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Date : 20000313

Dossier : IMM-873-99

ENTRE :

SHOU PING CHOU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE REED

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire contre la décision d'un agent des visas qui a refusé de délivrer un visa à la demanderesse permettant à celle-ci d'être admise au Canada en tant qu'immigrante entrepreneure.

[2]         La première question dont il convient de traiter porte sur la nature de la preuve dont je dispose, en particulier le statut des notes CAIPS de l'agent des visas.


[3]         La preuve documentaire dont disposait l'agent des visas, y compris le plan d'affaires qui a été soumis pour étayer la demande de la demanderesse, fait partie du dossier dont je dispose. La demanderesse a produit un affidavit, à l'égard duquel elle n'a pas été contre-interrogée, attestant les questions et réponses de son entrevue et celui de son époux avec l'agent des visas. Cela fait également partie du dossier dont je dispose.

[4]         Le dossier contient également des notes manuscrites, qui ont vraisemblablement été prises par l'agent des visas à l'entrevue du 28 janvier 1999, de même que des notes d'entrevue, qui ont ultérieurement été versées par l'agent des visas dans l'ordinateur le 8 février 1999 (les notes CAIPS). L'agent des visas n'a pas produit d'affidavit attestant la véracité des déclarations qu'il a faites dans ses notes manuscrites et ses notes CAIPS. La demanderesse n'a pas eu l'occasion de contre-interroger l'auteur des notes.

[5]         Il n'existe pas d'enregistrement ni de transcription de ce qui a été dit à l'entrevue. Cela soulève donc la question de savoir quel est le statut des notes CAIPS en tant que preuve de ce qui a été dit à l'entrevue, en l'absence d'un affidavit de l'agent des visas attestant la véracité de leur contenu.

[6]         Cette question a récemment été soulevée dans l'affaire Hailing Qiu c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (IMM-1022-99, 28 janvier 2000). Dans cette affaire, l'avocat m'a soumis de nombreux précédents qui ont établi que les notes d'un agent des visas, en l'absence d'un affidavit de ce dernier en attestant la véracité, ne sont pas admissibles en preuve.


[7]         Dans l'arrêt Wang c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1991] 2 C.F. 165 (C.A.), une note de service et des notes manuscrites d'un agent des visas relativement à l'entrevue ont été radiés du dossier vu l'absence d'un affidavit en attestant la véracité. La Cour d'appel a écrit, aux pages 170 et 171 :

L'intimé allègue que, en raison des inconvénients qu'il y a à organiser les dépositions des agents des visas qui, par définition, se trouvent à l'extérieur du Canada, la Cour doit accepter leurs notes comme preuve de la véracité de leur contenu même si aucun affidavit n'est produit pour en attester la véracité. Dans le présent appel, comme dans certains des autres appels entendus en série, l'agent des visas concerné a présenté des notes prises pendant l'entrevue et/ou un compte rendu rédigé beaucoup plus tard pour exposer ce dont il se souvenait.

Je ne vois rien qui puisse justifier que l'on s'écarte des normes de la preuve dans les circonstances présentes. L'intimé n'a démontré l'existence d'aucun fondement juridique permettant d'accueillir ses allégations et, à mon avis, elles sont dénuées de tout fondement pratique. En premier lieu, à moins que l'erreur qui entacherait la décision de nullité ressorte du dossier, l'immigrant envisagé, qui se trouve également, par définition, à l'extérieur du Canada, doit certifier ses éléments de preuve et, contrairement à l'agent des visas, peut ne pas être bien situé pour le faire. Il n'est pas juste d'accorder à un témoin au procès la possibilité de présenter des éléments de preuve d'une manière qui empêche leur vérification au moyen d'un contre-interrogatoire. En deuxième lieu, l'hypothèse selon laquelle il y aurait des inconvénients sur le plan administratif ne semble pas fondée solidement. Vu que les agents des visas occupent normalement des locaux où l'on peut trouver d'autres fonctionnaires devant lesquels ils peuvent prêter serment relativement à des affidavits admissibles devant les tribunaux canadiens, il ne semble exister aucune raison pratique pour laquelle sa version de la vérité ne puisse pas, avec tout autant de facilité, être présentée dans le cadre d'un affidavit tout comme sous la forme d'une note. Enfin, si un requérant désappointé voulait créer des ennuis à un agent des visas en réclamant un contre-interrogatoire, il s'ensuit que ce droit devrait s'exercer, du moins au début, à un coût assez élevé pour le requérant.

