon avis, l'argument du demandeur est qu'un système de placement qui exclut le classement est en tant que tel contraire aux règles de la justice naturelle et de l'équité procédurale et ne saurait donc être conforme à l'intention du législateur. Mais, outre quelques renvois peu concluants au compte rendu officiel des débats parlementaires (révélateur pour le moins douteux de l'intention du législateur), le demandeur n'apporte à la Cour sur ce point aucun véritable élément de preuve ni aucun véritable argument. En réalité, ni l'exposé des faits et du droit du demandeur, ni son argumentation orale, n'abordent à mon avis directement cette question. Il est simplement demandé à la Cour de présumer que le législateur, au paragraphe 54(1) de la Loi sur l'ADRC, ne pouvait songer à un système de recours qui fût déraisonnable et contraire aux règles de l'équité procédurale et de la justice naturelle (ce à quoi je souscris), et qu'un système de recours qui fait l'impasse sur le classement dans l'examen des conditions préalables, dans l'évaluation et dans le placement est en soi déraisonnable, contraire aux règles de l'équité procédurale et de la justice naturelle, et par conséquent contraire à la volonté du législateur (ce à quoi je ne puis souscrire, eu égard aux éléments de preuve et aux arguments que le demandeur a présentés à la Cour dans cette demande). La Cour ne peut trancher cette affaire dans l'abstrait. Le classement et le mérite sont des principes de la LEFP et, ainsi que le disait la juge Dawson dans l'affaire Anderson, précitée, « [la Loi sur l'ADRC] ne dit nulle part que les principes de la LEFP doivent avoir préséance ou qu'ils doivent être appliqués à l'ADRC » .


[126]        S'agissant du processus de l'examen indépendant, le demandeur fait valoir encore une fois que le niveau nécessaire d'indépendance est absent et qu'il en résulte une crainte raisonnable de partialité. Sur ce point, le demandeur invoque à l'envi l'arrêt rendu par le juge en chef Lamer, de la Cour suprême du Canada, dans l'affaire Canadien Pacifique Ltée, précitée, et en particulier les paragraphes suivants :

80. Je partage cet avis et je conclus que l'un des principes de justice naturelle veut qu'une partie reçoive une audience devant un tribunal qui non seulement est indépendant, mais qui le paraît. La partie qui craint raisonnablement la partialité ne devrait pas être obligée de se soumettre au tribunal qui fait naître cette crainte. De plus, les principes en matière d'indépendance judiciaire énoncés dans l'arrêt Valente s'appliquent dans le cas d'un tribunal administratif lorsque celui-ci agit à titre d'organisme juridictionnel qui tranche les différends et détermine les droits des parties. Je reconnais toutefois que l'application stricte de ces principes ne se justifie pas toujours. Dans l'arrêt Valente, précité, le juge Le Dain a écrit, aux pages 692 et 693 :

Il ne serait cependant pas possible d'appliquer les conditions les plus rigoureuses et les plus élaborées de l'indépendance judiciaire à l'exigence constitutionnelle d'indépendance qu'énonce l'al. 11d) de la Charte, qui peut devoir s'appliquer à différents tribunaux. [. . .] Les conditions essentielles de l'indépendance judiciaire, pour les fins de l'al. 11d), doivent avoir un lien raisonnable avec cette diversité.

J'en suis arrivé à une conclusion analogue dans l'arrêt Généreux, précité (aux pages 284 et 285).

81. Le critère classique pour déterminer l'existence d'une crainte raisonnable de partialité est celui énoncé par le juge de Grandpré dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394 :

Le juge de Grandpré a dit, en outre, que les motifs de crainte doivent être « sérieux » .

82. L'arrêt Committee for Justice and Liberty confirme, à la p. 395, qu'il y a lieu de faire preuve d'une plus grande souplesse en appliquant aux tribunaux administratifs le critère permettant de déterminer s'il y a partialité :

La question de la partialité ne peut être examinée de la même façon dans le cas d'un membre d'un tribunal judiciaire que dans le cas d'un membre d'un tribunal administratif que la loi autorise à exercer ses fonctions de façon discrétionnaire, à la lumière de son expérience ainsi que de celle de ses conseillers techniques.


Évidemment, le principe fondamental est le même : la justice naturelle doit être respectée. En pratique cependant, il faut prendre en considération le caractère particulier du tribunal. Comme le remarque Reid, Administrative Law and Practice, 1971, à la page 220 :

[TRADUCTION] ... « tribunal » est un mot fourre-tout qui désigne des organismes multiples et divers. On se rend vite compte que des normes applicables à l'un ne conviennent pas à un autre. Ainsi, des faits qui pourraient être des motifs de partialité dans un cas peuvent ne pas l'être dans un autre.

