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                                                                                                                                 Date : 20050401

                                                                                                                         Dossiers : T-1121-04

                                                                                                                                             T-468-04

                                                                                                                  Référence : 2005 CF 434

ENTRE :

                                                                                                                                           T-1121-04

                                                       ELMER JOHN TROTTER

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                                                                                                                             T-468-04

                                                        NORMAN LESLIE REID

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SUPPLÉANT STRAYER

INTRODUCTION


[1]                Il s'agit de demandes de contrôle judiciaire de deux décisions du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le Tribunal) dans lesquelles le Tribunal a refusé d'examiner de nouveau ses conclusions portant sur des appels de l'admissibilité précédents. La question en litige concerne l'admissibilité de deux anciens membres de l'Aviation royale du Canada (ARC) à une indemnité pour du temps passé comme prisonnier de guerre ou à tenter d'éviter la capture en territoire ennemi ou contrôlé par l'ennemi. La question en litige consiste à déterminer s'ils ont le droit de recevoir une telle indemnité seulement à compter de la date de leurs demandes ou plutôt, comme ils le prétendent, rétroactivement au 1er avril 1976, date de l'entrée en vigueur de la loi ayant prévu pour la première fois cette indemnité.

LES FAITS

[2]                Le demandeur, Norman Reid, était membre du personnel navigant dans une mission de l'Aviation royale du Canada survolant la Roumanie en date du 7 mai 1944, lorsque son avion a été abattu, ce qui l'a amené à atterrir en Serbie. Il a évité la capture en territoire ennemi pendant 98 jours au total et s'est joint de nouveau aux forces alliées en Italie.

[3]                Elmer John Trotter a servi dans l'ARC au Royaume-Uni, volant pour les Bombardiers de Lancaster à titre de pilote ayant des affectations particulières et d'éclaireur. À sa quarante-quatrième mission, il a été abattu au-dessus de l'Allemagne et capturé. Il a passé 268 jours comme prisonnier de guerre. Au cours de cette période, il a été longuement interrogé. Il a été accusé d'espionnage à deux reprises et a été placé devant un peloton d'exécution, mais il n'a pas été exécuté.


[4]                Pendant de nombreuses années après la Seconde Guerre mondiale, il n'y avait pas de programme de dédommagement des prisonniers de guerre autre que pour les prisonniers des Japonais. En 1976, le législateur a promulgué la Loi d'indemnisation des anciens prisonniers de guerre, L.C. 1976, ch. 95. Cette Loi prévoyait le paiement d'une indemnité pour les personnes qui étaient des prisonniers de guerre d'une puissance autre que le Japon pendant la Seconde Guerre mondiale. L'article 3 de la Loi prévoyait :

3. Un prisonnier de guerre d'une autre puissance a le droit, sur demande présentée à la Commission, de recevoir un dédommagement payable en vertu de l'Annexe A...

Il n'y avait pas de mention particulière quant à la date à partir de laquelle une indemnité serait calculée. En 1978, le législateur a modifié cette Loi (S.C. 1978, ch. 11), de manière à prévoir un dédommagement semblable pour les « fugitifs » qui sont définis comme des membres des Forces canadiennes ou de Terre-Neuve qui sont entrés en territoire ennemi ou qui y ont atterri et qui ont échappé à la capture. La Loi de 1976 et la modification de 1978 comportaient une disposition d'entrée en vigueur en vertu de laquelle la Loi et la modification étaient réputées être entrées en vigueur le 1er avril 1976. Il n'est pas contesté que, puisque ces Lois renfermaient les dispositions d'indemnisation des prisonniers de guerre et des fugitifs, l'indemnité sous forme d'allocation mensuelle était versée par la Commission canadienne des pensions à compter du 1er avril 1976, sans égard à la date de présentation de la demande par un prisonnier ou par un fugitif.


