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Date : 20021206

Dossier : IMM-4793-01

Référence neutre :    2002 CFPI 1264

ENTRE :

                                                       Cecilia BARRANTES GOMEZ

                                                    Bryan SEGURA BARRANTES

                                                                                                                                              Demandeurs

ET:

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                             ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                   Défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

[1]                 Cecilia Barrantes Gomez (la « demanderesse » ) est la mère de Bryan Segura Barrantes, son fils mineur. Ils sont citoyens de Costa Rica. Son fils, né en 1988, est l'issue d'un mariage dissout en 1993 et sa revendication repose sur les mêmes faits allégués par sa mère. Leurs revendications comme réfugiés furent niées le 27 septembre 2001 par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le « tribunal » ) pour deux motifs: 1) la non-crédibilité du témoignage de la demanderesse, seule à témoigner, et 2) l'absence de crainte subjective de persécution de la part de la demanderesse.


[2]                 La demanderesse allègue une crainte bien-fondée de persécution en raison de son appartenance à un groupe social particulier: les femmes victimes de violence conjugale au Costa Rica qui ne reçoivent aucune protection de l'État.

[3]                 Dans son Formulaire de Renseignements Personnels ( « FRP » ) la demanderesse écrit avoir connu en février 1998 un individu qui devient son conjoint de fait; ils commencent à vivre ensemble en mars 1998.

[4]                 Deux mois plus tard, le comportement du cet homme, un alcoolique, envers elle change et se détériore progressivement: mauvaises manières, agressions physiques légères et, commençant en juillet 1998, plusieurs agressions physiques, sexuelles et psychologiques importantes et éventuellement, des menaces de mort.

[5]                 D'après son FRP, en décembre 1999, elle porte plainte auprès de la Délégation de la femme de l'Institut national des femmes et, en mars 2000, elle demande de l'aide à la police. Ce même mois, elle quitte son conjoint de fait mais celui-ci réussit à la retrouver et à la menacer de nouveau à trois endroits différents, le dernier chez sa mère, où elle est allée vivre.


[6]                 De mai 2000 à novembre 2000, sans son fils, elle se retrouve au Canada en visite. Elle espère que son ex-conjoint va l'oublier. Fin novembre 2000, elle retourne volontairement au Costa Rica vivre chez sa tante et rejoint son fils. Le 1er décembre 2000, elle aurait échappé de justesse une tentative d'enlèvement par son ex-conjoint au sortir d'un événement scolaire impliquant son fils. Elle se plaint à nouveau à la Délégation de la femme et dénonce son ex-conjoint au bureau du procureur de l'État.

[7]                 Le 24 décembre 2000, son ex-conjoint la retrouve chez sa mère et de nouvelles menaces auraient été proférées. Ayant obtenu l'autorisation du père de son fils, le 11 janvier 2001, elle et son fils fuient le Costa Rica pour atterrir le même jour au Canada où ils revendiquent le statut de réfugié onze jours plus tard.

[8]                 Le tribunal ne croit pas que la demanderesse a été victime de violence conjugale et arrive à cette conclusion en soulevant plusieurs contradictions dans la preuve quant aux dates de certains événements:

1)         Conflit entre son FRP et son témoignage avec deux preuves déposées par elle soit sa deuxième plainte à la Délégation de la femme (P-11) et le rapport médical (P-14) au sujet de l'enlèvement échoué début décembre 2000. Confrontée par le tribunal quant aux différentes dates, la demanderesse témoigne que la différence de dates était une erreur de la part de la personne qui a pris les détails pour sa déclaration au soutien de sa plainte et que la date dans le rapport médical provenait de la même source parce que la Délégation de la femme avait fait pour elle une demande d'une expertise médicale. Le tribunal juge:


Ces explications ne sont pas à notre avis satisfaisantes pour clarifier que nous sommes en présence de deux dates différentes sur un événement au coeur de la présente revendication, puisque c'est à peine cinq semaines plus tard que la demanderesse quittait à nouveau son pays pour revenir au Canada. Cette contradiction non expliquée entache sérieusement sa crédibilité.

2) Confusion dans le témoignage de la demanderesse sur le commencement, la durée et la fin de sa vie commune avec son persécuteur. Pour ce faire, le tribunal analyse le témoignage de la demanderesse et le compare avec les dates indiquées soit dans son FRP dans sa première dénonciation de décembre 1999 ou dans la plainte du 16 mars 2000 produite sous la pièce P-9. Par exemple, dans la pièce P-9 elle indique vivre « séparée de cet homme depuis février 2000 » ayant auparavant déclaré dans son FRP avoir cessé de faire vie commune en mars 2000. Confronté, le tribunal écrit: « elle a expliqué qu'elle avait quitté la maison le 10 mars 2000 mais qu'à partir de février, ils vivaient comme frère et soeur dans des chambres séparées et qu'il n'y avait rien entre eux » . Le tribunal n'accepte pas ses explications et conclut que « le cumul de ces lacunes, ajouté à la contradiction non expliquée de l'incident du début de décembre 2000, portent sur des points importants de la présente revendication, de sorte qu'elles entachent la crédibilité de l'ensemble du témoignage sur la vie conjugale dont elle prétend été victime de la part de son ex-conjoint » .

