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Date : 20040713

Dossier : T-1586-02

Référence : 2004 CF 982

ENTRE :

                                                         CLIFFORD ALDERSON

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                  SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

                                                représentée par le MINISTRE DES

                                            AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD

                                                                                                                                      défenderesse

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SUPPLÉANT MacKAY

[1]                Les présents motifs concernent la décision consécutive à une demande que M. Clifford Alderson, le demandeur, a formulée au sujet d'un avis daté du 24 juillet 2002 dans lequel il est précisé, au nom du ministre des Affaires indiennes et du Nord (le ministre), que le loyer applicable pour une période de trois ans débutant le 1er juillet 2002 en vertu d'un bail que le demandeur a signé relativement à un bien réel [TRADUCTION] « est fixé par les présentes à 1 675 $ par année » .

[2]                Le demandeur, qui n'est pas avocat, s'est représenté lui-même tant lors de la préparation relative à l'instance, y compris la préparation du dossier de la demande, qu'au cours de l'audition de l'affaire à Prince George (C.-B.), en novembre 2003.

[3]                Sous sa forme, le document introductif d'instance en l'espèce s'apparente à une demande de contrôle judiciaire, sauf qu'il vise à obtenir une réparation autre que celle qui peut habituellement découler d'une demande de contrôle judiciaire et que, en plus de l'avis de demande déposé le 23 septembre 2002, il comporte la description suivante :

                                                         [TRADUCTION]

                                                      AVIS DE DEMANDE

           FONDÉ SUR L'ALINÉA 17(3)a) DE LA LOI SUR LA COUR FÉDÉRALE

                                L.R.C. 1985, ch. F-7 ET SES MODIFICATIONS.

[4]                S'il a gain de cause, le demandeur sollicite une décision portant que l'avis de loyer était invalide, parce qu'il ne constitue pas un avis du ministre répondant aux exigences du bail ou, subsidiairement, une détermination par la Cour du juste loyer économique conformément aux dispositions du bail et du paragraphe 17(3) de la Loi sur la Cour fédérale; subsidiairement, le demandeur allègue que, si l'avis de loyer est valide, il n'est pas acceptable et demande à la Cour de déterminer le juste loyer économique conformément aux mêmes dispositions du bail et de la Loi sur la Cour fédérale.

[5]                Le demandeur et l'avocate du ministre ont tous deux été entendus à l'audience et il semblait alors évident que les faits essentiels de l'affaire n'étaient pas contestés. Cependant, les parties ne s'entendaient pas sur la démarche que la Cour devrait suivre pour trancher le litige. À la fin de l'audience, la Cour a demandé aux deux parties des observations écrites au sujet de la possibilité que l'instance suive son cours comme action simplifiée, sans que d'autres éléments de preuve soient présentés, ou de la possibilité que soit tenue une autre audience sur remise de prétentions écrites au sujet du bien-fondé des demandes du demandeur, si l'instance devait être considérée comme une action simplifiée. La Cour a ensuite ajourné l'audience, déclarant qu'elle rendrait sa décision après avoir reçu les observations écrites. La Cour a reçu les observations écrites des deux parties en temps opportun, soit vers la fin de novembre 2003. Malheureusement, pour d'autres raisons, la décision de la Cour en l'espèce a malgré tout été différée.

[6]                Dans ses observations écrites, l'avocate du ministre a reconnu que celui-ci ne s'opposait pas à ce que la Cour considère l'instance comme une action simplifiée et tranche les demandes du demandeur en se fondant sur la preuve déjà présentée et sur les arguments formulés à l'audience ainsi que sur les observations écrites déposées avant et après l'audience. Étant donné qu'il n'existe aucune divergence majeure opposant les parties en ce qui a trait aux faits, que les réclamations pécuniaires du demandeur sont bien en-deçà des plafonds prévus pour cette action et que les parties y consentent, je traiterai désormais la présente instance comme si elle avait été engagée à l'origine comme une action simplifiée conformément aux articles 299 et suivants des Règles de la Cour fédérale (1998). Cette procédure est assujettie aux directives énoncées dans le présent jugement.


Les faits

[7]                M. Alderson a loué à Sa Majesté, représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord, le lot 29 de la réserve indienne de Binche n ° 2, plan CLSR 55536, près de Fort St. James, en Colombie-Britannique, pour une période de 15 ans à compter du 23 août 1992. Le lot était l'un des différents lots de la terre de réserve de la nation Tl'azt'en, située à Stuart Lake, au nord de Prince George, que Sa Majesté louait. Le conseil de bande avait approuvé le bail, y compris toutes les stipulations qu'il comportait.

