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Date : 20010515

Dossier : IMM-3910-00

Citation neutre: 2001 CFPI 478

Entre :

                                            BARTHEL KPAWIRENA-BIOKEITE

                                                                                                       partie demanderesse

Et :

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                          partie défenderesse

                                                 MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                Il s'agit en l'espèce d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ( « la SSR » ) rendue le 22 juin 2000 statuant que Barthel Kpawirena-Biokeite ( « la demanderesse » ) n'est pas une réfugiée au sens de la Convention, tel que défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration ( « la Loi » ).

[2]                La demanderesse est citoyenne de la République Centrafricaine de naissance et également citoyenne du Congo par alliance.


[3]                La demanderesse prétend que lorsqu'elle a atteint l'âge de 17 ans, son père a voulu la marier de force à un homme plus âgé qui avait déjà deux autres épouses et une douzaine d'enfants.

[4]                Elle prétend que devant son refus de se marier, son père l'a attachée et battue et a frotté ses yeux, son anus et son vagin avec du piment fort.

[5]                Elle prétend qu'elle s'est enfuie au Cameroun puis à Moscou avec l'aide de sa tante.

[6]                Elle prétend s'être mariée avec un Congolais du nom de Okanza William Jean Faustin et a donné naissance à deux fils.

[7]                Elle prétend que son époux était très impliqué dans le Comité de soutien pour la démocratie de l'ex-URSS, une association de jeunes Congolais en ex-URSS qui voulait élaborer une vraie démocratie au Congo.

[8]                Elle prétend que de retour au Congo-Brazzaville, son époux a continué de s'impliquer dans la politique et qu'après le référendum de 1998, son époux et ses enfants ont été enlevés.

[9]                Elle allègue qu'elle a quitté le Congo parce qu'elle craignait pour sa vie.


[10]            La demanderesse est arrivée au Canada le 21 novembre 1999 et a indiqué son intention de demander le statut de réfugié ce même jour.

[11]            La SSR a rejeté le témoignage d'Ondako Fernand, à cause de l'absence de crédibilité et du fait qu'il était un témoin « interessé » dans cette cause. Malgré qu'il était venu témoigner de la connaissance qu'il avait de l'implication politique de l'époux de la demanderesse, il ignorait quelle était l'organisation dans laquelle l'époux était impliqué et quelles étaient les activités organisées par celle-ci. Le témoin a aussi témoigné qu'il se rappelait de la naissance du fils de la demanderesse en 1994 malgré qu'il est né le 18 juin 1995.

[12]            La SSR a également conclu que la demanderesse n'était pas crédible. La SSR n'a pas cru qu'elle ait vécu la pauvreté qu'elle décrit due au fait que son père est agriculteur car son acte de naissance indique que son père était un barman. Par conséquent, il y avait une contradiction entre son récit et son acte de naissance. La crédibilité de la demanderesse était aussi entachée du fait qu'elle ignorait tout de l'agriculture.


[13]            La SSR n'a pas cru à l'enlèvement de son époux et ses deux enfants puisque son attitude et son comportement sont incompatibles à une personne qui souffre de leur disparition. La demanderesse n'avait fait aucune démarche pour retrouver sa famille depuis qu'elle est arrivée au Canada en novembre 1999. Lorsque la SSR lui a demandé d'expliquer cette absence de démarches, la demanderesse répondit qu'elle n'avait pas la capacité de le faire ni de s'assurer que soient faites pareilles démarches. Face à cette explication, la SSR conclut que « la revendicatrice, qui nous a dit souffrir d'insomnie ne pouvant dormir que deux (2) heures par nuit, aurait pourtant trouvé l'énergie et le temps nécessaire pour se trouver un logement et non pas un (1) mais deux (2) emplois dans autant de manufactures à Montréal » .

