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                                                                                                                              Date : 20010509

                                                                                                                 Dossier : IMM-3787-00

                                                                                              Référence neutre : 2001 CFPI 452

ENTRE :

MARIO GUILLERMO FERNANDEZ DE LA TORRE,

RUTH RAQUEL HEREDIA SOTO,

MARCO MOISES HEREDIA SOTO

                                                                                                                                      demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN

[1]                 Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, le 28 juin 2000, qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. Il y avait trois demandeurs : un demandeur adulte, sa conjointe de fait et un fils, qui était mineur.


[2]                 La demanderesse a fondé sa demande sur sa relation conjugale; elle a également présenté une revendication indépendante. La Commission a clairement commis une erreur en tirant une conclusion abusive et déraisonnable au sujet d'un événement qui s'était produit au mois d'avril 1997 et dans lequel la demanderesse était en cause. À la page 10 de sa décision, la Commission a dit ce qui suit :

L'incident survenu en avril 1997 lorsque deux femmes (qui se sont trouvées être des partisanes du PRI) l'ont heurtée [la demanderesse] alors qu'elle était à l'intérieur d'un cabinet d'aisance dans un cinéma, semble accidentel et non délibéré.

Cette déclaration n'est pas étayée par le compte rendu non contredit que la demanderesse a fait, à savoir qu'elle avait été frappée à l'aide de la porte du cabinet et que ses agresseurs lui avaient donné des coups de poing. La Commission n'a tiré aucune conclusion défavorable à la demanderesse au sujet de la crédibilité; de plus, la Commission a ajouté que la revendication indépendante de la demanderesse n'était pas recevable, et ce, pour les raisons ci-après énoncées :

Il n'y a pas eu d'attaques délibérées contre ses frères et soeurs depuis que son frère est décédé en 1992 - il y a huit ans. En conséquence, je conclus qu'il n'y a pas de possibilité sérieuse que la revendicatrice soit persécutée parce qu'elle est la soeur de Guillermo ou la fille de son père. Donc, la revendication de la revendicatrice doit être rejetée.


Par conséquent, cette conclusion abusive et déraisonnable, en ce qui concerne l'événement du mois d'avril 1997, influe sur la conclusion de la Commission selon laquelle la revendication indépendante présentée par la demanderesse n'est pas recevable. L'affaire doit être renvoyée à une formation différente pour réexamen conformément aux présents motifs.

[3]                 Étant donné que la revendication du fils mineur est fondée sur le fait qu'il est à la charge de ses parents, cette revendication est également renvoyée à la Commission pour réexamen conformément aux présents motifs.

[4]                 Je dois maintenant statuer sur le cas du demandeur. Quatre questions sont soulevées : (1) La Commission a-t-elle tiré des conclusions déraisonnables au sujet de la crédibilité? (2) L'erreur commise par la Commission dans les conclusions qu'elle a tirées au sujet du retard est-elle une erreur susceptible de révision? (3) La Commission a-t-elle commis une erreur en comprenant mal quel poste le demandeur occupait? (4) La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n'avait pas établi l'existence d'un lien avec un motif reconnu par la Convention du statut des réfugiés, à savoir l'appartenance à un groupe social ou les opinions politiques imputées au demandeur?


[5]                 Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve médicale et psychologique relative à sa crédibilité. Le demandeur affirme que si la Commission avait tenu compte de la façon appropriée des rapports médicaux et psychologiques des docteurs Block et Pilowski, elle aurait compris qu'il avait des trous de mémoire, qu'il était nerveux et qu'il avait de la difficulté à se rappeler les dates. Cela expliquerait les contradictions existant entre le FRP du demandeur et les réponses qu'il a données à l'entrevue de l'Immigration. Toutefois, la Commission a dit ce qui suit, à la pages 4 de ses motifs :

À ce propos, je trouve pertinent le rapport médical du Dr Block qui indique qu'il a « des troubles de concentration avec perte de mémoire à court terme, de la difficulté à se souvenir d'événements qui se sont produits au début de sa vie . . . »


La Commission a reconnu que le demandeur avait subi une fracture du crâne. Toutefois, elle n'a pas pu déterminer pourquoi, lorsqu'il a eu une entrevue auprès d'Immigration Canada, le demandeur n'avait pas fait mention du docteur Felix, qui était son patron, et de l'agence gouvernementale pour laquelle il travaillait (Liconsa); pourtant, le demandeur fondait sa revendication sur le fait qu'il craignait d'être persécuté par des éléments criminels mexicains parce qu'il avait été témoin de leurs activités frauduleuses pendant qu'il travaillait comme chauffeur pour le docteur Felix et pour Liconsa. La Commission note également que dans le rapport du docteur Block, il n'est pas fait mention du docteur Felix relativement à la crainte de persécution du demandeur. Dans les déclarations qu'il a faites à Immigration Canada, le demandeur a parlé d'un certain docteur Rivero Serrano pour qui il n'avait travaillé que pendant deux ans, alors qu'il n'a pas fait mention du docteur Felix, pour qui il avait travaillé pendant trois ou quatre ans. La Commission a confronté le demandeur au sujet de cette omission et, comme elle l'a dit aux pages 3 et 4 de sa décision, le demandeur a répondu :

[...] qu'il essayait de se rappeler de tout le travail qu'il avait fait pour le gouvernement, l'armée, le sénateur et la députée au Congrès. Il a ajouté s'être rappelé du Dr Rivero parce que c'était précisément pendant qu'il travaillait pour lui qu'il avait été battu pendant une semaine.

