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                                                  IMM-3549-95

 

 

Ottawa (Ontario), le mercredi 27 novembre 1996

 

 

En présence de : Monsieur le juge Gibson

 

 

 

 

 

ENTRE

 

                    HAROLD GEORGE HINDS,

 

                                                   requérant,

 

                             et

 

 

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

 

                                                      intimé.

 

 

 

 

                         ORDONNANCE

 

 

 

 

          La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision qui fait l'objet du contrôle est annulée et l'affaire renvoyée à l'intimé pour qu'il procède à un réexamen d'une façon conforme aux présents motifs.

 

 

          Les questions suivantes sont certifiées :

1.Les mots «danger pour le public au Canada» qui figurent au paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration comportent-ils une notion de «danger présent ou futur» à laquelle il est nécessaire de satisfaire?

 

 

 

2.Le paragraphe 70(5) est‑il incompatible avec les exigences de la justice fondamentale du fait qu’il ne prévoit pas l’obligation de motiver une décision selon laquelle une personne constitue un danger pour le public au Canada?

 

3.L’omission de motiver une décision rendue en vertu du paragraphe 70(5) selon laquelle une personne constitue un danger pour le public au Canada, dans le contexte de la procédure utilisée pour cette décision, va‑t‑elle à l’encontre des exigences de la justice naturelle et de l’équité en matière de procédure?

 

 

 

 

                                       FREDERICK E. GIBSON   

                                                Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme                          

                                 Tan Trinh-viet


 

 

 

 

 

 

 

                                                  IMM-3549-95

 

 

 

 

 

ENTRE

 

                    HAROLD GEORGE HINDS,

 

                                                   requérant,

 

                             et

 

 

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

 

                                                      intimé.

 

 

 

 

                   MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

 

 

 

LE JUGE GIBSON

 

 

 

              Les présents motifs découlent d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle l'intimé, se fondant sur le paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration[1], a estimé que le requérant constituait un danger pour le public au Canada.  L'attestation de la décision de l'intimé est datée du

12 décembre 1995, et elle a été communiquée au requérant le même jour au cours d'une suspension d'audition de l'appel interjeté par le requérant, devant la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, d'une mesure de renvoi qui avait auparavant été prise contre lui.

 

          Le contexte factuel de la présente demande peut être brièvement résumé comme suit.  Le requérant est citoyen de la Jamaïque.  Le 1er mars 1996, il avait trente ans.  Il a obtenu, avec sa mère, le droit d'établissement au Canada le 7 février 1987.  Il réside au Canada avec son conjoint de fait et ses deux enfants.  Il a un casier judiciaire d'adulte comportant trois condamnations.  En 1988, il a été déclaré coupable de voie de fait avec une arme pour laquelle il a été condamné à un jour d'incarcération et à une amende de 200 $.  En 1992, il a été déclaré coupable d'avoir importé une quantité importante de marijuana, et il a été condamné à une peine d'emprisonnement de quinze mois.  Sa troisième condamnation a eu lieu en septembre 1994, et il s'agissait d'une voie de fait sur un agent de la paix.  Il a été condamné à une amende de 750 $.  Entre sa seconde condamnation et sa troisième condamnation, une mesure de renvoi a été prise contre lui.  À l'époque, l'intimé l'a avisé par écrit qu'une autre condamnation entraînerait son renvoi du Canada.


 

          Le 12 novembre 1995, l'intimé a avisé le requérant qu'il envisageait d'émettre un avis de danger contre lui sous le régime du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration.  Les documents qui seraient examinés par l'intimé ont été communiqués au requérant.  Il a eu la possibilité de présenter des observations.  Son avocat a présenté des observations en son nom.

