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Date : 20050907

Dossier : IMM-3634-04

Référence : 2005 CF 1212

ENTRE :

SUGENDRAN BALATHAVARAJAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LA JUGE SIMPSON

[1]                La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 29 mars 2004 par la Section d'appel de l'immigration (la SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la décision). La SAI a rejeté l'appel interjeté par le demandeur de la mesure d'expulsion prise contre lui le 12 décembre 2001 (la mesure).

[2]                Il ressort de la mesure d'expulsion que le demandeur est un citoyen du Sri Lanka. Aucun pays de destination n'est indiqué. Il est précisé que le demandeur est une personne visée à l'alinéa 27(1)d) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, parce qu'il a été reconnu coupable de possession d'outils de cambriolage, un acte criminel prévu au paragraphe 351(1) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, pour lequel il était passible d'une peine d'emprisonnement maximal de dix ans, d'où son expulsion, en vertu du paragraphe 32(2) de la Loi sur l'immigration.

[3]                On trouve les éléments d'information suivants au sujet du demandeur dans la décision :

[3]             L'appelant est un citoyen de 26 ans du Sri Lanka. Il est arrivé au Canada en 1990 et, en 1991, s'est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention. Il est devenu un résident permanent le 12 mai 1999. Plusieurs membres de sa famille habitent au Canada, notamment sa famille immédiate composée de ses parents, un frère et une soeur. Il habite avec ses parents, son frère et sa conjointe de fait, Sherine Richard.

[4]             C'est en juin 1997 que l'appelant, alors un adulte, a commencé à avoir des ennuis avec la justice. Selon son témoignage, la famille de Sherine s'est opposée à leur union parce qu'elle est chrétienne et qu'il est hindou. Le 24 juin 1997, l'appelant a déclaré que l'un des quatre frères de Sherine a déclenché une bagarre avec l'un des amis de l'appelant dans un centre commercial. L'appelant s'est rendu au centre commercial et l'a frappé. Le frère a par la suite prévenu les parents de l'ami de l'appelant que leur fils ne devrait pas fréquenter ce dernier. L'ami a tout dit à l'appelant, et certains d'entre eux ont décidé de défier le frère qui se trouvait dans une camionnette en stationnement. On a apporté un bâton de baseball à la camionnette et le frère a été roué de coups. La camionnette a été réquisitionnée, on l'a fait rouler sur une courte distance, puis elle a été écrasée contre un mur.

[5]             Le jour suivant, l'appelant a déclaré qu'il aidait un de ses amis à réparer la chaîne stéréo de son auto à l'aide de tuyaux métalliques. Au moment où la police a arrêté l'appelant et l'a accusé de voies de fait contre le frère, il était en possession d'un de ces tuyaux métalliques.

[6]             L'appelant a été accusé de voies de fait, de vol supérieur à 5 000 $, d'avoir proféré des menaces et de port d'une arme dissimulée. Il a en fin de compte été reconnu coupable de deux chefs de voies de fait ce qui lui a valu une condamnation avec sursis, une période de probation de 12 mois et l'interdiction d'avoir en sa possession des armes à feu pendant 10 ans.

[7]             Deux mois plus tard (août 1997), l'appelant a été arrêté avec des garçons dans un stationnement à Wonderland. Il a déclaré que ses amis cambriolaient des autos et que, lorsque les autorités les ont pourchassés, un des garçons a lancé un tournevis dans la voiture où prenait place l'appelant, instrument qu'il a caché dans sa poche. Lorsqu'il a été arrêté, il a donné le nom et la date de naissance de son frère. Il a été accusé de sept infractions. Il a plaidé coupable à quatre d'entre elles et la Couronne a retiré les autres accusations. En particulier, il a été reconnu coupable de deux chefs de vol de moins de 5 000 $ (relativement à de l'argent volé et à des cartes de crédit volées), d'un chef de possession d'un outil de cambriolage (le tournevis) et d'un chef de tentative d'entrave à la justice (il a donné un faux nom et une fausse date de naissance). Il a été condamné à sept jours avec confusion des peines pour chaque chef de vol de moins de 5 000 $ et à une période de probation de un an, ainsi qu'à une peine concomitante de sept jours pour les autres chefs, mais consécutive à la première peine de sept jours.

