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Date : 20050711

Dossier : T-1697-04

Référence : 2005 CF 966

Ottawa (Ontario), le lundi 11 juillet 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

ENTRE :

PATRICK ELLIS

(MEMBRE DE LA TRIBU DES SAULTEAUX)

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA;

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DE L'ONTARIO;

MICHAEL BRYANT, EXERÇANT LA FONCTION DE

MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES;

ROMAN BOTIUK, FIDUCIAIRE, EXERÇANT LA FONCTION DE

CONSEILLER DE LA REINE;

SAARA CHETNER, FIDUCIAIRE, EXERÇANT LA FONCTION

D'AVOCATE DU TUTEUR ET CURATEUR PUBLIC;

MICHAEL MCLEAN, FIDUCIAIRE, EXERÇANT LA FONCTION DE SHÉRIF;

FRANCIS SUTTON, FIDUCIAIRE;

SUSAN FURMAN, FIDUCIAIRE;

CONNIE SPENCE, FIDUCIAIRE;

ET FRANCIS ELLIS, MARION CAMERON ET BRYAN MCKINNON, PARTICULIERS

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON

[1]      Après que le demandeur eut déposé sa déclaration dans la présente action, les défendeurs ont formé une requête en vue d'obtenir une ordonnance de radiation de cette déclaration pour cause de défaut de compétence de la Cour, du fait que la déclaration ne porte pas de cause d'action et du caractère frivole et vexatoire de l'action. En outre, les défendeurs Marion Cameron, Francis Ellis et Bryan McKinnon (les requérants) ont déposé, sous le régime de l'article 40 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 (la Loi), ainsi que de l'article 369 des Règles de la Cour fédérale, DORS/2004-283 (les Règles), une requête en vue d'obtenir une ordonnance déclarant que le demandeur est un plaideur vexatoire.

[2]      Le protonotaire Lafrenière a ordonné la radiation de la déclaration, sans autorisation de modification, et a déféré à un juge la requête en vue d'obtenir une ordonnance déclarant que le demandeur est un plaideur vexatoire. Les présents motifs portent sur cette requête.

LES QUESTIONS DE PROCÉDURE

[3]      Avant d'examiner la requête au fond, il convient de noter deux points relatifs à la procédure. Premièrement, comme l'exige le paragraphe 40(2) de la Loi, le procureur général du Canada a consenti à la présentation de la présente requête et a écrit à la Cour pour l'appuyer (il n'a cependant pas fait valoir son droit d'être entendu au sujet de cette requête). Deuxièmement, aux paragraphes 22 et 23 de l'arrêt Nelson c.Canada (Agence des douanes et du revenu) (2003), 301 N.R. 359, la Cour d'appel fédérale a confirmé que les requêtes présentées sous le régime de l'article 40 de la Loi peuvent revêtir un caractère interlocutoire, et être jugées sur la seule base des prétentions écrites dans le cadre de l'article 369 des Règles.

LES PRINCIPES APPLICABLES

[4]      Le paragraphe 40(1) de la Loi habilite la Cour, dans le cas où elle est convaincue qu'une personne a de façon persistante introduit des instances vexatoires devant elle ou y a agi de façon vexatoire au cours d'une instance, à lui interdire d'engager d'autres instances devant elle ou de continuer devant elle une instance déjà engagée, sauf avec son autorisation.

[5]      C'est là un pouvoir extraordinaire, qui « doit être exercé avec modération et avec la plus grande prudence » , ainsi qu'on le fait observer au paragraphe 6 de l'arrêt Canada c. Olympia Interiors Ltd. (2004), 323 N.R. 191 (C.A.F.).

[6]      Pour ce qui concerne les facteurs à prendre en considération dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire de la Cour, la juge McGillis formulait les observations suivantes dans la décision Vojic c. Canada (Ministre du Revenu national), [1992] A.C.F. no 902 (1re inst) :

Étant donné que le libellé de cet article est semblable à celui du paragraphe 150(1) de la Loi de 1984 sur les tribunaux judiciaires, L.O. 1984, chap. 11, il est possible de se référer à la jurisprudence ontarienne pour déterminer les règles de droit applicables en matière d'instances vexatoires.

