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Date : 20020705

Dossier : IMM-3494-01

Référence neutre : 2002 CFPI 748

Vancouver (Colombie-Britannique), le 5 juillet 2002

En présence de Madame le juge Danièle Tremblay-Lamer

ENTRE :

                                                       ANTHONY VERGHESE

                                                           alias M.V. ANDENY

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle Margaret Gass, agente des visas au haut-commissariat du Canada, à Londres, Angleterre, a refusé, le 15 juin 2001, la demande que le demandeur avait présentée en vue de résider en permanence au Canada à titre d'immigrant appartenant à la catégorie des travailleurs autonomes.

[2]         Le demandeur, M. Verghese, est citoyen de Singapour. Le 28 juin 2000, le haut-commissariat du Canada, à Londres, en Angleterre, a reçu sa demande de résidence permanente à titre d'immigrant appartenant à la catégorie des travailleurs autonomes exerçant la profession de consultant en gestion (no 1122 de la Classification nationale des professions (la CNP)).

[3]         Le demandeur a eu une entrevue le 22 mai 2001. À la fin de l'entrevue, l'agente des visas a exprimé ses préoccupations au sujet de la capacité du demandeur d'établir une entreprise en tant que travailleur autonome et a demandé à celui-ci s'il souhaitait ajouter autre chose, ce à quoi le demandeur a répondu que son séjour avait été trop bref pour lui permettre d'effectuer des recherches approfondies.

[4]         La lettre de refus a été envoyée au demandeur le 15 juin 2001; les explications suivantes y étaient données :

- les antécédents et l'expertise du demandeur ne suffisaient pas à convaincre l'agente des visas que celui-ci pouvait établir et gérer sa propre entreprise au Canada;

- le demandeur n'avait jamais établi et exploité sa propre entreprise en tant que travailleur autonome et il avait surtout occupé des postes de gestion au sein de diverses organisations;


- à l'entrevue, le demandeur n'avait pas pu discuter de son projet d'entreprise d'une façon suffisamment détaillée pour apaiser les préoccupations que l'agente des visas avait exprimées au sujet de sa capacité d'établir sa propre entreprise en tant que travailleur autonome. Plus précisément, le demandeur n'avait fait que des efforts restreints pour se familiariser avec l'industrie et il connaissait pas réellement la concurrence et les frais qu'il fallait engager pour lancer une entreprise;

- le demandeur n'avait pas rempli une partie ou un bon nombre des fonctions principales afférentes à la profession envisagée.

[5]         Selon l'article 2 du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, le travailleur autonome s'entend un immigrant qui a l'intention et qui est mesure d'établir ou d'acheter une entreprise au Canada de façon à créer un emploi pour lui-même et à contribuer de manière significative à la vie économique, culturelle ou artistique du Canada.

[6]         Le travailleur autonome est apprécié suivant chacun des facteurs énumérés dans la colonne 1 de l'annexe I, autre que le facteur visé à l'article 5 (alinéa 8(1)b) du Règlement) Pour être admissible, le demandeur doit obtenir au moins 70 points d'appréciation (sous-alinéa 9(1)b)(i) du Règlement). L'agent des visas doit, outre tout autre point d'appréciation accordé à l'immigrant, lui attribuer 30 points supplémentaires s'il est d'avis que l'immigrant sera en mesure d'exercer sa profession ou d'exploiter son entreprise avec succès au Canada (paragraphe 8(4) du Règlement ).


[7]         Il importe de noter que le paragraphe 8(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, prévoit qu'il incombe à quiconque cherche à obtenir un visa d'immigrant de prouver qu'il y a droit (Asghar c . Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1091).

[8]         Le demandeur affirme en premier lieu que l'agente des visas a manqué à son obligation d'équité en ne posant pas une série précise de questions au sujet de son expérience professionnelle réelle. Si l'agente des visas avait posé les bonnes questions, il aurait été apparent que le demandeur avait assumé les principales fonctions et responsabilités d'un consultant en gestion. Je ne suis pas d'accord. L'agente des visas a demandé au demandeur de décrire les postes qu'il avait occupés et les tâches qu'il avait exécutées à chaque endroit mentionné dans son curriculum vitae. Il incombait au demandeur de convaincre l'agente des visas qu'il avait l'expérience voulue en ce qui concerne une partie ou un bon nombre des principales fonctions remplies par un consultant en gestion. Or, le demandeur n'a pas été en mesure de le faire. La décision de l'agente des visas était fondée sur la preuve dont celle-ci disposait (à savoir la preuve documentaire et l'entrevue qu'elle avait eue avec le demandeur). L'agente des visas a procédé à une entrevue approfondie et a donné à maintes reprises au demandeur la possibilité de présenter des éléments de preuve et de donner des explications à ce sujet. Elle a conclu que le demandeur n'avait pas l'expérience voulue, en ce qui concerne une partie ou un bon nombre des principales fonctions remplies par un consultant en gestion, telles qu'elles sont énoncées dans la CNP, et elle ne lui a donc pas attribué de points pour l'expérience.