Lord Tucker abonde dans le même sens dans Russell v. Duke of Norfolk and others, [1949] 1 All E.R. 109, à la page 118 :

[TRADUCTION] Il n'existe pas à mon avis un principe qui s'applique universellement à tous les genres d'enquêtes et de tribunaux internes. Les exigences de la justice naturelle doivent varier selon les circonstances de l'affaire, la nature de l'enquête, les règles qui régissent le tribunal, la question traitée, etc.

En l'espèce, le critère employé doit prendre en considération les vastes fonctions conférées à l'Office par la loi...

83. Par conséquent, bien que les tribunaux administratifs soient assujettis aux principes énoncés dans l'arrêt Valente, le critère relatif à l'indépendance institutionnelle doit être appliqué à la lumière des fonctions que remplit le tribunal particulier dont il s'agit. Le niveau requis d'indépendance institutionnelle (c.-à-d. l'inamovibilité, la sécurité financière et le contrôle administratif) dépendra de la nature du tribunal, des intérêts en jeu et des autres signes indicatifs de l'indépendance, tels les serments professionnels.

84. Parfois, un haut niveau d'indépendance s'imposera. Par exemple, lorsque les décisions du tribunal ont une incidence sur le droit d'une partie à la sécurité de sa personne (comme dans le cas des arbitres en matière d'immigration dans l'arrêt Mohammad, précité), une application plus stricte des principes énoncés dans l'arrêt Valente peut se justifier. En l'espèce, il s'agit d'un tribunal administratif chargé de trancher des différends concernant l'évaluation en matière d'impôt foncier. À mon avis, une plus grande souplesse est manifestement justifiée dans une telle situation.

85. C'est cette démarche que j'adopte donc relativement à la question de savoir si les membres des tribunaux d'appel constitués par les bandes appelantes sont suffisamment indépendants. Les principes posés dans l'arrêt Valente doivent être considérés à la lumière de la nature des tribunaux d'appel eux-mêmes, des intérêts en jeu et des autres signes indicatifs de l'indépendance, afin de déterminer si une personne sensée et raisonnable qui considérerait dans son ensemble la procédure prévue dans les règlements d'évaluation aurait une crainte raisonnable de partialité pour le motif que les membres des tribunaux d'appel ne sont pas indépendants.

[127]        L'Agence est d'avis que les trois volets essentiels de l'indépendance de la justice - inamovibilité, sécurité financière et indépendance administrative - ne sont pas applicables au travail des examinateurs indépendants.

R. c. Valente, [1985] 2 R.C.S. 673

[128]        Dans l'arrêt Valente, précité, il s'agissait de savoir si un juge de cour provinciale présidant un procès criminel constituait un tribunal indépendant au sens de l'alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour suprême du Canada était arrivée à la conclusion suivante sur la signification du mot « indépendant » dans ce contexte, à la page 685 :

Le terme « indépendant » , à l'al. 11d), reflète ou renferme la valeur constitutionnelle traditionnelle qu'est l'indépendance judiciaire. Comme tel, il connote non seulement un état d'esprit ou une attitude dans l'exercice concret des fonctions judiciaires, mais aussi un statut, une relation avec autrui, particulièrement avec l'organe exécutif du gouvernement, qui repose sur des conditions ou garanties objectives. (Non souligné dans l'original)

[129]      L'Agence relève que la présente espèce ne concerne pas le droit criminel, ni les droits fondamentaux garantis par la Charte, ni l'indépendance des cours de justice et des juges. Un examinateur indépendant n'est pas un juge, mais un décideur administratif. En ce qui a trait à l'indépendance des tribunaux administratifs, les cours de justice adoptent une approche plus souple que l'approche utilisée dans l'arrêt Valente. À l'appui de cette position, l'Agence renvoie la Cour aux arrêts suivants :

Canadien Pacifique, précité

Katz c. Vancouver Stock Exchange, [1996] 3 R.C.S. 405, suivant 128 D.L.R. (4th) 424 (C.A. C.-B.)


Bell Canada c. Canada (Commission des droits de la personne), 2001 CAF 161, [2001] A.C.F. no 76

Ocean Port Hotel Ltd., précité, no 17, au paragraphe 32

[130]        L'Agence fait valoir que, sauf contrainte constitutionnelle, le niveau d'indépendance requis d'un décideur ou tribunal administratif donné est déterminé par sa loi organique. C'est le législateur qui décide du niveau d'indépendance requis chez les membres d'un tribunal administratif. Il faut interpréter globalement la loi organique pour déterminer le niveau d'indépendance que voulait le législateur.

[131]        Lorsqu'un texte est silencieux ou ambigu sur l'indépendance d'un tribunal administratif, les cours de justice en déduisent généralement que le législateur voulait que la procédure du tribunal soit conforme aux principes de l'équité procédurale et de la justice naturelle. La norme précise d'indépendance dépendra de l'ensemble des circonstances, notamment la manière dont est formulée la loi qui fonde l'action du tribunal, la nature des tâches exécutées par le tribunal, le genre de décision qu'il doit rendre, et le contexte opérationnel.

