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                                                                                                                               Date : 20050117

                                                                                                                  Dossier : IMM-10482-03

                                                                                                                   Référence : 2005 CF 31

ENTRE :

                                          BETHOUO FELICIANO EYMARD BONI

                                                                                                                                      Demandeur

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                         ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                        Défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

[1]         Il s'agit ici d'une demande de contrôle judiciaire de la décision d'un agent des visas du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, datée du 23 octobre 2003, refusant au demandeur sa demande de permis dtudes canadien.

[2]         Le demandeur désire obtenir un bref de certiorari afin que la décision de l'agent soit annulée et qu'un nouvel examen de son dossier soit effectué par un autre agent.


[3]         Le demandeur est un citoyen de la Côte d'Ivoire, ayant séjourné au Canada d'août 1998 à novembre 2002. En arrivant au Québec, il entame des études à l'Université de Montréal en économie. Après avoir échoué certains cours auxquels il est inscrit, le demandeur se dirige vers l'Institut supérieur d'informatique (l'ISI) afin d'y poursuivre des études collégiales.

[4]         L'autorisation de séjour du demandeur expire le 30 avril 2001.

[5]         Le 15 septembre 2001, le demandeur est impliqué dans un accident de voiture lors duquel il est blessé.

[6]         En novembre 2002, le demandeur quitte le Canada pour retourner en Côte d'Ivoire afin de renouveler son autorisation de séjour pour étudiant. Il dépose trois demandes pour ce faire en date du 26 novembre 2002, 30 décembre 2002 et 6 mars 2003. Ces trois demandes sont refusées au motif que l'agent des visas ne croyait pas que le demandeur était un étudiant de bonne foi et qu'il quitterait le Canada une fois ses études complétées.

[7]         La demande qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire a été déposée le 8 septembre 2003. Les entrées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (STIDI) révèlent que le demandeur n'a pas été rencontré en entrevue. La demande est rejetée en date du 23 octobre 2003.

[8]         L'agent des visas disposait de la preuve suivante pour prendre sa décision : formulaires, lettre des avocats du demandeur, déclaration solennelle et lettre du demandeur, relevés de notes, lettre de son médecin, attestation de son père, informations sur ses comptes bancaires au Canada, informations sur son programme dtudes collégiales, lettre d'Air France confirmant son stage au sein de leur service de déploiement et assistance.


[9]         L'agent commence par rappeler au demandeur les exigences pour l'obtention d'un permis dtudes : il doit établir qu'il a de bonnes intentions, qu'il quittera le Canada au terme de la période de séjour autorisée, qu'il rencontre les conditions d'admission dans le pays, sans tomber dans l'une des catégories de personnes non admissibles au Canada, et qu'il est en mesure d'acquitter ses frais de scolarité et de subvenir à ses besoins pour la durée de son séjour au pays.

[10]       Elle procède ensuite à identifier pourquoi, à la lumière des renseignements et pièces fournis par le demandeur, elle conclut qu'il ne rencontre pas les conditions stipulées par la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la Loi) et, du même coup, qu'il ne satisfait pas aux conditions du permis dtudes. Sur le formulaire prévu à cet effet, elle coche les cases auxquelles se rattachent les conclusions suivantes :

Je ne suis pas satisfaite que vous quitterez le Canada au terme de la période de séjour autorisée. Plus exactement, vous n'avez pas convaincu l'agent des visas que les liens avec votre pays de résidence étaient suffisamment forts pour garantir votre retour après votre séjour au Canada.

Vous n'avez pas prouvé que votre profil académique était approprié aux études que vous envisagez de suivre au Canada.

[11]       Enfin, les notes dans le STIDI stipulent que l'agent fonde sa décision sur plusieurs éléments, notamment : le demandeur a échoué six cours sur seize lors de ses quatre sessions dtude à l'Université de Montréal qui ont été réparties sur trois ans, le haut taux d'absentéisme du demandeur à ses cours à l'ISI et la présence du demandeur au Canada sans statut. Elle juge que le demandeur fait preuve d'un manque de sérieux dans ses études et elle n'accepte pas son explication voulant qu'il ne pouvait suivre ses cours normalement en raison des blessures subies lors de l'accident, notant qu'il était toutefois capable d'effectuer une « recherche intensive de stage » .


[12]       La décision d'un agent des visas est une décision discrétionnaire (voir Zheng c. Canada (ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 110 (1re inst.) (QL) et Lu c. Canada (ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 579 (1re inst.) (QL)).

