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Date : 20050215

Dossier : T-705-02

Référence : 2005 CF 243

Vancouver (Colombie-Britannique), le 15 février 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

                                                     SEANIX TECHNOLOGY INC.

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                          - et -

                                                     SYNNEX CANADA LIMITED

                                   SYNNEX INFORMATION TECHNOLOGIES, INC.

                                                                                                                                       défenderesses

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Seanix Technology Inc. (Seanix) est demanderesse dans une action en contrefaçon de marque de commerce, en commercialisation trompeuse et en diminution de la valeur de l'achalandage déposée devant la Cour le 1er mai 2002.


[2]                Seanix interjette appel de la décision du 4 janvier 2005 du protonotaire Lafrenière (le protonotaire) dans laquelle ce dernier a accueilli la requête des défenderesses, en conformité avec l'article 75 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles), en vue de modifier leur défense en y ajoutant certains moyens de défense et pour inclure une demande reconventionnelle alléguant l'invalidité de deux enregistrements canadiens de marques de commerce de Seanix : le numéro LMC 443,918, SEANIX, enregistré le 15 juin 1995 et le numéro LMC 535,126, enregistré le 19 octobre 2000, SEANIX et dessin.

[3]                Seanix allègue que les modifications demandées par les défenderesses amènent une nouvelle cause d'action, soit l'invalidité et la radiation de ses enregistrements de marques de commerce.

[4]                Seanix prétend que le protonotaire a commis une erreur de droit en décidant que les défenderesses n'étaient pas tenues de démontrer que les modifications découlaient de faits qui étaient essentiellement les mêmes que ceux sur lesquels était fondée la cause d'action initiale. Selon l'avocat de Seanix, l'article 201 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles) prévoit que la nouvelle cause d'action amenée par la modification doit naître de faits qui sont essentiellement les mêmes que ceux sur lesquels se fonde une cause d'action pour laquelle la partie qui cherche à obtenir la modification a déjà demandé réparation dans l'action.


[5]                Il est allégué que le protonotaire a également commis une erreur parce que la nouvelle cause d'action mentionnée dans la modification apportée par les défenderesses fait valoir l'invalidité des marques de commerce de la demanderesse, au motif notamment qu'il y a eu une erreur dans les dates prétendues de premier usage déclarées dans les demandes de marques de commerce.

[6]                L'avocat de Seanix affirme qu'il est clair et manifeste qu'une erreur dans la date de premier usage indiquée dans une demande de marque de commerce n'entraîne pas l'invalidité d'un enregistrement en vertu de l'article 18 de la Loi sur les marques de commerce (la Loi).

[7]                L'essentiel des motifs du protonotaire se trouve dans les paragraphes suivants :

[traduction]

Il est bien établi qu'une modification devrait être autorisée à toute étape d'une action à moins qu'il ne soit démontré qu'elle n'aura aucune chance de succès et pourvu qu'elle n'entraîne pas un préjudice à l'autre partie qui ne pourrait être réparé au moyen de dépens. Puisque je suis pour l'essentiel en accord avec les observations écrites des défenderesses, je ne vois aucune raison de leur interdire de modifier leur acte de procédure.

Tout d'abord, il n'est pas évident que les modifications proposées ne révèlent aucun moyen de défense ni cause d'action raisonnable. En outre, même si les modifications soulèvent de nouveaux moyens de défense et une nouvelle cause d'action dans la demande reconventionnelle, aucun délai de prescription applicable n'est expiré. Les défenderesses n'étaient donc pas obligées de démontrer que les modifications découlaient de faits qui étaient essentiellement les mêmes que dans la cause d'action initiale. En outre, je suis convaincu que les modifications proposées n'entraînent pas la rétractation d'un aveu et que la demanderesse n'a pas été amenée à adopter une ligne de conduite qui ne peut pas être modifiée facilement.

                                                                                                [Non souligné dans l'original.]


[8]                L'avocat des défenderesses prétend que le protonotaire a bien appliqué les articles 75 et 201 des Règles. Selon lui, l'exigence de l'article 201 selon laquelle toute nouvelle cause d'action apportée par la modification proposée doit naître de faits qui sont essentiellement les mêmes que ceux sur lesquels se fonde une cause d'action pour laquelle la partie qui cherche à obtenir la modification a déjà demandé réparation ne s'applique pas si un aucun délai de prescription n'est en jeu, comme en l'espèce.

[9]                Il prétend que la décision du protonotaire est appuyée par (1) une interprétation contextuelle de l'article 201, par rapport aux articles 75, 76 et 77; (2) par la jurisprudence établie en vertu des anciennes Règles; (3) par un examen des propositions qui ont entraîné la promulgation des nouvelles Règles.

[10]            Les modifications proposées qui soulèvent de nouvelles demandes ou causes d'action ont toujours été jugées déterminantes pour les fins du critère de l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investment Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.) (Voir également Merck & Co. Inc. et al. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, au paragraphe 25, et Bande indienne de Louis Bull c. Canada 2003 CFPI 732.)

[11]            Dans les circonstances en cause, je dois exercer mon pouvoir discrétionnaire de novo.

[12]            Je n'ai pas l'intention d'exercer mon pouvoir discrétionnaire pour prendre une décision différente de celle du protonotaire qui, à mon avis, est bonne.


[13]            L'arrêt de la Cour d'appel fédérale Canderel c. Canada, [1994] 1 C.F. 3, qui a toujours été appliqué, dit que la règle générale est qu'une modification devrait être autorisée à tout stade de l'action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d'injustice à l'autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu'elle serve les intérêts de la justice.

