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Date : 20040225   

Dossier : IMM-1039-03

Référence : 2004 CF 329

Calgary (Alberta), le mercredi 25 février 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

                                             MUHAMMAD IKRAM CHEEMA

                                                                                                                            demandeur

                                                                       et

                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                               défendeur

                         MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 31 janvier 2003, dans laquelle la Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.


[2]                Le demandeur est un citoyen du Pakistan qui allègue avoir une crainte fondée de persécution aux mains du gouvernement militaire actuel au Pakistan, de la police pakistanaise, et des membres ou anciens membres de la Ligue musulmane (LM) en raison des ses activités politiques en tant que membre du People's Youth Organization (PYO) et en tant qu'ancien membre du People's Student Federation (PSF), deux des ailes jeunesse du Parti du peuple pakistanais (PPP). Il prétend aussi être une personne à protéger.

[3]                La principale plainte du demandeur au sujet de la décision de la Commission est qu'elle ne tient pas compte des éléments de preuve qui font état d'une persécution grave aux mains de l'État. Le FRP du demandeur fournit les éléments de preuve suivants sur cette question :

[traduction]

En mai 1998, [...] [q]uand la police a attaqué notre manifestation pacifique, a commencé à nous bombarder au gaz lacrymogène et a attaqué la foule à coups de matraque, des arrestations ont suivi. J'ai été arrêté avec mes collègues Irfan Mian et Sajid Hussain qui appartenaient à notre quartier, ainsi qu'environ une douzaine d'autres personnes. Nous avons été amenés au poste de police régional de Gujranwala et détenus toute la journée et nous avons été battus. Ils nous ont traité de manière inhumaine. La police [...] nous a relâchés le lendemain avec un avertissement sévère de freiner nos activités antigouvernementales.

[...]

En avril 1999, [...] [l]a police nous a attaqués et arrêtés en même temps que d'autres travailleurs. Les policiers m'ont traité de façon très cruelle quand je leur ai demandé pourquoi nous étions détenus. Ils m'ont amené dans une pièce séparée, m'ont dévêtu et m'ont battu avec des lanières de cuir. Je ne puis oublier ce traitement inhumain. On m'a relâché après deux jours avec un avertissement sévère. Le gouvernement de la LM a continué à supprimer nos droits démocratiques.

[...]


Encore une fois, il y a des adeptes de la démocratie dans notre pays qui ne pouvaient tolérer encore un autre régime militaire sans agir, ils devaient élever leur voix pour que la démocratie soit restaurée, ce qui a eu comme résultat la création de l'ARD. Ils ont commencé à solliciter les gens pour les inciter à participer aux rassemblements, à organiser des grèves à leurs lieux de travail et à exiger la restauration de la démocratie. J'ai participé à l'un de ces rassemblements, tenu au parc Gulshan en mars 2001, et j'ai été arrêté, amené au poste de police de Model Town, et détenu pendant deux jours. Le traitement que j'ai subi aux mains de la police pendant ma détention est indescriptible. J'ai été battu et privé de tous mes droits en tant qu'être humain. Les gens de l'agence qui étaient présents m'ont menacé et incité à quitter le PPP et à travailler à l'organisation d'une cellule de PYO pour soutenir les forces militaires. Ils m'ont dit que je serais récompensé pour cela. Quand j'ai refusé, j'ai encore été battu avec brutalité. Je n'ai toujours pas l'usage de ma main droite puisque j'ai subi des blessures à deux doigts au cours de ce supplice. J'ai reçu des soins médicaux, et mes deux doigts deviennent encore engourdis.

                                                                           [Dossier de la Commission, pages 37 à 39.]

