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                                                                                                                               Date : 20050617

                                                                                                                 Référence : 2005 CF 835

                                                                                                                    Dossier : IMM-9356-04

ENTRE :

                                                  YOUSSEF AYOUB EL HAYEK

                                                                                                                    Partie demanderesse

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                         ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                      Partie défenderesse

                                                                                                                    Dossier : IMM-9354-04

ENTRE :

                                                          LAURETTE BOULOS

                                                    REMI YOUSSEF EL HAYEK

                                                  RALPH YOUSSEF EL HAYEK

                                                   REINE YOUSSEF EL HAYEK

                                                 ASSAAD YOUSSEF EL HAYEK

                                                                                                                    Partie demanderesse

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                         ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                      Partie défenderesse


                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]         Il s'agit ici d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) rendue le 7 octobre 2004, statuant que les demandeurs ne sont pas des « réfugiés » au sens de la Convention, ni des « personnes à protéger » selon les définitions données aux articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la Loi).

[2]         Youssef Ayoub El Hayek (le demandeur principal), son épouse, Laurette Boulos, et leurs quatres enfants, Reine Youssef El Hayek, Assaad Youssef El Hayek, Ralph Youssef El Hayek et Remi Youssef El Hayek, sont tous citoyens du Liban. Ils disent craindre dtre persécutés en raison de leur religion et de leurs opinions politiques. En outre, ils soutiennent avoir qualité de « personnes à protéger » dans la mesure où ils seraient personnellement exposés à un risque de torture ou à une menace à leur vie ou à un risque de peines ou traitements cruels et inusités au Liban.

[3]         Les demandes de lpouse et des quatre enfants se fondent sur celle du demandeur principal. Lpouse a été entendue en même temps que son époux, aux mêmes dates et par la même commissaire.

[4]         Le demandeur principal allègue avoir été persécuté en raison de son appartenance au parti politique des Kataebs aussi appelé Phalanges libanaises ou Phalangistes. Il en était membre depuis 1977 et ses activités politiques consistaient à assister à des réunions ou des manifestations et à organiser des fêtes.


[5]         La CISR a fondamentalement conclu que le demandeur principal était exclu de l'application de la définition de réfugié au sens de la Convention en raison de l'alinéa Fc) de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention).

[6]         Le demandeur principal plaide d'abord qu'une autre décision, celle-là favorable à sa demande, a été prise le 4 avril 2003. Le défendeur, pour sa part, soutient que le « Relevé de décision - SPR » (voir le Dossier de la partie demanderesse, aux pages 20 et 21) ne peut être considéré comme une décision qui ait eu pour effet de dessaisir le tribunal à compter du 4 avril 2003. Le défendeur soumet qu'il s'agit d'un document administratif interne contenant tout au plus une indication quant à la façon dont la commissaire entrevoyait, à ce moment, l'issue de la revendication de Youssef Ayoub El Hayek et des autres demandeurs. Je suis d'accord.

[7]         Comme le souligne le défendeur, aucune décision n'a été rendue de vive voix, et aucun motif n'a été donné à l'audience. À cet égard, l'alinéa 63(1)b) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, (les Règles) prévoit qu'en pareil cas, c'est-à -dire lorsque la décision est différée, la décision accueillant une demande d'asile prend effet au moment où le commissaire signe et date la décision, alors que selon l'alinéa 63(2)b), la décision rejetant une demande d'asile prend effet au moment où le commissaire signe et date les motifs de la décision.

[8]         L'article 63 des Règles se lit comme suit :


   63. (1) La décision accueillant une demande d'asile prend effet :

a) au moment où le commissaire rend la décision, s'il la rend de vive voix à l'audience;

b) au moment où le commissaire signe et date la décision, s'il la rend par écrit.


   63. (1) A decision allowing a claim takes effect

(a) if given orally at a hearing, when a Division member states the decision; and

(b) if made in writing, when a Division member signs and dates the decision.



   (2) La décision rejetant une demande d'asile prend effet :

a) au moment où le commissaire rend la décision et en donne les motifs, s'il la rend de vive voix à l'audience;

b) au moment où le commissaire signe et date les motifs de la décision, s'il la rend par écrit.


   (2) A decision rejecting a claim takes effect

(a) if given orally at a hearing, when a Division member states the decision and gives reasons; and

(b) if made in writing, when a Division member signs and dates the reasons for the decision.


