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Date : 20050513

Dossier : T-2172-99

Référence : 2005 CF 699

ENTRE :

                                           HARRY DANIELS, LEAH GARDNER et

                                     LE CONGRÈS DES PEUPLES AUTOCHTONES

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                                          SA MAJESTÉ LA REINE, représentée par

               LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

                                   et par LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                          défendeurs

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                La présente instance était et demeure un recours collectif engagé, en application de l'ancien article 114 des Règles, par les représentants demandeurs en décembre 1999 en vue d'obtenir un jugement déclaratoire au nom des Métis et des Indiens non inscrits. Il s'agit en fait d'une action importante susceptible de clarifier la position des Métis et des Indiens non inscrits au Canada.


[2]                Le problème qui se pose maintenant est lié au fait que le demandeur Harry Daniels, une personnalité marquante des questions touchant les Métis, est décédé et que ceux au nom de qui l'action a été introduite, reconnaissant qu'ils sont tous mortels et peut-être se sentant préoccupés par la question de savoir si le Congrès des peuples autochtones a qualité pour agir à titre de demandeur, souhaitent faire inscrire d'autres représentants demandeurs. Cet ajout de demandeurs est l'objet de la présente requête.

EXAMEN

[3]                Les nouveaux demandeurs proposés sont : Gabriel Daniels de Winnipeg, Métis et fils de Harry Daniels, qui se dévoue à la cause des Métis; Terry Joudrey, Indien Mi'kmaq non inscrit de Elmwood, en Nouvelle-Écosse, qui possède un intérêt personnel et formel dans les affaires des Mi'kmaq et qui se considère lui-même comme un exemple typique des nombreux Indiens non inscrits du Canada atlantique; et Cheryl Storkson, ancienne conjointe de fait de Harry Daniels, elle-même Métis, qui prévoit obtenir les lettres d'administration de la succession de Harry Daniels, lesquelles l'autoriseraient à se prévaloir de l'article 117 des Règles et à déposer un avis et un affidavit relativement à la dévolution de l'action, du moins du point de vue procédural, ce qui pourrait permettre à la succession de demeurer demanderesse.


[4]                Dans l'ensemble, les demandeurs cherchent à établir un contexte factuel suffisant pour que l'action puisse procéder en vue du jugement déclaratoire envisagé. Plus particulièrement, on compterait au moins un demandeur qui est un Métis de l'Ouest canadien, un demandeur qui est un Indien non inscrit de l'Ontario et un demandeur qui est un Indien non inscrit des provinces de l'Atlantique, chacun avec peut-être des perspectives et des situations différentes, pour aider la Cour à définir les véritables enjeux du litige.

[5]                Le fait que les demandeurs proposés souhaitent chacun, de leur propre chef, être inscrits comme demandeurs revêt une grande importance.

[6]                Je pars du principe selon lequel la Cour fédérale s'est montrée très libérale en autorisant la jonction de parties et je pense plus particulièrement ici aux parties demanderesses car il existe des décisions intransigeantes contre la réunion de défendeurs. De plus, si chacun des demandeurs éventuels décidait d'intenter sa propre action, il est bien probable que la Cour ordonnerait à un moment ou l'autre leur réunion, tel qu'il ressort de l'opinion du juge Hugessen dans Shubenacadie Indian Band c. Canada (Procureur général) (2001), 202 F.T.R. 30, confirmée en appel par (2002) 291 N.R. 393 :

Les règles de la Cour sont fort libérales en ce qui concerne les modifications, la jonction des parties et la réunion de causes d'action et, en principe, il me semble que l'on ne saurait s'y opposer dans un cas comme celui-ci. De fait, comme je l'ai mentionné lors d'une audience antérieure, si les demandeurs intentaient une action en dommages-intérêts distincte, la Cour ordonnerait fort probablement, à un stade quelconque, la réunion des deux instances. Si, à une date ultérieure, la réunion s'avère peu commode ou par ailleurs non appropriée, la Cour conserve, en vertu de la règle 107, le pouvoir discrétionnaire d'ordonner que des instructions distinctes soient tenues.

Dans cette affaire, le juge Hugessen a autorisé l'ajout d'autres demandeurs qui faisaient valoir que des droits ancestraux issus de traités et de la common law leur étaient reconnus.


[7]                Premièrement, en ce qui concerne les demandeurs proposés Gabriel Daniels et Terry Joudrey, j'ai examiné les observations présentées au nom des défendeurs et les diverses décisions portées à mon attention, dont Amon c. Raphael Tuck & Sons Ltd. [1956] 1 Q.B. 357. Aucune de ces décisions ne traite de recours collectifs et toutes se rapportent à la question de savoir s'il est nécessaire que les défendeurs proposés soient constitués parties au litige. Je préfère le point de vue du juge Hugessen dans l'affaire Shubenacadie, précitée, d'autant plus que les demandeurs proposés, Gabriel Daniels et Terry Joudrey, pourraient eux-mêmes intenter des actions semblables qui, selon toute vraisemblance, finiraient par être jointes à la présente procédure. Les noms de Gabriel Daniels et de Terry Joudrey sont ajoutés comme demandeurs et leur avocat devra signifier et déposer une déclaration modifiée en bonne et due forme.