 

          Le requérant avait interjeté appel de la mesure de renvoi prise contre lui devant la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.  L'audition de son appel a eu lieu le 12 décembre 1995.  Au cours de l'audition, le représentant de l'intimé à l'audition a avisé la Commission qu'aucun avis de danger ne serait émis contre le requérant.  Le représentant de l'intimé et l'avocat du requérant ont essentiellement convenu qu'un sursis d'exécution du renvoi serait approprié.  Un ajournement de l'audition a été déclaré.  Au cours de l'ajournement, on a signifié au requérant l'attestation de l'avis de danger formulé par l'intimé contre lui.  Il en résulte que l'audition devant la section d'appel a encore une fois été ajournée, et il y a eu invitation à présenter des arguments sur la question de savoir si la section d'appel continuait d'avoir compétence pour connaître de l'appel dont elle était saisie.

 

          Le 19 décembre 1995, le requérant a été arrêté aux fins de son renvoi du Canada.  Le juge Rouleau de la Cour a suspendu l'exécution du renvoi par ordonnance en date du 27 décembre 1995.

 

          Dans les documents écrits déposés et au bref débat tenu devant moi, l'avocat du requérant a soutenu qu'il y avait lieu d'empêcher l'intimé «...de délivrer l'attestation ou de s'appuyer sur celle-ci, ou à la fois de délivrer l'attestation et de s'appuyer sur celle-ci», il s'agit de l'avis de danger, en raison de la suite des événements qui ont eu lieu devant la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié et au cours de l'ajournement.  Selon l'avocat, son recours aux observations du représentant de l'intimé devant la SAI était au détriment de son client.  J'ai refusé d'examiner cet argument.  J'estime que cela ne se rapporte simplement pas à la présente demande de contrôle judiciaire de la décision de l'intimé selon laquelle le requérant constituait un danger pour le public au Canada.  L'examen d'un tel argument serait fait une autre fois à l'occasion d'une demande différente.  Il n'y a pas lieu de l'examiner en l'espèce.

 

          L'avocat du requérant m'a avisé que l'appel interjeté par le requérant devant la SAI n'a pas encore définitivement tranché.  Lorsque cet appel le sera et s'il l'est, il sera loisible au requérant de demander le contrôle judiciaire de cette décision si la SAI tranche la question de compétence à son encontre.  À l'occasion d'une telle demande, il pourrait très bien être loisible au requérant de parler de fin de non-recevoir contre l'intimé du fait de la conduite de son représentant devant la SAI, de recours à cette conduite et de la signification ultérieure de l'attestation de l'avis de danger.

 

          À part la question de fin de non-recevoir, l'avocat du requérant a soulevé devant moi seulement deux questions.  En premier lieu, l'avocat soutient que la conclusion de l'intimé selon laquelle le requérant constitue un danger pour le public au Canada n'était simplement pas celle qu'il lui était loisible de tirer compte tenu des documents dont il disposait.  En second lieu, l'avocat prétend que l'intimé n'a pas appliqué les principes d'équité procédurale au cas du requérant, dans la procédure adoptée pour formuler son avis.

 

          L'intimé, par l'entremise de son délégué, disposait d'une importante preuve concernant l'avis de danger.  Parmi les documents dont disposait l'intimé se trouvait un [TRADUCTION] «Rapport relatif à l'avis ministériel quant au danger pour le public, paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration», daté du 4 décembre 1995 et signé par un agent, probablement dans le ministère de l'intimé, et auquel le directeur de l'agent a apparemment souscrit le jour suivant.  La recommandation de l'agent figurant à la page 6 du rapport est la suivante :

 

[TRADUCTION] Compte tenu des renseignements ci-dessus et ayant réexaminé tous les facteurs pertinents, je recommande que, en application du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, le ministre exprime son avis que le susnommé constitue un danger pour le public.