[132]        La Loi sur l'ADRC confère à l'Agence une latitude considérable de déterminer la forme et le contenu du programme de dotation qu'elle doit élaborer. La Loi sur l'ADRC n'oblige pas l'Agence, expressément ou implicitement, à établir, pour les décisions de dotation, des voies de recours englobant des instances décisionnelles de nature judiciaire qui remplissent les critères de l'indépendance de la justice.


[133]        Vu cette vaste délégation de pouvoir consentie par le Parlement, l'Agence est d'avis qu'il lui était loisible d'établir, pour la résolution des différends en matière de dotation, un mécanisme interne en rapport avec la nature de la décision en cause. L'Agence aurait pu validement décider que les employés devraient exercer leurs recours exclusivement auprès des chefs de service et des cadres supérieurs. Elle a plutôt décidé que les employés contestant des décisions de placement pouvaient exercer leurs recours au niveau interne, en demandant la révision de la décision, ou au niveau externe, en demandant un examen indépendant extérieur à l'Agence. Il n'est pas nécessaire que ce recours à un tiers prenne la forme d'une cour de justice ou autre instance formelle.

[134]        L'Agence conclut que, dans l'accomplissement de son obligation d'élaborer le Programme, elle n'a pas écarté les principes d'équité procédurale et de justice naturelle. Les lignes directrices de l'examen indépendant prévoient expressément que l'examinateur indépendant doit donner aux deux parties une véritable possibilité de présenter leurs arguments, avec l'aide de représentants, en conformité avec les principes de l'équité procédurale.

[135]        Subsidiairement, l'Agence dit que les principes d'équité procédurale et de justice naturelle ne doivent pas nécessairement s'appliquer aux examinateurs indépendants de la même manière qu'ils pourraient s'appliquer aux cours de justice ou autres instances. En d'autres termes, les examinateurs indépendants sont suffisamment indépendants, étant donné le contexte dans lequel ils travaillent et la nature de leurs décisions.


[136]        L'Agence fait observer qu'il n'existe de sa part aucune promesse, pratique ou procédure qui puisse autoriser un espoir légitime que les divers aspects de l'indépendance de la justice vaudront pour les examinateurs indépendants.

[137]        L'Agence n'entend nullement s'ingérer dans le travail des examinateurs indépendants, qui sont recrutés par contrat pour exécuter des services afférents à une contestation donnée. Rien ne donne à entendre que l'Agence a ici rescindé ou pourrait rescinder dans l'avenir ledit contrat avant que l'examinateur indépendant ne termine son travail. En l'absence d'une preuve de cette nature, l'Agence est fondée à s'en remettre à la présomption de régularité du processus administratif.

Ellis-Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [2001] 1 R.C.S. 221, au paragraphe 55

[138]        L'Agence fait aussi valoir que la sécurité financière n'est pas en cause. Elle n'est pas l'employeur de l'examinateur indépendant et elle ne lui verse pas un salaire. La rémunération est prévue par un contrat de louage d'ouvrage. Le droit d'être rémunéré adéquatement pour services rendus doit être présumé en droit.

Katz, précité, à la page 439 (C.A. C.-B.)


[139]        Finalement, l'Agence fait observer que les examinateurs indépendants sont totalement autonomes par rapport à elle. Ils ne sont pas des gestionnaires ou des chefs de service des employés qui exercent des recours. Ils n'exécutent pas d'autres services pour l'Agence. Plus précisément, ils n'interviennent pas dans la définition de la politique de dotation. Ils sont donc des décideurs impartiaux et désintéressés, en mesure de considérer avec objectivité les différends qui leur sont assignés. Ils rendent des décisions qui s'imposent à l'Agence, et l'Agence doit prendre des mesures correctives en application de telles décisions.

[140]        Étant donné ces caractéristiques, l'Agence fait valoir que la pratique et la procédure entourant les examens indépendants satisfont aux exigences minimales d'indépendance applicables à un décideur administratif informel. Au vu des circonstances de la présente affaire, aucune crainte raisonnable de partialité n'est justifiée.


[141]        Encore une fois, dans l'évaluation des aspects susmentionnés, la Cour trouve gênante l'absence d'une décision effective et d'un ensemble de faits pouvant déclencher l'application des règles de l'équité procédurale et de la justice naturelle. La Cour est invitée par le demandeur à conjecturer les conséquences possibles de la manière dont le système de recours établi dans le Programme a été structuré. À mon avis, cela ne suffit pas à une juridiction de contrôle invitée à prononcer le jugement déclaratoire que voudrait ici le demandeur. La preuve produite ne permet pas vraiment à la Cour de conclure que le processus de l'examen indépendant ne garantit pas les décisions indépendantes, impartiales et équitables que la loi exige d'un décideur investi du mandat d'un examinateur indépendant. Il nous faudra attendre des décisions en bonne et due forme avant que ces aspects puissent être vérifiés avec le niveau de preuve requis pour formuler des conclusions sur l'équité procédurale.