[8]                La constitution de Cheryl Storkson comme partie fait intervenir, à certains égards, des considérations différentes.

[9]                La poursuite de l'instance après le décès d'une partie est régie, d'un point de vue procédural, par les articles 116 et 117 des Règles. Comme la juge Snider l'a souligné dans Tacan c. Canada (2003) 237 F.T.R. 304, aux pages 305 et 306, l'article 117, qui précise les modalités à respecter en cas de cession ou dévolution, est de nature purement procédurale et c'est pourquoi il faut s'en remettre à d'autres dispositions législatives ou règles de common law pour déterminer si la cession ou la dévolution est autorisée. La juge Snider a d'ailleurs affirmé ce qui suit :

La règle 117 des Règles de la Cour fédérale de 1998 dispose que, « en cas de cession, de transmission ou de dévolution de droits ou d'obligations d'une partie à une instance à une autre personne, cette dernière peut poursuivre l'instance après avoir signifié et déposé un avis et un affidavit énonçant les motifs de la cession, de la transmission ou de la dévolution » . À mon sens, cette règle n'autorise pas la cession de droits dans une instance, mais traite simplement des questions de procédure relatives à une cession qui est, par ailleurs, légalement effectuée. Il n'y a en fait aucune règle de nature à m'éclairer en l'espèce. Pour déterminer donc si une telle cession est autorisée, je dois faire appel à d'autres règles de droit pertinentes qu'elles soient d'ordre jurisprudentiel ou législatif.


La poursuite d'une instance par une succession n'est donc pas une question machinale ou de droit, mais bien une question d'autorisation.

[10]            En ce qui a trait à la question de savoir si Mme Stockson est autorisée à poursuivre la présente action, les défendeurs s'appuient sur la jurisprudence selon laquelle les droits à l'égalité garantis par la Charte sont des droits individuels qui appartiennent à des personnes physiques, et non à des entités morales telles que des successions. Je ne discuterai pas de toutes les décisions mais seulement de la plus récente qui incorpore cependant certaines des décisions antérieures, à savoir Métis National Council of Women c. Canada (Procureur général), une décision non publiée qui a été rendue par le juge Kelen en date du 18 février 2005, 2005 CF 230, dossier T-595-01. Cette décision traite, aux paragraphes 17 et suivants, des décisions de principe en la matière, dont Canada (Procureur général) c. Vincent (Succession) (2004), 257 F.T.R. 107, une décision rendue par le juge MacKay, dont je discuterai sous peu.

[11]            Dans Métis National Council of Women, le juge Kelen a refusé que la succession de l'une des demanderesses, Mme Gus, participe à la suite de l'instance. Il était d'avis que le droit en cause garanti par la Charte, à savoir l'article 15 qui protège les droits à l'égalité des personnes, ne permettait à une succession d'obtenir réparation. Le juge Kelen n'a pas, dans ses motifs, fait état des lois concernant la transmission des droits d'action. Pour en arriver à sa décision, il a eu à analyser l'affaire Vincent, précitée, dans laquelle le juge MacKay a tenu compte de la Survival of Actions Act de la Nouvelle-Écosse.


[12]            Il s'agissait, dans l'affaire Vincent, d'une requête présentée par le ministre en vue d'empêcher la succession Vincent de poursuivre une réclamation de pension fondée sur un droit à l'égalité garanti par l'article 15 de la Charte. Le juge MacKay a alors souligné qu'aucune des causes citées par le ministre ne défendait la proposition selon laquelle une réclamation fondée sur la Charte, amorcée par une personne, s'éteignait à son décès et ne pouvait pas être poursuivie par sa succession. Le juge MacKay a estimé que tel était d'autant plus le cas que la réclamation n'était pas unique à la situation personnelle de Mme Vincent, mais qu'elle était plutôt articulée autour de la discrimination sous le régime de la Loi constitutionnelle de 1982 et touchait non seulement Mme Vincent mais également tous les anciens conjoints, principalement des femmes, qui se trouvaient dans sa situation. Après avoir effectué une analyse assez approfondie, le juge MacKay a estimé qu'il existait des circonstances spéciales et il a poursuivi en disant ceci :

À mon avis, toutefois, le tribunal de révision n'a pas commis d'erreur en statuant que la succession d'Ethel Vincent avait qualité pour poursuivre la réclamation déposée par elle de son vivant, y compris sa réclamation qu'on l'avait privée de ses droits à l'égalité, en contravention de l'article 15 de la Charte.

