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Date : 20050928

Dossier : IMM-998-05

Référence: 2005 CF 1323

OTTAWA (Ontario), le 28 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

ENTRE :

LI NA YU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La demanderesse sollicite l'autorisation d'introduire une procédure de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la Section d'appel de l'immigration (la SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, en date du 26 janvier 2005, par laquelle celle-ci a estimé que la demanderesse ne s'était pas conformée à l'obligation de résidence prévue par l'article 28 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 ch. 27 (la Loi). La demanderesse n'avait pas résidé au Canada durant 730 jours au cours de la période de cinq ans précédant sa demande de permis de retour. La SAI a également jugé qu'elle n'avait pas prouvé l'existence de considérations humanitaires suffisantes pour neutraliser l'inobservation de l'obligation de résidence, même après avoir pris en compte l'intérêt supérieur des enfants directement touchés par la décision.

[2]                 La demanderesse a obtenu le statut de résidente permanente au Canada en juillet 1998. À l'époque, elle était arrivée au Canada en provenance de Taiwan, accompagnée de son mari et de trois enfants. Après un bref séjour au Canada (treize (13) jours), la demanderesse et sa famille sont retournés dans leur pays natal.

[3]                 En août 2001, ils sont revenus au Canada. Le mari et les enfants de la demanderesse y sont restés et résident en permanence au Canada depuis août 2001. La demanderesse est retournée à Taipei pour reprendre son emploi de programmeuse d'ordinateur. Elle envisageait de travailler à Taiwan jusqu'à ce qu'elle soit en mesure de prendre sa retraite, en 2006, avec pleines prestations de pension. Si elle quittait plus tôt l'emploi qu'elle occupait à Taiwan, elle risquait de perdre sa pension ou que celle-ci soit considérablement réduite.

[4]                 Le 25 novembre 2003, la demanderesse sollicitait un titre de voyage de résident afin de retourner au Canada, ce qui lui a été refusé par un agent des visas. La demanderesse a fait appel de ce refus, appel qui a conduit à la décision de la SAI du 26 janvier 2005; la demanderesse fut jugée interdite de territoire en application de l'article 41 de la Loi.

[5]                 En 2005, les règles régissant ses prestations de pension furent modifiées et la demanderesse pouvait prendre sa retraite plus tôt, c'est-à-dire à compter du 1er février 2005. Elle est revenue au Canada le 9 février 2005. Elle conteste maintenant la décision de la SAI.

[6]                 Comme la demanderesse avait obtenu le statut de résidente permanente en tant que membre de la catégorie indépendante, sa réadmission en tant que résidente lui fut refusée par un agent des visas en novembre 2003. L'agent des visas a estimé que, selon ce que prévoit l'article 28, elle avait été absente du Canada durant 730 jours au cours de la période de cinq ans précédant sa demande de titre de voyage. La SAI a estimé que, selon l'article 41 de la Loi, il y avait eu inobservation et elle a confirmé la décision de l'agent des visas. Elle a également jugé que les considérations humanitaires ne suffisaient pas à justifier le maintien du statut de résidente permanente, et la demanderesse ne pouvait donc pas compenser l'inobservation de son obligation de résidence.

[7]                 Lorsque l'affaire m'a été soumise à Vancouver le 14 septembre 2005, l'argument initial avancé par l'avocat de la demanderesse visait surtout à contester l'article 28 de la Loi au regard de l'effet rétroactif de l'obligation de résidence. Le texte actuel de cette disposition annule complètement la jurisprudence antérieure portant sur l'obligation de résidence, une jurisprudence qui faisait prévaloir l' « intention » dans les cas d'absence prolongée après qu'une personne originaire de l'étranger avait obtenu le statut de résident au Canada. L'attente légitime a été supprimée par la nouvelle disposition.

[8]                 Cet argument, très long et très complexe, n'était pas un argument que la Cour avait anticipé, eu égard à la mention très brève d'une telle contestation dans l'exposé des arguments accompagnant le dossier de requête. Il est vrai que l'avocat qui avait à l'origine déposé le dossier de requête au nom de la demanderesse avait présenté certains arguments contestant la rétroactivité de l'article 28, mais il était impossible d'anticiper un argument aussi élaboré. La Cour n'était pas prête à se saisir d'un argument aussi complexe. Par ailleurs, aucun sténographe judiciaire n'était présent. Un sténographe aurait pu être d'une aide précieuse dans la tâche consistant à démêler l'argument fondé sur la rétroactivité de l'article 28, un argument qui se rapportait à la disposition antérieure sur l'obligation de résidence, abrogée depuis, ainsi qu'à la jurisprudence relative à l' « intention » . La jurisprudence dominante établie en vertu de la disposition antérieure avait pour thème l' « intention » des résidents plutôt que le nombre de jours d'absence au cours de la période de cinq ans précédant le dépôt d'une demande de permis de retour d'un résident. L'argument portait sur les réunions d'un comité parlementaire concernant le nouveau texte relatif à l'obligation de résidence, et l'on donnait à entendre que cet aspect n'avait pas été retenu ou avait été totalement ignoré et que la nouvelle disposition de la Loi ainsi que la réglementation relative à l'obligation de résidence pourraient être contestées avec succès. J'ai décidé de ne pas me pencher sur la question, la réservant pour un autre jour. L'avocate du ministre a indiqué qu'un débat en règle englobant une contestation constitutionnelle aura lieu devant la Cour plus tard cette année.

