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     Date : 20000107

     T-3049-92

OTTAWA (ONTARIO), LE 7 JANVIER 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE J.-E. DUBÉ

E n t r e :

     BUREAU EN GROS LTÉE,

     demanderesse

         (défenderesse reconventionelle)

     et

     THE CANADIAN OFFICE DEPOT INC., OD INTERNATIONAL, INC.,

     OFFICE DEPOT, INC. et DAVID FUENTE,

     défendeurs

     (demandeurs reconventionnels)

     et

     JACK BINGLEMAN, STAPLES, INC.,

     et THOMAS G. STEMBERG,

     défendeurs reconventionnels.


     ORDONNANCE


     La demande est rejetée. Les dépens suivront l"issue de la cause.



    

     Juge

Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.





     Date : 20000107

     T-3049-92

E n t r e :

     BUREAU EN GROS LTÉE,

     demanderesse

         (défenderesse reconventionelle)

     et

     THE CANADIAN OFFICE DEPOT INC., OD INTERNATIONAL, INC.,

     OFFICE DEPOT, INC. et DAVID FUENTE,

     défendeurs

     (demandeurs reconventionnels)

     et

     JACK BINGLEMAN, STAPLES, INC.,

     et THOMAS G. STEMBERG,

     défendeurs reconventionnels.


     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ

[1]      Les défendeurs (Office Depot) demandent la dissolution de l"injonction interlocutoire en date du 17 mai 1993 (l"injonction ontarienne) par laquelle le juge Rouleau a interdit à Office Depot d"utiliser l"appellation " Office Depot " en liaison avec la vente de fournitures de bureau et de services connexes en Ontario. La requête est fondée sur deux moyens : le défaut de diligence et le changement de circonstances.

1. Le défaut de diligence

[2]      Office Depot affirme qu"après avoir obtenu l"injonction interlocutoire, la demanderesse (Bureau en Gros) n"a fait aucune diligence dans l"affaire avant juillet 1994. Des négociations officielles en vue d"un règlement ont eu lieu entre juillet 1994 et juillet 1995, mais ces négociations n"étaient pas censées se faire au détriment de l"avancement de l"affaire. Entre juillet 1995 et mai 1996, les parties ont échangé de la correspondance au sujet de l"enquête préalable. Le 1er octobre 1996, les parties ont convenu de contremander l"enquête préalable prévue pour les 10 et 11 octobre 1996 en raison des négociations entamées en vue d"une éventuelle fusion. Entre juillet 1995 et octobre 1996, Bureau en Gros n"a pris aucune mesure pour faire avancer l"affaire. Le 10 septembre 1998, Office Depot a expressément avisé Bureau en Gros qu"elle était tenue de faire instruire l"action dans les plus brefs délais. D"autres négociations ont eu lieu en vue d"un règlement, mais selon Office Depot, ces négociations ne se faisaient pas au détriment de l"instruction de l"action. Le premier interrogatoire préalable a eu lieu le 31 mai 1999. Ainsi, selon les calculs d"Office Depot, l"instruction de l"action accusait un retard de 52 mois ou de quatre ans et quatre mois.

[3]      Finalement, bien que les interrogatoires préalables aient commencé en mai 1999 et que la première série soit maintenant terminée, Bureau en Gros a, le 6 décembre 1999, modifié ses actes de procédure pour ajouter l"imitation frauduleuse de la couleur de ses magasins (le rouge) à ses conclusions d"imitation frauduleuse. Suivant Office Depot, ce nouveau moyen modifie considérablement la nature de la cause et il nécessite la tenue d"une série entièrement nouvelle de communication préalable et d"interrogatoires préalables. En conséquence, la cause est loin d"être prête à être instruite.

[4]      En revanche, Bureau en Gros soutient que depuis l"ordonnance prononcée le 8 avril 1999 par le juge Simpson, les parties ont tout mis en oeuvre pour se préparer pour le procès et pour la présente requête. Les actes de procédure ont été modifiés. Il ne reste plus qu"à trancher la requête présentée par la demanderesse pour forcer Office Depot à répondre à environ 70 questions auxquelles elle a refusé de répondre et à trancher la requête présentée par les défendeurs pour forcer Bureau en Gros à répondre à la trentaine de questions auxquelles elle a refusé de répondre. La communication des pièces est maintenant complétée (sous réserve d"éventuels refus) et l"interrogatoire préalable de toutes les parties est terminé (sous réserve d"éventuels refus). En résumé, la présente action est essentiellement prête à être instruire, selon Bureau en Gros.