 

 

 

          Le paragraphe suivant figure dans une partie du Rapport relatif à l'avis intitulée [TRADUCTION] «analyse raisonnée du danger» :

 

[TRADUCTION] Ainsi qu'il a été mentionné dans l'argument de l'avocat, Harold Hinds dit Peter Hinds a après été arrêté à la suite d'une enquête menée par la police secrète au cours des mois de mai et de juin 1987 sur un réseau de trafic de stupéfiants.  Au cours de l'enquête, le sujet et son frère Trevor Hinds, ainsi que deux femmes, étaient présumément présents et «avaient l'oeil sur» une transaction de stupéfiants menée par une troisième femme, et une fouille ultérieure d'une résidence louée par Horold Hinds et une femme a donné la preuve de l'existence d'accessoires pour l'usage de stupéfiants.  À ce moment-là, la femme a admis avoir tiré la chasse d'eau pour faire partir de la cocaïne.  Harold Hinds a été arrêté et accusé de trafic de stupéfiants, a reçu l'ordre de subir son procès relativement à cette accusation et a par la suite été acquitté comme l'a noté l'avocat.  Bien qu'une partie de l'infraction ait eu lieu dans une résidence louée par le sujet, il semble qu'il n'y ait aucune preuve de fond pour impliquer matériellement le requérant dans l'infraction(s).

 

 

 

 

Je m'abstiens de commenter l'opportunité de s'appuyer, dans une «analyse raisonnée du danger», sur les circonstances entourant les événements qui ont conduit à une accusation contre le requérant dont il a été acquitté.  Il suffit de noter que : 1) il s'agissait de l'un des trois seuls paragraphes constituant l'«analyse raisonnée du danger» dans le rapport, et, étant donné l'acquittement et le contexte limité dans lequel il figure, il peut être seulement considéré comme hautement préjudiciable; et 2) il a débuté comme si le document avait été introduit selon la thèse de l'avocat du requérant;  en fait, l'avocat du requérant a commenté les événements enregistrés pour réfuter les commentaires défavorables dans le document présenté par les agents de l'intimé pour que ce dernier les examine.  Dans ce document, selon l'avocat, il est indiqué que le frère du requérant [TRADUCTION] «s'est laissé punir pour le protéger».  L'avocat souligne en fait que le frère du requérant a été déclaré coupable par un tribunal compétent alors que le requérant a été acquitté.  Il était invraisemblable qu'un argument laissant entendre que le frère du requérant «s'est laissé punir pour le protéger» soit de poids.

 

          Dans le même rapport relatif à l'avis figurent les deux phrases suivantes :

 

[TRADUCTION]  L'argument de l'avocat comprend des déclarations qui font état d'évaluations psychiatriques faites par un docteur Davis; malheureusement aucune évaluation n'a été incluse dans les observations.  Je prendrai contact avec l'avocat pour déterminer si elles n'ont pas été incluses du fait d'une omission et, dans l'affirmative, je demanderai qu'elles soient envoyées par télécopieur dans les meilleurs délais.

 

 

 

 

Ces phrases ont été rayées, mais elles sont lisibles.  On y ajoute une note marginale qui dit :

 

[TRADUCTION] Les évaluations ont été incluses dans les observations.

 

 

 

Commentant les observations faites par l'avocat du requérant, l'agent, pour ce qui est de l'évaluation et des conseils psychiatriques, laisse entendre qu'ils «...visent peut-être un but intéressé».  Sans qu'une analyse ait été faite pour étayer ce membre de phrase, je conclus qu'il peut seulement être considéré comme de la pure spéculation.

 

          Le document présenté au délégué du ministre comprenait un autre document intitulé [TRADUCTION] «Avis du ministre aux fins des paragraphes 70(5) & (6) de la Loi sur l'immigration, portant que l'intéressé est un danger pour le public, examen des cas d'étrangers ayant des antécédents criminels»  Il est signé par un agent indiquant son accord avec la recommandation dans le document susmentionné.   Le formulaire indique également qu'un [TRADUCTION] «chef» y souscrit.  L'agent dit :

 

[TRADUCTION] Il est intéressant de noter que la personne qui a fait l'évaluation psychologique de M. Hinds est un psychologue en sport.  Je ne sais pas comment cette spécialité se rapporte à sa capacité d'évaluer le danger pour le public selon la Loi sur l'immigration.

