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Date : 20020220

Dossier : T-2093-99

OTTAWA (Ontario), le 20 février 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY

ENTRE :

                                                               JOHN E. CONNOLLY

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                 -et-

                                           LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

                                                                                                                                               défenderesse

VU la demande de contrôle judiciaire et d'annulation d'une décision de la Commission canadienne des droits de la personne datée du 16 avril 1999, décision par laquelle la plainte du demandeur contre son ancien employeur, la Société canadienne des postes, défenderesse, avait été rejetée sans être renvoyée à un tribunal pour instruction;


APRÈS audition du demandeur, un plaideur non représenté qui n'est pas juriste, et audition de l'avocat de la défenderesse à Halifax le 18 juillet 2001, date à laquelle la décision fut différée, et après examen des conclusions alors présentées, ainsi que des conclusions écrites et des dossiers des parties;

                                                                     ORDONNANCE

IL EST ORDONNÉ ce qui suit :

1.                    La demande est rejetée;

2.                    Les dépens sont accordés à la défenderesse, selon une somme fixée que les parties pourront arrêter d'un commun accord, et, en l'absence d'accord, selon une somme que la Cour pourra établir après examen des conclusions écrites que les parties pourront déposer au greffe de la Cour au plus tard le 22 mars 2002.

          W. Andrew MacKay      

         JUGE

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date : 20020220

Dossier : T-2093-99

Référence neutre : 2002 CFPI 185

ENTRE :

                                                               JOHN E. CONNOLLY

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                           LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

                                                                                                                                               défenderesse

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[3]                 Dans cette demande de contrôle judiciaire, déposée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et modifications (la Loi), le demandeur John E. Connolly sollicite une ordonnance annulant une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) datée du 16 avril 1999. Cette décision, rendue sur recommandation de l'enquêteur de la Commission, rejetait la plainte déposée le 1er août 1995 par M. Connolly contre son employeur, la Société canadienne des postes, plainte dans laquelle il affirmait être victime d'une discrimination fondée sur sa déficience physique et dans laquelle il imputait également à son employeur des actes de harcèlement.


[4]                 M. Connolly, qui n'est pas avocat, s'est chargé lui-même de préparer sa demande et de présenter ses arguments dans cette affaire, comme il l'avait fait lorsqu'il s'était exprimé devant la Commission depuis plusieurs années.

[5]                 Dans sa demande, M. Connolly sollicite une ordonnance annulant la décision de la Commission, ainsi qu'une réparation adéquate pour une incapacité partielle permanente résultant d'une blessure au travail, ainsi qu'une réparation pour la perte de son emploi, de même que pour les frustrations et les souffrances corporelles qu'il a supportées au cours de plusieurs années. Il demande aussi le remboursement de frais et débours divers engagés pour le téléphone, les envois postaux, la photocopie et les fournitures de bureau qu'avaient nécessités ses échanges avec la Commission, ainsi qu'avec la Cour. Lorsque l'affaire a été entendue, j'ai voulu indiquer clairement à M. Connolly que, s'il devait obtenir gain de cause dans sa demande de contrôle judiciaire, la Cour ne pourrait qu'annuler la décision contestée et renvoyer l'affaire à la Commission pour nouvel examen. La question des frais qui avaient pu être engagés en marge de l'instance introduite devant la Cour pouvait elle aussi être examinée, mais la réparation pour préjudice de toute nature, ainsi que l'examen d'autres genres de frais, par exemple les communications avec la Commission, ne relèvent pas de la compétence de la Cour selon l'article 18.1 de la Loi.


Contexte

[6]                 Avant l'examen des principaux points soulevés par M. Connolly, un bref survol des faits permettra de mettre en perspective la présente affaire.

[7]                 M. Connolly travaillait depuis 1986 pour Postes Canada comme facteur à temps plein dans la région de Halifax. Alors qu'il livrait le courrier le 31 décembre 1992, il s'infligea une douleur au dos, qui réduisit son aptitude à exercer pleinement ses fonctions. Il fut mis en congé d'invalidité pendant quelque temps. Lorsqu'il revint au travail, il constata qu'il n'était pas en mesure d'effectuer sans peine toutes les tâches de son poste, lors même que la Commission des accidents du travail de la Nouvelle-Écosse avait cessé de lui verser des prestations en raison de l'amélioration générale de son état, et lors même qu'une lettre de son médecin datée de février 1994 indiquait, sans énoncer de réserves, qu'il était prêt à retourner au travail. Il s'infligea une nouvelle douleur au dos durant le travail en janvier 1995, et il a continué par la suite d'avoir du mal à accomplir ses tâches.


