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Date : 20010919

Dossier : IMM-5398-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1029

Ottawa (Ontario) le mercredi 19 septembre 2001

EN PRÉSENCE DE : Madame le juge Dawson

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L' IMMIGRATION

                                                                                                  demandeur

                                                    - et -

        JAAFAR SERHAN, RAJAA NADI, CHADI SERHAN,

ANIS SERHAN ET IBRAHIM SERHAN

                                                                                                   défendeurs

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGEDAWSON


[1]    Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire par le ministre d'une décision de la de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Section du statut de réfugié (SSR) datée du 4 octobre 2000. Cette décision rejetait la demande fondée sur le paragraphe 69.2(1) de la Loi sur l'Immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), par laquelle le ministre voulait que la Commission détermine que les défendeurs ne sont plus des réfugiés au sens de la Convention.

LES FAITS

[2]    Les défendeurs dans cette affaire sont un père, Jaafar Serhan, son épouse, Rajaa Nadi, et leurs trois fils, tous des citoyens du Liban. À l'origine, les défendeurs ont été reconnus comme réfugiés au sens de la Convention par la SSR le 21 février 1990. La demande des défendeurs était fondée sur une crainte générale du Hezbollah, ainsi que sur la crainte par le père de l'enrôlement forcé dans cet organisme.

[3]    En 1990, suite à la première audition devant la SSR, mais avant que ne leur soit accordé le droit d'établissement, les défendeurs ont quitté le Canada pour la Syrie dans le but d'y visiter un parent malade. Au début de 1991, le permis du Ministre a expiré et les défendeurs se sont vus refuser l'admission au Canada. Plusieurs tentatives subséquentes d'entrer au Canada s'étant avérées infructueuses, les défendeurs sont allés vivre en Syrie. Entre 1992 et 1999, certains des défendeurs se sont brièvement rendus au Liban dans le but d'obtenir un secours financier et de l'aide de membres de leur famille résidant près de la frontière syrienne.


[4]                 Le 26 février 1999, le Ministre a déposé une demande en vertu du paragraphe 69.2(1) de la Loi afin qu'il soit déterminé que les défendeurs n'était plus des réfugiés au sens de la Convention. Cette demande était fondée sur le fait que les motifs de crainte de persécution au Liban tels qu'invoqués par les défendeurs n'existaient plus, et que les défendeurs étaient maintenant en mesure d'obtenir la protection des dirigeants au Liban.

LES QUESTIONS

[5]                 Le Ministre a fait valoir que la SSR avait commis une erreur de droit sur deux plans, à savoir :

i)           elle ne s'est pas interrogée sur la possibilité de l'existence d'un vrai risque de persécution pour les défendeurs; et

ii)          elle ne s'est pas demandé si les défendeurs avaient ou non prouvé de façon claire le manque de protection de l'État.

LA DÉCISION DE LA SSR

[6]                 La SSR n'a pas prétendu examiner la demande des défendeurs autrement qu'en vertu de son fondement original, en 1990, c'est-à-dire de la crainte générale du Hezbollah et de la peur du père d'être enrôlé de force par ce groupe. La partie pertinente des motifs de la SSR se lit comme suit :


Le tribunal prend note que, dans l'affaire Yusuf [TRADUCTION] « [¼] la question du "changement de situation" risquait, semble-t-il, d'être élevée, erronément, à notre avis, au rang de question de droit, alors qu'elle est, au fond, simplement une question de fait. Un changement dans la situation politique du pays d'origine du demandeur n'est pertinent que dans la mesure où il peut aider à déterminer s'il y a, au moment de l'audience, une possibilitéraisonnable et objectivement prévisible que le demandeur soit persécuté dans l'éventualité de son retour au pays. Il s'agit donc d'établir les faits [...] » .

Le tribunal conclut que les changements intervenus dans la situation du pays n'ont pas pour effet d'enlever tout fondement aux craintes de persécution des intimés.

