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Date : 20051003

Dossier : IMM-2176-05

Référence : 2005 CF 1333

Ottawa (Ontario), le 3 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

FERIZ DEMAJ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée aux termes de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), qui vise la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 11 mars 2004, a déclaré que M. Feriz Demaj (le demandeur) n'était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi.

LES FAITS

[2]                Le demandeur est un citoyen albanais. Pendant qu'il vivait dans ce pays, il étudiait l'ingénierie à l'Université de Tirana. Il vient d'une famille d'agriculteurs qui partageait une parcelle de terrain avec la famille Bardhi depuis plus de deux siècles. Cependant, à la suite d'une vive altercation entre sa famille et les Bardhi, le frère du demandeur a tué, en légitime défense, un membre de la famille Bardhi.

[3]                Le demandeur soutient que la famille Bardhi veut se venger contre les membres de sa famille et qu'il a, par conséquent, été obligé d'abandonner ses études et de vivre barricadé dans la maison familiale à Tropoje, dans le nord de l'Albanie, pendant près de quatre ans, jusqu'à ce qu'il parte pour le Canada le 3 mai 2004.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[4]                1.     La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n'était pas crédible?

2.     La Commission a-t-elle commis une erreur en ne donnant pas au demandeur la possibilité de présenter des observations?

ANALYSE

1.     La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n'était pas crédible?

[5]                La principale question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire porte sur la façon dont la Commission a apprécié la crédibilité du demandeur. Dans des affaires comme celle-ci, la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable, comme la Cour l'a expliqué dans Anthonimuthu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. n ° 162, au paragraphe 45 :

Pour ce qui concerne la question de crédibilité, il est évident que la Cour doit beaucoup hésiter à intervenir lorsqu'il s'agit d'une décision en matière de crédibilité rendue par la Commission, qui a eu l'avantage d'entendre les témoins. Plusieurs jugements le mentionnent, les décisions quant à la crédibilité, qui constituent « l'essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits » ne sauraient être infirmées à moins qu'elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve (Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.); Siad c. Canada (Secrétaire d'État), [1997] 1 C.F. 608 (C.A.F.); Oyebade c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de Immigration), [2001] A.C.F. no 1113; Sivanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 662 (C.F.).

[6]                Comme cela a été mentionné, le demandeur affirme avoir vécu avec sa famille à Tropoje, dans le nord de l'Albanie, pendant près de quatre ans, jusqu'à ce qu'il parte pour le Canada le 3 mai 2004. Le demandeur soutient également que la Commission a conclu à tort qu'il n'avait pas établi qu'il vivait effectivement à Tropoje, étant donné qu'il a présenté un certificat médical prouvant qu'il vivait dans cette localité. Cette note mentionne que le demandeur a été admis à l'hôpital le 3 septembre 2003 et qu'il a quitté l'hôpital le 4 septembre 2003. Cette note établit tout au plus que le demandeur a déclaré vivre à Tropoje pendant le mois de septembre 2003. Elle ne mentionne pas que le demandeur ait été présent dans cette ville pendant toute la période de 2000 à 2004.

[7]                En outre, j'estime qu'il était raisonnable pour la Commission de tenir pour acquis que le demandeur ne se trouvait pas à Tropoje pendant la période mentionnée, étant donné qu'il existait au dossier d'autres éléments qui montraient ce qui suit :

  • Le permis de conduire du demandeur indique que son lieu de résidence est Tirana, et non pas Tropoje, même si ce document a été délivré le 25 avril 2000;

  • Le demandeur n'a présenté qu'un billet d'avion pour un vol Londres-Toronto mais pas de billet montrant qu'il avait quitté Tirana ou Tropoje, ce qui a amené la Commission à croire que le demandeur ne se trouvait pas en Albanie avant de venir au Canada;

  • Le passeport du demandeur portait un tampon de la ville de Rozvadov en République tchèque daté du 13 mars 2004. Le demandeur a toutefois déclaré avoir obtenu son passeport à Tirana à la fin du mois d'avril 2004, date postérieure à celle du tampon;

  • Le passeport du demandeur ne contenait aucun autre tampon; rien n'indique qu'il ait quitté son pays ou qu'il soit resté trois jours à Londres comme il le prétend.