[8]             En octobre 1997, l'appelant a été accusé en rapport avec une vitre brisée à une beignerie. Il a encore donné un faux nom lorsqu'il a été arrêté. Il a été accusé et reconnu coupable de méfait de moins de 5 000 $, d'entrave à un policier et d'omission de se conformer à un engagement. Il a été condamné à un jour et à une période de probation de quinze jours pour le méfait et à une peine consécutive de un jour pour les deux autres chefs.

[9]             En outre, l'appelant a été reconnu coupable du défaut de se conformer à la probation (février 1999), ce qui lui a valu une condamnation avec sursis et une période de probation de huit mois.

[10]           L'appelant a attiré l'attention des autorités en matière d'immigration dans le cadre de ce que l'on connaît maintenant comme le projet 1050. Au printemps de 2001, le service de police de Toronto a mis sur pied un groupe d'intervention pour lutter contre la violence dans la rue afin de régler ce problème croissant. Les deux principaux gangs de Tamouls à Toronto sont le A.K. Kannan et le V.V.T. Ces gangs sont des rivaux et, au sein de ceux-ci, il existe plusieurs gangs associés. Les Gilder Boys sont un gang du même groupe que le V.V.T. Le 18 octobre 2001, des mandats ont été exécutés de façon coordonnée dans plusieurs villes en Ontario, incluant Toronto, ce qui a donné lieu à 59 arrestations. L'appelant comptait parmi les personnes arrêtées. Le service de police de Toronto l'a identifié comme faisant partie des Gilder Boys.

REQUÊTE DU MINISTRE

[4]                Au cours de l'instruction de l'appel interjeté par le demandeur de la mesure en question, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre) a présenté une requête (la requête) demandant à la SAI d'examiner un nouveau motif d'interdiction de territoire et de conclure qu'en tant que membre du gang des Gilder Boys, le demandeur devait être interdit de territoire au Canada pour criminalité organisée au sens de l'alinéa 37(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

[5]                Au paragraphe 17 de la décision, la SAI a rejeté la requête du ministre. Elle a expliqué que l'appartenance à un gang ne pouvait servir à prouver un nouveau motif d'interdiction de territoire fondé sur l'article 37 de la LIPR. L'appartenance à un gang n'a à voir qu'avec la gravité des infractions et avec la réadaptation et la sécurité publique.

DÉCISION

[6]                La SAI a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur était membre des Gilder Boys et qu'il avait été associé à ce gang jusqu'en 2001. Cette conclusion était fondée sur le témoignage d'un informateur de police et sur la surveillance effectuée par un policier qui avait fait part de ses observations personnelles devant la SAI.

[7]                La SAI a résumé ses conclusions comme suit au paragraphe 18 de sa décision :

[18]         Selon la preuve dont je dispose, je suis d'avis que la mesure d'expulsion est valide en droit. Je conclus qu'il n'y a pas suffisamment de facteurs pour justifier l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire en faveur de l'appelant. À mon avis, l'appelant ne regrette pas d'avoir commis les crimes dont il est l'auteur et, selon des éléments de preuve crédibles, il était, à tout le moins, associé à des gens qui exerçaient des activités criminelles en 2000, soit un an après qu'il a déclaré avoir quitté ses amis et son mode de vie liés au crime. Le système de soutien de l'appelant est faible et n'a pas vraiment influé sur son comportement par le passé, ce qui indique qu'il ne pourra influer sur sa conduite dans l'avenir. Un sursis ne constitue pas une décision appropriée. Par conséquent, je rejette l'appel.

[8]                Pour en arriver à sa décision, la SAI n'a pas tenu compte des difficultés auxquelles le demandeur pourrait être exposé s'il était expulsé au Sri Lanka.