[5]                Cette situation a duré jusqu'en 1987, année au cours de laquelle ces Lois ont été remplacées par des modifications à la Loi sur les pensions, L.R.C. 1985, ch. 37. La loi modificatrice, L.C. 1987, ch. 45, prévoyait un régime d'indemnité continue pour les prisonniers de guerre et les fugitifs payable sous forme de pension. Celle-ci était néanmoins toujours décrite comme une « indemnité » . La définition de « prisonnier de guerre » a été élargie de manière à inclure les fugitifs. Le nouveau paragraphe 71.2(4) ajouté à la Loi sur les pensions prévoit ce qui suit :


4) Les dispositions applicables de la partie III, à l'exception des paragraphes 38(4) à (8), s'appliquent, avec les adaptations nécessaires, au calcul de l'indemnité à laquelle les prisonniers de guerre ont droit, comme si les termes « membre des forces » ou « pensionné » signifiaient « prisonnier de guerre » et « pension » ou    « pension pour invalidité » , « indemnité » .

(4) In the determination of the entitlement of a prisoner of war to compensation, the applicable provisions of Part III, excluding subsections 38(4) to (8), apply, with any modifications that the circumstances require, as if a reference in those provisions to a member of the forces or a pensioner were a reference to a prisoner of war and as if a reference to a pension or a pension for disability were a reference to compensation.


[6]                Le Tribunal était d'avis, et c'est ce que soutient le défendeur, que cette disposition avait pour effet de rendre applicable à l'indemnisation des prisonniers de guerre l'article 39 de la partie III de la Loi sur les pensions. La partie pertinente de cette disposition est rédigée comme suit :


39. (1) Le paiement d'une pension accordée pour invalidité prend effet à partir de celle des dates suivantes qui est postérieure à l'autre :

a) la date à laquelle une demande à cette fin a été présentée en premier lieu;

b) une date précédant de trois ans la date à laquelle la pension a été accordée au pensionné.


39. (1) A pension awarded for disability shall be made payable from the later of

(a) the day on which application therefor was first made, and

(b) a day three years prior to the day on which the pension was awarded to the pensioner.        



[7]                M. Trotter n'avait jamais été informé de la Loi de 1976 initiale même s'il était en communication avec le Ministère cette année-là relativement à une autre question, quelque six mois après la promulgation de la Loi d'indemnisation des anciens prisonniers de guerre. Lorsqu'il a finalement appris qu'il pouvait avoir accès à une indemnité, il l'a demandée en 1991. Il a obtenu des prestations de pension à compter du 9 avril 1991, soit la date de sa demande présentée en vertu de la Loi sur les pensions. Le ministère des Anciens combattants a soutenu qu'en vertu de l'article 39 de la Loi sur les pensions, l'indemnité était, après la modification de la Loi sur les pensions en 1987, payable seulement à compter du jour de la demande. M. Trotter a formé plusieurs appels ayant entraîné la décision du Tribunal qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire. Le Tribunal a maintenu la position du ministère des Anciens combattants.

[8]                M. Reid n'a jamais reçu d'avis du ministère des Anciens combattants selon lequel il était admissible à une indemnité à titre de fugitif. Il l'a appris à l'automne 1999 d'un autre ancien militaire. Il a contacté le ministère des Anciens combattants et a demandé une indemnité le 23 novembre 1999. Il a fini par avoir le droit de recevoir des prestations à compter du 18 novembre 1999. Il a interjeté appel de la décision de faire débuter ses prestations seulement le jour de sa demande en 1999. Ses appels ont été rejetés, la dernière décision rendue à cet égard étant celle du Tribunal qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire.