Le juge MacKay a ensuite fait remarquer que le tribunal, en reconnaissant que la succession avait qualité pour poursuivre la réclamation, n'avait commis aucune erreur de droit. Je note toutefois ici que la décision fait l'objet d'un appel qui sera entendu plus tard ce printemps.


[13]            Je ferais maintenant remarquer que, suivant les articles 116 et 118 des Règles, le décès d'un demandeur ne met pas en soi fin à une instance. En outre, la Survival of Actions Act de la Saskatchewan, Statutes of Saskatchewan 1990-91, ch. S-66.1, et ses modifications, prévoit, à son article 3, la transmission des droits d'action à la succession de la personne décédée.


[14]            L'avocat des demandeurs invoque également Canard c. Canada (Procureur général), [1976] 1 R.C.S. 170, en se fondant maintenant sur le principe voulant que l'article 15 de la Charte reflète des droits individuels, alors que, en l'espèce, les droits sont plus étendus, intéressant ceux qui sont Indiens. Il se peut bien que cela apporte un éclairage nouveau sur la capacité de la succession à poursuivre, car un intérêt n'est pas un droit individuel; prenons par exemple le droit individuel dont il a été question dans Stinson Estate c. British Columbia (1999),70 B.C.L.R. (3d) 233 (C.A.C.-B.), décision sur laquelle le juge Kelen s'est appuyé dans Métis National Council of Women, où la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a établi une distinction entre les droits de chacun qui sont prévus à l'article 7 de la Charte et les droits de tous qui sont prévus à l'article 15. Tout bien considéré, il se peut bien qu'il soit possible de faire une distinction d'avec Métis National Council of Women, notamment parce qu'il y avait dans cette affaire d'autres demandeurs ayant qualité pour poursuivre l'instance, ce qui n'est peut-être pas nécessairement le cas en l'espèce. Ainsi, lorsqu'on lui a demandé si l'instance, qui est une cause importante, pouvait se poursuivre, l'avocate des défendeurs a tout simplement évité la question en affirmant que l'action devait être convenablement mise en état. Cette réponse n'est pas tout à fait satisfaisante pour l'évolution d'une importante cause type devant être établie étape par étape. Cependant, je n'ai pas à approfondir davantage l'apparente dichotomie entre les décisions Métis National Council of Women et Vincent, précitées, avec la question de savoir si la Cour suprême, dans Canard, précité, a apporté un éclairage nouveau sur toute la question. Je ferais plutôt remarquer que Mme Storkson n'est pas encore en droit d'agir comme représentante de la succession.

[15]            Je ne suis pas disposé à ajouter comme partie demanderesse la succession, représentée officieusement par Mme Storkson, car cela serait prématuré, compte tenu de l'inexistence des lettres d'administration. Même s'il se peut que Mme Storkson ait qualité pour agir comme demanderesse en son propre nom, cette question ne m'a pas été soumise. Par conséquent, même si la demande visant à faire ajouter la succession, telle qu'elle existe actuellement, est rejetée, ce rejet ne porte pas atteinte au droit de Mme Storkson de présenter une nouvelle demande en son propre nom ou en qualité de représentante de la succession lorsqu'elle aura obtenu les lettres d'administration, ce qui aura carrément pour effet de la placer sous le régime des règles de dévolution de l'instance de la Cour fédérale. À vrai dire, le délai avant le début des étapes de la procédure visant à faire ajouter la succession comme demanderesse n'a pas encore commencé à courir.

[16]            La Cour ayant fait droit en partie à la demande, les dépens suivront l'issue de la cause.

« John A. Hargrave »

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                             T-2172-99

INTITULÉ :                                                            HARRY DANIELS et al.

c.

SA MAJESTÉ LA REINE et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                     VANCOUVER

DATE DE L'AUDIENCE :                                   LE 7 AVRIL 2005            

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                     LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

DATE DES MOTIFS :                                          LE 13 MAI 2005

COMPARUTIONS :

Andrew K. Lokan                                                   POUR LE DEMANDEUR HARRY DANIELS

Joseph E. Magnet                                                     POUR LE DEMANDEUR LE CONGRÈS DES PEUPLES AUTOCHTONES

Cynthia J. Dickins                                                     POUR LES DÉFENDEURS

Karen J. Metcalfe

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Paliare Roland Rosenberg Rothstein LLP                  POUR LE DEMANDEUR HARRY DANIELS

Toronto (Ontario)

Faculté de droit (section Common Law)                    POUR LE DEMANDEUR LE CONGRÈS

Université d'Ottawa                                                  DES PEUPLES AUTOCHTONES

Ottawa (Ontario)

John Sims                                                                 POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

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