[14]            La SSR a aussi mis l'emphase sur quelques contradictions sur des éléments essentiels de la revendication. Plus particulièrement, la demanderesse a témoigné à l'effet que les seules personnes qu'elle connaissait à Kinshasa étaient Serge et Nicole, ceux qui ont fait les arrangements et payé son voyage à destination du Canada tandis que dans son FRP, elle prétend plutôt qu'elle a quitté Kinshasa « avec l'aide de connaissances et des amis de son mari » . La SSR a trouvé l'explication de la demanderesse à l'effet que lorsqu'elle réfère aux amis de son mari qu'il s'agit de ceux qui l'auraient aidé que pour le tronçon USA/Canada et non pour le tronçon RDC/USA et que Serge et Nicole connaissaient son mari, insatisfaisante.


[15]            La SSR a aussi conclu que le témoignage à l'effet que la demanderesse devait attendre quelqu'un à son arrivée à New York, premièrement en quelque part (sans précisions) et après avoir été interrogée par la SSR, vers l'aéroport pour finalement aboutir à l'extérieur de l'aérogare portait atteinte à sa crédibilité.

[16]            La SSR a conclu que la déclaration de la demanderesse à l'effet qu'elle allait en « URSS pour l'aventure » laissait largement transpirer le motif réel de son départ de la République Centrafricaine au profit du Cameroun et de l'URSS, à savoir l'aventure.

[17]            La SSR a conclu que les prétentions à l'effet que la demanderesse aurait fuit la République Centrafricaine sans pièces d'identité et sans documents de voyage sont invraisemblables. Plutôt, la SSR croit que la demanderesse aurait volontairement quitté la République Centrafricaine au profit du Cameroun et de l'ex-URSS avec le consentement éclairé de ses parents et que ses études, contrairement à ce qu'elle avance, ont été cautionnées par ses parents.


[18]            La SSR a trouvé invraisemblable que l'époux et les enfants de la demanderesse soient disparus. Cette conclusion est basée en partie sur le fait qu'elle a répondu, non pas que la chose était impossible puisque son mari et ses deux enfants étaient portés disparus, mais ce qui suit: « je ne crois pas mon père accepterait un étranger » lorsque la SSR lui a demandé quelle serait la réaction de son père si elle devait un jour se retrouver devant lui en compagnie de son mari et ses enfants. Lorsque la SSR revint avec la même question, la réponse fut « je préférerai me suicider plutôt que d'avoir à confronter mon père » .

[19]            La SSR a jugé aussi invraisemblable la crainte alléguée quant au fait que le père de la demanderesse lui imposerait malgré tout ce mariage promis il y a de cela neuf ans avec une personne qui, aujourd'hui, serait âgée de 76 ans, selon le FRP, ou au mieux 67 ans selon le témoignage. Selon la SSR, il serait pour le moins invraisemblable que cette personne accepterait, encore aujourd'hui, de prendre pour épouse cette fille devenue mère et épouse d'un mari avec deux enfants. La SSR était plutôt enclin à croire et à penser que le père se révélerait plutôt heureux à l'idée de revoir, après tant d'années d'absence, sa fille, ses petits enfants et le gendre qu'il s'est gagné depuis.

[20]            Les pièces P-4 et P-5 de la demanderesse ont été écartées étant donné que la SSR ne croyait pas l'histoire de persécution telle qu'alléguée.


[21]            La demanderesse soutient que la SSR, malgré le fait qu'elle en avait l'obligation, n'a pas considéré le rapport psychologique et la lettre du médecin confirmant que la demanderesse était perturbée par la disparition de ses enfants et de son mari et qu'elle souffrait d'anxiété, de dépression, de troubles de mémoire et de concentration ainsi que d'un choc post-traumatique sévère. De plus, les conclusions du médecin ne sont nullement ultra vires et, en effet car il est tout à fait dans le champ de compétence d'un médecin d'établir qu'une personne souffre de troubles de mémoire et de manque de concentration.