[8]                Compte tenu des faits ci-dessus présentés à la Commission, il n'était pas déraisonnable qu'elle conclue que le demandeur n'avait pas établi qu'il résidait effectivement à Tirana et que, par conséquent, sa crédibilité était gravement compromise.

[9]                La Commission est toutefois allée plus loin et a examiné d'autres aspects de la demande du demandeur pour se prononcer sur sa crédibilité. La Commission a accordé une attention particulière au fait que le demandeur n'a pas produit de papiers militaires, étant donné que le service militaire est obligatoire en Albanie. Le demandeur fréquentait l'université avant le début de la vendetta et soutient que les étudiants sont dispensés de service militaire en Albanie. La Commission n'a manifestement pas été convaincue par cette réponse, notant que la preuve documentaire indique que les étudiants peuvent bénéficier d'un sursis mais qu'ils doivent effectuer leur service militaire à la fin de leurs études. La Commission a trouvé suspect que le demandeur, qui avait interrompu ses études pendant quatre ans, n'ait aucun papier militaire et que les autorités albanaises n'aient pas pris des mesures pour obliger le demandeur à respecter ses obligations militaires.

[10]            Étant donné le peu de documents présentés par le demandeur pour établir qu'il a effectivement vécu à Tropoje pendant quatre ans, il était loisible à la Commission d'interroger le demandeur et de se fier à son témoignage.

[11]            Il appartient à la Commission de tirer des conclusions sur la question de la crédibilité et la Cour doit faire preuve de retenue sur ce point. J'estime que le demandeur ne m'a pas convaincu que la Commission a commis une erreur susceptible de révision dans son appréciation de la crédibilité du demandeur.

2.     La Commission a-t-elle commis une erreur en ne donnant pas au demandeur la possibilité de présenter des observations?

[12]            Le demandeur affirme que la Commission a violé l'équité procédurale en ne lui donnant pas la possibilité de répondre au fait qu'il n'avait fourni qu'un seul élément de preuve concernant son frère.

[13]            Dans Rasiah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2004 CF 1379, le juge Lemieux a commenté les conclusions relatives à la crédibilité fondées sur les contradictions et les omissions et fait référence aux conclusions de la juge Tremblay-Lamer dans Ngongo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1999] A.C.F. n ° 1627, en déclarant au paragraphe 14 :

J'ajouterais que, dans la décision Ngongo, la juge Tremblay-Lamer avait recensé plusieurs facteurs permettant de dire si une contradiction doit être signalée à un demandeur d'asile avant que le tribunal ne mette en doute la crédibilité de celui-ci. Les facteurs qu'elle avait mentionnés étaient les suivants : La contradiction est-elle évidente? Est-elle unique (la décision du tribunal reposait-elle sur une seule contradiction ou sur plusieurs?)? [...]

[14]            Étant donné que la Commission a rendu sa décision en se fondant sur les nombreuses contradictions et omissions constatées au dossier, le fait que la Commission n'ait pas donné au demandeur la possibilité de présenter des observations au sujet du manque d'éléments de preuve concernant son frère n'indique pas qu'il y a eu violation de l'équité procédurale.

[15]            J'estime que la Commission n'a pas commis d'erreur en concluant que le demandeur n'était pas digne de foi et que la Commission n'a pas violé l'équité procédurale en ne fournissant pas au demandeur la possibilité de présenter des observations.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.       La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.       Aucun des avocats n'a proposé de question pour certification.

« Pierre Blais »

Juge

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                           IMM-2176-05

INTITULÉ :                                                          FERIZ DEMAJ

                                                                              c.

                                                                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                              ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                    Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                  le 21 septembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                          LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS

ET DE L'ORDONNANCE :                                LE 3 OCTOBRE 2005

COMPARUTIONS :

Jeffrey Nadler                                                          POUR LE DEMANDEUR

Ian Demers                                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jeffrey Nadler                                                          POUR LE DEMANDEUR

Westmount (Québec)

John H.Sims, c.r.                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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