[9]                Dans les deux cas, il a été plaidé devant le Tribunal pour le compte des appelants que le moment du début des prestations prévu par l'article 39 de la Loi sur les pensions ne devrait pas s'appliquer à l'indemnisation des prisonniers de guerre et des fugitifs. Il a en outre été plaidé qu'en vertu de la Loi d'indemnisation des anciens prisonniers de guerre et de ses modifications, l'indemnité devenait payable par versements mensuels à compter du 1er avril 1976. On a fait valoir que le législateur n'a pas communiqué, lorsqu'il a regroupé en 1987 l'indemnisation des prisonniers de guerre avec les pensions, son intention claire que ceux qui, jusqu'à ce moment, avaient droit à l'indemnité à compter du 1er avril 1976 n'y avaient plus droit une fois qu'ils avaient présenté une demande, même si c'est parce qu'on ne les avait jamais informés de l'existence de ces prestations qu'ils n'avaient pas fait de demande avant 1987. Comme le législateur n'a pas exprimé d'intention expresse à cet effet et comme le paragraphe 71.2(4) de la Loi sur les pensions est au mieux ambigu, les principes de l'interprétation des lois devraient prévaloir. Plus particulièrement, les dispositions suivantes de la Loi d'interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, ont été invoquées :


43. L'abrogation, en tout ou en partie, n'a pas pour conséquence : . . .

. . .

c) de porter atteinte aux droits ou avantages acquis, aux obligations contractées ou aux responsabilités encourues sous le régime du texte abrogé;

. . .

44. En cas d'abrogation et de remplacement, les règles suivantes s'appliquent : . . .

. . .

f) sauf dans la mesure où les deux textes diffèrent au fond, le nouveau texte n'est pas réputé de droit nouveau, sa teneur étant censée constituer une refonte et une clarification des règles de droit du texte antérieur;

43. Where an enactment is repealed in whole or in part, the repeal does not . . .

. . .

(c) affect any right, privilege, obligation or liability acquired, accrued, accruing or incurred under the enactment so repealed,

. . .

44. Where an enactment, in this section called the "former enactment", is repealed and another enactment, in this section called the "new enactment" is substituted therefor, . . .

. . .

(f) except to the extent that the provisions of the new enactment are not in substance the same as those of the former enactment, the new enactment shall not be held to operate as new law, but shall be construed and have effect as a consolidation and as declaratory of the law as contained in the former enactment;


[10]            Le Tribunal a rejeté ces arguments et a statué que l'article 39 de la Loi sur les pensions interdisait le paiement d'une indemnité à ces appelants en tout temps avant leurs demandes d'indemnisation.


[11]            Les demandeurs en l'espèce font valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en prenant la décision qu'il a prise. Pour l'essentiel, il est plaidé, pour leur part, qu'ils possédaient un droit acquis de recevoir une indemnité payable par versements en date du 1er avril 1976, droit qu'ils possèdent sans égard au moment de la présentation de leur demande.

QUESTIONS EN LITIGE

[12]            Il m'apparaît que les questions en litige essentielles qui sont soulevées par cet appel sont les suivantes :

(1)         La Loi de 1976, modifiée en 1987, donne-t-elle le droit aux demandeurs qui répondent par ailleurs aux définitions de prisonnier de guerre ou de fugitif de recevoir des paiements périodiques à compter du 1er avril 1976, peu importe le moment des demandes?

(2)         Si la réponse à (1) est « oui » , le législateur entendait-il, au moyen des modifications de 1987 à la Loi sur les pensions, mettre fin à ce droit pour les futurs demandeurs et le limiter à la période suivant une demande accueillie?

NORME D'EXAMEN

[13]            La question en litige essentielle en l'espèce réside dans l'interprétation des lois. Je suis convaincu que la norme à appliquer est celle de la décision correcte, car je ne vois aucun élément factuel en cause et aucune question qui ressort à la compétence particulière du tribunal.


ANALYSE

[14]            L'historique de cette question me laisse croire que la plupart, voire la totalité des députés qui ont participé à la promulgation de la modification de 1987 de la Loi sur les pensions auraient été très étonnés et, je crois, auraient été très préoccupés si on leur avait dit que les personnes dans la situation des demandeurs dans cette affaire, s'ils ont pu avoir connaissance du droit qui leur était conféré, se verraient interdire dans l'avenir de recevoir des prestations rétroactivement au 1er avril 1976, prestations que ces personnes auraient reçues si elles avaient présenté leur demande avant la promulgation de la Loi de 1987.