[22]            La demanderesse soutient que la SSR a erré en ne tenant pas compte du témoignage de Fernand Ondako car il connaissait bien le mari de la demanderesse. Contrairement à ce que la SSR a conclu, il est un témoin tout à fait objectif et crédible. Le fait qu'il ait le même procureur ne suffit pas à faire de lui un témoin intéressé.

[23]            La demanderesse argumente que la SSR a erré en ne tenant pas compte de la situation qui prévaut au Congo-Brazzaville et en n'expliquant pas pourquoi elle n'en tenait pas compte. La preuve documentaire établit que les membres des forces armées bénéficient d'une impunité totale. Les personnes impliquées en politique sont en danger.


[24]            La demanderesse soutient que l'évaluation de sa crédibilité est basée sur plusieurs erreurs dans l'interprétation des faits. Premièrement, en ce qui concerne le métier de son père, la demanderesse prétend qu'il n'y a aucune contradiction dans son témoignage. Lors de sa naissance, son père exerçait la profession de barman ce qui explique pourquoi c'est inscrit sur son certificat de naissance. Cependant, comme elle a témoigné, il est véritablement agriculteur de métier. Deuxièmement, la conclusion qu'elle ne connaissait rien à l'agriculture est complètement fausse. Troisièmement, la demanderesse soutient qu'il n'y a aucune contradiction quant à son témoignage au sujet de Serge et Nicole. Serge et Nicole sont deux amis qui connaissaient les gens chez qui elle habitait avec son mari lors de sa première fuite en RDC. Elle les a connus personnellement lors de sa deuxième fuite et ils se souvenaient de son mari. Dernièrement, la demanderesse soutient que son témoignage concernant l'aéroport ne justifie aucunement une conclusion de non crédibilité étant donnée que c'est secondaire à sa revendication. La demanderesse soutient qu'elle était à New York pour la première fois et elle était très impressionnée par cette grande ville.

[25]            La demanderesse argumente que la conclusion d'absence de crédibilité est basée sur une mauvaise compréhension de la culture africaine et que les conclusions n'ont rien à voir avec le risque de persécution de la demanderesse.

[26]            La demanderesse prétend que la SSR n'a aucunement tenu compte de la persécution invoquée au Congo-Brazzaville et du fait que son mari et ses enfants avaient disparu. La SSR avait l'obligation de tenir compte de l'enlèvement des membres de sa famille et de la situation de crise au Congo-Brazzaville étant donné que cette crainte est basée sur la persécution basée sur l'opinion politique de son mari.


[27]            La demanderesse prétend qu'il existe des raisons impérieuses qui font en sorte qu'elle ne peut retourner dans son pays. Elle ne peut retourner au Congo-Brazzaville à cause de l'enlèvement de son mari et ses enfants. Elle ne peut retourner en République Centrafricaine à cause des souffrances et tortures qu'elle a dû endurer parce qu'elle ne voulait pas marier l'homme que son père a choisi.

[28]            Malgré le fait que sa crainte soit basée sur le sexe, la SSR n'a pas mentionné dans sa décision les lignes directrices applicables. La SSR aurait dû considérer le contexte social, religieux et culturel.

[29]            En dernier lieu, la demanderesse prétend que la situation actuelle au Congo-Brazzaville fait en sorte qu'il est impossible pour elle d'y être en sécurité. Elle ne peut avoir recours à aucune protection au Congo. Si elle retourne dans son pays, elle fait inévitablement face à la persécution.


[30]            En ce qui concerne les prétentions de la demanderesse que la SSR aurait erré en omettant de considérer sa crainte de persécution au Congo-Brazzaville, de considérer les raisons impérieuses pour lesquelles elle ne pourrait retourner au Congo-Brazzaville et en ne considérant pas la situation actuelle régnant au Congo-Brazzaville, le défendeur prétend que ces allégations ne sont pas de nature à justifier l'intervention de cette Cour. Ces prétentions font état d'une crainte de persécution que la demanderesse entretient à l'égard du Congo-Brazzaville, alors qu'elle est de citoyenneté centrafricaine, et donc c'est à l'égard de la République centrafricaine que sa revendication a été étudiée.