[8]                Le bail avait été signé pour une durée de 15 ans et 281 jours et le loyer avait été fixé à un montant de 481 $ pour les 281 premiers jours, puis à une somme annuelle de 650 $ pour la période de trois ans commençant le 1er juin 1993; pour chaque période triennale subséquente commençant le 1er juin 1996, le loyer devait s'élever au juste loyer économique déterminé par le ministre ou au loyer annuel payable au cours de la période immédiatement précédente, s'il était supérieur. Le bail comportait également la clause suivante :

[TRADUCTION] 3.06 Si le locataire est en désaccord avec le juste loyer économique fixé par le ministre et qu'il a payé la totalité du loyer courant exigible, y compris toute augmentation de celui-ci [selon la détermination du ministre], il pourra, à ses frais, dans les soixante (60) jours suivant la date de l'avis du juste loyer économique fixé par le ministre, renvoyer l'affaire à la Cour fédérale du Canada en vue d'une nouvelle détermination du juste loyer économique conformément à l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R. 1985, ch. F-7, sous sa version modifiée ou remplacée.


[9]                Le pouvoir du ministre en ce qui a trait à la gestion des baux relatifs aux terres de réserve est délégué à un agent de la gestion foncière par l'entremise des Services fonciers et fiduciaires (SFF) de son ministère. En pratique, le loyer annuel est déterminé par l'application d'un taux de rendement à une juste valeur marchande estimative, calculée de manière indépendante, en ce qui a trait au lot décrit dans le bail en question. Le taux de rendement peut être recommandé par l'évaluateur indépendant ou par le ministère de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC), qui retient les services de l'évaluateur et qui peut présenter aux SFF une recommandation au sujet de l'évaluation. En juin 1998, les SFF et TPSGC ont convenu que l'évaluation serait communiquée uniquement à la Première nation concernée et les SFF estiment qu'ils ne sont pas autorisés à communiquer une évaluation à un locataire, bien qu'ils l'aient fait dans des circonstances exceptionnelles.

[10]            Tel qu'il est prévu au bail, le loyer annuel relatif aux trois années débutant le 1er juin 1993 s'élevait à 650 $ et, pour la période suivante commençant le 1er juin 1996, il s'est établi à 4 p. 100 de la juste valeur marchande estimative à l'égard de la propriété louée, soit 920 $. Pour la période suivante débutant le 1er juin 1999, l'évaluateur indépendant a recommandé deux taux : 3 p. 100 pour les locataires à temps partiel et 5 p. 100 pour les locataires à temps plein ou, subsidiairement, 3 p. 100 pour tous les locataires. Après une consultation entre les SFF et la Première nation Tl'azt'en, le loyer annuel a été fixé à 5 p. 100 de la valeur estimative, soit 1 650 $, et le demandeur a été informé en conséquence.


[11]            M. Alderson, qui utilisait la propriété en question à des fins de loisir sur une base saisonnière et non pendant toute l'année, a obtenu de la Première nation une copie du rapport de l'évaluateur pour la période débutant le 1er juin 1999 et, après avoir négocié avec le conseil de bande, il a convenu de payer et a effectivement payé un loyer correspondant à 3 p. 100 de la juste valeur marchande estimative, soit 990 $ par année. Cet accord était conforme à une résolution du conseil de bande dans laquelle deux taux avaient été recommandés, soit 1 650 $ ou 5 p. 100 pour les utilisateurs à temps plein, et 990 $ ou 3 p. 100 pour les utilisateurs à temps partiel des terrains loués pour la période allant du 1er juin 1999 au 31 mai 2002.

[12]            Par la suite, les SFF et la Première nation ont tenté de modifier les baux relatifs à la terre de réserve de la Première nation, étant donné qu'ils ne prévoyaient pas explicitement plus d'un taux de location ni ne comportaient de disposition établissant une distinction entre les locataires à temps plein et les locataires à temps partiel. Ces efforts ont été abandonnés sans que les baux en question soient modifiés.