[9]                La décision était donc uniquement fondée sur les observations formulées par le demandeur au sujet des facteurs énumérés dans la décision Ribic, Marida c. M.E.I. (CAI 84-9623) (les commissaires D. Davey, Benedetti, Petryshyn, 20 août 1985), à savoir :

(1) la gravité de l'infraction ou des infractions à l'origine de la mesure de renvoi;

(2) les chances de réadaptation;

(3) le temps que l'appelant a passé au Canada et son degré d'enracinement ici;

(4) la famille au Canada et les bouleversements que le renvoi leur causerait;

(5) le soutien de la famille et de la collectivité dont l'appelant bénéficie.

QUESTIONS EN LITIGE

[10]            Dans ce contexte, le demandeur affirme que la décision est manifestement déraisonnable parce que :

1.                   La SAI n'a pas tenu compte des difficultés auxquelles le demandeur serait exposé au Sri Lanka.

2.                   La SAI ne disposait pas de suffisamment d'éléments de preuve pour pouvoir conclure que le demandeur était membre des Gilder Boys.

3.                   La SAI n'a pas tenu suffisamment compte des éléments de preuve présentés par le demandeur au sujet de sa réadaptation.

Première question

[11]            Dans l'arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, 2002 CSC 3, la Cour suprême du Canada s'est penchée sur la question de savoir si, lorsqu'elle est saisie de l'appel d'une mesure d'expulsion, la SAI doit tenir compte des difficultés auxquels l'immigrant pourrait être exposé s'il devait retourner dans son pays d'origine. Dans l'affaire Chieu, le demandeur avait la citoyenneté cambodgienne et vietnamienne. Il était arrivé au Canada grâce au parrainage de sa soeur. Il ne demandait pas le statut de réfugié au Canada. Il était devenu un résident permanent, mais on alléguait qu'il avait obtenu ce statut par suite de fausses déclarations.

[12]            Dans l'arrêt Chieu, la Cour a déclaré ce qui suit, au paragraphe 55 :

Je ne crois pas non plus que permettre à la S.A.I. de tenir compte des difficultés à l'étranger sous le régime de l'al. 70(1)b) empiète sur le pouvoir du ministre de choisir le pays de destination. Si la S.A.I. décide d'annuler ou de suspendre une mesure de renvoi, il n'y a pas d'entrave au pouvoir conféré au ministre par l'art. 52 parce qu'il n'y a plus de mesure de renvoi exigeant une décision en vertu de l'art. 52. En d'autres termes, le pouvoir du ministre de choisir le pays de destination devient inopérant lorsqu'une mesure de renvoi est annulée ou suspendue car il n'y a plus personne à renvoyer. La Loi n'empêche pas le ministre de prendre la décision visée par l'art. 52 avant l'audition de l'appel interjeté en vertu de l'al. 70(1)b), mais s'il décide d'attendre après l'audition pour prendre sa décision, il prend le risque de perdre le pouvoir de le faire parce qu'il n'y aura plus personne à renvoyer. Je suis d'avis que telle est l'intention de la Loi. Je ne vois donc aucune raison pour laquelle l'art. 52 empêcherait la S.A.I. de considérer les difficultés dans le pays de destination probable lorsqu'elle entend un appel interjeté en vertu de l'al. 70(1)b).

[13]            Se fondant sur ce passage, le demandeur soutient que l'arrêt Chieu permet d'affirmer que, lorsque le pays de destination probable est connu, la SAI doit tenir compte des difficultés auxquelles l'intéressé risque d'être exposé dans ce pays lorsqu'elle statue sur l'appel d'une mesure d'expulsion.

[14]            En l'espèce, la SAI a reconnu qu'elle était soumise à cette obligation. Elle a toutefois conclu que le demandeur ne s'était pas acquitté de la charge qui lui incombait de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'il serait expulsé au Sri Lanka. La SAI a expliqué que cette situation tenait au fait que le ministre n'avait pas choisi de pays de destination et que le demandeur était un réfugié au sens de la Convention qui continuait à bénéficier de la protection du paragraphe 115(1) de la LIPR.