[4]                Le FRP du demandeur contient également une déclaration selon laquelle, suite à sa participation à une manifestation le 4 juin 2002, il croit faire l'objet d'accusations motivées par des raisons d'ordre politique. En effet, le demandeur a fourni de la preuve documentaire au soutien de cette conviction. À cause de contradictions dans les éléments de preuve fournis, la Commission n'a accepté ni les déclarations du demandeur ni la preuve documentaire concernant cet incident et cette conviction; cependant, la Commission a, à juste titre, poursuivi l'étude du reste des éléments de preuve. Je ne trouve pas d'erreur susceptible de contrôle dans cette portion de la décision. Toutefois, l'omission par la Commission d'étudier les éléments de preuve précités nous permet de douter qu'on en ait bien tenu compte.

[5]                La persécution subie dans le passé peut être un important signe annonciateur de persécution à venir. Puisque la Commission n'a pas tiré de conclusion défavorable en ce qui concerne les éléments de preuve précités, ils doivent être acceptés comme vrais. S'ils sont considérés véridiques, les éléments de preuve auraient dû être évalués relativement à la question du risque de persécution à l'avenir. Cela n'a pas été fait.

[6]                Les motifs de la Commission fournissent un mélange confus de questions juridiques et de conclusions de fait. En effet, il n'y a pas de conclusion claire quant à la persécution dans le passé, mais on se concentre plutôt sur la question de possibilité de refuge intérieur; cette dernière ne se pose pas tant qu'une conclusion claire sur la possibilité de persécution à venir n'a pas été tirée.

[7]                Sur la question de persécution à venir, la Commission fait deux déclarations; la première est ambiguë, et la deuxième semble contredire la première.

[8]                À la page 7 des motifs, la Commission a dit ce qui suit :

[traduction]

[...] même si j'accepte, en me fondant sur la preuve documentaire qui m'est soumise, que le demandeur pourrait subir du harcèlement de la part de la police ou des autorités gouvernementales en raison de son appartenance au PYO et de ses activités politiques au sein du PPP, les éléments de preuve qui me sont soumis démontrent que le profil PYO et PPP du demandeur et ses activités politiques sont de nature limitée et qu'ils sont centrés dans un endroit, de sorte qu'il ne serait pas perçu comme un chef bien en vue du PYO ou du PPP sur le plan national.

                                                                                     [Décision de la Commission, page 7.]


[9]                La signification de cette déclaration de la Commission a fait l'objet d'un débat au cours de l'argumentation orale : la question était de savoir si la déclaration constituait une conclusion sur la probabilité de persécution à venir.

[10]            La toute prochaine conclusion concerne la persécution à venir et se lit comme

suit :                  [traduction]

Me fondant sur l'analyse qui précède, je conclus que je ne dispose pas de suffisamment d'éléments de preuve crédibles pour établir que la crainte du demandeur d'être persécuté au Pakistan pour un motif reconnu par la Convention est bien fondée. Il n'existe pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit victime de persécution s'il devait être renvoyé au Pakistan.

                                                                                     [Décision de la Commission, page 8.]

[11]            J'estime qu'il est tout simplement insuffisant que la Commission rejette une demande fondée sur la persécution par une décision aussi faible. À mon avis, rejeter une demande comme celle en l'espèce sur la base d'un raisonnement confus et ambigu, qui ne tient apparemment pas compte de la violence extrême perpétrée à l'endroit du demandeur par la police, relatée dans les extraits cités, constitue une erreur susceptible de contrôle qui rend la décision manifestement déraisonnable.


                                        ORDONNANCE

Par conséquent, j'annule la décision de la Commission et je renvoie la présente affaire devant un tribunal différemment constitué pour qu'il statue à nouveau sur l'affaire.

                                                                      « Douglas R. Campbell »          

                                                                                                     Juge                           

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.

                                                                                                           


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                          IMM-1039-03

INTITULÉ :                                         MUHAMMAD IKRAM CHEEMA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                  CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 24 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                         LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                        LE 25 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

Birjinder P. S. Mangat                            POUR LE DEMANDEUR

Rick Garvin                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Birjinder P. S. Mangat                            POUR LE DEMANDEUR

Calgary (Alberta)                                             

Morris A. Rosenberg                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada        


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