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                                                                                                                           IMM-551-96

 

Ottawa (Ontario), le 14 mars 1997

 

En présence de Monsieur le juge MacKay

 

 

Entre :

 

                                          GRACE ADEFUNKE AKINLOLU,

 

                                                                                                                              requérante,

 

                                                                    - et -

 

 

                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                  ET DE L'IMMIGRATION,

 

                                                                                                                                     intimé.

 

 

 

                                                          ORDONNANCE

 

 

            LA COUR,

 

            VU la demande de contrôle judiciaire par laquelle la requérante conclut à l'annulation de la décision communiquée par Avis de décision en date du 1er février 1996 et par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a jugé qu'elle n'était pas une réfugiée au sens de la Convention, selon la définition qu'en donne le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée,

 

            AYANT entendu les avocats des parties à l'audience tenue le 19 février 1997 à Toronto, à l'issue de laquelle la Cour a pris l'affaire en délibéré, vu les conclusions présentées à cette occasion et examiné le dossier de la formation de jugement de la section du statut,

 

            DÉBOUTE la requérante de sa demande.

 

 

 

                                                                                                  Signé : W. Andrew MacKay       

                                                                                ________________________________

                                                                                                                                         Juge                    

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                ________________________________

                                                                                                                       F. Blais, LL. L.            


 

 

 

 

 

 

                                                                                                                           IMM-551-96

 

 

Entre :

 

                                          GRACE ADEFUNKE AKINLOLU,

 

                                                                                                                              requérante,

 

                                                                    - et -

 

 

                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                  ET DE L'IMMIGRATION,

 

                                                                                                                                     intimé.

 

 

 

 

                                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

 

 

Le juge MacKAY

 

 

            Par cette demande de contrôle judiciaire, la requérante conclut à ordonnance portant annulation de la décision en date du 1er février 1996, par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a jugé qu'elle n'était pas une réfugiée au sens de la Convention, selon la définition qu'en donne le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée.

 

            La demande a été entendue lors d'une audience tenue le 19 février 1997 à Toronto, à l'issue de laquelle la Cour a pris l'affaire en délibéré.  Après avoir eu le temps d'examiner plus à fond les conclusions soumises à cette occasion ainsi que le dossier de l'instance devant la section du statut, la Cour rend une ordonnance portant rejet de la demande.  En voici les motifs.

 

            La requérante, citoyenne du Nigéria, est arrivée le 5 janvier 1995 au Canada où elle a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention, par ce motif qu'elle craignait d'être persécutée en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à un certain groupe social, en l'occurrence la Market Women's Association.

 

            La formation de jugement de la section du statut saisie de la revendication n'était pas convaincue que les preuves et témoignages produits justifient la crainte de la requérante d'être persécutée si elle devait retourner au Nigéria.  La formation de jugement est parvenue à cette conclusion après avoir constaté que le témoignage de la requérante n'était ni crédible ni véridique et que, vu les multiples invraisemblances relevées dans ce témoignage, il n'était pas digne de foi.  Citant la décision Sheikh c. M.E.I., [1990] 3 C.F. 238, page 244, de la Cour d'appel, la formation de jugement conclut à un tel manque de crédibilité que, même sans rejeter chaque affirmation de la requérante, elle ne voyait aucune preuve crédible ou véridique sur la foi de laquelle elle pourrait faire droit à la revendication.

 

            La requérante conteste cette décision par divers motifs, entre autres que son témoignage était cohérent, sans contradiction ni interne ni externe, et que la formation de jugement ne lui a pas dit quelles invraisemblances elle a relevées pour juger son témoignage non crédible, afin qu'elle pût y répondre à l'audience.  En particulier, la requérante soutient que la décision de la formation de jugement était centrée sur sa conclusion qu'il était invraisemblable que la requérante eût occupé les fonctions de présidente de la Market Women's Association qu'elle faisait valoir; pareille conclusion, dit-elle, était déraisonnable.

 

            En résumé, la requérante raconte qu'elle était une commerçante, qui vendait ses marchandises dans un marché, après 1988.  En 1992, elle fut élue présidente de la Nigeria Market Women's Association, Branche immobilière IPAJA, à Lagos, poste auquel elle a été réélue en 1994.  L'organisation locale, qui comptait quelque 150 membres, était l'une des nombreuses sections réparties à travers le pays.  En raison de son poste, la requérante représentait l'organisation locale et participait activement aux activités de l'association nationale en faveur de l'élection du chef Abiola en juin 1993.  Lorsque cette élection fut annulée par la dictature militaire du pays, l'association nationale a participé avec d'autres organisations aux manifestations de protestation publiques, dans lesquelles la requérante affirme avoir joué un rôle à titre de représentante de son groupement local.