[9]         L'article 63 ne définit pas le terme « décision » . Cette disposition n'a pas pour objectif de déterminer à quel moment une décision est rendue et le tribunal dessaisi, mais plutôt de déterminer à partir de quel moment les effets de la décision deviennent une réalité juridique. À mon sens, cette interprétation de l'article 63 des Règles est renforcée par l'article 169 de la Loi qui établit une nette distinction entre la manière dont les décisions sont rendues et leur prise d'effet. L'article 169 indique qu'alors que les décisions prennent effet conformément aux Règles, elles sont rendues oralement ou par écrit et sont toutes motivées :


   169. Les dispositions qui suivent s'appliquent aux décisions, autres qu'interlocutoires, des sections_:

a) elles prennent effet conformément aux règles;

b) elles sont motivées;

c) elles sont rendues oralement ou par écrit, celles de la Section d'appel des réfugiés devant toutefois être rendues par écrit;

d) le rejet de la demande d'asile par la Section de la protection des réfugiés est motivé par écrit et les motifs sont transmis au demandeur et au ministre;

e) les motifs écrits sont transmis à la personne en cause et au ministre sur demande faite dans les dix jours suivant la notification ou dans les cas prévus par les règles de la Commission;

f) les délais de contrôle judiciaire courent à compter du dernier en date des faits suivants_: notification de la décision et transmission des motifs écrits.

   169. In the case of a decision of a Division, other than an interlocutory decision:

(a) the decision takes effect in accordance with the rules;

(b) reasons for the decision must be given;

(c) the decision may be rendered orally or in writing, except a decision of the Refugee Appeal Division, which must be rendered in writing;

(d) if the Refugee Protection Division rejects a claim, written reasons must be provided to the claimant and the Minister;

(e) if the person who is the subject of proceedings before the Board or the Minister requests reasons for a decision within 10 days of notification of the decision, or in circumstances set out in the rules of the Board, the Division must provide written reasons; and

(f) the period in which to apply for judicial review with respect to a decision of the Board is calculated from the giving of notice of the decision or from the sending of written reasons, whichever is later.



[10]       Ainsi, je suis d'avis que le relevé de décision en question ne peut être considéré comme une décision à partir de laquelle la CISR aurait été dessaisie de l'affaire, parce qu'il s'agit d'un document administratif interne, dont la teneur n'a pas fait l'objet d'un prononcé formel, qui ne contient aucun motif et qui n'a jamais été communiqué aux demandeurs.

[11]       Il est aussi évident que le tribunal n'a jamais eu l'intention de rendre alors de décision finale, vu qu'il appert qu'en date du 17 février 2004, la deuxième page du document en question a été barrée avec la mention « continuation » (voir la pièce « A » en liasse à l'appui de l'affidavit de Hélène Jarry, produit le 24 mars 2005).

[12]       D'ailleurs, par la suite, le demandeur principal ne s'est jamais objecté à la réouverture de l'audience sur la base de ce « Relevé de décision - SPR » , document dont il avait appris l'existence par le biais de la Loi sur l'accès à l'information. Le demandeur a plutôt sollicité et obtenu une remise pour lui permettre de bien se préparer.

[13]       Le demandeur principal allègue ensuite que le débat devant la CISR n'a jamais porté sur l'alinéa Fc) de l'article premier de la Convention, le tribunal, en début d'audition, ayant mentionné l'alinéa Fa) pour, plus tard, baser sa décision finale sur l'alinéa Fc). Après révision du dossier et lecture de la transcription de l'audition, je ne vois aucun accroc à lquité de la procédure. En effet, il appert clairement du dossier que le demandeur principal et son procureur ont dûment pris connaissance du fait que l'alinéa Fc) était bel et bien en cause et qu'ils ont agi en conséquence. Il suffit de référer aux pages 96 à 118 et 1018 et 1019 du Dossier du tribunal pour bien s'en rendre compte (voir aussi Arica c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1995] A.C.F. no 670 (C.A.F.) (QL)).


[14]       Pour appliquer l'alinéa Fc), la commissaire devait être satisfaite, à un niveau moindre que la prépondérance des probabilités, qu'il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur stait rendu coupable d'agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies (Zrig c. Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration, [2003] A.C.F. no 565 (C.A.F.) (QL) et Bazargan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1996), 205 N.R. 282 (C.A.F.)). La preuve indique que les Kataebs et les Forces libanaises avaient commis à plusieurs reprises des actes inhumains.

[15]       Le demandeur soutient que la commissaire ne disposait d'aucun motif sérieux de croire qu'il stait rendu coupable au sens de l'alinéa Fc). Toutefois, la preuve documentaire est claire quant à la présence et l'importance primordiale de la milice Kataeb au sein des Forces libanaises (pièce A-11, à la page 424 du Dossier du tribunal). L'interprète a affirmé que les termes

« phalangiste » et « Kataeb » signifiaient la même chose, et le témoin expert a témoigné que les Phalangistes et les Forces libanaises se chevauchaient (pages 1257-1258 et 1347 du Dossier du tribunal). Donc, il ntait pas déraisonnable pour le tribunal de conclure que le demandeur faisait partie des deux groupes.