[15]            L'historique de l'adoption de la Loi de 1976 révèle assez clairement qu'à la Chambre des communes, l'une des préoccupations principales des membres des deux côtés de la Chambre résidait dans la date à compter de laquelle les anciens prisonniers de guerre pouvaient commencer à toucher une indemnité mensuelle. La Loi, dans sa version initiale, prévoyait une entrée en vigueur au moment de sa proclamation. On a demandé au ministre parrain ce que serait la date effective des paiements. Le ministre a répondu : « Je ne vois pas bien comment je pourrais me prononcer de façon absolue, mais j'estime que ce sera à la date d'entrée en vigueur du bill » (Débats de la Chambre des communes, 26 février 1976, à la page 11277). Cette question a continué à susciter des préoccupations pendant les débats et quand le projet de loi a été présenté en Comité, un seul amendement y a été apporté, soit celui prévoyant que le projet de loi serait réputé être entré en vigueur le 1er avril 1976, quoiqu'il n'ait été promulgué que plusieurs semaines après cela (voir le Hansard des débats de la Chambre des communes du 2 avril 1976, à la page 12414). L'examen des débats en comité révèle que le Comité estimait que le droit au paiement devrait prendre effet rétroactivement à une date antérieure à la promulgation effective.

[16]            De même, quand les modifications de 1978 ont été apportées pour élargir l'indemnité aux fugitifs, une clause identique a été insérée dans le projet de loi afin qu'il prenne effet le 1er avril 1976. Il n'aurait servi à rien que la date d'entrée en vigueur précède la sanction royale de ces projets de loi si l'esprit de ceux-ci n'avait pas été de rendre l'indemnité payable en date du 1er avril 1976. L'article 3 de la Loi d'indemnisation des anciens prisonniers de guerre prévoyait, comme nous l'avons cité précédemment, que l'indemnité était payable « sur demande à la Commission » . Ces mots devaient signifier qu'aucun droit à l'indemnisation n'a pris naissance avant qu'une demande soit présentée. Comme aucune demande ne pouvait être présentée avant la sanction royale du projet de loi, il était inutile de prévoir l'entrée en vigueur de celui-ci quelques semaines avant la présentation possible d'une demande, sauf si le législateur entendait accorder une indemnité mensuelle à d'anciens prisonniers de guerre payable à compter du 1er avril 1976, sous la seule réserve qu'une demande appropriée doit être faite et acceptée comme preuve du droit à cette indemnité. Comme il n'y a pas d'indication contraire dans ces lois, je dois présumer que vu l'ensemble du contexte, telle était l'intention du législateur.


[17]            Quand, en 1987, le gouvernement du jour a décidé d'abroger la Loi d'indemnisation des anciens prisonniers de guerre et d'intégrer son régime d'indemnisation dans la Loi sur les pensions, le ministre s'est dit ravi « de présenter à la Chambre une mesure législative qui présente de nombreux avantages pour les anciens combattants canadiens et leur famille » . Il a déclaré à l'égard de son projet de loi :

Le projet de loi C-100. . . éliminera des imperfections mises au jour dans certaines lois existantes. Nous voulons des lois justes et équitables pour tous les anciens combattants et leurs familles, et le projet de loi C-100 permettra d'éliminer certaines injustices qui avaient jusqu'à maintenant échappé au législateur. [...] Cependant, toutes les modifications visent à améliorer la législation existante qui vise les anciens combattants et leurs personnes à charge. (Débats de la Chambre des communes, 14 décembre 1987, aux pages 11768-11769).

Nulle part dans ces observations puis-je découvrir une déclaration d'intention niant aux anciens prisonniers de guerre et fugitifs qui n'avaient pas demandé d'indemnité l'équivalent de quelques 11 ans de prestations possibles. Par conséquent, je crois qu'il faut considérer avec une certaine prudence la position adoptée par le procureur général du Canada selon laquelle tel était l'objet des modifications de 1987 et, en particulier, l'application du paragraphe 39(1) de la Loi sur les pensions au versement d'une indemnité aux anciens prisonniers de guerre ou fugitifs.