 

 

 

Apparemment, l'agent a oublié le fait que l'auteur de l'évaluation, selon son CV inclus dans son évaluation, est un psychologue clinique de pratique privée de 1973 à la date de son évaluation, c'est-à-dire le 15 novembre 1995, soit quelque vingt ans, a acquis une importante expérience communautaire qui ne se rapporte pas à la psychologie sportive et a eu plusieurs publications dans les domaines de l'étude psychologique à l'exception de la psychologie sportive.

 

          Je me suis étendu assez longuement sur l'avis donné au délégué de l'intimé sur la question de savoir si un avis de danger pour le public était justifié parce que je suis convaincu qu'il n'était pas d'une valeur supérieure.  Je présume que le délégué de l'intimé se sera appuyé dans une grande mesure sur la note d'avis pour déterminer s'il y a lieu d'estimer que le requérant constitue une danger pour le public.  Je parviens à cette conclusion pour deux motifs :  premièrement, je conclus que tous les efforts requis pour préparer la note n'auraient pas été déployés si on ne devait pas s'y appuyer; deuxièmement, étant donné le volume de la documentation figurant dans ce dossier et dans des dossiers équivalents, je conclus qu'il est très probable, quoique peu approprié, que le délégué de l'intimé s'appuie dans une grande mesure sur l'avis qu'il reçoit parce qu'il se peut qu'il n'existe simplement pas assez d'heures dans la journée pour que le délégué de l'intimé lui-même examine, en détail, tous les documents.

 

          La question de savoir si une telle note d'avis constitue une «preuve extrinsèque» invoquée par le délégué de l'intimé et aurait donc dû être partagée avec le requérant et son avocat, qui aurait alors dû avoir la possibilité d'y répondre avant qu'une décision n'ait été prise, n'a pas été débattue devant moi[2].  Je ne commenterai donc pas davantage ce point.

 

          En l'absence de motifs de la décision de l'intimé selon laquelle le requérant constitue un danger pour le public au Canada et aucune raison n'ayant été donnée, il est impossible de répondre à la préoccupation que le délégué de l'intimé peut s'être appuyé, dans une grande mesure, sur un avis d'une valeur dont on ne peut dire qu'elle soit supérieure en prenant la décision qui fait maintenant l'objet du contrôle.

 

          Dans l'affaire Bahadori c. Canada (M.C.I.)[3], le juge Wetston a fait cette remarque :

 

Qu'une personne constitue un danger pour le public dépend des faits en cause. Les faits étayent-ils la conclusion que cette personne constitue en fait un danger pour le public au Canada? Il ne s'agit simplement pas de la question de savoir si l'opinion est subjective ou objective. C'est davantage la question de savoir si les faits étayent la conclusion que, en droit, cette personne constitue un danger pour le public au Canada.

 

 

 

La Cour estime  que ce qui est essentiel sous le régime de cette disposition consiste à déterminer si les faits étayent la conclusion que M. Bahadori constitue un danger présent ou futur pour le public au Canada.

 

[non souligné dans l'original]

 

          Dans l'affaire Thompson c. Canada (M.C.I.)[4], après avoir cité le passage ci‑dessus extrait de la décision Bahadori, j'ai conclu en ces termes :

 

Il ne fait aucun doute qu'en raison du crime très grave qu'il a commis, le requérant était passible, à juste titre, d'expulsion; cependant, le fait d'être considéré comme un danger pour le public au Canada, combiné à la condamnation, a d'autres répercussions; il supprime le droit d'interjeter appel devant la Section d'appel de la Commission de l'immigration du statut de réfugié. Pour que cette mesure s'ensuive, il faut, outre la condamnation, une preuve de danger présent ou futur.           

 

 

 

 

Selon les éléments de preuve dont disposait l'intimé en l'espèce, il se peut très bien qu'il soit loisible à l'intimé ou à son délégué de conclure, après avoir soigneusement soupesé ces éléments de preuve, que le requérant constitue un danger présent ou futur pour le public au Canada.  Mais l'analyse dans l'avis devant être présenté à l'intimé ou à son délégué était simplement trop vicié, conclus-je, pour étayer une telle décision, et il n'y a simplement pas lieu de conclure que le délégué de l'intimé a lui-même analysé et soupesé suffisamment les éléments de preuve.