Il ressort de cette jurisprudence qu'il n'y a pas de catégories limitatives de procédures vexatoires, et que l'historique de l'instance doit être soigneusement examiné pour déterminer si les agissements d'une partie sont de nature vexatoire. Il a été jugé qu'il y avait instance vexatoire dans le cas où il n'y avait pas de cause raisonnable d'action, où le point litigieux avait été tranché en justice, où un appel déjà rejeté était poursuivi. [Voir Foy c. Foy (1979), 102 D.L.R. (3d) 342 (C.A. Ont.); Re Mascan Corp. and French (1988), 49 D.L.R. (4th) 434 (C.A. Ont.); Lang Michener et al. and Fabian et al. (1987), 37 D.L.R. (4th) 685 (H.C.J. Ont.)]. Dans Lang Michener et al. and Fabian et al., supra, la Cour a fait observer que [TRADUCTION] « ... les instances vexatoires présentent cette caractéristique générale que les motifs et questions soulevés tendent à être repris dans d'autres actions subséquentes, où ils sont répétés et apprêtés de rajouts... » . [Non souligné dans l'original.]

[7]      La jurisprudence établit la pertinence du comportement de l'intimé aussi bien devant la Cour qu'ailleurs. Ainsi, dans la décision Canada (Procureur général) c. Mishra, [1998] A.C.F. no 562 (1re inst.), conf. par[2000] A.C.F. no 1734 (C.A.), le juge Nadon (aujourd'hui à la Cour d'appel fédérale) a insisté sur le fait qu'une ordonnance avait déjà été rendue déclarant l'intimé plaideur vexatoire en Ontario.

[8]      La Cour peut rendre sa décision en prenant en considération ses propres dossiers. Voir Société canadienne des postes c. Varma (2000), 192 F.T.R. 278 (C.F. 1re inst.).

APPLICATION DES PRINCIPES À LA PREUVE

[9]      Les requérants font valoir les faits suivants à l'appui de leur thèse que le demandeur est un plaideur vexatoire :

            1.          La déclaration du demandeur n'a pour eux « ni queue ni tête » .

            2.          Le demandeur a intenté devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario une action contre Francis Ellis dont il a été débouté. Ce tribunal a ordonné en février 2004 qu'il soit interdit au demandeur d'introduire devant lui sans son autorisation des instances contre (entre autres) deux des requérants de la présente espèce.

            3.          Le demandeur a adressé à Francis Ellis une note portant ce qui suit : [TRADUCTION] « Vous avez maintenant reçu une déclaration. D'autres suivront [...] Il y aura autant de demandes introductives d'instance qu'il en faudra pour que vous corrigiez vos erreurs » .

            4.          Le demandeur a adressé à Francis Ellis une lettre où il écrivait : [TRADUCTION] « Inutile de dire que je formerai des appels dans le cadre de ma poursuite contre Frank, et quiconque le finance doit se préparer à payer une facture de 10 000 à 40 000 $ pour l'appel » .

            5.          Le 21 novembre 2003, le demandeur a écrit à une juge de la Cour supérieure de justice de l'Ontario une lettre où il menaçait de la poursuivre si elle ne faisait pas droit à ses demandes de pièces et de précisions.

            6.          En 2001, la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a radié une déclaration déposée par le demandeur contre le Premier ministre d'alors et son Cabinet, interdisant au demandeur d'introduire devant elle d'autres instances contre les mêmes défendeurs sans son autorisation.

            7.          En 1998 et 1999 respectivement, la Section de première instance de la Cour fédérale et la Cour supérieure de justice de l'Ontario ont radié et rejeté des actions intentées par le demandeur.

[10]     Les requérants soutiennent que cette preuve, ainsi que le texte de la déclaration du demandeur, établissent ce qui suit :

                                             Le demandeur ne peut avoir gain de cause dans son action, de sorte que celle-ci est vexatoire et a été intentée dans un but illégitime.

                                             Il est déjà arrivé au demandeur d'introduire des instances ne portant pas de cause d'action.

                                             Dans la présente espèce, le demandeur poursuit des avocats, ce qui est une caractéristique des instances vexatoires.

                                             Le demandeur a menacé un juge de le poursuivre et a brandi la menace d'autres procédures.

                                             Le demandeur a déjà fait défaut de se conformer à une ordonnance de dépens rendue contre lui.

[11]     Il ne fait aucun doute que la déclaration déposée par le demandeur auprès de notre Cour était irrégulière. Le protonotaire Lafrenière l'a radiée, sans autorisation de modification, pour les motifs suivants :

                                             Elle ne portait pas de cause d'action raisonnable contre la Couronne fédérale.