[13]            En avril 2002, l'agent responsable des SFF a demandé à TPSGC d'obtenir une évaluation de la juste valeur marchande du loyer annuel à l'égard des propriétés louées. D'après cette évaluation, pour la période débutant le 1er juin 2002, la juste valeur marchande des terrains loués, y compris celui qui était loué au demandeur, s'établissait à 33 500 $, de sorte que le loyer annuel s'élèverait à 1 675 $, compte tenu du taux de location de 5 p. 100. TPSGC a à son tour recommandé le taux de location. Après avoir pris connaissance de la recommandation, l'agent des SFF l'a transmise au chef et au conseil de la nation Tl'azt'en et leur a demandé d'indiquer leur assentiment à cet égard.

[14]            Dans une résolution datée du 2 juillet 2002, le chef et le conseil ont souligné que le ministère des Affaires indiennes et du Nord les avait informés que, étant donné que les locataires qui étaient des utilisateurs saisonniers du terrain loué en avaient l'occupation exclusive, leur occupation pouvait être considérée comme une occupation à temps plein. Il a été décidé dans cette même résolution que la distinction entre un utilisateur à temps plein et un utilisateur saisonnier ne serait pas maintenue. Selon le texte de la résolution, [TRADUCTION] « tous les locataires devront payer le loyer annuel de 1 675 $ » . Les grandes lignes de cette résolution ont été communiquées à M. Alderson dans une lettre distincte à laquelle était joint l'avis du 24 juillet 2002 concernant le loyer annuel de 1 675 $ à payer à compter du 1er juin 2002.

Les questions en litige


[15]            M. Alderson s'oppose au principe constituant le fondement du loyer établi dans son cas. Il a demandé à la défenderesse de lui communiquer le rapport de l'évaluateur indépendant qui avait été fourni à TPSGC, mais la défenderesse a refusé. Bien que ce rapport ait été demandé en 1999 relativement au taux établi pour la période triennale qui débutait alors, cette demande a subséquemment été refusée au nom de la défenderesse. M. Alderson a pu obtenir l'accès à ce rapport par l'entremise du conseil de bande. Il a alors constaté en lisant le document qu'une distinction était faite entre deux catégories d'utilisateurs, soit ceux qui utilisaient leur terrain à des fins de loisir sur une base saisonnière et ceux qui l'occupaient à temps plein. L'évaluateur avait alors recommandé un taux de 3 p. 100 ou un taux de 5 p. 100 pour les utilisateurs à temps plein ou, si ce n'était pas acceptable, un taux de 3 p. 100 pour tous les locataires. Par la suite, les SFF ont décidé d'appliquer un taux de location annuel de 5 p. 100, soit un montant de 1 650 $. Tel qu'il est mentionné plus haut, la bande a convenu avec M. Alderson, et peut-être avec d'autres personnes, que le loyer relatif à une utilisation récréative saisonnière serait calculé en fonction d'un taux de 3 p. 100, soit une somme annuelle de 990 $ pour la période de trois ans débutant en juin 1999. Lorsqu'il a reçu l'avis du loyer rajusté à payer pour la période de trois ans débutant le 1er juin 2002, M. Alderson a demandé une copie du rapport de l'évaluateur indépendant; les SFF ont refusé de lui faire parvenir le rapport ou de lui fournir d'autres explications, se contentant de dire que le loyer était fondé sur une évaluation indépendante demandée par TPSGC et approuvée par le conseil de bande.

[16]            M. Alderson soulève les questions suivantes au sujet du loyer fixé pour la période débutant en juin 2002 :

1)          La décision concernant le juste loyer économique a-t-elle été prise par TPSGC plutôt que par le ministre, ce qui constituait une erreur?

2)          La décision établissant le loyer a-t-elle été prise de manière inéquitable, compte tenu de l'augmentation fixée pour l'ensemble de la période, du fait qu'un seul taux de location a été utilisé sans égard à la distinction entre l'utilisation à temps plein ou à temps partiel du terrain loué, que la démarche suivie n'a pas été uniforme pendant toute la durée du bail, ou encore du fait que la défenderesse n'a fourni aucune explication sur la façon dont le loyer a été fixé et a refusé de donner communication du rapport de l'évaluateur?

            3)         La Cour est-elle saisie d'éléments de preuve indiquant que le loyer fixé ne correspondait pas au « juste loyer économique » et, dans l'affirmative, y a-t-il des éléments de preuve que la Cour pourrait utiliser pour déterminer un autre montant?


Qui a pris la décision au sujet de la détermination du loyer?