[31]            Le défendeur prétend de plus que la SSR n'a pas erré en omettant de tenir compte des raisons impérieuses pour lesquelles la demanderesse ne pourrait retourner au Congo-Brazzaville car, même si la demande avait été présentée à l'égard de la République centrafricaine, les raisons impérieuses prévues au paragraphe 2(3) de la Loi ne peuvent être invoquées que lorsque la SSR estime que le revendicateur a déjà eu, à une époque quelconque de sa vie, une crainte bien fondée de persécution, mais que celle-ci n'est plus justifiée compte tenu d'un changement de circonstances survenu dans son pays de citoyenneté.

[32]            Le défendeur prétend que la SSR n'a pas erré en ne tenant pas compte des lignes directrices en matière de persécution basée sur le sexe. Premièrement, la demanderesse a omis de déposer une copie de ces lignes directrices en preuve. Deuxièmement, cet argument n'est pas fondé sur la preuve.


[33]            En réponse à l'allégation que la décision rendue ne respectait pas les droits de la personne, le défendeur prétend que cette Cour a déjà conclu que pareilles prétentions étaient prématurées dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire. Également, les prétentions fondées sur la Charte et divers instruments internationaux ne devraient être considérées.

[34]            En ce qui a trait à la lettre du médecin et du rapport psychologique, le défendeur soutient que ces éléments de preuve ont été considérés par la SSR, mais qu'ils n'ont pas été jugés probants.

[35]            En ce qui concerne la conclusion de la SSR que Fernand Ondako était une personne intéressée, le défendeur fait valoir que la demanderesse ne démontre aucune erreur et que « ces prétentions se bornant à mettre de l'avant la conclusion qu'elle aurait préféré voir retenue par la SSR » .

[36]            Le défendeur avance que les prétentions de la demanderesse à l'effet que la SSR aurait commis diverses erreurs dans son appréciation de la crédibilité ne démontrent aucunement que la SSR aurait tiré une conclusion déraisonnable, mais que d'autres conclusions auraient hypothétiquement pu être tirées de la preuve.

[37]            La demanderesse recherche une ordonnance infirmant la décision de la SSR et ordonnant à la SSR de tenir une nouvelle audience devant d'autres commissaires.


[38]            La SSR est un tribunal spécialisé qui est expert en matière d'évaluation des faits et, à ce titre, doit bénéficier d'une déférence considérable. Ses conclusions ne seront pas dérangées à moins d'être déraisonnables au point d'attirer l'intervention de cette Cour (voir l'arrêt Aguebor c. M.E.I. (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F).

[39]            En matière de crédibilité, il n'appartient pas à cette Cour de se substituer à la SSR, à moins que le demandeur puisse prouver que la décision de cette première est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments à sa disposition.

[40]            Les conclusions de la SSR en l'espèce, en ce qui a trait à la crédibilité, sont erronées et vicient la décision de la SSR au complet. Plus particulièrement, la SSR tire des conclusions qui d'après elle entachent la crédibilité de la demanderesse qui ne sont pas supportées par la preuve, sont des inférences déraisonnables ou des conjectures qui ne tiennent pas compte des différences culturelles, qui ne sont pas centrales à la revendication ou qui sont basées sur des contradictions supposées qui, à mon avis, ne sont pas des contradictions.


[41]            La Cour d'appel fédérale dans l'affaire Giron c. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1993), 143 N.R. 238 (C.A.F.) dit ce qui suit au sujet de conclusion quant à la crédibilité et les inférences :

The Convention Refugee Determination Division of the Immigration and Refugee Board ("the Board") chose to base its finding of lack of credibility here for the most part, not on internal contradictions, inconsistencies, and evasions, which is the heartland of the discretion of triers of fact, but rather on the implausibility of the claimant's account in the light of extrinsic criteria such as rationality, common sense, and judicial knowledge, all of which the drawing of inferences, which triers of fact are in little, if any, better position than others to draw.