Le conseil du ministre a déposé en preuve la pièce M-3 pour démontrer que le Hezbollah ne recrute plus des membres de force depuis 1996. Le tribunal a également passé en revue la documentation plus récente sur le pays, produite sous les cotes C-7 et C-9, et considère que la situation existant au Liban aujourd'hui en ce qui concerne le Hezbollah est encore trop instable et trop fragile pour justifier la conclusion selon laquelle les intimés ont perdu le statut de réfugié au sens de la Convention. Le retrait récent d'Israël a donné aux forces du Hezbollah une position militaire et politique encore plus forte au Liban. Le tribunal constate que la crainte principale des intimés en fuyant le Liban n'était pas réduite à une peur d'être enrôlés de force par le Hezbollah, mais se justifiait également par leur opposition à l'orientation fondamentaliste islamique radicale de celui-ci. Il est clairement démontré que le Hezbollah constitue toujours une force significative dans tout le Liban. Les intimés étaient bien connus pour leur opposition ouverte au Hezbollah - une force très puissante et militante dans le sud du pays, d'où sont originaires les intimés. Toutefois, ainsi qu'il est dit plus haut, le tribunal constate que la présence du Hezbollah est significative dans tout le pays.

[les notes en bas de page sont éliminées]

  

ANALYSE

[7]                 Le paragraphe 2(1) de la Loi définit un réfugié au sens de la Convention comme étant une personne :



a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques_:

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

(ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and

(b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2), but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act.


[8]                 Le paragraphe 2(2) de la Loi prescrit ce qui suit :


(2) Une personne perd le statut de réfugié au sens de la Convention dans les cas où_:

a) elle se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont elle a la nationalité;

b) elle recouvre volontairement sa nationalité;

c) elle acquiert une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays de sa nouvelle nationalité;

d) elle retourne volontairement s'établir dans le pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée;

e) les raisons qui lui faisaient craindre d'être persécutée dans le pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée ont cessé d'exister.

(2) A person ceases to be a Convention refugee when

(a) the person voluntarily reavails himself of the protection of the country of the person's nationality;

(b) the person voluntarily reacquires his nationality;

(c) the person acquires a new nationality and enjoys the protection of the country of that new nationality;

(d) the person voluntarily re-establishes himself in the country that the person left, or outside of which the person remained, by reason of fear of persecution; or

(e) the reasons for the person's fear of persecution in the country that the person left, or outside of which the person remained, cease to exist.


[9]                 Le paragraphe 69.2 (1) de la Loi établit ce qui suit :


69.2 (1) Le ministre peut, par avis, demander à la section du statut de déterminer s'il y a ou non perte du statut de réfugié au sens de la Convention par une personne qui s'est vu reconnaître ce statut aux termes de la présente loi ou de ses règlements.

69.2 (1) The Ministre may make an application to the Refugee Division for a determination whether any person who was determined under this Act or the regulations to be a Convention refugee has ceased to be a Convention refugee.


[10]            Donc, lors d'une demande en vertu du paragraphe 69.2(1) de la Loi, la SSR doit établir si, au moment de l'audience, un demandeur a une crainte fondée de persécution.


Ceci signifie qu'il faut déterminer si un demandeur a une crainte subjective de persécution et, si c'est le cas, il faut voir si cette crainte est bien fondée sur le plan objectif. Dans l'arrêt Canada (Procureur Général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 à la page 722, la Cour Suprême du Canada mentionne que lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a crainte de persécution, l'analyse est axée sur l'incapacité de l'État d'assurer sa protection. L'absence de protection par l'État crée une présomption quant à la vraisemblance de la persécution et quant au bien-fondé de la crainte d'un demandeur sur le plan objectif.

[11]            En bref, lors d'une demande en vertu du paragraphe 69.2(1) de la Loi, la SSR a l'obligation d'étudier les prétentions particulières d'un demandeur afin de déterminer s'il est encore possible de dire que sa prétention précise concernant la persécution est toujours fondée, eu égard aux conditions au moment de l'audience. Ceci comprend la prise en considération du fondement objectif de la demande et de l'existence de la protection de l'État.