La Commission dit ensuite qu'à son avis, ces explications ne sont pas acceptables, et ce, pour les raisons suivantes :

Si nous en croyons l'exposé circonstancié de son FRP, il a été battu plus souvent alors qu'il travaillait pour le Dr Felix que lorsqu'il travaillait pour le Dr Rivero.

De plus, le demandeur avait travaillé plus récemment pour le docteur Felix.

[6]                 Comme Madame le juge Reed l'a dit dans la décision Muhammad c. MCI, [2000] A.C.F. no 1058 (1re inst.) (QL), au paragraphe 7 :

[...], la Commission a expliqué qu'elle pouvait admettre qu'il y avait certains aspects du témoignage du demandeur dont celui-ci n'était pas en mesure de se souvenir correctement. C'est au sujet des questions centrales et manifestement faciles à retenir que la Commission ne pouvait pas admettre qu'il était incapable de s'en souvenir.

Ce raisonnement s'applique dans l'affaire dont je suis ici saisi.

[7]                 Le demandeur soutient également que la Commission a tiré une conclusion abusive au sujet du retard. À la page 7 de ses motifs, voici ce qu'elle a dit :

[...] le revendicateur est au Canada depuis septembre 1996, mais [...] n'a présenté sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention qu'en juin 1997, neuf mois après son arrivée au Canada.


En réalité, le demandeur a présenté sa demande au mois de janvier 1997, soit cinq mois seulement après être arrivé au Canada.

[8]                 La Commission a ajouté ce qui suit :

On a demandé au revendicateur d'expliquer ce retard et il a répondu que c'était parce qu'il ne connaît pas le Canada. Je ne trouve pas cette explication acceptable. Il est venu au Canada précisément pour y demander protection, mais il n'a fait aucune demande d'information en ce sens alors qu'il était déjà ici. Le tribunal sait qu'à Toronto, il y a une communauté de langue hispanique assez importante, par laquelle il aurait pu effectuer ces démarches.

En plus d'avoir commis une erreur en disant que le demandeur avait attendu pendant neuf mois, la Commission a dit ce qui suit :

En demeurant dans ce pays sans aucun statut, le revendicateur a risqué l'expulsion. Il serait raisonnable qu'une personne qui fuit un crainte fondée de persécution cherche à assurer sa protection le plus rapidement possible. Il a fait défaut de ce faire. Alors, nous concluons que son retard à présenter une revendication n'est pas compatible avec une crainte subjective.

Le demandeur avait le statut de visiteur lorsqu'il a revendiqué le statut de réfugié au mois de janvier 1997; il ne risquait donc pas d'être expulsé. Toutefois, il serait néanmoins loisible à la Commission de tirer la deuxième conclusion, à savoir que :

Il serait raisonnable qu'une personne qui fuit un crainte fondée de persécution cherche à assurer sa protection le plus rapidement possible. Il a fait défaut de ce faire.

[9]                 À mon avis, cette erreur n'est pas susceptible de révision puisque la Commission a tiré la conclusion suivante :


Considérant l'ensemble de la preuve devant nous, le tribunal conclut que sa preuve en ce qui concerne sa crainte de persécution au Mexique n'est pas crédible. Sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention doit donc être rejetée.

[10]            L'avocat du demandeur soutient en outre que la Commission a commis une erreur en comprenant mal le poste que le demandeur occupait lorsqu'il travaillait pour le docteur Felix. Le demandeur a déclaré qu'il s'occupait du recouvrement de dettes et qu'il détenait les gens qui ne payaient pas ce qu'ils devaient à la société. Dans l'exposé figurant dans le FRP, le demandeur n'a pas déclaré qu'il agissait comme témoin dans des affaires de corruption auxquelles Liconsa était mêlée, mais c'est ce qu'il a déclaré à l'une des audiences de la Commission. La Commission ne croyait pas le demandeur lorsqu'il alléguait avoir agi en cette qualité, étant donné que la question ne s'est posée qu'au moment où l'agent chargé de la revendication a interrogé le demandeur plutôt que dans le cadre de l'interrogatoire principal. La Commission a également fait remarquer que, dans le FRP du demandeur et dans les déclarations que celui-ci avait faites à Immigration Canada, il n'était pas fait mention que le demandeur avait été promu au poste [TRADUCTION] d' « adjoint à la direction et [de] représentant » du docteur Felix. La Commission a fait une inférence défavorable au sujet de la crédibilité, puisqu'elle a conclu que cette promotion était essentielle à la revendication du demandeur.