[18]            Je tiens à souligner que le libellé du paragraphe 39(1) n'a pas été adopté tel quel à l'égard de l'indemnisation des prisonniers de guerre et des fugitifs. On constatera que le paragraphe 39(1), qui restreint de fait les paiements à la date de la demande, s'applique par l'effet de ses termes mêmes à une « pension accordée pour invalidité » . Selon moi, l'indemnité accordée aux prisonniers de guerre n'était pas « une pension accordée pour invalidité » . Même dans les dispositions adoptées en 1987 par voie de modifications à la Loi sur les pensions qui s'appliquaient expressément à ces personnes, le nouveau paragraphe 71.2(1) prévoit qu' « un prisonnier de guerre, sur demande, a droit à une indemnité égale à la pension de base. » Tel était le libellé de la Loi de 1976 selon laquelle « un prisonnier de guerre... a droit, sur demande à la Commission, à une indemnité... » Comme je l'ai indiqué, les circonstances de l'adoption de la Loi de 1976 et les dispositions prévoyant une prise d'effet rétroactive indiquent que la le législateur entendait faire en sorte que l'indemnité prenne effet à compter du 1er avril 1976. L'indemnité était payable « sur demande » , comme le prévoit le paragraphe 71.2(1) de la Loi sur les pensions. Dans le contexte de la Loi de 1976, cette expression « sur demande » faisait d'une demande authentifiée une condition préalable du versement d'une indemnité, mais la date de la demande ne définissait pas le montant de l'indemnité. Non seulement s'agissait-il, à mon point de vue, de l'intention du législateur, mais c'est ainsi que la Loi a été appliquée tout au long de son existence. Il est vrai que le paragraphe 71.2(1) qui prévoit le droit à une indemnité débute par les mots « Sous réserve du paragraphe (4)... » . Le paragraphe (4), cité précédemment, rend l'article 39 applicable de manière générale à l'indemnisation d'anciens prisonniers de guerre. Toutefois, il s'applique « avec les adaptations nécessaires » . Selon moi, les circonstances exigent une approche différente quant au droit à l'indemnisation d'anciens prisonniers de guerre et de fugitifs.


[19]            Le paragraphe 39(1) mentionne « une pension accordée pour invalidité... » . De toute évidence, une pension accordée pour invalidité et une indemnité pour avoir été prisonnier de guerre ou fugitif pendant la Seconde Guerre mondiale sont deux choses distinctes. L'invalidité, bien qu'elle doive tirer son origine de la guerre, peut avoir été évidente et diagnostiquée pendant la guerre ou à la fin de celle-ci et peut avoir été continue. Cependant, il arrive que les effets du service militaire en temps de guerre ne soient ressentis ou diagnostiqués que des années après celle-ci. Les invalidités comportent divers degrés et peuvent évoluer au fil du temps. Toutes ces questions doivent être évaluées au moyen de demandes et, dans certains cas, l'invalidité peut ne pas être apparente ou prouvée pendant des années après la guerre ou peut varier en gravité sur une certaine période. Par ailleurs, le paiement à d'anciens prisonniers de guerre ou fugitifs a été décrit comme une « indemnité » et les critères sont uniquement fonction de certains faits historiques survenus pendant la guerre qui peuvent être prouvés. Le versement d'une indemnité mensuelle a peut-être été tenu pour un moyen d'assurer des avantages plus durables aux personnes ayant droit à l'indemnité. Si celle-ci avait été payable en une somme forfaitaire, il aurait été effectivement étonnant que le droit à l'indemnité soit fonction de la date de demande de l'indemnité, quoique cette somme forfaitaire ne serait pas payable avant la présentation de la demande.