[12]            En l'espèce, le Ministre affirme qu'une étude des motifs de la SSR et de la preuve documentaire soumise révèle ce qui suit :


a)          la conclusion du tribunal concernant le fait que « les changements intervenus dans la situation du pays n'ont pas pour effet d'enlever tout fondement aux craintes de persécution des intimés » n'indique pas que la SSR s'est demandé si les défendeurs étaient encore visés par la définition de réfugiés au sens de la Convention et éprouvaient encore une crainte fondée de persécution;

b)          la SSR a mal interprété la preuve du Ministre en ce sens que la pièce M-3 avait une portée qui dépassait largement la question de l'enrôlement forcé;

c)          la « documentation plus récente sur le pays » sur laquelle s'appuie la SSR traite uniquement de la situation générale et éventuelle au Liban et n'aborde aucunement la question de savoir si les défendeurs faisaient face à une possibilité sérieuse de persécution par le Hezbollah au Liban, et, de plus, la SSR n'a pas expliqué pourquoi un Hezbollah plus fort représenterait un danger pour les défendeurs;

d)          puisque les défendeurs ont témoigné qu'ils ne craignaient pas le Liban lui-même, la SSR se devait de tenir compte de la question de la protection de l'État.


[13]            En réponse, les défendeurs ont soumis que si la SSR a conclu qu'aucun changement dans la situation du pays n'a eu pour effet d'enlever tout fondement à leurs craintes de persécution, c'est qu'elle a bien tenu compte de toute la preuve qui lui a été présentée. Les défendeurs ont également prétendu que la preuve quant à la situation politique générale au Liban se rapportait directement à la capacité de l'État de fournir sa protection.

[14]            Bien que je sois d'accord pour dire que la SSR aurait pu offrir des motifs plus étoffés et qu'elle aurait pu traiter plus en détail de la preuve fournie au nom du Ministre, il est bien établi en droit que le simple fait de ne pas mentionner certains éléments de preuve documentaire ne signifie pas que ces éléments de preuve ont été négligés. Il est également bien établi en droit qu'il relève de l'expertise particulière et de la juridiction de la SSR d'évaluer la preuve documentaire.

[15]            Dans la présente affaire, la SSR a appliqué les critères appropriés, à savoir, elle s'est demandé si des changements intervenus ont eu pour effet d'enlever tout fondement aux craintes de persécution établies précédemment.

[16]            La documentation récente sur le pays utilisée par la SSR comprenait l'information suivante :


a)          dans les régions qu'il contrôle, le Hezbollah applique la loi islamique;

b)          l'effet immédiat du retrait d'Israël du Liban a laissé le sud du pays dépourvu d'autorité gouvernante, permettant ainsi aux guérilleros shiites du Hezbollah d'y prendre le pouvoir;

c)          l'organisme Amnistie Internationale a rapporté qu'au cours de l'année 2000, le Hezbollah a tué des civils et emprisonné des individus.

[17]            Eu égard aux motifs des défendeurs de craindre la persécution, eu égard à la preuve dont dispose la SSR que le Hezbollah connaît l'opposition préalable de M. Serhan à son régime et le recherchait encore aussi récemment qu'en 1994, eu égard à la preuve que depuis 1996 le gouvernement du Liban est à lui seul incapable d'assurer la protection de ceux qui ont de sérieux problèmes avec le Hezbollah, eu égard à la preuve soumise à la SSR que les défendeurs sont originaires du sud du Liban, et eu égard à la preuve actuelle quant au rôle du Hezbollah au Liban, je suis incapable d'affirmer que la conclusion de la SSR quant au bien-fondé de la crainte de persécution des défendeurs est erronée ou déraisonnable.

  

  

[18]            Il en résulte que la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[19]            Ni l'un ni l'autre des avocats n'a demandé la certification d'une question, et aucune question n'est certifiée.

                                           ORDONNANCE

[20]            LA COUR ORDONNE QUE :

La demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

  

            « Eleanor R. Dawson »            

Juge

  

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.

   

   

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                IMM-5398-00

INTITULÉ :                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION c. JAAFAR SERHAN, RAJAA NADI,

CHADI SERHAN, ANIS SERHAN ET IBRAHIM SERHAN

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :                                LE 10 SEPTEMBRE 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                  LE JUGE DAWSON

DATE DE L'ORDONNANCE :                       LE 19 SEPTEMBRE 2001

COMPARUTIONS

LEENA JAAKKIMAINEN                                                        POUR LE DEMANDEUR

JACK MARTIN                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. MORRIS ROSENBERG

SOUS- PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA                  POUR LE DEMANDEUR

JACK MARTIN                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

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