[8]         Les notes CAIPS qu'un agent des visas a versées dans l'ordinateur ne sont pas de nature différente des notes manuscrites d'un agent des visas. La seule différence se situe sur le plan de la méthode de prise des notes : les unes sont dactylographiées, les autres, manuscrites.


[9]         Plusieurs décisions ont suivi la décision Wang. Elles sont énumérées dans Yan c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), (IMM-2202-98, 3 juin 1999) (C.F. 1re inst.). Voir Fung c. Canada (MEI) (1991), 121 N.R. 263 (C.A.F.);Gaffney c. Canada (MEI) (1991), 12 Imm. L.R. (2d) 185 (C.A.F.); Qiu c. Canada (MCI) (IMM-2715-96, 16 mai 1997) (1re inst.); Ayubi c. Canada (MCI) (1997), 38 Imm. L.R. (2d) 276 (1re inst.); et Patel c. Canada (MCI) (IMM-829-98, 5 octobre 1998) (1re inst.). Dans ces décisions, l'agent des visas n'a pas produit d'affidavit attestant la véracité des notes ou de la façon dont l'entrevue s'est déroulée. En outre, la décision Wang a été citée avec approbation par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Moldeveanu c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration) (1999), 1 Imm. L.R. (3d) 105 (C.A.F.).

[10]       L'avocate du défendeur fait valoir que ces décisions ont été rendues sous le régime des anciennes Règles, et qu'il arrive maintenant souvent que la Cour permette au défendeur de se fonder sur les notes CAIPS en tant que preuve de ce qui s'est produit à l'entrevue sans que l'agent ait préalablement déposé un affidavit.

[11]       Je ne suis pas encline à me fonder sur les décisions de mes collègues qui ont pu permettre que l'on se fonde sur les notes CAIPS même si l'agent des visas n'avait pas produit d'affidavit, à moins que quelque chose n'indique que l'on avait attiré leur attention sur l'important courant jurisprudentiel susmentionné auquel on m'a demandé de renvoyer dans l'affaire Hailing Qiu, précitée.

[12]       Il ressort de la jurisprudence à laquelle on a renvoyé dans l'affaire Hailing Qiu que les notes de l'agent des visas ne sont pas admissibles sans affidavit. L'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration) (1999), 243 N.R. 22 (C.S.C.) ultérieurement. Dans cet arrêt, des semblables à celles dont il est question dans la présente affaire ont été caractérisées comme étant les motifs de la décision qui faisait l'objet du contrôle.


[13]       J'accepte donc que les notes CAIPS soient admises au dossier en tant que motifs de la décision qui fait l'objet du présent contrôle. Cependant, les faits qui sous-tendent la présente affaire sur lesquels elles sont fondées doivent être établis de façon indépendante. En l'absence d'un affidavit d'un agent des visas attestant la véracité de ce qu'il a, dans ses notes, inscrit comme ce qui a été dit à l'entrevue, les notes n'ont pas de statut en tant que preuve.

[14]       L'avocate fait valoir que je dois accepter que les faits mentionnés dans les notes sont exacts, à moins qu'ils ne soient contredits dans l'affidavit de la demanderesse. Je n'accepte pas ce point de vue. Comme je l'ai déjà mentionné, conférer ce statut au contenu des notes reviendrait à les considérer comme un élément de preuve alors qu'elles ne peuvent être ainsi considérées. De plus, l'affidavit de la demanderesse en l'espèce a été déposé avant que cette dernière ait pu prendre connaissance des notes CAIPS. On ne pouvait s'attendre à ce qu'elle réfute des déclarations qu'elle ignorait.