[15]            À mon avis, la conclusion de la SAI suivant laquelle le demandeur faisait partie des Gilder Boys ne constitue pas une conclusion d'interdiction de territoire au sens de l'article 37 de la LIPR. Je suis renforcée dans mon opinion par le fait que la conclusion relative à l'appartenance au gang a été tirée lors d'une audience au cours de laquelle la SAI avait rejeté la requête par laquelle le ministre avait demandé à la SAI de se prononcer sur l'interdiction de territoire.

[16]            De surcroît, même si le demandeur ne possède que la citoyenneté sri-lankaise, on ne peut dire que son expulsion au Sri Lanka est « probable » alors qu'il jouit toujours de la protection du paragraphe 115(1) de la LIPR et que le ministre n'a pas encore choisi de pays de destination pour son expulsion.

Deuxième question

[17]            À mon avis, le témoignage de l'informateur de police et le témoignage direct du détective Fernandez démontrent, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur était membre des Gilder Boys et qu'il participait activement à des fraudes commises avec des cartes de crédit et des cartes de débit.

[18]            La SAI s'est servie des éléments de preuve dont elle disposait au sujet de l'association du demandeur avec les Gilder Boys pour conclure qu'il avait menti au sujet du début de la période de sa présumée réadaptation. Les sources utilisées étaient légitimes et je ne puis conclure qu'il était manifestement déraisonnable de la part de la SAI de décider que les démarches entreprises par le demandeur en vue de sa réadaptation avaient commencé deux ans après la date qu'il avait indiquée, en supposant qu'il ait effectivement entrepris de telles démarches.

Troisième question

[19]            Le demandeur affirme que la SAI n'a pas apprécié comme elle l'aurait dû les observations qu'il avait formulées au sujet de son travail et de la stabilité de sa vie familiale avec sa femme et ses parents.

[20]            Cet argument ne m'a pas convaincue. Il ressort de sa décision que la SAI a apprécié tous les éléments pertinents et que, même si elles mécontentent le demandeur, les conclusions qu'elle a tirées ne sont pas manifestement déraisonnables.

QUESTIONS CERTIFIÉES

[21]            Le demandeur a proposé la certification des questions suivantes :

1.       Qui, de la SAI ou de l'agent d'immigration chargé de l'examen des risques avant renvoi, a le pouvoir de décider si le principe du non-refoulement prévu à l'article 115 de la LIPR s'appliqueou non?

2.       La décision Soriano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 508, constitue-t-elle une interprétation juste de l'arrêt Chieu de la Cour suprême du Canada en ce qui a trait à la question de savoir si la SAI peut tenir compte de la situation qui existe dans le pays du résident permanent à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a par ailleurs été reconnu?

3.       La mesure d'expulsion qui vise un résident permanent qui s'est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention et qui précise comme seul pays de citoyenneté le pays dont il s'est enfui en tant que réfugié est-elle suffisante, sans plus d'éléments, pour établir que ce pays est le pays de destination probable, de sorte que l'arrêt Chieu s'applique et que, saisie de l'appel de cette mesure d'expulsion, la SAI doit tenir compte des difficultés auxquelles l'intéressé risque d'être exposé dans ce pays?

[22]            La première question ne sera pas certifiée parce que la réponse ne permettrait pas de trancher la présente affaire. La deuxième question ne sera pas certifiée pour la même raison. Il vaut la peine de signaler que, dans l'affaire Soriano, le pays de destination était connu (voir page 2) et que le débat tournait autour de la nature des éléments de preuve qui pouvaient être présentés pour faire la preuve des difficultés (voir page 5). Il y a toutefois lieu de certifier la troisième question en application de l'article 74 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 7 septembre 2005

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-3634-04

           

INTITULÉ :                                                    SUGENDRAN BALATHAVARAJAN

                                                                        c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 14 JUIN 2005        

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 7 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS:

Rocco Galati                                                     POUR LE DEMANDEUR

Jamie Todd                                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:      

Rocco Galati                                                     POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Galati, Rodrigues, Azevedo & Associates

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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