[42]            De plus, dans l'affaire Dumitru c. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1994), 27 Imm. L.R. (2e) 62 (1ère instance), la Cour fédérale a statué ce qui suit à la page 65:

In Satiacum v. Canada (Minister of Employment & Immigration) (A-554-87), June 16, 1989 [reported at 99 N.R. 171 (Fed. C.A.)], MacGuigan J.A. stated, at p. 15 [p. 179, N.R.]:

The common law has long recognized the difference between reasonable inference and pure conjecture. Lord Macmillan put the distinction this way in Jones v. Great Western Railway Co. (1930), 47 T.LR. 39, at 45, 144 L.T. 194, at 202 (H.L.):

"The dividing line between conjecture and inference is often a very difficult one to draw. A conjecture may be plausible but it is of no legal value, for its essence is that it is a mere guess. An inference in the legal sense, on the other hand, is a deduction from the evidence, and if it is a reasonable deduction it may have the validity of legal proof. The attribution of an occurrence to a cause is, I take it, always a matter of inference."

In R. v. Fuller (1971), 1 N.R. 112, at 114, Hall, J.A. held for the Manitoba Court of Appeal that "[t]he tribunal of fact cannot resort to speculative and conjectural conclusions". Subsequently a unanimous Supreme Court of Canada expressed itself as in complete agreement with his reasons: [1975] 2 S.C.R. 121 at 124; 1 N.R. 110, at 112.


It is well established that the tribunal must clearly state the reasons for rejecting the claimant's testimony. In the case at bar there was nothing, apart from the hypotheses developed by the tribunal, to support the conclusion tying the applicant's loss of his job to his long convalescence, nor to suggest that the applicant had voluntarily leapt into the fray. The tribunal could simply have rejected that applicant's testimony on the ground that it was implausible, but this is not what it did. On the contrary, after identifying an implausibility, the tribunal drew its conclusions from pure conjecture. This is an error that goes to the essence of the decision, since it appears unlikely, on reading the reasons, that the tribunal would have concluded as it did had it not developed these hypotheses which, I repeat, are purely conjectural.

[43]            Dans l'affaire Yada c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) (1998), 140 F.T.R. 264 (1ère instance) aux paragraphes 24 et 25, la Cour énonce ce qui suit lorsque l'absence de crédibilité est fondée sur des invraisemblances:

The reasons or the bases set out for finding particular aspects of the applicant's evidence to be implausible simply do not reasonably relate to the evidence before the panel. Its conclusions might be reached by another panel, but the reasons for those conclusions must be rationally related to the evidence. Here that is not the case. The decision is patently unreasonable in the absence of reasons related to the evidence adduced.

Where the finding of a lack of credibility is based upon implausibilities identified by the panel, the Court may intervene on judicial review and set aside the finding where the reasons that are stated are not supported by the evidence before the panel, and the Court is in no worse position than the hearing panel to consider inferences and conclusions based on criteria external to the evidence such as rationality, or common sense.

[44]            En ce qui a trait à des conclusions fondées sur des éléments non pertinents, Monsieur le juge Pratte, dans l'affaire Salamat c. Canada (Immigration Appeal Board) [1989] F.C.J. No. 213 (C.A.F.), conclut:


The Immigration Appeal Board found that the applicant was not credible. It based that finding on a variety of considerations, some of which were clearly irrelevant or not established by the evidence, namely:

[...]

These errors are sufficient to vitiate the decision under attack even if another panel of the Board could possibly reach the same conclusion on the basis of clearly relevant facts.

[45]            Dans Bains c. Canada (Minister of Employment and Immigration) [1993] F.C.J. No. 497 (1ère instance), il fut indiqué:

Moreover, the events as described by the applicant may have seemed implausible and therefore not credible to the Refugee Division, but as counsel for the applicant points out "Canadian paradigms do not apply in India". Torture, unhappily, is real, as is exploitation and revenge, often resulting in killings.