 

          Dans l'arrêt Northwestern Utilities Ltd. et autres c. Edmonton[5], le juge Estey, s'est, au nom des sept juges de la Cour suprême, prononcé en ces termes aux pages 705 et 706 :

 

 

 

Les recueils judiciaires regorgent de jugements affirmant qu'il est souhaitable sinon obligatoire en common law , de rendre des décisions motivées : voir Re Gill Lumber Chipman (1973) Ltd. v. United Brotherhood of Carpenters & Joiners of America, Local Union 2142, le juge en chef Hugues du Nouveau-Brunswick; Macdonald c. La Reine, le juge en chef Laskin du Canada, à la page 262).  Cette obligation est salutaire : elle réduit considérablement les risques de décisions arbitraires, raffermit la confiance du public dans le jugement et l'équité des tribunaux administratifs et permet aux parties aux procédures d'évaluer la possibilité d'un appel et, le cas échéant, au tribunal siégeant en révision ou en appel d'accorder une audition complète, qui serait peut-être inaccessible si les motifs de la décision n'étaient pas révélés.  Toutefois, cela ne signifie pas que la décision d'un tribunal administratif est susceptible de révision pour l'unique raison qu'elle n'est pas motivée, en l'absence d'obligation légale ou réglementaire en ce sens[6].

 

 

          [Non souligné dans l'original]

 

 

 

 

 

Le juge Estey cite les avantages accordés lorsque des motifs sont donnés.  Par voix conditionnelle, il énonce en outre l'idée que, en l'absence d'obligation légale ou réglementaire, une décision telle que celle dont je suis saisi ne serait pas susceptible de contrôle pour l'unique raison qu'elle n'est pas motivée.  Si l'arrêt Northwestern doit être interprété comme une autorité pour cette idée, il convient alors de noter que je ne me suis pas appuyé sur l'unique omission de motiver.  J'ai plutôt conclu que l'intimé ou son délégué s'était appuyé sur une analyse et sur un avis viciés sans donner cette analyse et cet avis au requérant pour qu'il y réponde, et qu'il n'avait pas donné de motifs qui pourraient convaincre le requérant ou une cour de révision que l'intimé ou son délégué avait analysé et soupesé suffisamment les éléments de preuve[7].

 

 

          Dans L'affaire Williams c. Canada (M.C.I.)[8], Madame le juge Reed a conclu en ces termes :

 

 

Les circonstances de l'espèce sont telles que les principes de justice fondamentale, de justice naturelle et d'équité ne seront pas respectés si le requérant ne reçoit pas les motifs de la décision qui a été prise.  Cela découle d'un certain nombre de considérations.  Tout d'abord, les conséquences pour le requérant sont considérables.  En second lieu, le processus décisionnel (passant par trois paliers de fonctionnaires de l'immigration) ne donne aucune assurance que le décideur ultime considère de fait les observations du requérant.  Troisièmement, la lecture des lignes directrices publiées et de la preuve relative aux infractions du requérant qui ont constitué le fondement de la décision, ne montre pas clairement le raisonnement qui a motivé la conclusion que le requérant constitue un danger présent ou futur pour le public.  Quatrièmement, en l'absence de motifs même brefs, une cour de révision ne peut, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, déterminer si les décideurs (les délégués du ministre) appliquent des critères pertinents et légitimes en décidant qu'un individu constitue un danger pour le public au Canada.

 

Je ne dis pas que dans tous les cas où le contrôle judiciaire est le seul type d'«appel» possible, des motifs doivent être donnés.  Dans la plupart des cas, des motifs sont rendus.  Tout ce que je dis, en l'espèce, c'est qu'étant donné la nature du droit du requérant et la nature de la procédure à plusieurs niveaux adoptée, et vu l'opacité du contrôle qui ne s'accompagne pas de motifs, la justice fondamentale, la justice naturelle et l'équité exigent que soient donnés des motifs.