[20]            Je crois qu'en raison du renvoi croisé dans le paragraphe 71.2(4) de la Loi sur les pensions à la plupart des dispositions de la partie III de cette Loi, ce qui les rend applicables à l'indemnité, on ne peut considérer que le législateur a pris une décision particulière de diminuer l'indemnité payable à d'anciens prisonniers de guerre ou fugitifs qui n'ont pas présenté de demande auparavant parce qu'ils ne savaient pas qu'ils avaient droit à une indemnité. Il aurait été facile du point de vue juridique, mais peut-être pas du point de vue politique, de prévoir de telles dispositions dans les modifications si telle était l'intention. Dans les circonstances, le paragraphe 39(1) doit être considéré comme peu approprié par rapport à l'indemnité des prisonniers de guerre et la réserve énoncée dans le paragraphe 71.2(4) quant à l'applicabilité de la partie III « avec les adaptations nécessaires » à l'indemnité des prisonniers doit signifier que le paragraphe 39(1) n'est pas applicable.


[21]            Le libellé du paragraphe 71.2(4) étant, au mieux, ambigu, je crois que l'alinéa 43c) de la Loi d'interprétation, cité précédemment, vient étayer ma conclusion. Je crois que ces demandeurs ont acquis un droit ou un privilège une fois adoptée la législation de 1976 et de 1978. Il s'agissait d'un droit de demander une indemnité qui aurait été payable sur une base périodique à compter du 1er avril 1976. Il va sans dire que l'admissibilité d'une demande aurait été subordonnée à l'établissement des faits, ce qu'ont fait les demandeurs depuis. J'invoque ici la décision de la Cour d'appel fédérale Esso Resources Canada Ltd. c. Canada, [1990] A.C.F. no 340, dans le cadre de laquelle l'alinéa 43c) de la Loi d'interprétation a été appliqué. Dans cet arrêt, un producteur de pétrole a payé une taxe d'accise sur certains liquides de gaz naturel au cours des années 1983 à 1985. Il avait le droit, en vertu de la loi, de demander un remboursement de taxe à l'égard d'une partie de ces liquides utilisés, finalement, à des fins d'exemption fiscale. Avant que le producteur de pétrole ait pris des mesures pour demander un remboursement, les dispositions législatives en vertu desquelles la taxe était payable, et qui prévoyaient également le remboursement de la taxe versée sur les liquides exemptés, ont été abrogées. Les producteurs ont demandé un remboursement de taxes et se sont fait dire que les dispositions sur le remboursement avaient été abrogées avec la taxe. Le juge de première instance et la Cour d'appel fédérale ont statué que les producteurs possédaient un droit acquis, à savoir le droit de demander un remboursement avant que la Loi soit abrogée. Par conséquent, l'abrogation ne devait pas être interprétée comme ayant eu des répercussions sur le droit acquis de demander un remboursement. Dans l'appel Trotter interjeté devant le Tribunal, les demandeurs ont invoqué cette affaire. Le Tribunal l'a écartée, affirmant que la Cour d'appel fédérale a maintenu le droit d'Esso parce que les producteurs [traduction] « avaient pris les mesures légales nécessaires pour demander leur remboursement.... "bien avant que la législation d'abrogation ait été promulguée" » . (Dossier du demandeur, p. 159). Avec égards, je ne puis trouver une telle indication dans la décision de la Cour d'appel fédérale. La Cour a fait remarquer qu'après l'abrogation de la loi prévoyant le remboursement, « il revenait toujours au ministre de recevoir une demande et d'accorder le remboursement » , mais il a été statué que cela n'annulait pas le droit d'Esso au remboursement. (p. 5). En l'espèce, je crois que M. Trotter et M. Reid avaient acquis un droit de demander une indemnité à compter du 1er avril 1976, et que le paragraphe 71.2(4) et l'article 39 de la Loi sur les pensions ne devraient pas être interprétés de manière à abroger ce droit en l'absence d'une disposition claire à cet effet.