[9]         Le demandeur affirme que la preuve consignée dans les notes du STIDI indique que, dans le cadre de son emploi, il accomplissait un bon nombre des tâches d'un consultant en gestion. J'ai examiné les notes consignées dans le STIDI et j'ai conclu qu'aucun élément de preuve n'étaye les prétentions du demandeur. L'affidavit de l'agente des visas est intéressant à cet égard :

[TRADUCTION]

J'ai demandé à M. Verghese de décrire les postes qu'il avait occupés et les tâches qu'il avait exécutées à chaque endroit mentionné dans son curriculum vitae. J'ai pris des notes détaillées des réponses qu'il a données, dont une copie conforme figure dans les notes du STIDI.

De 1982 jusqu'à ce jour, M. Verghese a exercé des fonctions de gestion précises au sein de grosses sociétés : il était responsable de l'exploitation, de la surveillance et du contrôle dans son domaine précis de responsabilité. Les principales tâches de M. Verghese ne consistaient pas à analyser les méthodes de gestion et l'organisation et à effectuer des recherches à ce sujet. La description que M. Verghese a donnée au sujet de ses tâches à l'entrevue ou dans son curriculum vitae, ou encore dans les références qu'il a soumises à l'appui de sa demande, m'a amenée à croire qu'il avait de l'expérience en ce qui concerne une partie ou un bon nombre des principales fonctions remplies par un consultant en gestion.

Selon la CNP, les principales fonctions d'un gestionnaire sont différentes de celles d'un consultant en gestion et l'expérience requise dans une profession n'est pas la même que celle qui est requise dans l'autre profession [...]

Lorsque je lui ai initialement demandé de fournir des détails au sujet de ses antécédents professionnels, M. Verghese n'a pas fourni de renseignements indiquant que ses principales tâches ou même ses tâches secondaires étaient celles d'un consultant en gestion. M. Verghese remplissait clairement les fonctions d'un gestionnaire.

[...] Dans le contexte de ses responsabilités générales, les exemples que le demandeur a donnés semblaient être des cas isolés au cours d'une carrière qui s'est échelonnée sur vingt ans et ne correspondaient pas à ses responsabilités quotidiennes, qui relevaient clairement de la gestion, comme le montre son curriculum vitae et sa description de travail.

Dossier du défendeur, pages 4 et 5, paragraphes 16 à 23.


[10]       Il ressort de ces remarques que l'agente des visas a tenu compte de l'expérience professionnelle réelle du demandeur et qu'elle a conclu que cette expérience ne pouvait pas être transférée à la profession envisagée. Quoi qu'il en soit, même si l'agente des visas avait commis une erreur et même si elle avait pu attribuer des points pour l'expérience, cette erreur n'aurait eu aucun effet important sur l'issue de la décision, étant donné que le demandeur n'avait pas obtenu de points en vertu du facteur professionnel. Conformément au paragraphe 11(2) du Règlement, un visa d'immigrant ne peut être délivré qu'à l'immigrant qui a obtenu au moins un point d'appréciation pour le facteur professionnel. Une erreur commise par l'agente des visas à l'égard du facteur « expérience » ne pouvait donc pas avoir d'effet sur le résultat de la demande (Bhogal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1581, paragraphe 22).

[11]       Le demandeur affirme en outre que l'agente des visas a commis une erreur en omettant de lui faire part des réserves qu'elle avait au sujet de la pertinence de son expérience. Plus précisément, le demandeur affirme que l'agente des visas ne pouvait pas simplement se contenter de lui faire part d'une façon générale de ses préoccupations.

[12]       Dans la décision Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 159 F.T.R. 203, paragraphe 42, Monsieur le juge Evans a expliqué que la pratique selon laquelle l'agent des visas demande à l'immigrant à la fin de l'entrevue s'il souhaite ajouter autre chose ne suffit pas pour satisfaire à l'obligation de poser des questions raisonnables qu'impose l'obligation d'agir équitablement. Le juge a ajouté ce qui suit :

[...] Cette pratique ne permet pas d'informer un demandeur des préoccupations qu'un agent des visas peut entretenir de façon à lui donner une possibilité raisonnable de dissiper ses préoccupations particulières relativement à la demande. Dans la décision Chen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 20 Imm. L.R. (2d) 290 (C.F. 1re inst.), le juge Rothstein a déclaré ce qui suit :


[...] lorsque l'agent des visas a commencé à craindre que le requérant ne possède peut-être pas les qualités requises [...] elle aurait dû l'interroger expressément sur chacun des critères séparément. Le fait pour elle d'avoir simplement exprimé une crainte de façon générale et de s'être attendue ensuite à une réponse significative n'est pas compatible, selon moi, avec les exigences de l'équité en matière de procédure.