 

            Après l'arrestation du chef Abiola en 1994, l'association nationale, avec le concours des groupements locaux, a tenu d'autres manifestations de protestation contre le régime militaire.  La requérante fait savoir qu'à la fin de juillet, elle s'est rendue en compagnie d'autres de Lagos à Abuja pour manifester leur soutien au chef Abiola qui devait y comparaître en justice.  À cette occasion, la police et l'armée ont lancé des grenades lacrymogènes et tiré des coups de feu sur les manifestants massés au palais de justice.  Quatre manifestants auraient été tués, mais la requérante a pu rentrer à Lagos où elle a participé par la suite à des manifestations locales.  En octobre 1994, elle fut arrêtée chez elle parce qu'elle était la présidente de la section locale de la Market Women's Association, et elle a été détenue dans une prison militaire pendant plus de deux mois sans avoir été inculpée et sans avoir pu retenir les services d'un avocat.  Elle a été battue et maltraitée par les soldats pendant sa détention.  Lors de son arrestation, sa fille aînée était présente, et la requérante lui a dit d'aller chercher de l'aide auprès d'amis.  L'une de ses amies a fini par l'aider à s'évader, en soudoyant l'un de ses gardiens.  C'est ainsi que début janvier 1995, elle a pu sortir de prison en pleine nuit avec un homme qui se faisait passer pour son mari, et ce avec l'aide du gardien soudoyé.  Elle a été conduite dans un hôtel où elle a pu faire sa toilette et prendre un repas, puis de là à l'aéroport où elle a pu quitter le pays avec de faux papiers.  Elle s'est rendue aux États-Unis, puis au Canada où elle a revendiqué le statut de réfugié.

 

            Il est vrai que le facteur déterminant de la décision de la formation de jugement est le fait que celle-ci trouve qu'il est invraisemblable que la requérante ait jamais été présidente de la section immobilière de la Market Women's Association.  Elle n'avait occupé aucun poste de dirigeante ou autre avant 1992, et le tribunal trouve qu'il est invraisemblable qu'elle eût été élue présidente sans avoir occupé auparavant un poste de moindre importance.  Elle prétend qu'elle a été élue parce qu'elle était plus instruite que les autres commerçantes, mais la formation de jugement estime que s'il en était ainsi, l'association lui aurait demandé précédemment d'assumer au bureau de l'association des fonctions au-dessous du poste de présidente.

 

            La requérante soutient que cette conclusion est inspirée par une conception des organisations connue dans le monde occidental, et que la formation de jugement ne lui a pas fait part de ses doutes à l'audience pour qu'elle pût les dissiper.  Je ne pense pas que tout doute au sujet du témoignage de la requérante ou toute invraisemblance relevée dans ce témoignage doive être porté à son attention avant que la décision ne soit rendue.  C'est à la requérante qu'il incombe d'asseoir sa revendication du statut de réfugié et de prouver que sa crainte de persécution est fondée.

 

            La formation de jugement conclut aussi que le témoignage de la requérante au sujet de son rôle de dirigeante contraste fortement avec la description bien rédigée qui figurait dans son formulaire de renseignements personnels.  On trouve dans ce dernier un aperçu clair et complet de l'objectif de l'organisation, que n'a pu présenter la requérante de vive voix malgré les questions de son avocat.  Selon la formation de jugement, quelqu'un qui a assumé pendant plus de deux ans les fonctions de présidente de l'association locale aurait répondu plus spontanément et de façon plus complète.

 

            Ces constatations ont engagé la formation de jugement à conclure que la requérante n'était pas active au sein de l'association et que le reste de son histoire était inventé.  Elle a relevé des invraisemblances qui détruisaient le témoignage de la requérante sur son arrestation, les sévices qu'elles aurait subis en prison et son évasion subséquente.  La requérante a souligné qu'après son arrestation, elle n'avait aucun contact avec qui que ce fût à l'extérieur de la prison, laquelle se trouvait dans l'enceinte d'un camp militaire.  Elle n'a pu expliquer comment son amie a été en mesure d'organiser son évasion ou comment cette amie a su où la retrouver et qui il fallait soudoyer pour lui venir en aide.