(ii) Impartialité

[142]        Sur ce point, l'Agence fait valoir que l'impartialité s'entend de l'état d'esprit ou de l'attitude d'un tribunal administratif par rapport aux points litigieux et aux parties dans une affaire donnée. Le mot « impartial » signifie « dépourvu de parti pris, réel ou supposé » . Le critère de l'impartialité institutionnelle est le même que le critère de l'indépendance institutionnelle : y a-t-il crainte raisonnable de partialité?

Arrêt Valente, précité.

[143]        Pour les motifs susmentionnés, la Cour reconnaît avec l'Agence que, au vu de la preuve qui a été présentée à la Cour dans cette affaire, aucune crainte raisonnable de partialité ne se justifie. L'examinateur est indépendant de l'Agence, désintéressé par rapport aux parties et en mesure de se former une opinion après examen des éléments de preuve et des arguments qui lui ont été présentés. Les examinateurs indépendants n'exercent pas d'autres fonctions pour l'Agence, et en particulier aucune fonction participant d'enquêtes ou de poursuites. On ne saurait donc raisonnablement mettre en cause l'existence de fonctions antagonistes multiples.

[144]        La Cour se range aussi à l'avis de l'Agence selon lequel, vu le contexte et le rôle de l'examen indépendant dans le système des recours, l'indépendance de l'examinateur est suffisante pour dissiper toute crainte raisonnable de partialité ou de manquement aux règles de l'équité procédurale et de la justice naturelle.

[145]        Pour conclure sur cet aspect, et appliquant la norme de la décision raisonnable, je ne suis pas persuadé, vu l'absence d'une décision effective, et eu égard aux arguments et aux éléments de preuve avancés par le demandeur, que le mécanisme des recours en matière de dotation contrevienne en tant que tel aux règles de la justice naturelle et de l'équité procédurale.

Le mécanisme de recours établi par l'Agence en matière de dotation est-il déraisonnable parce qu'il ne permet pas au décideur de prendre en compte tous les facteurs pertinents?


[146]        Les arguments avancés par le demandeur sur ce point recouvrent en partie le point précédent et le motif subséquent de plainte. La pertinence est régie par la définition du mot « arbitraire » contenue dans les directives du Programme, et par la décision de principe d'exclure le « classement » de l'examen des conditions préalables, de l'évaluation et du placement. Dans la mesure où le demandeur déplore que l'exclusion des « renseignements personnels » signifie nécessairement l'exclusion de tous les renseignements comparatifs, le jugement rendu dans l'affaire Sargeant c. Canada (Agence des douanes et du revenu), [2002] A.C.F. no 1372, 2002 CFPI 1043 (C.F. 1re inst.) (Q.L) montre clairement que tel n'est pas nécessairement le cas. Dans cette affaire, l'Agence avait remis au demandeur un sommaire des notes données aux candidats dans une évaluation, et la juge Dawson s'était sur ce point exprimée ainsi :

38. Bien que le programme de dotation prévu par la Loi en l'espèce soit profondément différent de celui sur lequel la Cour s'est penchée dans l'affaire Buttar, je m'inspire néanmoins de cet arrêt dans la mesure où la Cour y déclare que, même dans le cas d'un système dans lequel les candidats sont évalués en fonction d'une norme déterminée plutôt que d'une autre, il y a lieu de se demander si les normes ont été appliquées de façon uniforme. Bien que, dans l'affaire Buttar, le principe pertinent fût celui du mérite, en l'espèce, l'application inconstante des critères d'évaluation donnerait lieu à une décision qui serait arbitraire au sens de la définition antérieurement citée. Dans cette mesure, l'arrêt Buttar est utile.

39. On trouve un appui supplémentaire en faveur de cette conclusion dans les passages des Lignes directrices qui obligent l'examinateur à donner effet aux principes de l'équité procédurale et qui précisent que des renseignements personnels portant sur d'autres employés peuvent être obtenus si cette demande est justifiée. L'équité procédurale commande que les intéressés aient une possibilité raisonnable de faire valoir leur point de vue. Pour que les demandeurs puissent faire entièrement et équitablement valoir leur point de vue, il est nécessaire qu'ils aient accès aux renseignements relatifs à l'étape de l'évaluation dans la mesure où ces renseignements se rapportent aux résultats obtenus par chaque candidat lors de l'évaluation.