[46]            En appliquant ces principes à la décision de la SSR en l'espèce, je suis d'avis que la SSR a commis plusieurs erreurs qui justifient l'intervention de cette Cour.


[47]            Premièrement, la SSR n'a pas cru que la demanderesse ait vécu la pauvreté qu'elle décrit et qui serait due au fait que l'agriculture était la seule source de revenu. Afin de fonder cette conclusion, la SSR conclut que l'acte de naissance de la demanderesse, qui indiquait que son père exerçait la profession de barman, contredisait le récit qui indiquait qu'il était agriculteur. Pourtant, la demanderesse a bien expliqué que lors de sa naissance, son père était barman dans "les petites buvettes" mais que sa profession afin de faire vivre sa famille était de cultiver les champs. Il est clair que l'une des professions n'exclut pas l'autre. La SSR prétend aussi que la demanderesse ignore tout de l'agriculture « à un point tel qu'il est permis de se demander si elle a, dans les faits, déjà vu un champ de manioke » . À mon avis, cette conclusion n'est pas supportée. La demanderesse a témoigné de ses connaissances et de la pratique de l'agriculture que sa famille exerçait. Elle a expliqué que sa famille faisait la rotation de récolte. Le fait que la demanderesse n'est pas versée dans le domaine de l'agriculture, une profession que son père exerçait, n'est pas pertinent à sa revendication. Conséquemment, la conclusion de la SSR à l'effet que « le portrait de famille et sa situation de pauvreté matérielle et intellectuelle nous apparaît putative et, si le récit de la demanderesse n'est pas crédible en amont, il ne l'est pas plus en aval » , est manifestement déraisonnable.


[48]            Deuxièmement, la SSR n'a pas cru à l'enlèvement de l'époux et des enfants de la demanderesse du seul fait qu'elle n'a pas pris des démarches pour les retrouver. Malgré le fait que la demanderesse admet qu'elle n'a pas fait de démarches afin de retrouver sa famille, je crois que la SSR aurait dû pousser son analyse à ce sujet étant donné que l'enlèvement de sa famille est au coeur de sa revendication. Il ne suffit pas de conclure que l'enlèvement n'a pas eu lieu du seul fait que son « attitude et son comportement sont incompatibles à une personne qui souffre de leur disparition et serait anxieuse et heureuse de les retrouver » . La SSR lui a imputé un certain comportement et lorsqu'elle n'a pas répondu à ses attentes, elle a écarté un élément principal de la revendication.

[49]            Troisièmement, la SSR met l'emphase sur certains éléments du témoignage de la demanderesse qui, d'après elle, sont des contradictions importantes portant sur des éléments essentiels de la revendication. Par contre, une lecture attentive du procès verbal révèle qu'il n'est pas clair que les exemples données sont des contradictions. De plus, si on accepte que la SSR a bien conclu que le témoignage de la demanderesse était rempli de contradictions, ces contradictions ne sont pas, à l'encontre de ce que la SSR prétend, importantes et ne portent aucunement sur des éléments essentiels de la revendication.


[50]            Plus particulièrement, la SSR arrive à la conclusion suivante aux pages 4 et 5 de la décision:

C'est ainsi que lors de l'audience, la revendicatrice a témoigné à l'effet que les seules personnes qu'elle connaissait à Kinshasa étaient Serge et Nicole, ceux-là même qui ont fait les arrangements et payé son voyage à destination du Canada. Elle ajoute que c'est par hasard, qu'elle a connu ces deux (2) personnes. Confrontée par le tribunal à son FRP qui nous enseigne plutôt qu'elle a quitté Kinshasa « avec l'aide de connaissances et des amis de son mari » , elle offrira pour explications que lorsqu'elle réfère aux amis de son mari qu'il s'agit de ceux qui l'auraient aidé que pour le tronçon USA/Canada et non pour tronçon RDC/USA. Voyant l'étonnement du tribunal face à cette réponse frivole et sans rapport aucun avec sa demande d'explications, elle ajuste son tir en mentionnant au tribunal que si elle se souvient bien, Serge et Nicole connaissaient son mari. Questionnée quant à savoir si elle était bien certaine de sa réponse, celle-ci répond que oui et qu'en fait c'est lorsqu'elle leur a raconté l'histoire de sa vie que Serge et Nicole ont réalisé qu'ils connaissaient son mari. L'explication de la revendicatrice est insatisfaisante.