[8]                 Il croit que la direction de Postes Canada lui a montré peu de sympathie et de compréhension et qu'elle n'a guère été disposée à lui consentir des accommodements dans son travail compte tenu de son incapacité persistante. Il croit qu'il a été harcelé au travail et que ses craintes à propos de ses blessures ont été mésestimées. Selon lui, l'une des directrices de Postes Canada, une surintendante, s'est acharnée à lui rendre la vie difficile. Finalement, après que son syndicat eut refusé de continuer de prendre fait et cause pour lui dans des procédures internes, il consulta le personnel de la Commission et, après environ cinq mois, il signa le 1er août 1995 une plainte où il affirmait être victime, dans son emploi auprès de Postes Canada, d'une discrimination fondée sur sa déficience physique.

[9]                 Au cours de discussions initiales avec le personnel de la Commission, il avait semble-t-il voulu inclure comme défenderesse désignée sa supérieure hiérarchique, Mme Dale Walker, qui selon ses dires lui rendait la vie difficile. Dans sa forme finale, sa plainte adressée à la Commission ne visait que son employeur, Postes Canada. Il a continué de vouloir que Mme Walker y soit désignée comme défenderesse, mais cet aspect ne présente pas d'intérêt pour la présente instance, puisqu'il ne fait aucun doute que Mme Walker a toujours agi dans l'exercice de ses fonctions auprès de Postes Canada.

[10]            Les rapports de M. Connolly avec la Commission furent décourageants. Il communiqua au départ avec la Commission le 31 mars 1995, mais ce ne fut que le 1er août 1995 que sa plainte fut finalement signée et acceptée par la Commission. Il se peut que ce soit durant cette période, ou peu de temps après, que la Commission cessa ses activités à Halifax, tout en continuant de fournir un service à la région par téléphone et autres modes de communications depuis Ottawa.


[11]            La plainte ne fut semble-t-il officiellement transmise à Postes Canada que le 5 mars 1996, par lettre. Informée semble-t-il officieusement de la plainte, Postes Canada avait ouvert une enquête interne à la fin de l'automne 1995, enquête qui prit fin avec un rapport daté du 30 mai 1996 (le rapport Leblanc). M. Connolly était au courant de cette enquête, mais ses demandes en vue d'obtenir un exemplaire du rapport furent refusées, bien qu'elles eussent été présentées en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, jusqu'à ce que la décision de la Commission qui est ici contestée fût rendue publique en avril 1999, date à laquelle il reçut un exemplaire du rapport, envoyé semble-t-il par Postes Canada.

[12]            Après le dépôt de sa plainte, M. Connolly n'a plus été tenu informé par la Commission à propos de son enquête, jusqu'à ce qu'une enquête fût entreprise en février 1997 par un cabinet d'avocats de Halifax qui représentait la Commission. Le rapport du cabinet de Halifax sur cette enquête ne fut jamais communiqué à M. Connolly.


[13]            Le demandeur croit que, entre-temps, après le dépôt de sa plainte, des représailles ont été exercées contre lui à cause de la plainte. Comme il avait consigné par écrit les agissements qui selon lui constituaient des représailles, ainsi que le lui avait conseillé le personnel de la Commission, il signala les agissements en question à la Commission. La Commission demanda alors à la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) d'enquêter sur les plaintes. L'officier enquêteur de la GRC eut un long entretien avec M. Connolly, examina quelque 19 incidents que le demandeur qualifiait de représailles et présenta son rapport le 28 janvier 1998. Sa conclusion était qu'il n'existait aucune preuve attestant qu'un membre de la direction, y compris Mme Dale Walker, avait harcelé M. Connolly ou exercé contre lui une discrimination ou des représailles en raison de sa plainte initiale à la Commission. Selon l'officier enquêteur, il n'y avait aucune violation de l'article 59 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, et modifications, qui interdit les représailles contre un individu qui dépose une plainte auprès de la Commission.

[14]            Au cours de la période allant de 1995 à 1998, M. Connolly a eu successivement affaire à trois enquêteurs nommés par la Commission, outre le cabinet d'avocats de Halifax et l'enquêteur de la GRC. Divers enquêteurs quittèrent leurs fonctions après avoir rendu compte à la Commission, mais sans en rien dire au demandeur, et celui-ci devait donc s'informer périodiquement de la situation. Depuis le début de ses échanges avec la Commission, M. Connolly a présenté de nombreux documents, dont un bon nombre de mémoires et autres documents écrits en caractères d'imprimerie, ainsi que des pièces de correspondance. Il croit que, vu les documents ainsi produits, il existait une preuve considérable au soutien de ses plaintes, tant en ce qui concerne les mesures discriminatoires initiales que les mesures de représailles du personnel de Postes Canada.