[11]            À mon avis, les conclusions de la Commission sont raisonnables puisque le demandeur n'a pas fait mention de renseignements cruciaux au sujet du présumé poste dans l'exposé figurant dans son FRP et à l'entrevue de l'Immigration et qu'il n'a pas présenté de témoignage en ce sens au cours de l'interrogatoire principal. Il semble invraisemblable que des renseignements aussi importants ne soient pas mentionnés dans le FRP et que l'avocat du demandeur ne les ait pas signalés au cours de l'interrogatoire principal qui a eu lieu devant la Commission. Cela étant, la Commission n'a pas commis d'erreur en ce qui concerne les conclusions qu'elles a tirées au sujet du poste occupé par le demandeur.


[12]            Il s'agit enfin de savoir en l'espèce si la Commission a commis une erreur en concluant que le demandeur n'avait pas établi l'existence d'un lien avec un motif reconnu par la Convention du fait des opinions politiques qu'on lui imputait. Le demandeur avait allégué qu'il craignait d'être persécuté à cause de son association à des personnages éminents comme le docteur Felix, qui luttaient contre la corruption. La Commission a conclu que le demandeur n'avait pas lui-même dénoncé la corruption, de sorte que son cas n'était pas semblable à celui du demandeur dans l'affaire Klinko c. MCI, [2000] 3 C.F. 327 (C.A.). Dans l'arrêt Klinko, précité, la Cour d'appel avait statué que la Commission avait commis une erreur en concluant que le fait qu'un citoyen ukrainien avait dénoncé la corruption n'établissait pas l'existence d'un lien avec un motif reconnu par la Convention. Dans l'affaire dont je suis ici saisi, la Commission a reconnu que, comme l'Ukraine, le Mexique fait face à une situation dans laquelle la corruption « peut avoir infiltré le pays » . Toutefois, à la page 9 de sa décision, la Commission a également conclu que le demandeur ne pouvait pas affirmer qu'il était une cible politique parce qu'il :

n'a[vait] pasdénoncé la corruption qui existe dans son pays. Il a seulement assumé son emploi : conduire les gens dans les environs, être témoin des rapports des avocats et des comptables, et les rapporter à son patron, le Dr Felix.

[13]            La conclusion que la Commission a tirée au sujet de la question du « lien » est raisonnable, compte tenu en particulier du fait qu'elle a tiré une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité du demandeur lorsqu'il alléguait avoir agi comme « adjoint à la direction et [de] représentant » du docteur Felix. De l'avis de la Commission, le demandeur travaillait comme chauffeur, il avait été témoin des rapports des avocats et des comptables et les avait signalés à son patron, le docteur Felix. Toutefois, les comptes rendus verbaux du demandeur étaient redondants puisqu'il est raisonnable de s'attendre à ce que le docteur Felix, qui était chef du département, ait eu à sa disposition une copie de ces rapports. Cela étant, la conclusion que la Commission a tirée au sujet du « lien » est raisonnable.


ORDONNANCE

[14]            Compte tenu des motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée. Les demandes de contrôle judiciaire de la demanderesse et du demandeur mineur sont renvoyées pour réexamen conformément aux présents motifs.

« W.P. McKeown »

Juge

Toronto (Ontario),

le 9 mai 2001.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad.a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU DOSSIER :                                                     IMM-3787-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                     MARIO GUILLERMO FERNANDEZ DE LA TORRE, RUTH RAQUEL HEREDIA SOTO, MARCO MOISES HEREDIA SOTO

                                                                                                                                      demandeurs

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :                                        le jeudi 12 avril 2001

LIEU DE L'AUDIENCE :                                        Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE                          

ET ORDONNANCE PAR :                                       Monsieur le juge McKeown

DATE DES MOTIFS :                                               le mercredi 9 mai 2001

ONT COMPARU

M. Douglas Lehrer                                                         POUR LES DEMANDEURS

M. Jeremiah A. Eastman                                              POUR LE DÉFENDEUR


                                                                                                                                            Page : 2

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Vander Vennen Lehrer

Avocats

45, rue Saint Nicholas

Toronto (Ontario)

M4Y 1W6                                                                        POUR LES DEMANDEURS

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                           POUR LE DÉFENDEUR


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                   Date : 20010509

                                     Dossier : IMM-3787-00

ENTRE :

MARIO GUILLERMO FERNANDEZ DE LA TORRE, RUTH RAQUEL HEREDIA SOTO, MARCO MOISES HEREDIA SOTO

                                                            demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                défendeur

                                                                           

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                           

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