[13]       En l'espèce, l'agente des visas ne s'est pas simplement contentée de demander au demandeur s'il souhaitait ajouter autre chose. Elle a fait part au demandeur des réserves qu'elle avait au sujet de sa capacité d'établir une entreprise en tant que travailleur autonome. À mon avis, cette communication, avec la série de questions posées par l'agente de visas (elle a posé au demandeur plusieurs questions pour déterminer s'il avait de l'expérience en tant que travailleur autonome et s'il avait de l'expérience comme consultant en gestion et ainsi de suite), était suffisante pour que le demandeur soit au courant de ses préoccupations, qu'il devait apaiser. L'agente des visas a posé les questions pertinentes pour être en mesure d'apprécier adéquatement les renseignements que le demandeur avait donnés (Hussain, précité, paragraphe 43). Je ne puis voir comme l'agente des visas a manqué à son obligation d'équité à cet égard. Comme j'en ai déjà fait mention, il incombe au demandeur plutôt qu'à l'agent des visas de prouver qu'il a la capacité d'établir une entreprise au Canada.

[14]       Le demandeur affirme également que l'agente des visas a commis une erreur de droit en appliquant à l'expression « travailleur autonome » une définition qui n'est pas conforme à la Loi et au Règlement. Dans sa lettre de refus, voici ce que l'agente des visas a dit :


[TRADUCTION] Vous n'avez jamais établi ou exploité votre propre entreprise en tant que travailleur autonome et vous avez surtout occupé des postes de gestion au sein de diverses organisations. L'expérience directe, en ce qui concerne la création et l'exploitation d'une entreprise en tant que travailleur autonome, n'est pas une condition d'admission à la résidence permanente à titre de travailleur autonome, mais avec d'autres facteurs, l'expérience peut être prise en compte pour déterminer si vous êtes visé par la définition applicable au travailleur autonome.

Dossier du tribunal, page 12.

[15]       Le demandeur soutient que l'agente des visas a accordé trop d'importance à la question de son expérience passée à titre de travailleur autonome. Encore une fois, je ne suis pas d'accord. L'agente des visas a simplement conclu que le demandeur n'avait pas l'expérience nécessaire dans la profession envisagée. L'expérience du demandeur en tant que travailleur autonome n'était que l'un des facteurs sur lesquels l'agente des visas a fondé sa décision. Les passages pertinents des notes que l'agente des visas à consignées dans le STIDI sont ainsi libellés :

[TRADUCTION] [...] l'intéressé n'a jamais exploité d'entreprise en tant que travailleur autonome et n'a jamais employé d'autres personnes [...] Il n'a pas travaillé comme consultant en gestion au sens de la CNP. Toutefois, fait plus important, le demandeur ne savait pas si l'entreprise qu'il envisageait d'exploiter était viable au Canada. Il possédait une connaissance restreinte du marché et ne savait presque rien au sujet de la concurrence et des frais [...]

L'INTÉRESSÉ N'A PAS D'EXPÉRIENCE, EN CE QUI CONCERNE UNE PARTIE OU UN BON NOMBRE DES PRINCIPALES FONCTIONS REMPLIES PAR UN CONSULTANT EN GESTION SELON LE NO 1122 DE LA CNP. IL A OCCUPÉ DES POSTES DE GESTION IMPORTANTS, MAIS IL ÉTAIT CHARGÉ DE DIRIGER LA SOCIÉTÉ PLUTÔT QUE D'EFFECTUER DES ANALYSES ET DE CONSEILLER LA DIRECTION [...] LES AMÉLIORATIONS QU'IL PEUT AVOIR PROPOSÉES FAISAIENT PARTIE INTÉGRANTE DE CE À QUOI ON PEUT S'ATTENDRE D'UN EMPLOYÉ MOTIVÉ. SELON SA PROPRE DÉCLARATION, IL A FAIT CES PROPOSITIONS DE SON PROPRE CHEF PLUTÔT QUE PARCE QU'ON LUI AVAIT ASSIGNÉ CETTE TÂCHE PRÉCISE.

Notes consignées dans le STIDI, dossier du tribunal, page 7.

[16]       Dans l'ensemble, compte tenu de la totalité de la preuve, il était loisible à l'agente des visas de conclure que le demandeur n'avait pas les antécédents ou l'expertise nécessaire pour établir une entreprise de consultant en gestion au Canada.


[17]       Compte tenu de la preuve dans son ensemble, je conclus que la décision de l'agente des visas est raisonnable et qu'eu égard aux circonstances de l'affaire, il n'est pas justifié pour la Cour d'intervenir.

                                                 ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                     « Danièle Tremblay-Lamer »                   

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                  IMM-3494-01

INTITULÉ :                                                 ANTHONY VERGHESE, alias

M.V. ANDENY

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                         Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                      le 3 juillet 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                           Madame le juge Tremblay-Lamer

DATE DES MOTIFS :                           le 5 juillet 2002

COMPARUTIONS :

M. S. David Aujla                                        POUR LE DEMANDEUR

Mme Emilia Péch                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morahan et Aujla                                           POUR LE DEMANDEUR

Victoria (C.-B.)

M. Morris Rosenberg                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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