[51]            Par contre, le procès verbal, débutant à la page 310, révèle que la demanderesse a témoigné du fait qu'elle a rencontré Serge et Nicole par hasard au Kinshasa mais qu'elle a appris par la suite que ce couple connaissait son époux. À l'encontre de ce que la SSR prétend, il m'appert qu'il n'y aucune contradiction à ce sujet ou du fait que ce couple l'a aidé avec son trajet.


[52]            La SSR prétend qu'il y a aussi des contradictions importantes en ce qui a trait à l'arrivée de la demanderesse à New York. Elle prétend que cet épisode portait atteinte à sa crédibilité et que son témoignage comportait plein « d'hésitations et de louvoiements » . Pourtant le procès verbal, débutant à la page 73, ne révèle pas l'existence d'une contradiction mais plutôt établit qu'aucun lieu de rencontre spécifique n'avait été indiqué et donc la demanderesse devait attendre l'individu à l'aéroport et qu'elle ne devait s'éloigner de l'aéroport.

[53]            Quatrièmement, la SSR a trouvé invraisemblable que la demanderesse puisse s'enfuir de la République Centrafricaine sans pièces d'identité et sans documents de voyage. Le tribunal a conclu que la demanderesse aurait volontairement quitté la République Centrafricaine au profit du Cameroun et de l'ex-URSS avec le consentement éclairé de ses parents. La SSR a aussi conclu que ses études étaient cautionnées par ses parents. La SSR a commis une erreur à cet effet étant donné que les conclusions de la SSR ne sont aucunement établies dans la preuve. Il s'agit plutôt d'inférences dénuées de tout sens et même de conjectures.     Afin de déduire de telles inférences, qui sont étroitement reliées à la revendication de la demanderesse, la SSR aurait dû révéler le rationnel ou justifier ses conclusions.


[54]            Cinquièmement, la SSR a conclu que la demanderesse « n'est pas cette personne qu'elle prétend: seule, sans mari, en détresse, sans défense, sans sommeil, sans refuge et persécutée » lorsqu'elle lui a demandé quelle serait la réaction de son père si elle devait un jour se retrouver devant lui en compagnie de son mari et ses enfants et répondit, en premier lieu, « je ne crois pas mon père accepterait un étranger » et par la suite « je préférerai me suicider plutôt que d'avoir à confronter mon père » . L'extrait pertinent du procès verbal à ce sujet se retrouve aux pages 82 et 83:

Q. Votre époux a déclaré expressément à l'acte de mariage qu'il renonçait à prendre une seconde épouse, tant que le présent mariage, votre mariage, serait en vigueur. Vous êtes consciente de ça?

R. C'est moi sa femme.

Q. Oui. Votre mari ne pourrait-il pas vous défendre face à votre père si tant est qu'il soit toujours en vie? J'essaie d'imaginer, Madame, le scénario où vous vous présentez avec votre mari, un jeune homme bien scolarisé, médecin, avec deux petits enfants. Ça ne serait pas là un scénario qui serait, par rapport au grand-père, réaliste, acceptable? Est-ce que ça pourrait calmer les ardeurs de votre père?

R. Je ne crois pas. Mon père ne pourra pas accepter un étranger. C'est ... je ne sais pas, mais ...

Q. Et ces deux enfants, ses deux petits-enfants?

R. Pour lui, c'est pas ça qui compte.

Q. Est-ce que vous aviez un réseau d'amis en URSS? Un bon réseau d'amis en URSS pour y avoir été trois ans?

R. J'ai quitté quand même parce que j'étais là-bas avec le mari, donc j'étais à la couverture du mari et quand j'ai quitté là-bas, c'est ... c'est tout.