[13]       Cette Cour a statué dans De La Cruz c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. no 111 (1re inst.) (QL), sur ltendue de l'examen de la décision d'un agent des visas de refuser un permis de séjour pour étudiant :

. . . Pour obtenir gain de cause, les requérants ne peuvent se contenter de démontrer que [la cour aurait] pu en venir à une conclusion différente de celle de l'agent des visas. Il doit y avoir soit une erreur de droit manifeste au vu du dossier, soit un manquement au devoir dquité approprié à cette décision essentiellement administrative.

[14]       Je suis d'avis que la norme appropriée à appliquer pour effectuer le contrôle judiciaire d'une décision d'un agent des visas décidant d'une demande de permis dtudes est celle de la décision manifestement déraisonnable (voir Song c. Canada (ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 385 (1re inst.) (QL) et Li c. Canada (ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 394 (1re inst.) (QL)). Je dis ceci sachant fort bien que certains de mes collègues, dans des cas semblables à celui en l'espèce, préconisent la norme de la décision raisonnable simpliciter (voir Lin c. Canada (ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 106 (QL), Bozorg c. Canada (ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 496 (QL) et Liu c. Canada (ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1125 (QL)). Je suis humblement en désaccord. Les conclusions de l'agent ne seront pas dérangées à moins qu'elles soient déraisonnables au point d'attirer l'intervention de la Cour.


[15]       La question en l'espèce est donc de déterminer si la décision de l'agent des visas est entachée d'une erreur manifestement déraisonnable nécessitant l'intervention de cette Cour par le biais du contrôle judiciaire.

[16]       L'exigence d'obtenir un visa préalablement à l'entrée au Canada d'un étranger est établie dans l'article 11 de la Loi. Afin d'obtenir un visa, ceux souhaitant entrer au Canada à titre de visiteur doivent démontrer qu'ils quitteront le pays une fois leur séjour terminé, et ce, en vertu de l'article 20 :


20. (1) Ltranger non visé à l'article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :

a) pour devenir un résident permanent, qu'il détient les visa ou autres documents réglementaires et vient s'y établir en permanence;

b) pour devenir un résident temporaire, qu'il détient les visa ou autres documents requis par règlement et aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

20. (1) Every foreign national, other than a foreign national referred to in section 19, who seeks to enter or remain in Canada must establish,

(a) to become a permanent resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and have come to Canada in order to establish permanent resident; and

(b) to become a temporary resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.


[17]       L'article 9 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) stipule qu'un étranger doit obtenir un permis dtudes avant de pouvoir entrer au Canada pour y étudier.

[18]       La position du demandeur se résume en somme à argumenter que l'agent a commis plusieurs erreurs révisables en tirant des conclusions arbitraires et abusives. Il soutient, plus particulièrement, que l'agent des visas a ignoré plusieurs éléments de preuve soumis à l'appui de sa demande et a erré dans l'interprétation qu'elle a fait de plusieurs autres.


[19]       À ce titre, le demandeur fait valoir, dans un premier temps, que l'agent a erré quant à l'interprétation des divers éléments rattachés à ses études. Il conteste l'interprétation de ses échecs scolaires en ce que l'agent n'a pas considéré qu'il avait refait trois cours avec succès et qu'il étudiait en économie seulement pour plaire à son père. De plus, le demandeur estime que l'agent a erré en interprétant son taux élevé d'absentéisme de façon défavorable; il dit avoir fait la preuve que ses absences résultaient de retards et de l'abandon d'un cours. Le demandeur avance que l'agent a erré en concluant qu'il aurait dû avoir davantage progressé dans son cheminement en tant qutudiant après avoir passé plus de trois ans au Canada. Enfin, le demandeur avance aussi que l'agent a erré quant à l'interprétation de sa période de convalescence soutenant qu'elle n'a pas tenu compte de la lettre du médecin expliquant les séquelles de l'accident.

[20]       Le demandeur fait également valoir que l'agent a commis une erreur en concluant qu'il s'est démontré incapable de respecter les conditions légales qui lui ont été imposées en demeurant au Canada sans statut durant une période considérable. Il soumet avoir fait la preuve de son oubli de renouveler son visa et du fait qu'il se soit retrouvé dans une situation fortuite compte tenu de l'entrée en vigueur du nouvel article 221a) du Règlement qui prévoit qu'une nouvelle demande de visa ne peut être déposée durant les six mois suivant l'omission de le renouveler.


[21]       En dernier lieu, le demandeur s'oppose à la conclusion de l'agent qui s'est dite insatisfaite que le demandeur quitterait le Canada au terme de la période de séjour autorisée. Il soutient que la lettre d'Air France qu'il a déposée à l'effet que des perspectives d'emploi pourrait l'attendre en Côte d'Ivoire et le fait que sa soeur ait obtenu un permis dtudes militent en faveur de la conclusion contraire. Le demandeur se dit d'avis que l'agent n'a fait aucun effort pour déterminer la force des liens avec son pays d'origine (Zhang c. Canada (ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1885 (1re inst.) (QL)).