                                             Pour ce qui concerne les autres défendeurs, elle ne ressortissait pas à la Cour, ne portait pas de cause d'action et, [TRADUCTION] « eu égard aux instances semblables introduites devant le tribunal ontarien, constitu[ait] un abus de procédure devant la Cour » .

[12]     Cependant, l'introduction devant notre Cour d'une seule instance vexatoire ne fait pas nécessairement de celui qui l'introduit un plaideur vexatoire, même compte tenu des procédures engagées devant d'autres tribunaux. À cet égard, je tiens pour importants les faits suivants :

                                             Le demandeur n'a pas interjeté, ni demandé l'autorisation d'interjeter, appel de l'ordonnance radiant sa déclaration.

                                             La preuve ne fait pas état d'autres instances que le demandeur aurait introduites devant notre Cour depuis la radiation en 1998 de sa demande au motif qu'elle ne portait pas de cause d'action.

                                             Aucun élément de preuve n'établit que le demandeur ait donné suite à sa menace de poursuites contre la juge de la Cour supérieure de justice de l'Ontario.

                                             Quatre années se sont écoulées depuis que le tribunal de la Saskatchewan a rendu contre le demandeur une ordonnance touchant ses poursuites contre le Premier ministre.

                                             Les requérants ne peuvent faire état que de trois instances vexatoires en tout (y compris la présente).

[13]     Tout bien considéré, je conclus que les requérants n'ont pas établi que M. Ellis ait de façon persistante introduit des instances vexatoires devant la Cour ou y ait agi de façon vexatoire au cours d'une instance, selon les conditions énoncées par la Loi. La Cour ne rend pas volontiers d'ordonnances sous le régime de l'article 40. Le fait que le demandeur ait introduit trois instances et sa menace d'en introduire d'autres, à laquelle il n'a pas donné suite à ce jour, ne remplissent pas à mon sens la condition de la persistance à introduire des instances vexatoires. Par conséquent, la requête sera rejetée.

[14]     Avant de clore ce dossier, je prends néanmoins acte du fait que certains des défendeurs à la présente action sont des personnes que la Cour supérieure de justice de l'Ontario interdit à M. Ellis de poursuivre devant elle sans son autorisation. M. Ellis doit bien comprendre que le rejet de la présente requête n'empêchera pas le dépôt d'une nouvelle requête en vue de le faire déclarer plaideur vexatoire s'il introduit d'autres instances devant la Cour.

LES DÉPENS

[15]     Le protonotaire Lafrenière a reporté l'examen de la question des dépens, qu'il s'est réservé de trancher. Les parties devront déposer leurs observations conformément à son ordonnance du 16 mars 2005. Il est tout à fait légitime que le protonotaire tranche la question des dépens dans la présente action, exception faite des dépens afférents à la seule requête en vue de faire déclarer le demandeur plaideur vexatoire.

[16]     S'il est vrai que M. Ellis a pu faire rejeter la présente requête, j'estime juste, étant donné la préoccupation que j'ai exprimée au paragraphe 14, que chacune des parties supporte ses propres dépens dans ladite requête.

ORDONNANCE

[17]     LA COUR ORDONNE :

1.          La requête visant à faire déclarer M. Ellis plaideur vexatoire est rejetée.

2.          Il n'est adjugé de dépens à aucune des parties dans ladite requête.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-1697-04

INTITULÉ :                                                    PATRICK ELLIS (MEMBRE DE LA TRIBU DES SAULTEAUX)

                                                                        c.

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA et al.

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SOUS LE RÉGIME DE L'ARTICLE 369 DES RÈGLES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                                  LE 11 JUILLET 2005

PRÉTENTIONS ÉCRITES DÉPOSÉES PAR :

Patrick Ellis                                                       POUR LE DEMANDEUR/INTIMÉ

Regina (Saskatchewan)                                      (intimé dans la présente requête)

Roman Botiuk                                                   POUR LES DÉFENDEURS/REQUÉRANTS

(Sa Majesté la Reine du chef de l'Ontario, l'honorable Michael Bryant, Saara Chetner, Susan Furman, Michael MacLean et Connie Spence)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Patrick Ellis                                                       POUR LE DEMANDEUR

Regina (Saskatchewan)

Y.R. Botick, c.r.                                                POUR LES DÉFENDEURS/REQUÉRANTS

Toronto (Ontario)                                             (Sa Majesté la Reine du chef de l'Ontario,

l'honorable Michael Bryant, Saara Chetner, Susan Furman, Michael MacLean et Connie Spence)

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