[9]                 La SAI a également analysé la possibilité d'accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense de l'obligation de résidence. Elle a relevé que les facteurs non cumulatifs suivants devraient être examinés dans une demande fondée sur des considérations humanitaires, des facteurs susceptibles de l'amener à exercer son pouvoir discrétionnaire.

[10]            Les considérations humanitaires que la SAI estimait devoir retenir pour savoir si elle exercerait favorablement ou défavorablement son pouvoir discrétionnaire sont les suivantes :

a)                  l'intérêt supérieur des enfants directement touchés par le résultat;

b)                  la nature et le niveau d'inobservation de l'obligation de résidence;

c)                   les raisons de l'inobservation;

d)                  la période de temps au cours de laquelle la demanderesse a vécu au Canada, et son degré d'établissement;

e)                  les attaches que la demanderesse possède au Canada, notamment sa parenté;

f)                     le degré d'établissement de la demanderesse à Taiwan par rapport à son degré d'établissement au Canada;

g)                  les raisons qu'avait la demanderesse de quitter le Canada, et les moyens qu'elle a pris pour y revenir depuis son départ;

h)                   les difficultés et bouleversements que connaîtront les membres de sa famille au Canada si la demanderesse cesse d'être une résidente permanente parce qu'elle ne s'est pas conformée à l'obligation de résidence; et

i)                     les difficultés que subira la demanderesse elle-même si elle cesse d'être une résidence permanente parce qu'elle ne s'est pas conformée à son obligation.

[11]            De nombreux faits ont été analysés dans la décision rendue par la SAI, mais la demanderesse soulève les points suivants : la question de savoir si l'intérêt supérieur des enfants a été convenablement analysé, la permanence des liens que la demanderesse entretenait au Canada, notamment sa parenté, l'établissement temporaire de la demanderesse à Taiwan après la vente de son logement, les raisons qu'avait la demanderesse de quitter le Canada, les difficultés que connaîtront la demanderesse et sa famille si la demanderesse cesse d'être une résidente permanente parce qu'elle ne s'est pas conformée à son obligation de résidence.

[12]            L'avocat de la demanderesse a exprimé l'avis que la question de l' « intention » aurait dû être débattue ou du moins analysée à la lumière du nouveau texte législatif. Il se réfère au même commissaire qui s'était exprimé dans une affaire antérieure, Re Kuan, où un certain poids semble avoir été accordé à la question de l' « intention » . Qui plus est, il affirme que, entre la date de l'audience, le 18 novembre 2004, et la date de la décision, le 26 janvier 2005, un état de fait éminemment pertinent avait changé. La demanderesse n'était plus tenue de demeurer à Taiwan jusqu'en 2006; elle était devenue admissible à une pleine pension le 1er février 2005, et cette preuve nouvelle, importante, avait été communiquée par affidavit à la Commission le 10 décembre 2004, mais la Commission n'en avait absolument pas tenu compte dans sa décision.

[13]            Je suis d'avis que la négligence de la Commission à analyser la question de la rétroactivité, l' « intention » ainsi que l'évolution des circonstances se rapportant à la retraite de la demanderesse ainsi qu'à son retour au Canada pourrait constituer une erreur sujette à révision.

ORDONNANCE

            Avec le consentement tacite de l'avocate du ministre, l'affaire est renvoyée pour nouvelle audience devant la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, pour être examinée par un autre commissaire.

« Paul U.C. Rouleau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. A.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-998-05

INTITULÉ :                                        LI NA YU c.
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                 VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :               le 14 septembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :                      le 28 septembre 2005

COMPARUTIONS :

Gordon Maynard                                                                    POUR LA DEMANDERESSE

(représentant de M. Lu Chan)

Brenda Carbonell                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lu Chan

Avocat                                                                                     POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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