[22]       La position du défendeur se résume à faire valoir que l'agent a, à bon droit, tenu compte de l'ensemble de la preuve à sa disposition avant de rendre sa décision. Ses conclusions ne sont conséquemment pas, selon le défendeur, manifestement déraisonnables. Il était possible pour l'agent de conclure que le demandeur n'avait pas nécessairement l'intention d'entrer au Canada pour poursuivre ses études et qu'il ne quitterait fort probablement pas le pays au terme de son séjour. Le défendeur soutient que le demandeur n'a pas démontré que les éléments de preuve dont l'agent a tenu compte ne sont pas pertinents ou qu'elle a agi de mauvaise foi ou à l'encontre de lquité procédurale.

[23]       Tout d'abord, je suis d'avis que les conclusions tirées par l'agent quant aux cours échoués par le demandeur et à son taux élevé d'absentéisme ne sont pas manifestement déraisonnables compte tenu de l'information contenue dans les relevés de notes et autres documents fournis par le demandeur. Je ne crois pas que l'on puisse soutenir qu'il était déraisonnable que l'agent n'ait pas accepté les explications de ce dernier quant à la lente progression de son cheminement académique. Le dossier démontre qu'il a passé trois ans au Canada sans progresser clairement à ce niveau. Je ne dénote pas d'arbitraire dans la décision de l'agent; elle est fondée sur les pièces au dossier et lvaluation qu'elle en a faite n'est pas manifestement déraisonnable.


[24]       En second lieu, je ne peux accepter l'argument du demandeur que les conclusions de l'agent par rapport à la recherche de stage effectuée par le demandeur soient biaisées. Il conteste qu'elle ait retenu de cette recherche « intensive » de stage qu'il pourrait souhaiter demeurer au Canada pour y travailler. Le demandeur soutient qu'une conclusion basée sur une absence de preuve est une erreur révisable (voir les décisions de la Cour d'appel fédérale dans Kimbudi c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1982] A.C.F. no 8 (QL), Sharma c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1984] A.C.F. no 47 (QL), Abarajithan c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 54 (QL) et Todorov c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 216 (QL)).

[25]       Pourtant, selon le principe établi dans Wong (tutrice en l'instance) c. Canada (ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1049 (C.A.F.) (QL), il est permis pour l'agent d'examiner l'objectif à long terme du demandeur. Cet objectif est un élément pertinent auquel se rattache un certain poids eu égard à la totalité de la preuve quant à savoir si un permis dtudes sera accordé. Je ne peux conclure que l'agent a erré en considérant cette question et je suis d'avis que sa décision n'est pas manifestement déraisonnable. En effet, les documents démontrent que le demandeur avait un taux élevé d'absentéisme à ses cours mais qu'il poursuivait une recherche active d'un stage. Ainsi, il s'ensuit qu'on ne peut dire que cette conclusion de l'agent se fonde sur une absence de preuve.

[26]       Enfin, selon moi, les conclusions de l'agent sont supportées par la preuve au dossier. Il était permis à l'agent d'en venir à cette évaluation. Le risque que le demandeur d'un permis dtudes ne quitte pas le Canada une fois la période de son séjour écoulée est un facteur très important à examiner puisqu'il constitue le critère juridique qu'il convient d'appliquer. Ce faisant, je ne peux statuer que l'agent a tiré cette conclusion sur des bases arbitraires, dans une optique biaisée ou même de façon manifestement déraisonnable. Bref, à mon avis, la preuve au dossier, examinée de façon raisonnable, pouvait servir de fondement aux conclusions de l'agent; son appréciation des faits ntait pas manifestement déraisonnable.


[27]       Pour toutes ces raisons, j'estime que les conclusions tirées par l'agent des visas ne sont pas déraisonnables et ne méritent pas l'intervention de cette Cour. Conséquemment, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

[28]       Le demandeur se voit accorder sept (7) jours à compter de la date des présents motifs pour soumettre, avec représentations écrites, une ou des questions pour certification. Le défendeur aura sept (7) jours, à compter de la date de réception des représentations du demandeur, pour répondre.

    "Max M. Teitelbaum"         

                                                                    

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 17 janvier 2005


                                                              COUR FÉDÉRALE

                                               AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-10482-03

INTITULÉ :                                                       BETHOUO FELICIANO EYMARD BONI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                               Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                             Le 3 novembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                 Le juge Teitelbaum

DATE DES MOTIFS :                                   Le 17 janvier 2005    

COMPARUTIONS :

Me Jean-Michel Montbriand                          POUR LE DEMANDEUR

Me Diane Lemery                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jean-Michel Montbriand                                POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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