[147]        J'incline donc à croire qu'il est hasardeux et prématuré de conclure, comme le fait le demandeur, que des documents comparatifs utilisables et pertinents ne sont pas accessibles dans le Programme. Je ne suis pas persuadé que le mécanisme de recours est déraisonnable du seul fait qu'il ne permet pas au décideur de considérer tous les facteurs pertinents. À l'étape de l'examen des conditions préalables et à celle de l'évaluation, comme le montre l'arrêt Anderson, précité, la nature de la décision qui est prise donne à penser que la manière dont les autres ont été jugés a sans doute peu d'intérêt pour la question objective de savoir si un candidat donné remplit les conditions préalables ou si les conditions préalables en question satisfont aux qualités requises pour un poste donné. Au vu des éléments dont elle dispose dans cette demande, la Cour ne saurait dire que, à l'étape du placement, et selon un ensemble donné de faits, des documents comparatifs pertinents ne seront pas accessibles. Il n'est tout simplement pas possible d'affirmer que le mécanisme de recours est déraisonnable à ce titre. Au surplus, si l'on considère les directives sur les autres documents auxquels peut se référer un décideur, il n'est pas possible d'affirmer que tel ou tel plaignant n'aura pas la possibilité de les commenter. Il m'est impossible de conclure que le mécanisme de recours est déraisonnable à ce titre.

Le mécanisme de recours établi par l'Agence en matière de dotation est-il déraisonnable parce qu'il ne permet pas de voir si les candidats sont traités uniformément?

[148]        S'agissant des recours que sont la rétroaction individuelle et la révision de la décision, les renseignements relatifs à l'évaluation ou au traitement d'un autre candidat dans le processus de sélection ne peuvent être divulgués au plaignant. Par ailleurs, le plaignant ne peut prétendre qu'il a été évalué différemment des autres candidats. Il doit plutôt se focaliser sur la manière dont lui-même a été traité, sans se soucier de la manière dont les autres candidats l'ont été.

[149]        Le demandeur fait valoir que, pour l'examen indépendant, les renseignements relatifs à l'évaluation ou au traitement d'un autre candidat dans le processus de sélection ne sont accessibles qu'avec l'accord d'un représentant de l'Agence.

[150]        Selon le demandeur, le mécanisme de recours établi par l'Agence en matière de dotation est déraisonnable parce qu'il empêche l'analyse d'un point crucial : le plaignant a-t-il été traité différemment des autres candidats?

[151]        Le demandeur fait valoir que ce refus de considérer les renseignements relatifs aux autres candidats est déraisonnable, eu égard à la définition du mot « arbitraire » employée par l'Agence. À chaque étape, l'unique point est celui de savoir si le plaignant a été traité d'une manière « arbitraire » . La définition de ce mot englobe la « discrimination (c'est-à-dire l'application d'un traitement différent ou le refus à certaines personnes de privilèges usuels en raison de leur race, de leur âge, de leur sexe, de leur nationalité, de leur religion ou de leur appartenance syndicale) » . Il est déraisonnable, d'affirmer le demandeur, d'espérer qu'un plaignant soutienne qu'il a été traité d'une manière discriminatoire tout en l'empêchant d'apporter la preuve relative au traitement d'autres candidats aux étapes du processus de sélection qui concernent l'examen des conditions préalables ou l'évaluation.

[152]        Par ailleurs, le demandeur affirme que ce refus de considérer les renseignements relatifs aux autres candidats contrevient à l'article 56 de la Loi sur l'ADRC. Voici le texte de cette disposition :



56. (1) La Commission de la fonction publique peut préparer - ou faire préparer - à l'intention de l'Agence un rapport sur la conformité du programme de dotation avec les principes énoncés dans le résumé du plan d'entreprise; elle envoie une copie du rapport au vérificateur général et au Conseil du Trésor.

(2) La Commission de la fonction publique peut vérifier périodiquement la compatibilité des principes du programme de dotation de l'Agence avec les principes régissant la dotation sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et faire état de ses conclusions dans son rapport d'activités.

56. (1) The Public Service Commission may prepare, or have prepared on its behalf, a report to the Agency on the consistency of the Agency's staffing program with the principles set out in the summary of its corporate business plan and must send a copy of the report to the Auditor General and the Treasury Board.

(2) The Public Service Commission may periodically review the compatibility of the principles governing the Agency's staffing program with those governing staffing under the Public Service Employment Act and may report its findings in its annual report.


[153]        Selon le demandeur, l'article 56 de la Loi sur l'ADRC a deux conséquences. D'abord, le paragraphe 56(2) signifie que les principes régissant le Programme de l'Agence doivent être compatibles avec les principes de la LEFP. Deuxièmement, le paragraphe 56(1) signifie que le mécanisme de recours établi par l'Agence en matière de dotation doit s'accorder avec les principes de dotation appliqués par l'Agence.

[154]        Les principes de dotation appliqués par l'Agence comprennent les suivants :

Compétence :                         L'effectif possède les attributs requis pour accomplir son travail avec efficacité.

Équité :                                   Les décisions de dotation sont équitables, justes et objectives.

Transparence :                       Les communications visant la dotation sont ouvertes, honnêtes, respectueuses, en temps opportun, et clairement comprises.

[155]        Selon le demandeur, le paragraphe 56(2) de la Loi sur l'ADRC requiert d'interpréter ces principes généraux de telle manière qu'ils s'accordent avec les principes de la LEFP.