[14]            En l'espèce, selon moi, la demanderesse ne subira aucune injustice si les demandes de modification des défenderesses sont autorisées et la demanderesse n'a pas allégué telle injustice en l'espèce.

[15]            En outre, la question litigieuse entre les parties est de savoir si les défenderesses ont contrefait les marques de commerce de la demanderesse. Les moyens de défense invoqués par les défenderesses sont réguliers et pertinents au regard des actions de la demanderesse et la demande reconventionnelle est liée à ces moyens de défense.

[16]            Il est clair que, selon les anciens articles 424 et 427 des Règles, une modification visant l'ajout d'une nouvelle cause d'action pouvait être autorisée même lorsqu'il y avait prescription, si la nouvelle cause d'action reposait sur des faits qui étaient les mêmes ou essentiellement les mêmes que ceux de la cause d'action initiale, dans la mesure où il paraissait équitable de l'autoriser. (Voir Domco Industries Ltd. c. Mannington Mills Inc. [1990] A.C.F. no 269 (CA). Selon moi, il n'y a rien dans le régime des nouvelles Règles qui modifie cette jurisprudence et d'ailleurs, le projet de révision des Règles de la Cour fédérale donne à penser que les anciennes Règles continueront de s'appliquer à cet égard.


[17]            Enfin, pour ce qui concerne la première question, je suis d'avis que le protonotaire Hargrave, dans Bande indienne de Fox Lake c. Reid Crowthers & Partners Ltd., [2003] C.F. 197 (1re inst.) analyse correctement l'interprétation qu'il faut donner aux Règles anciennes et nouvelles :

[21]          Quelques décisions de la Cour fédérale portent sur l'autorisation de modifier un acte de procédure lorsqu'un délai de prescription est écoulé. Avant l'adoption des Règles de 1998, la Cour d'appel avait souligné qu'une modification visant l'ajout d'une nouvelle cause d'action pouvait être autorisée lorsqu'il y avait prescription, si la nouvelle cause d'action reposait sur les mêmes faits que la cause d'action initiale ou sur des faits substantiellement similaires, dans la mesure où il paraissait équitable de l'autoriser (voir, par exemple, Francoeur c. M.R.N. (1992), 140 N.R. 389 (C.A.F.), à la p. 391, et Domco Industries Ltd. c. Mannington Mills Inc. (1990), 107 N.R.198 (C.A.F.), à la p. 210, autorisation d'appel refusée (1991), 127 N.R. 239). La décision Scottish & York Insurance Co. c. Canada (2001) 180 F.T.R. 115, rendue par le juge Teitelbaum est plus actuelle parce que fondée sur les nouvelles Règles. On avait fait valoir qu'il n'était possible d'alléguer une nouvelle cause d'action malgré la prescription que dans les circonstances prévues à la règle 76. La règle 76 permet de modifier un acte de procédure pour corriger le nom d'une partie ou changer la qualité en laquelle la partie introduit l'action, et la règle 77 énonce que ces modifications sont possibles même si le délai de prescription est expiré. La défenderesse, qui contestait la requête pour modification, a avancé que l'autorisation de modifications après l'écoulement du délai de prescription ne pouvait se faire que sous le régime de la règle 76, c'est-à-dire pour les seules fins de corriger le nom d'une partie ou de changer la qualité en laquelle une partie introduit l'instance. Le juge Teitelbaum a adopté une position plus large, selon laquelle, notamment, la règle générale réagissant les modifications, la règle 75, ne se limite pas au type de modifications prévues par la règle 76 et la règle 201 autorise les modifications visant à invoquer une nouvelle cause d'action dans la mesure où celle-ci découle de faits essentiellement analogues aux faits sur lesquels repose la cause d'action initiale, même s'il y a prescription (aux pages 124 et 125).

                                                                                                [Non souligné dans l'original.]

[18]            Quant à la deuxième question liée à une erreur concernant les dates de premier usage, l'avocat de la demanderesse prétend qu'il s'agit d'une erreur de bonne foi et que, conformément à la jurisprudence, ce type d'erreur n'est pas un motif d'invalidation d'un enregistrement.


[19]            WCC Containers Sales Ltd. c. Haul-All Equipment Ltd. (2003), 28 C.P.R. (4th) 175 dit clairement que ni la fraude ni l'intention de tromper ne constitue un élément nécessaire lorsqu'une demande d'enregistrement de marque de commerce renferme des déclarations fausses relativement à des éléments importants.

[20]            Selon moi, il n'est pas évident que les modifications ne révèlent aucun moyen de défense raisonnable. Il ne m'appartient pas, dans le présent appel, de prévoir si une modification aura du succès au procès. Il s'agit d'une question qu'il appartient au juge du procès de trancher compte tenu de la preuve dont il est saisi.

[21]            Enfin, je ne suis pas disposé à modifier les dépens accordés par le protonotaire à l'égard de la requête dont il était saisi. Il s'agit d'une question purement discrétionnaire qui n'est pas déterminante pour l'issue de la cause. La demanderesse n'a pas établi que le protonotaire a manifestement commis une erreur.


                                        ORDONNANCE

L'appel est rejeté. Les dépens suivront l'issue de la cause.

« F. Lemieux »

Juge

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-705-02

INTITULÉ :               SEANIX TECHNOLOGY INC.

c.

SYNNEX CANADA LIMITED et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                              VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 7 FÉVRIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :                                   LE 15 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS :

Paul Smith                    POUR LA DEMANDERESSE

Anthony Prenol            POUR LES DÉFENDERESSES

Michael Vaillancourt

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Paul Smith Intellectual Property Law POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (C.-B.)

Blake, Cassels & Graydon LLP                         POUR LES DÉFENDERESSES

Toronto (ON)


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