  •         Le retour volontaire de la demanderesse au Costa Rica en novembre 2000 fonde la conclusion du tribunal sur l'absence d'une crainte subjective d'être persécutée si elle devait y retourner. Le tribunal n'accepte pas les explications données par la demanderesse: 1) qu'avant de retourner au Costa Rica elle avait parlé à sa nièce et son fils mais qu'on lui avait dit que personne n'avait vu son ex-conjoint et 2) le désir d'être avec son fils. Le tribunal ne comprend pas pourquoi, face à la violence qu'elle avait subie au Costa Rica, elle n'a pas fait venir son fils au Canada et n'accepte pas l'explication qu'elle n'a pu rejoindre le père qui était souvent en voyage d'affaires pour obtenir son assentiment. Le tribunal conclut:

Ces explications de la demanderesse ne sont pas satisfaisantes, à notre avis, pour justifier que la demanderesse ait négligé de demander la protection du Canada lors de son premier séjour de mai à novembre 2000 et surtout qu'elle soit retournée volontairement dans son pays de persécution, sans s'être sérieusement renseignée que la possibilité que son ex-conjoint ne mette à exécution les nombreuses menaces de mort qu'il lui aurait proférées avant mai 2000, après qu'il l'ait agressée à plus d'une vingtaine de reprises entre juillet 1998 et mars 2000 y inclus dans les trois cachettes où elle se serait réfugiée en avril-mai 2000. Il nous semble invraisemblable qu'avant de quitter le Canada en novembre 2000, elle n'ait pas communiqué avec ses parents qui avaient eux-mêmes été menacés par son ex-conjoint en mai 2000 et qu'elle soit allée vivre à nouveau dans le même environnement où elle avait eu ses problèmes dont la demeure de sa mère en décembre 2000.


[10]            La jurisprudence de la Cour suprême du Canada, de la Cour d'appel fédérale et de cette Cour est constante à l'effet que la crédibilité d'un témoignage est une question de fait dont l'appréciation relève de la compétence exclusive d'un tribunal tel que la Section du statut. Cette Cour ne doit pas soupeser à nouveau les faits et ne peut pas substituer sa vision des choses de celles prises par le tribunal pourvu que celui-ci fonde ses conclusions sur la preuve et ses inférences ne sont pas déraisonnables.

[11]            En matière de contradictions, le tribunal doit confronter le témoin et demander des explications mais c'est à lui d'accepter ou non ces explications pourvu qu'il n'agisse pas déraisonnablement.

[12]            Après étude des notes sténographiques au dossier certifié, je constate que les contradictions répertoriées par le tribunal sont appuyées par la preuve et que le tribunal pouvait raisonnablement écarter les explications avancées.

[13]            L'existence d'une crainte subjective est un élément essentiel dans l'analyse de la crainte de persécution et sa présence ou son absence est fondamentalement une conclusion de fait (voir, Kamana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1695 et Gamassi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 194 F.T.R. 178, deux décisions de cette Cour s'appuyant sur deux décisions de la Cour suprême du Canada dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 et Chan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1995] 3 R.C.S. 593.

[14]            Le tribunal a conclu à l'absence de la crainte subjective de la part de la demanderesse. Cette conclusion est basée sur la preuve et n'est pas déraisonnable.


[15]            Pour ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune question certifiée n'a été proposée.

                                                                                                                                        « François Lemieux »   

                                                                                                                                                                                                                              

                                                                                                                                                            J u g e            

Ottawa (Ontario)

le 6 décembre 2002


                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

             SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                  

  

DOSSIER :          IMM-4793-01

INTITULÉ :         Cecilia Barrantes Gomez et Bryan Segura Barrantes

                                               - et -

                                                        Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration           

LIEU DE L'AUDIENCE :                         Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                       le 31 juillet 2002

MOTIFS de l'ordonnance : Monsieur le juge Lemieux

DATE DES MOTIFS :                               le 6 décembre 2002

   

COMPARUTIONS :

Me Jorge Colasurdo                                             POUR LES DEMANDEURS

Me Caroline Cloutierg                                        POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Jorge Colasurdo                                             POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-Procureur Général du Canada

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