[156]        La pierre angulaire des nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique est le principe du mérite. Selon la LEFP, le principe fondamental est que les nominations se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite. Ainsi que le disait la Cour dans son jugement Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Commission de la fonction publique), [1992] 2 C.F. 181 (1re inst.), à la page 185 :

Historiquement, le principe du mérite est le fondement de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. La Commission est responsable de la dotation de la fonction publique fédérale et, dans l'exercice de cette fonction, elle agit à titre de mandataire du Parlement en voyant au respect du principe du mérite.

[157]        Dans une procédure de sélection destinée à pourvoir un poste, le fait de ne pas évaluer tous les candidats selon la même norme constitue une violation du principe du mérite.

Buttar c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 437.

[158]        Par conséquent, d'affirmer le demandeur, les principes de dotation appliqués par l'Agence devraient aussi refléter ce même principe : tous les candidats doivent être évalués selon les mêmes normes. Si les candidats ne sont pas évalués selon les mêmes normes, alors il y a transgression des trois principes susmentionnés de l'Agence. La non-évaluation selon les mêmes normes contrevient au principe de la compétence parce qu'il n'est pas garanti que l'effectif possédera les attributs nécessaires si certains candidats sont évalués selon une norme différente du reste. Le fait de traiter différemment des candidats différents contrevient aussi au principe d'équité parce que la décision ne sera ni équitable ni objective. Finalement, le fait de dissimuler les détails de la manière dont les autres candidats ont été évalués contrevient au principe de transparence parce que la décision de dotation n'est pas ouverte.

[159]        L'article 56 de la Loi sur l'ADRC oblige l'Agence à établir, en matière de dotation, un mécanisme de recours garantissant que tous les candidats sont évalués d'après la même norme. Le mécanisme actuellement en place contrevient à ce principe. Par conséquent, d'affirmer le demandeur, ce mécanisme est déraisonnable et il ne constitue pas une véritable méthode de « recours » selon ce qu'envisage l'article 54 de la Loi sur l'ADRC.

[160]        Dans l'affaire Sargeant, précitée, la Cour a confirmé l'importance de s'assurer que les candidats sont évalués selon les mêmes normes. Dans cette affaire, l'examinateur indépendant avait refusé de tenir compte des notes accordées aux candidats autres que les plaignants. La Cour a dit qu'une telle décision privait notablement les plaignants de l'accès à un recours véritable.

[161]        Le demandeur affirme donc que l'Agence a agi déraisonnablement parce qu'elle a conçu un mécanisme de recours qui interdit de se demander si les normes relatives à un poste sont appliquées uniformément à tous les candidats.


[162]        Encore une fois, j'ai déjà étudié certains de ces arguments lorsque j'ai disposé de points antérieurs soulevés par le demandeur. Il ressort déjà clairement de l'espèce Sargeant que, lorsqu'on se demande si une décision est arbitraire, du moins pour ce qui concerne l'examen indépendant, un système fondé sur des critères établis d'évaluation plutôt que sur un classement n'interdit pas de se demander si les normes ont été appliquées uniformément. Et ce précédent montre aussi qu'il est erroné pour un examinateur indépendant de conclure que des documents se rapportant à l'évaluation d'autres employés ne sont pas pertinents et devraient être ignorés. C'est ce que semble avoir reconnu l'Agence elle-même dans cette affaire lorsqu'elle avait remis au demandeur le sommaire des notes accordées aux autres candidats.

[163]        Le demandeur croit cependant qu'il ne sera pas possible d'obtenir des documents comparatifs aux étapes du processus de sélection qui concernent l'examen des conditions préalables et l'évaluation. Et dans l'affaire Sargeant, précitée, la juge Dawson a déjà conclu que l'application inégale de critères d'évaluation pouvait conduire à une décision qui est arbitraire au sens de la définition. Mais la juge Dawson a aussi considéré, dans l'affaire Anderson, précitée, que « le recours offert sous la forme d'une rétroaction individuelle s'accorde tout à fait avec les exigences de l'équité procédurale » , et, au paragraphe 50 de son jugement, elle répondait expressément, comme il suit, aux arguments du demandeur sur le traitement uniforme des candidats :

50. Quant à la règle qui, à l'étape de la séance de rétroaction individuelle, empêche un employé d'évoquer la manière dont d'autres employés ont été traités et de se renseigner sur l'évaluation d'autres candidats, la seule question à cette première étape de la procédure de sélection concerne l'examen de la qualification du candidat par rapport aux conditions essentielles du poste. La décision prise est objective par nature, en ce sens qu'un candidat remplit ou ne remplit pas les conditions essentielles du poste. La manière dont les autres candidats sont jugés n'intéresse pas la question objective de savoir si un candidat en particulier répond ou non aux conditions essentielles. Le devoir d'équité ne requiert donc pas d'offrir l'accès à une information qui ne présente aucun intérêt à ce stade de la procédure de sélection.