[5]      À mon avis, les deux parties se sont montrées, à des moments différents et pour des raisons qui leur sont propres, peu intéressées à faire instruire la présente affaire. Bien sûr, le demandeur qui a obtenu une injonction interlocutoire est tenu de faire instruire sa cause par le tribunal dans un délai raisonnable. Son défaut d"agir peut se solder par la dissolution de l"injonction1. Mais, lorsque les deux parties se contentent pendant une période de temps prolongée d"exercer leurs activités respectives en respectant les conditions de l"injonction interlocutoire déjà prononcée, il sied mal à l"une d"entre elles d"accuser soudainement l"autre partie d"inertie lorsque la situation a évolué de telle sorte que l"injonction interlocutoire qui a été rendue ne lui convient plus.

[6]      J"estime par ailleurs qu"Office Depot n"a subi aucun préjudice en raison de l"écoulement du temps, car c"est la première fois qu"elle soutient que les marques de commerce " BUSINESS DEPOT " et " OFFICE DEPOT " ne créent plus de confusion. En octobre 1999, Office Depot a déposé une défense et demande reconventionnelle modifiée dans laquelle elle soutient que les marques de commerce " BUSINESS DEPOT " et " OFFICE DEPOT " ne créent plus de confusion depuis au moins mars 1999.

[7]      J"estime en conséquence que, dans ces conditions, le défaut de diligence ne constitue pas un motif valable permettant de dissoudre l"injonction interlocutoire. Il constitue plutôt une bonne raison d"agir avec plus de diligence en vue de préparer le procès.

2. Changement de circonstances

[8]      Office Depot souligne que la Cour peut modifier les modalités d"une injonction lorsque les faits et les circonstances ont changé depuis le prononcé de la première décision et lorsque les faits invoqués ne sont plus valables2. Office Depot allègue qu"en l"espèce, la situation a radicalement changé au cours des six dernières années et que les faits à la base de l"injonction de 1993 ne sont plus valables. Parmi les nouvelles circonstances, mentionnons les suivantes :

     (1)      L"appellation OFFICE DEPOT est maintenant connue en Ontario. La défenderesse a acquis une réputation et un achalandage en Ontario en ce qui concerne l"appellation OFFICE DEPOT.
     (2)      Le mot DEPOT est devenu un terme descriptif courant et n"est pas associé en soi à une marque de commerce.
     (3)      La demanderesse a remplacé le nom de sa propre marque par celui de STAPLES et de STAPLES Bureau en Gros / STAPLES Business Depot presque partout au pays.
     (4)      Il est désormais acquis qu"il n"y a aucun risque de confusion entre OFFICE DEPOT et BUSINESS DEPOT.
     (5)      La demanderesse ne subira pas un préjudice irréparable si la défenderesse est autorisée à employer sa marque de commerce OFFICE DEPOT en Ontario comme elle le fait dans l"Ouest canadien.


[9]      Bureau en Gros soutient toutefois qu"il y a maintenant des éléments de preuve concrets tendant à démontrer qu"il existe une confusion entre les marques de commerce " BUSINESS DEPOT " et " OFFICE DEPOT ", alors qu"il n"y en avait pas en mai 1993 lorsque le juge Rouleau a rendu son injonction interlocutoire quia timet . Le juge Rouleau affirmait en effet, à la page 237 : [TRADUCTION] " Il n"y a encore eu aucun élément de preuve tendant à démontrer l"existence d"une confusion ou d"un risque de confusion ". Depuis lors, de nombreux cas de confusion se sont produits, bien qu"Office Depot exploite ses magasins en Ontario sous l"appellation et la marque d"" Office Place ". En conséquence, le fondement même de l"injonction interlocutoire s"en est trouvée renforcé. Bureau en Gros a déposé des affidavits citant des exemples de confusion.