 

            De surcroît, des détails essentiels de son évasion ont été jugés aussi invraisemblables.  Enfin, la formation de jugement note qu'à même supposer qu'elle se soit trompée, que la requérante ait été une partisane et une militante travaillant pour l'élection du chef Abiola, et qu'elle ait participé aux manifestations de protestation après que cette élection eut été annulée, il n'y a toujours aucun motif pour conclure qu'elle est fondée à craindre d'être persécutée.  Sur la foi des preuves documentaires, la formation de jugement a conclu que malgré les arrestations généralisées d'opposants et de manifestants après l'annulation des élections, il appert que la plupart de ceux qui avaient été arrêtés ont été remis en liberté, et il n'y a aucune preuve concluante que la stature de la requérante fût telle qu'elle a été arrêtée comme elle le prétend, ou que, si elle avait été effectivement arrêtée, la police s'intéresserait encore à elle.  Une lettre déposée à l'appui des conclusions de la requérante, qui aurait été écrite en 1995 après son arrivée au Canada, par son amie qui, à ses dires, s'occupe de ses enfants, indique que les personnes se trouvant dans sa position au Nigéria étaient journellement recherchées et mises en prison.  Cette lettre l'exhorte à ne pas revenir au Nigéria.  La formation de jugement n'accepte pas la lettre comme étant authentique puisque, provenant soi-disant de l'amie qui s'occupait des enfants de la requérante, elle ne dit pratiquement rien à leur sujet et ne les mentionne même pas par leur prénom.

 

            Il appartient à la formation de jugement de la section du statut d'apprécier la crédibilité et la force probante des preuves et témoignages, dans son instruction des revendications du statut de réfugié.  C'est ainsi qu'elle peut rejeter des preuves non réfutées si elles ne sont pas compatibles avec les probabilités propres à l'affaire prise dans son ensemble, si elle relève des contradictions dans le témoignage ou si elle juge celui-ci invraisemblable.  Dans le cas où il y a eu une audience de vive voix et que l'appréciation de la formation de jugement est, comme en l'espèce, clairement subordonnée, du moins en partie, au fait qu'elle voit et entend le témoin, la Cour n'interviendra pas à moins de conclure que la formation de jugement fonde sa décision sur des considérations étrangères à l'affaire ou ignore des preuves dignes d'attention.  En bref, la Cour n'interviendra que si elle juge la décision manifestement déraisonnable au regard des éléments de preuve produits.

 

            Dans le cas où la décision de la formation de jugement est centrée en dernière analyse sur son appréciation de la crédibilité, la charge de la preuve qui incombe à celui qui se pourvoit en contrôle judiciaire est bien lourde, puisque la Cour doit être persuadée que la décision de la formation de jugement est abusive ou arbitraire, ou rendue au mépris des éléments de preuve dont elle dispose.  Ainsi donc, dans le cas même où la Cour pourrait tirer une conclusion différente des preuves produites, elle n'interviendra pas à moins que le requérant n'arrive à prouver que la décision de la formation de jugement n'est fondée sur aucune preuve.

 

            À mon avis, la formation de formation avait conscience des circonstances de la requérante en l'espèce.  Voici ce qu'on peut lire dans sa décision :

 

            [TRADUCTION]

                En tirant cette conclusion défavorable sur le témoignage de la demanderesse, le tribunal a pris en compte la difficulté qu'il y a à rendre témoignage même avec l'aide du meilleur des interprètes, ainsi que les différences culturelles et la nervosité que peut éprouver un témoin, même dans une instance non antagonique telle l'affaire en instance, qui se déroule dans un milieu qui lui est étranger et dont l'issue a des conséquences graves pour la demanderesse.  En outre, vu la nature des sévices que la demanderesse dit avoir subis des mains de ses gardiens de prison militaire durant ses deux mois de détention, lesquels contribuent à sa crainte, le tribunal a appliqué les directives du président relatives aux revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe, pour ce qui est à la fois de la procédure et de l'instruction au fond de la revendication.

 

            Cela dit, la décision de la formation de jugement est fondée sur sa conclusion générale que le témoignage de la requérante n'était ni crédible ni digne de foi.  Ses conclusions sont essentiellement des conclusions de fait, fondées sur cette appréciation défavorable du témoignage de la requérante.

 

            Je ne suis pas convaincu que la requérante se soit acquittée de la lourde charge de prouver que la décision de la formation de jugement de la section du statut était abusive, arbitraire ou tirée au mépris des preuves et témoignages produits (Loi sur la Cour fédérale, art. 18.1(4)d)).  Ce qui explique mon ordonnance portant rejet de cette demande de contrôle judiciaire.

 

                                                                                                  Signé : W. Andrew MacKay       

                                                                                ________________________________

                                                                                                                                         Juge                    

 

Ottawa (Ontario),

le 14 mars 1997

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                ________________________________

                                                                                                                       F. Blais, LL. L.            


 

 

                                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                           SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                           AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

NUMÉRO DU GREFFE :   IMM-551-96

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :         Grace Adefunke Akinlolu

 

                                                            c.

 

                                                            Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE : Mercredi 19 février 1997

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE MacKAY

 

 

LE :                                                    14 mars 1997

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

 

M. Edmund Anthony Clarke              pour la requérante

 

 

M. Brian Frimeth                                            pour l'intimé

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

Fox, Clarke, Shulakewych                              pour la requérante

Toronto (Ontario)

 

 

George Thomson                                             pour l'intimé

Sous-procureur général du Canada

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