[164]        À mon avis, le raisonnement de la juge Dawson dans l'affaire Anderson en ce qui a trait à l'étape de la rétroaction individuelle vaut également pour l'étape de la révision de la décision.

[165]        Partant, à mon avis, et appliquant la norme de la décision raisonnable, je ne suis pas persuadé, eu égard aux arguments et aux éléments de preuve avancés par le demandeur dans cette demande, que le Programme soit déraisonnable à ce titre.

[166]        L'argument du demandeur concernant le paragraphe 56(2) de la Loi sur l'ADRC a déjà été examiné et résolu par la juge Dawson dans l'affaire Anderson, où elle concluait, au paragraphe 25, qu' « il n'est pas obligatoire que les recours offerts aux employés par la [Loi sur l'ADRC] soient conformes aux recours prévus par la LEFP ou soient modelés sur les recours prévus par la LEFP » , ajoutant, au paragraphe 29, la remarque suivante :

Il importe de noter que ce qui doit être examiné, ce sont les principes de dotation, non les dispositions du programme lui-même. De plus, cette comparaison donne à entendre qu'il peut y avoir des différences entre les principes, et les textes législatifs ne disent nulle part que les principes de la LEFP doivent avoir préséance ou qu'ils doivent être appliqués à l'ADRC.

[167]        Nonobstant ce qui précède, il vaut la peine de noter que la Commission de la fonction publique du Canada, après examen des questions de compatibilité posées par le Programme, avait conclu, dans une lettre du 10 juillet 2000, que « les principes actuellement exprimés dans le Programme de dotation de l'Agence, également très présents dans le plan d'entreprise, semblent compatibles avec les principes régissant la dotation sous le régime de la LEFP » . La demande dont est saisie la Cour ne renferme rien qui donne à entendre que la Commission ne demeure pas satisfaite à ce chapitre.

[168]        J'accepte l'argument du demandeur selon lequel le mécanisme établi par l'Agence en matière de recours doit s'accorder avec les principes de dotation de l'Agence, mais, si les principes de la LEFP sont laissés de côté comme on l'a vu précédemment, alors l'argument du demandeur n'est guère plus qu'une affirmation selon laquelle tous les candidats doivent être évalués par rapport aux mêmes normes si l'on veut que le mécanisme de recours soit en accord avec les principes de l'Agence. Je reconnais avec le demandeur que, selon la décision rendue dans l'affaire Sargeant, la définition du mot « arbitraire » peut requérir de faire certaines comparaisons afin de garantir l'uniformité, du moins à l'étape du placement. Mais je n'ai devant moi aucune preuve véritable donnant à penser que les recours prévus par le Programme ne s'accordent pas avec les principes de dotation. Encore une fois, le demandeur ne fait que conjecturer, et des décisions individuelles sont nécessaires avant que cet aspect ne puisse être véritablement étudié.

[169]        Par conséquent, appliquant la norme de la décision raisonnable, je suis d'avis, sur ce moyen, que, eu égard à la preuve que j'ai devant moi dans cette demande, le Programme n'est pas déraisonnable du seul fait qu'il ne permet pas de se demander si les candidats ont été traités uniformément.

Le mécanisme de recours établi par l'Agence en matière de dotation est-il déraisonnable pour cause d'absence d'un pouvoir réparateur suffisant?

[170]        Les arguments du demandeur sur ce point concernent l'examinateur indépendant. Le demandeur dit que l'éventail des mesures correctives que peuvent décider les examinateurs indépendants sur les questions de dotation se limite à trois possibilités :

a.          ordonner la rectification de l'erreur entachant le processus;

b.          recommander la révocation de l'employé nommé; et

c.          recommander l'intervention d'un autre gestionnaire dans la décision.

[171]        Le demandeur dit que, sans le pouvoir d'ordonner la révocation de l'employé nommé et de recommander l'intervention d'un autre gestionnaire dans la décision, l'examen indépendant ne constitue pas véritablement une voie de recours pour les employés de l'Agence. La possibilité d'ordonner la rectification des erreurs entachant le processus est un remède vain si le poste demeure occupé par le candidat qui a remporté le concours.

[172]        Le demandeur dit que, pour savoir si les remèdes possibles suffisent à constituer un véritable « recours » , la Cour doit appliquer un critère semblable à celui qu'elle emploie pour savoir si elle doit ou non refuser d'entendre une demande de contrôle judiciaire. En bref, la Cour doit être convaincue que le mécanisme de recours constitue, à côté du contrôle judiciaire, un « autre recours approprié » .

Bande indienne de Matsqui, précité, au paragraphe 38

[173]        Dans l'arrêt Harelkin c. University of Regina, [1979] 2 R.C.S. 561, à la page 588, la Cour suprême du Canada exposait plusieurs facteurs qui devaient être pris en considération pour savoir si un recours administratif constitue, à côté du contrôle judiciaire, un autre recours approprié. Ces facteurs comprennent les « pouvoirs » du tribunal administratif.