Q. Mais sans mari et sans ami au Canada, est-ce que ça aurait pas été moins pire ...

R.    C'est ... c'est ...

Q. ... sans mari, mais avec des amis en URSS dans le sens vous n'avez pas songé ...

R. Oui.

Q. ... retourner en URSS?

R. Pour aller en URSS?

Q. Oui?

R. C'est ... c'est difficile parce que Moscou quand même c'est un pays à laquelle vous le suivez même à la télé, les conditions de vie là-bas c'est très difficile et puis on tue les étrangers, de temps en temps on maltraite les étrangers et c'est un pays rempli de racisme et puis c'est un pays à laquelle pratiquement le droit de l'homme n'existe pas là-bas. Et vraiment, c'est ... c'est impossible pour moi, j'ai pas cette capacité.


Q. Madame, je viens de vous soumettre à l'instant une hypothèse. Quelle serait la réaction de votre père si tant est qu'il vivait encore aujourd'hui, si vous deviez vous présenter avec votre mari et vos deux enfants?

R. Je préférais me suicider avant que ça ne se passe.

Q. Mais est-ce qu'il ne serait pas dans l'ordre des choses que vous me répondiez "L'hypothèse est impossible puisque je suis sans nouvelles de mes enfants et de mon mari"?

R. Peut-être j'ai mal compris votre question.

- Je n'ai pas d'autres questions.

[55]            Ce que révèle cet extrait est que la SSR impute à la demanderesse la réponse qu'elle aurait préférée. Il était complètement déraisonnable pour la SSR de conclure que la disparition de son mari et de ses enfants n'a jamais eu lieu du seul fait que la demanderesse n'a pas répondu comme elle aurait voulu. Encore une fois, la SSR se devait d'aller plus loin dans son analyse afin d'écarter sa revendication et du moins expliquer son raisonnement.


[56]            En dernier lieu, la SSR indique qu'elle « est plutôt enclin à croire et penser [que le père de la demanderesse] se révélerait plutôt heureux à l'idée de revoir, après tant d'années d'absence, sa fille, ses petits enfants et le gendre qu'il s'est gagné depuis » . Encore une fois, la SSR fait des inférences complètement déraisonnables à la lumière de la revendication de la demanderesse. Elle se perd en conjectures. Premièrement, sa conclusion quant à la réaction du père est en contradiction avec sa conclusion que la demanderesse n'est ni épouse et ni mère de deux enfants (Voir Hilo c. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2e) 199 (C.A.F.). De plus, la SSR ignore les différences culturelles en faisant une telle hypothèse.

[57]            La conclusion de la SSR à l'effet que Ondako Fernand était un témoin "intéressé" dans cette cause était déraisonnable. Le seul fait que le témoin est représenté par le même avocat que la demanderesse pour les fins de sa revendication devant la SSR est dépourvu de pertinence en ce qui a trait à son témoignage et à la revendication de la demanderesse. De plus, la SSR met l'emphase sur le fait que le témoin ignorait l'organisation pour laquelle le mari de la demanderesse était impliqué. Pourtant, à la page 7 du procès verbal, Ondako Fernand témoigne correctement que l'époux de la demanderesse faisait partie du Comité de soutien de la démocratie.

[58]            La SSR pouvait à bon droit tirer les conclusions auxquelles elle est arrivée au sujet des revendications de la demanderesse, toutefois, elle ne pouvait le faire en se fondant sur des conclusions d'invraisemblance, des conjectures ou des contradictions qui n'étaient étayées ni en totalité ni en partie par la preuve dont elle disposait.


[59]            Pour les raisons qui précèdent, je suis d'avis que l'intervention de cette Cour est non seulement justifiée mais essentielle et donc la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

      JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 15 mai 2001

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