[17]            L'article 3.03 du bail stipule que le ministre fixe le juste loyer économique annuel pour chaque période triennale. En vertu de la Loi sur les Indiens et du règlement pertinent, le pouvoir du ministre à cet égard est délégué à un agent de la gestion foncière par l'entremise des SFF.

[18]            Dans l'avis daté du 24 juillet 2002, M. Alderson a été informé que le loyer annuel applicable pour la période allant du 1er juin 2002 au 31 mai 2005 était fixé à la somme de 1 675 $ et que

[TRADUCTION] ce montant est fondé sur une évaluation menée au nom de la Division de l'immobilier de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, qui a décidé que le montant susmentionné représente le loyer du marché pour la période en question.

Selon M. Alderson, cet avis indique clairement qui a pris la décision et prouve qu'il ne s'agissait pas du ministre ou de son représentant en vertu de la Loi.

[19]            Quelle que soit la façon dont l'avis a été rédigé, il appert de l'affidavit de Sheryl Yoner, gestionnaire du secteur nord pour les SFF du ministère des Affaires indiennes et du Nord, qu'elle est la personne autorisée à déterminer le loyer approprié par suite d'une délégation précise du pouvoir d'origine législative du ministre et qu'elle a déterminé le montant du loyer correspondant au bail de M. Alderson dont celui-ci a été informé le 24 juillet 2002. L'affidavit de Mme Yoner n'est pas contredit et je reconnais que la décision contestée en l'espèce est une décision que cette personne a prise dans l'exercice d'un pouvoir qui lui a été délégué par le ministre ou au nom de celui-ci.


[20]            Compte tenu de la Loi et de la délégation faite par le ministre, la décision a été prise par l'agent concerné.

La décision établissant le loyer était-elle inéquitable?

[21]            M. Alderson soutient que la décision établissant le loyer annuel pour 2002 et les deux années suivantes était inéquitable pour plusieurs raisons que j'examine à tour de rôle.

[22]            De l'avis du demandeur, le loyer fixé en 2002 était inéquitable, eu égard aux augmentations dont il a fait l'objet pendant l'ensemble de la période et qui étaient nettement supérieures à celles de la juste valeur marchande de la terre. Ainsi, le loyer payé pour les 281 premiers jours débutant en 1992 s'élevait à 481 $; ce loyer a augmenté de 35 p. 100 pour atteindre 650 $ en 1993, et de 42 p. 100 pour s'établir à 920 $ en 1996. Il a été majoré à nouveau en 1996 pour atteindre 990 $, ce qui représentait une hausse de 7½ p. 100, et a été fixé à 1 675 $ en 2002, soit une augmentation de 69 p. 100. Depuis que le bail est entré en vigueur en 1993, le loyer annuel est passé de 650 $ à 1 675 $, ce qui représente plus de deux fois et demie le loyer annuel initial, et cette augmentation ne correspond pas à la hausse de la juste valeur marchande de la propriété en question.


[23]            Je souligne que, bien que cet aspect ne touche pas l'augmentation globale au cours de la période allant de 1993 à 2002, les parties ont une perception différente du loyer fixé pour la période qui a débuté en 1999. De l'avis du demandeur, le loyer applicable s'établissait à 990 $ par année, soit le montant qu'il a payé après avoir négocié avec le conseil de bande et qui correspondait, du moins en partie, au taux de location recommandé dans le cas des utilisateurs récréatifs du terrain loué. Pour sa part, le ministre estimait que le loyer relatif à cette période était compatible avec celui que l'évaluateur avait recommandé pour les utilisateurs à temps plein, soit 5 p. 100 de la juste valeur marchande estimative de 33 000 $ ou 1 650 $, montant dont M. Alderson a été informé en 1999, mais qui a été modifié tel qu'il est indiqué plus haut par suite des négociations du demandeur avec le conseil de bande. Les perceptions différentes du « juste loyer économique » applicable à la période de 1999 à 2002 continuent à embrouiller toute vision partagée des parties quant à leur relation locative au fil du temps. À mon sens, la différence n'est pas importante aux fins des questions qui concernent la Cour relativement au loyer applicable à la période débutant en 2002.