[174]        Dans l'arrêt Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration) c. Lewis, [1986] 1 C.F. 70 (C.A.), la Cour d'appel fédérale devait dire si le système d'arbitrage institué par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique constituait un autre recours approprié, parce que, entre autres, l'arbitre a le pouvoir d'obliger l'employeur à prendre des mesures correctives. La Cour s'était exprimée ainsi, aux pages 98 et 99 :

Fait révélateur, le paragraphe 96(4) de la Loi oblige l'employeur à prendre la mesure exigée dans la décision d'un arbitre. Ainsi, selon moi, un arbitre aurait pu obliger l'employeur en l'espèce à réinstaller l'intimé dans son poste s'il avait jugé que cela était approprié dans les circonstances. L'intervention de la Commission pour faire respecter la décision d'un arbitre est prévue au paragraphe 96(6) de la Loi.

Compte tenu de ces dispositions, il m'est difficile de conclure que le paragraphe 91(1) de la Loi ne fournissait pas à l'intimé un autre recours approprié... [en raison de facteurs] notamment la possibilité d'être acquitté d'inconduite et d'être réinstallé dans son poste...


[175]        Lorsqu'un examinateur indépendant arrive à la conclusion qu'un candidat a été traité arbitrairement, il ne peut ordonner à l'Agence de révoquer la nomination du candidat reçu et de réévaluer les candidats d'une manière non arbitraire. Par ailleurs, même si l'examinateur indépendant ordonne qu'une erreur entachant le processus soit rectifiée, aucune disposition ne permet à l'examinateur indépendant ni au plaignant de faire appliquer l'ordonnance; et la politique de dotation de l'Agence ne fait pas non plus à l'Agence l'obligation formelle de donner suite à l'ordonnance de l'examinateur indépendant. En d'autres termes, le demandeur dit que le refus d'observer l'ordonnance d'un examinateur indépendant n'est nullement sanctionné.

[176]        En bref, le demandeur fait valoir que l'examen indépendant n'est pas un recours adéquat pouvant se substituer au contrôle judiciaire d'une décision de ne pas nommer un candidat à un poste au sein de l'Agence. Selon le demandeur, une voie de recours raisonnable constituerait un « autre recours approprié » selon le sens donné par la Cour à cette expression; en ne conférant pas un pouvoir réparateur adéquat, le mécanisme de recours mis en place par l'Agence est déraisonnable.

[177]        Je ne partage pas l'avis du demandeur selon lequel le point soulevé ici est celui de savoir si le Programme offre, en remplacement du contrôle judiciaire, un « autre recours approprié » . La Cour n'est saisie d'aucune demande soulevant cette question, et la comparaison n'est pas à propos, fût-ce par analogie.

[178]        Les solutions offertes à l'examinateur indépendant s'accordent parfaitement avec les objectifs officiels des recours prévus par le Programme. Les recours prévus par le Programme ne prétendent pas exclure le contrôle judiciaire et le caractère adéquat ou inadéquat des solutions possibles est à ce stade simple conjecture si la Cour n'a pas devant elle des circonstances et décisions effectives à considérer.

[179]        On ne saurait dire, au vu de la preuve dont dispose la Cour, que le Programme et le mécanisme de recours sont déraisonnables parce qu'ils ne renferment pas un pouvoir réparateur suffisant. Il faudra pour cela attendre des exemples précis et des réactions précises aux ordonnances et recommandations d'un examinateur indépendant.

Dispositif

[180]        Cette demande de contrôle judiciaire est mal fondée, conjecturale et prématurée et ne renferme aucune décision, ordonnance ou autre matière pouvant être l'objet d'un contrôle selon ce que prévoit l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.

[181]        Pour le cas où cette demande contiendrait une décision, ordonnance ou autre matière susceptible de contrôle au sens de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, il n'a été invoqué devant la Cour aucun moyen qui justifierait de sa part une déclaration selon laquelle l'Agence des douanes et du revenu du Canada a négligé d'élaborer, en matière de dotation, un programme de recours selon ce qu'exige l'article 54 de la Loi sur l'Agence des douanes et du revenu du Canada.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :


1.          La demande est rejetée;

2.          Le demandeur est condamné aux dépens, qui seront taxés en conformité avec la colonne III du tableau du Tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998).

                                                                                  « James Russell »            

                                                                                                     Juge                       

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-598-00

INTITULÉ :               L'Institut professionnel de la fonction publique du Canada

et L'Agence des douanes et du revenu du Canada

et L'Alliance de la fonction publique du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE MARDI 2 DÉCEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                                   LE 1ER AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

Dougald Brown                                                 POUR LE DEMANDEUR

J. Sanderson Graham                                         POUR LA DÉFENDERESSE

James Cameron                                                 POUR L'INTERVENANTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan O'Brien Payne LLP                                          POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)

Raven Allen Cameron & Ballantyne                   POUR L'INTERVENANTE

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.