[16]       Le demandeur principal soumet que la commissaire a omis d'identifier les agissements précis dont il se serait rendu indirectement coupable à compter de son adhésion au parti politique des Kataebs et aussi les « buts et principes » des Nations Unies qui auraient été prétendument violés par le demandeur.

[17]       Une personne peut être trouvée complice sans avoir appartenu à une telle organisation, pourvu que l'on puisse conclure, selon les faits, qu'elle a participé de façon personnelle et consciente à la commission de crimes internationaux (Saridag c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1994] A C.F. no 1516 (1re inst.) (QL)). Le véritable critère de la complicité est celui de la participation personnelle et consciente, tel que décrit par la juge Reed dans Penate c. Canada (M.E.I.), [1994] 2 C.F. 79, aux pages 84 et 85 :


Selon mon interprétation de la jurisprudence, sera considéré comme complice quiconque fait partie du groupe persécuteur, qui a connaissance des actes accomplis par ce groupe, et qui ne prend pas de mesures pour les empêcher (s'il peut le faire) ni ne se dissocie du groupe à la première occasion (compte tenu de sa propre sécurité), mais qui l'appuie activement. On voit là une intention commune. Je fais remarquer que la jurisprudence susmentionnée ne vise pas des infractions internationales isolées, mais la situation où la perpétration de ces infractions fait continûment et régulièrement partie de l'opération.

[18]       Je suis d'avis que le demandeur remplit ce critère puisqu'il a reconnu qu'il était au courant des événements survenus dans les camps palestiniens de Sabra et de Chatila en 1982, et qu'il a également reconnu être au courant de l'existence d'un centre de détention des Forces libanaises tout près de son village. Un individu peut être tenu responsable d'actes commis par d'autres en raison de son association étroite avec les auteurs principaux (Sivakumar c. Canada (M.E.I.), [1994] 1 F.C. 433 (C.A.)). Le demandeur était membre du parti politique des Kataebs et, malgré sa connaissance des activités du parti, il est demeuré affilié avec eux.

[19]       En ce qui concerne les buts et principes des Nations Unies, la Cour d'appel fédérale dans Harb c. Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration, [2003] A.C.F. no 108 (QL), a fait une analogie entre les crimes contre l'humanité et les agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies. Donc, il suffisait que le tribunal indique que les actes inhumains commis par les Kataebs constituaient des crimes contre l'humanité.

[20]       La demande de lpouse et des enfants est basée sur celle du demandeur principal et doit donc subir le même sort. De plus, la commissaire n'a pas commis d'erreur en refusant leur demande parce qu'ils ntablissaient pas qu'ils étaient personnellement en danger au Liban. En effet, ils n'avaient reçu aucune menace directe et ils ntaient pas actifs politiquement; en outre, lpouse a déclaré avoir visité les États-Unis en 1996 et y être restée pendant trois mois avant de revenir au Liban; par la suite, elle n'a cependant quitté ce pays avec ses enfants que le 28 août 2000; ce long délai à quitter le Liban mine la crédibilité de leur récit et démontre un manque de peur subjective.


[21]       Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[22]       Je suis d'accord avec le savant procureur de la partie demanderesse que les questions proposées par la partie défenderesse ne constituent pas des questions graves d'intérêt général. Nous sommes ici en présence de faits particuliers constituant un pur cas d'espèce. Il n'y a donc pas ici matière à certification.

                                                                    

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 17 juin 2005


                                                              COUR FÉDÉRALE

                                            AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS

DOSSIERS :                                                   IMM-9356-04

IMM-9354-04

INTITULÉ :                                                       YOUSSEF AYOUB EL HAYEK c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LAURETTE BOULOS, REMI YOUSSEF EL HAYEK, RALPH YOUSSEF EL HAYEK, REINE YOUSSEF EL HAYEK, ASSAAD YOUSSEF EL HAYEK C. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                               Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                             Le 12 mai 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                 Le juge Pinard

DATE DES MOTIFS :                                   Le 17 juin 2005

COMPARUTIONS :

Me Jean-François Fiset                                 POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Marie-Nicole Moreau                               POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

Jean-François Fiset                                       POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                           POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada


                                                                                                                               Date : 20050617

                                                                                                                    Dossier : IMM-9356-04

Ottawa (Ontario), ce 17e jour de juin 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PINARD

ENTRE :

                                                 YOUSSEF AYOUNB EL HAYEK

                                                                                                                    Partie demanderesse

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                         ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                      Partie défenderesse

                                                               ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue le 7 octobre 2004 par la Section de la protection des réfugiés, statuant que le demandeur n'est pas un « réfugié » au sens de la Convention, ni une « personne à protéger » selon les définitions données aux articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27, est rejetée.

                                                                    

                              JUGE


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