[10]      Les deux parties ont cité des témoignages d"experts contradictoires qui démontrent divers degrés de confusion ou d"absence de confusion. Manifestement, la meilleure tribune pour discuter de ces témoignages d"expert est un procès dans le cadre duquel le juge président peut vérifier la crédibilité et la compétence des témoins experts et le bien-fondé des questions posées.

[11]      Finalement, la charge de la preuve est très onéreuse dans le cas d"une requête en modification ou en dissolution d"une injonction interlocutoire. Le requérant doit établir selon la prépondérance des probabilités que les faits véritables sont radicalement différents des faits sur le fondement desquels l"ordonnance initiale a été prononcée ou que les faits ont changé au point où les faits à la base de la première ordonnance ne sont tout simplement plus valables3. À mon avis, Office Depot n"a pas satisfait à ce critère.

3. Moyens subsidiaires

[12]      À titre subsidiaire, Office Depot cherche à faire interdire à Bureau en Gros d"employer la marque de commerce " BUSINESS DEPOT " dans l"Ouest canadien, pour le cas où la Cour jugerait qu"il existe un risque de confusion entre les marques de commerce " STAPLES BUSINESS DEPOT " et " OFFICE DEPOT " dans cette partie du pays. Ce moyen subsidiaire n"a pas été soutenu avec beaucoup d"enthousiasme à l"audience. En tout état de cause, le vice-président d"Office Depot, David Campbell, a déclaré que les marques de commerce " STAPLES BUSINESS DEPOT " et " OFFICE DEPOT " peuvent coexister sans créer de confusion. Dans sa défense et demande reconventionnelle modifiée, Office Depot affirme qu"il n"y a aucun risque de confusion entre les marques de commerce " OFFICE DEPOT " et " STAPLES BUSINESS DEPOT ". Business Depot a accepté cette admission de fait dans sa réponse et défense modifiées à la demande reconventionnelle. En conséquence, il n"est pas nécessaire de prononcer l"injonction sollicitée à titre subsidiaire pour l"Ouest canadien.

4. Dispositif

[13]      Il s"ensuit que la présente demande de dissolution de l"injonction interlocutoire prononcée par le juge Rouleau est rejetée. La Cour ordonne toutefois aux deux parties de procéder avec toute la diligence voulue à la production des documents, à la poursuite des interrogatoires préalables et à la présentation d"une demande conjointe de fixation d"une date et d"un lieu d"instruction. Si l"une des deux parties se rend coupable d"un défaut de diligence, l"autre partie peut présenter à la Cour une requête en vue d"obtenir un règlement rapide de la question. Les dépens suivront l"issue de la cause.

OTTAWA (Ontario)

Le 7 janvier 2000.

    

     Juge

Traduction certifiée conforme



Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :              T-3049-92

INTITULÉ DE LA CAUSE :      BUREAU EN GROS LTÉE c. THE CANADIAN OFFICE DEPOT INC. et autres

LIEU DE L"AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L"AUDIENCE :          Les 21 et 22 décembre 1999


MOTIFS DE L"ORDONNANCE prononcés par le juge Dubé le 7 janvier 2000



ONT COMPARU :

Mes Harvey Strosberg, c.r.                  pour la demanderesse

et Jonathan G. Colombo

Mes R. Scott Jolliffe, Neil R. Belmore          pour les défendeurs

et Peter W. Choe


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Gignac, Sutts                          pour la demanderesse

Windsor (Ontario)

Gowling, Strathy & Henderson              pour les défendeurs

Toronto (Ontario)

__________________

1      Voir les décisions Ciba-Geigy Lltd. c. Novopharm , 77 C.P.R. (3d) 428 et Bourganis v. Glarentzos, 19 O.R. (2d) 327.

2      R.W. Blacktop c. Artec Equipment Co., (1991) 35 C.P.R. (3d) 254, à la page 257 (C.F. 1re inst.).

3      Voir le jugement du juge Teitelbaum dans l"affaire White Consolidated Industries, Ltd. c. Beam of      Canada Inc. , (1990), 32 C.P.R. (3d) 196, aux pages 199 et 200.

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