[24]            Je ne suis pas convaincu que l'augmentation apportée au juste loyer économique en 2002, qu'elle soit perçue comme une hausse du loyer payé de 1999 à 2002 ou du loyer initialement déterminé par les SFF pour cette période, n'indique pas en soi que le loyer fixé était inéquitable. Même si le montant déterminé n'est pas expliqué, il semble avoir été établi sur la foi de la proposition d'un évaluateur indépendant que TPSGC a recommandée et que l'agent délégué des SFF a adoptée après avoir consulté le chef et le conseil de bande. Cette démarche semble être compatible avec le régime législatif et réglementaire découlant de la Loi sur les Indiens ainsi qu'avec la délégation de pouvoir du ministre et les stipulations du bail concernant le rajustement du loyer, soit les clauses 3.03 et 3.04. L'augmentation totale du loyer exigible pour la période allant de 1992 à 2002 ne prouve pas en soi non plus qu'il y a eu manque d'équité, car chaque détermination du loyer faite pour une période de trois ans est conforme au texte législatif, au règlement et au bail.

[25]            M. Alderson ajoute que la décision prise en 2002 a modifié la base de calcul des loyers payés par les utilisateurs récréatifs, laquelle base reconnaissait implicitement auparavant que ceux-ci n'utilisaient pas la propriété louée à temps plein. La majorité des locataires utilisaient leurs propriétés respectives de la même façon et une minorité seulement occupaient leurs terrains à temps plein ou à l'année longue. Dans son rapport de 1999, l'évaluateur indépendant a reconnu cette différence et recommandé l'application d'un taux de 3 p. 100 de la juste valeur marchande pour les utilisateurs récréatifs et d'un taux de 5 p. 100 pour les utilisateurs à temps plein. Les SFF n'ont pas adopté cette recommandation et ont plutôt voulu appliquer un seul taux de 5 p. 100 à tous les locataires, au motif que l'ensemble de ceux-ci avaient l'occupation exclusive de leurs propriétés. C'est la raison pour laquelle le conseil de bande a décidé, en 2002, d'appliquer un seul taux de location à tous les locataires, à titre de personnes possédant la possession exclusive de leurs terrains loués pendant la totalité de l'année.


[26]            À mon avis, les SFF auraient pu agir de façon plus ouverte à l'endroit de M. Alderson et d'autres locataires en 2002 et expliquer le fondement de leur évaluation de manière plus efficace; cependant, cette omission de le faire ne peut être considérée comme une omission inéquitable en droit, parce que la démarche était, comme je l'ai mentionné plus haut, conforme à la Loi, aux exigences applicables en matière de délégation et aux stipulations du bail. De plus, le fait que les SFF n'ont pas toujours traité M. Alderson d'une manière uniforme traduisant l'utilisation saisonnière qu'il a faite de sa propriété au fil des années est un autre exemple du manque d'ouverture de leur part à l'endroit des locataires comme le demandeur, mais il ne s'agit pas d'un manque d'équité en droit qui justifierait l'intervention de la Cour. Ce changement a été recommandé par l'évaluateur en 2002, comme celui-ci l'a indiqué dans son rapport, puis par TPSGC, et a été accepté par une résolution de la bande avant d'être communiqué par Mme Yoner, l'agente concernée des SFF.

[27]            Enfin, le refus de la part des SFF de remettre aux locataires une copie du rapport de l'évaluateur sur lequel était apparemment fondé le juste loyer économique ne constituait pas une erreur de droit ni une procédure inéquitable justifiant l'intervention de la Cour. La raison pour laquelle les ministères gouvernementaux conviennent de ne pas communiquer le rapport de l'évaluateur semble traduire des intérêts bureaucratiques et ignorer le principe général de l'accès à l'information détenue par une institution fédérale, lequel principe découle de la Loi sur l'accès à l'information. Il semble ardu de modifier ces pratiques pour satisfaire l'intérêt public lié à l'accès. Cela étant dit, l'omission de communiquer le rapport d'évaluation ne permet pas à la Cour d'intervenir dans une action de façon à réévaluer le juste loyer économique à payer en vertu du bail.

Y a-t-il des éléments de preuve indiquant que le loyer fixé ne correspondait pas au « juste loyer économique » ?

[28]            Malgré toute la sympathie que j'éprouve pour la position de M. Alderson, principalement en raison de la façon dont il a été traité, je ne suis saisi d'aucun élément de preuve indiquant que le loyer fixé en 2002 ne correspond pas au « juste loyer économique » prévu au bail.