[22]            Pour des motifs semblables, je crois que les dispositions de l'alinéa 44 f) de la Loi d'interprétation, citées précédemment, appuient cette interprétation des dispositions actuelles de la Loi sur les pensions. Quand les modifications de 1987 ont été apportées à la Loi sur les pensions à l'égard des anciens prisonniers de guerre ou des fugitifs, rien ne laissait croire qu'une disposition comme le paragraphe 71.2(4) de la Loi sur les pensions devait s'appliquer à titre de nouvelle disposition législative. Il n'est pas nécessaire d'interpréter ainsi l'adoption très générale par renvoi de l'article 39 de la Loi sur les pensions à l'indemnisation des prisonniers de manière à abroger un ancien droit à 11 ans de prestations pour les personnes se trouvant dans la situation des demandeurs en l'espèce. Le législateur avait l'assurance que tout changement de fond constituait une amélioration de la situation, et non une détérioration. Par conséquent, je n'estime pas que le paragraphe 71.2(4) devrait être vu comme une nouvelle disposition législative à cet égard.

[23]            L'avocat du défendeur a cité deux décisions de la Cour dans lesquelles le caractère rétroactif des prestations a été limité : Cadotte c. Canada, [2003] A.C.F. no 1513 et Sangster c. Canada, [2002] A.C.F. no 117. À mon avis, il est nettement possible d'établir une distinction d'avec ces affaires. Elles portaient toutes deux sur des pensions d'invalidité dont la prise d'effet est régie par le paragraphe 39(1) de la Loi sur les pensions. Pour les motifs que j'ai énoncés, j'ai conclu que l'indemnisation du prisonnier de guerre peut être distinguée à cet égard et que l'intégration générale par renvoi de l'article 39 au paragraphe 71.2(4) ne rend pas le paragraphe 39(1) applicable à cette indemnisation.

[24]            L'avocat du défendeur a également informé la Cour que chacun de ces demandeurs avait reçu certains paiements ex gratia en reconnaissance du fait qu'ils n'avaient pu avoir l'occasion de demander des prestations à l'égard de cette période avant 1987. Cette question va au-delà de ma compétence : la véritable question dont j'ai été saisi est le droit reconnu par la loi à des prestations au cours de la période 1976-1987.


DISPOSITION

[25]            Les demandes de contrôle judiciaire seront donc accueillies, la décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) sera annulée et la question sera renvoyée au Tribunal en vue d'un nouvel examen conformément aux présents motifs.

                                                                                                                                    « B.L. Strayer »          

     Juge

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                                     T-1121-04 - T-468-04

INTITULÉ :                                        ELMER JOHN TROTTER c. P.G. DU CANADA

NORMAN LESLIE REID c. P.G. DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 23 février 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le juge suppléant Strayer

DATE DE L'ORDONNANCE :        Le 1er avril 2005

COMPARUTIONS :

Paul J. Pearlman, c.r.                                                                               POUR LES DEMANDEURS

Ward Bansley                                                                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fuller, Pearlman, McNeil

Victoria (Colombie-Britannique)                                                              POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                                                           POUR LE DÉFENDEUR


                                                                                                                               Date : 200504001

                                                                                                                             Dossier : T-468-04

OTTAWA (ONTARIO), LE 1ER AVRIL 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE STRAYER

ENTRE :

                                                        NORMAN LESLIE REID

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                                                ORDONNANCE

La décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) est annulée et la question est renvoyée au Tribunal pour un nouvel examen conformément aux motifs exposés aux présentes. Les dépens sont adjugés au demandeur.

                                                                                                                                    « B.L. Strayer »          

          Juge suppléant

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                                                                                                                                                           Date : 20050401

                                                                                                                           Dossier : T-1121-04

OTTAWA (ONTARIO), LE 1ER AVRIL 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE STRAYER

ENTRE :

                                                       ELMER JOHN TROTTER

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                                                ORDONNANCE

La décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) est annulée et la question est renvoyée au Tribunal pour un nouvel examen conformément aux motifs exposés aux présentes. Les dépens sont adjugés au demandeur.

                                                                                                                                    « B.L. Strayer »          

          Juge suppléant

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.

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