 

 

 

 

          Je suis tout à fait d'accord avec les conclusions de Madame le juge Reed.  Compte tenu des faits dont je suis saisi, j'estime que la justice fondamentale, la justice naturelle et l'équidé exigeaient que l'intimé motive sa décision selon laquelle le requérant constituait un danger présent et futur pour le public au Canada.  Par ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

          Après discussion avec les avocats à la fin de l'audition de l'espèce, les questions suivantes fondées sur celles certifiées par moi dans Thompson (supra) et par Madame le juge Reed dans Williams (supra) seront certifiées :

 

1.Les mots «danger pour le public au Canada» qui figurent au paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration comportent-ils une notion de «danger présent ou futur» à laquelle il est nécessaire de satisfaire?

  

2.Le paragraphe 70(5) est‑il incompatible avec les exigences de la justice fondamentale du fait qu’il ne prévoit pas l’obligation de motiver une décision selon laquelle une personne constitue un danger pour le public au Canada?

 

3.L’omission de motiver une décision rendue en vertu du paragraphe 70(5) selon laquelle une personne constitue un danger pour le public au Canada, dans le contexte de la procédure utilisée pour cette décision, va‑t‑elle à l’encontre des exigences de la justice naturelle et de l’équité en matière de procédure?

 

 

 

          Je ne certifierai pas les questions certifiées par Madame le juge Reed qui reflètent la Charte et d'autres points constitutionnels parce que ces questions n'ont pas été débattues devant moi.

 

                                       FREDERICK E. GIBSON    

                                                Juge

 

 

Ottawa (Ontario)

Le 27 novembre 1996

 

Traduction certifiée conforme                          

                                 Tan Trinh-viet


                   COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

          AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

No DU GREFFE :IMM-3549-95

 

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :Harold George Hinds c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :Calgary (Alberta)

 

 

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :Le 29 octobre 1996

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE GIBSON

 

 

EN DATE DU27 novembre 1996

 

 

 

ONT COMPARU :

 

G. Michael Sherrit                pour le requérant

 

Brad Hardstaff                    pour l'intimé

                                

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Leach Divison Worden              pour le requérant

Calgary (Alberta)

 

 

George Thomson

Sous-procureur général du Canada

                                  pour l'intimé

 

 

 

 



    [1]L.R.C.(1985), ch. I-2.

    [2]Voir Shah v. Minister of Employment and Immigration (1994), 170 N.R. 238 (C.A.F.).

    [3]25 avril 1995, IMM-4931-94 (non publié) (C.F.1re inst.).

    [4]16 août 1996, IMM-107-96 (non publié) (C.F.1re inst.).

    [5][1979] 1 R.C.S. 684 (qui n'a pas été cité devant moi).

    [6]Les affaires citées par le juge Estey sont rapportées à (1973), 7 N.B.R. (2d) 41 (N.B.S.C.A.D.).

    [7]La décision Northwestern Utilities Ltd. et autres c. Edmonton n'est qu'une décision parmi celles dont, bien qu'elles n'aient pas été débattues devant moi, je suis au courant et qui influent sur les motifs des décisions des tribunaux administratifs.  Voir : Blanchard c. Control Data Canada Ltd., [1984] 2 R.C.S. 476; S.E.P.Q.A. c. Canada (C.C.D.P.) [1989] 2 R.C.S. 879; Lever c. Canada (Commission des droits de la personne) (23 novembre 1988) A-947-87 (C.A.F.); et Mercier c. Canada (Commission des droits de la personne) (22 mars 1994) A-1095-91 (C.A.F.).  Compte tenu des faits de l'espèce, j'estime que ces décisions ne tranchent pas les questions dont je suis saisi.

    [8]18 octobre 1996, IMM-3320-95 (non publié) (C.F.1re inst.).

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