[15]       En l'espèce, l'agent des visas a versé ses notes CAIPS dans l'ordinateur après que l'avocate lui a télécopié une lettre, le 29 janvier 1999, pour l'aviser que ses clients estimaient que l'entrevue stait très bien déroulée et lui demander si des documents supplémentaires devaient lui être fournis. Dans ses notes CAIPS, l'agent des visas a de nouveau fait état de sa conclusion que la demanderesse n'avait pas fait de recherche pour ce qui est du type d'entreprise qu'elle envisageait d'acheter. Voici, en partie, ce que les notes contiennent : [TRADUCTION] « elle a expliquéqu'elle n'avait fait aucune recherche relativement à ltablissement et au lancement d'une entreprise » ; « elle n'a fait aucune recherche en matière de faisabilité en ce qui concerne cette entreprise ou toute autre entreprise qu'elle entendait lancer » ; « aucune recherche concrète » ; « elle a fait peu dtudes de faisabilité ou de recherche, voire aucune » .


[16]       Comme je l'ai déjà mentionné, l'agent des visas n'a pas produit d'affidavit attestant la véracité de ses observations. En outre, ces observations sont contredites par la preuve documentaire que contient le dossier, dans lequel la demanderesse présente un plan d'entreprise qui souligne son intention de lancer un magasin d'une grandeur déterminée dans l'un ou l'autre des quartiers de Toronto dont un grande partie des habitants sont d'origine chinoise (le quartier autour des rues Broadview et Gerrard dans l'est de la ville, l'avenue Midland à Scarborough, ou encore le quartier au nord de la rue Sheppard). Le plan mentionne le nombre de personnes que la demanderesse envisage d'embaucher, les sommes qu'elle entend investir, les noms et adresses de fournisseurs et les produits qu'ils sont susceptibles de lui fournir, de même que les heures d'ouverture du magasin. Le plan d'entreprise est accompagné d'annonces d'immeubles commerciaux à vendre à Toronto du type de ceux que la demanderesse soutient vouloir acheter.


[17]       Dans son affidavit, la demanderesse dit qu'on lui a demandé à l'entrevue quelle entreprise elle avait l'intention d'acheter et elle a expliquéqu'il y avait [TRADUCTION] « plusieurs endroits qui nous conviennent où il y a des magasins à vendre, telle la partie est de Toronto, au nord de la rue Sheppard. Plusieurs Chinois habitent ce quartier » . Elle dit qu'elle a répondu de la façon suivante à la question de l'agent des visas, qui lui a demandécomment elle entendait rendre l'entreprise rentable : [TRADUCTION] « J'essaierai dtendre la gamme des produits que je vends en offrant des mets chinois au barbecue. Je vendrai des mets chinois particuliers qui ne sont pas présentement disponibles là -bas » . Elle dit que l'agent des visas lui a posé la question suivante : [TRADUCTION] « Vous avez préparé votre plan d'entreprise et vous devriez être claire à ce sujet. Veuillez fournir les noms de certains fournisseurs » . Elle mentionne les noms de certains fournisseurs qu'elle a donnés en réponse.

[18]       Un des facteurs importants de la décision de l'agent des visas, comme il ressort de ses motifs, est une conclusion qui n'a aucun fondement en preuve. En conséquence, la décision qui fait l'objet du présent contrôle doit être annulée.

[19]       L'avocate du défendeur m'a demandé, dans le cas où la décision était défavorable à son client, d'accorder à celui-ci l'occasion de se demander s'il avait l'intention de proposer une question à certifier avant qu'une ordonnance ne soit rendue.

[20]       Le défendeur disposera d'un délai de dix jours, à compter de la date des présents motifs, pour faire de telles observations, après les avoir d'abord signifiées à l'avocate de la demanderesse. L'avocate de la demanderesse disposera ensuite d'un délai de dix jours pour signifier et déposer des observations en réponse à ces dernières. Le défendeur pourra, dans délai de trois jours ouvrables de la signification de la réponse de la demanderesse, déposer une réplique.

     « B. Reed »     

juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 13 mars 2000.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                              IMM-873-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :               SHOU PING CHOU c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 25 FÉVRIER 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MADAME LE JUGE REED

EN DATE DU :                                  

ONT COMPARU :   

Mme Mary Lam                                                                      POUR LA DEMANDERESSE

Mme Geraldine MacDonald                                                             POUR LE DÉFENDEUR     

AVCOATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cecil L. Rotenberg

Don Mills (Ontario)                                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                                 POUR LE DÉFENDEUR

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