[29]            Effectivement, l'évaluateur indépendant a établi à 33 500 $ la juste valeur marchande moyenne des lots loués pour la période débutant le 1er juin 2002 et il a proposé un taux de location de 5 p. 100 pour traduire les conditions courantes du marché. TPSGC a examiné, accepté et recommandé aux SFF ce fondement ainsi que le même taux de location et le même loyer annuel et l'agent responsable appelé à déterminer le loyer a communiqué ces résultats au conseil de bande qui, par résolution, a approuvé le loyer à titre de seul loyer à exiger de tous les locataires. En vertu de leurs baux, les locataires détenaient des droits exclusifs les autorisant à utiliser leurs terrains comme propriétés résidentielles pendant toute la durée de la location.

[30]            La preuve dont la Cour est saisie appuie la démarche que les SFF ont suivie pour déterminer le loyer annuel à payer à compter du 1er juin 2002. Il est vrai que les SFF n'ont pas calculé le loyer de manière uniforme après 1996 et que les augmentations apportées en 1999 et 2002 n'avaient aucun lien avec les facteurs habituellement pris en compte pour évaluer les biens réels, du moins aucun lien qui a été expliqué à M. Alderson comme locataire. En revanche, il n'a pas été prouvé non plus que le montant fixé à l'égard du loyer à payer à compter du 1er juin 2002, ou d'un loyer antérieur applicable était inéquitable.

[31]            Même si la Cour avait conclu que le loyer fixé en 2002 était inéquitable, elle n'est saisie d'aucun élément de preuve lui permettant de déterminer un autre montant qui pourrait s'appliquer à titre de juste loyer économique en vertu du bail. Dans Canada c. Meyer, [1990] A.C.F. n ° 34 (C.F. 1re inst.) (QL), décision confirmée en appel, [1992] A.C.F. n ° 1133 (C.A.) (QL), le juge Martin, de la Cour fédérale, a déterminé, en application de l'alinéa 17(3)a) de la Loi sur la Cour fédérale, le juste loyer économique applicable en vertu d'un bail relatif à une propriété située sur une terre de réserve dans des circonstances où les parties ne pouvaient s'entendre. Dans cette affaire, contrairement à ce qui s'est passé en l'espèce, les parties ont présenté des éléments de preuve, y compris des évaluations distinctes, que la Cour a utilisés. La seule évaluation présentée en l'espèce est celle que TPSGC a obtenue et sur laquelle se sont fondés les SFF et la Première nation concernée.

[32]            En conséquence, il n'y a aucun élément de preuve permettant à la Cour de conclure que le loyer en litige n'était pas un « juste loyer économique » ou de déterminer une autre valeur à l'égard de ce loyer.

Conclusion

[33]            Pour les motifs exposés plus haut, la Cour rejette, dans un jugement distinct, l'action de M. Alderson, y compris la demande de réparation fondée sur le paragraphe 17(3) de la Loi sur la Cour fédérale, conformément aux conditions du bail en cause.

Dépens


[34]            Le jugement rendu aujourd'hui prévoit que chaque partie supporte ses propres dépens de l'action.

[35]            Habituellement, les dépens sont adjugés à la partie ayant gain de cause dans l'action. Je refuse de condamner M. Alderson à payer des dépens, parce qu'il me semble qu'en raison de la façon dont il a été traité par le ministère avant d'engager la présente instance, il ne disposait d'aucune autre solution raisonnable pour faire examiner ses préoccupations. Les SFF n'ont pas reconnu que le loyer qu'il a versé de 1999 à 2002 s'élevait à 990 $, pas plus qu'ils n'ont présenté de fondement à l'appui du loyer fixé à un montant annuel de 1 675 $ à compter du 1er juin 2002, affirmant simplement que ce montant avait été recommandé par TPSGC sur la foi d'une évaluation indépendante que la défenderesse a refusé de communiquer à M. Alderson.

                                                                    « W. Andrew MacKay »

Juge suppléant

Le 13 juillet 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                     

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-1586-02       

INTITULÉ :                                                    Clifford Alderson c. Sa Majesté La Reine et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Prince George (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 30 octobre 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :                         LE JUGE MacKAY

DATE DES MOTIFS :                                   le 13 juillet 2004

COMPARUTIONS :

Clifford Alderson                                                          POUR SON PROPRE COMPTE

Janice Rodgers                                                  POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                POUR LA DÉFENDERESSE


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