[15]            Après que la Commission eut communiqué la plainte à Postes Canada, Postes Canada répondit par écrit le 12 juillet 1996, en niant les accusations de M. Connolly. Puis le cabinet d'avocats de Halifax entreprit son enquête, et l'enquête de la GRC faite au nom de la Commission prit fin en janvier 1998. L'enquête entreprise par la Commission à propos des plaintes avançait, lentement. Finalement, le 22 février 1999, l'enquêteur de la Commission alors chargé du dossier remit un rapport d'enquête où il recommandait que la plainte soit rejetée pour absence de fondement. Ce rapport fut communiqué aux deux parties, c'est-à-dire à M. Connolly et à Postes canada, et les deux parties saisirent l'occasion qui leur était alors offerte, chacune présentant d'autres conclusions écrites sur le rapport de l'enquêteur.

[16]            Par une lettre datée du 16 avril 1999, la Commission, après examen du rapport d'enquête et des conclusions des parties, rejeta la plainte. Sa lettre informait M. Connolly que

[TRADUCTION]

... la preuve ne confirme pas les accusations du plaignant qui affirme que l'employeur n'a pas tenu compte de sa déficience et que sa supérieure hiérarchique l'a harcelé à cause de sa déficience.

À son retour au travail, et en accord avec les rapports adressés par son médecin à l'employeur, le plaignant a bénéficié d'un horaire de travail réduit et d'une modification de ses tâches jusqu'à ce qu'il fût déclaré médicalement apte à une reprise de ses tâches intégrales.

Les accusations de harcèlement à l'encontre de la supérieure hiérarchique du plaignant ne sont pas étayées par la preuve. ...

Points en litige

[17]            Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur exposait plusieurs moyens qui selon lui justifiaient une réparation. Lorsque l'affaire a été instruite, certains de ces moyens ont été évoqués incidemment, et des conclusions écrites, intitulées « Arguments et déclarations, audience du 18 juillet 2001 » , alors déposées par M. Connolly, ainsi que ses arguments oraux, se rapportaient pour l'essentiel à d'autres questions. J'examinerai d'abord les points soulevés à l'audience et, vers la fin des présents motifs, j'exposerai brièvement pourquoi, à mon avis, la plupart des moyens énoncés dans la demande initiale de contrôle judiciaire n'intéressent pas la présente instance.


[18]            À l'audition de cette affaire, M. Connolly s'en est pris à la lenteur avec laquelle la Commission avait traité ses plaintes, et il a exposé les difficultés et frustrations que lui avaient causées les présumés actes discriminatoires et les présumées représailles de Postes Canada. Il trouvait également que ses plaintes n'avaient pas été sérieusement examinées par le personnel de la Commission, non plus que par la GRC lorsqu'elle avait fait une enquête distincte, mais directement rattachée à l'affaire. À son avis, ni la Commission ni la GRC n'avaient cherché de preuves tangibles.

[19]            Seul le dernier de ces points intéresse la présente instance, à savoir le manque de sérieux de l'enquête effectuée par le personnel de la Commission, s'il est prouvé qu'il en a résulté des conclusions de fait rendant manifestement déraisonnable la décision de la Commission. Cette demande de contrôle judiciaire concerne la décision de la Commission de rejeter les plaintes de M. Connolly après enquête et de ne pas renvoyer l'affaire à un tribunal pour instruction. La décision de la Commission est une décision discrétionnaire, qu'une cour de justice n'a pas le loisir de modifier à la légère.

Analyse


[20]            La lenteur de la Commission à rendre une décision a été très regrettable. Je crois que la Commission elle-même reconnaîtrait que sa lenteur était pour le moins inexcusable. Néanmoins, la Cour doit ici examiner la décision finalement rendue par la Commission, non se demander pourquoi il lui a fallu environ quatre ans pour la rendre. Ce qui ne cesse de préoccuper le demandeur, c'est l'apparent manque de sérieux avec lequel, lors de sa propre enquête sur les plaintes de M. Connolly à propos des représailles, l'enquêteur de la GRC a examiné les plaintes en question et tenté de rassembler les éléments de preuve de nature à établir leur bien-fondé. M. Connolly avait pourtant, à propos de cette enquête, déposé une plainte auprès du commandant divisionnaire de la GRC et auprès de la Commission des plaintes du public contre la GRC, mais il avait alors admis que, s'il avait agi ainsi, c'était pour porter son mécontentement à l'attention de l'officier enquêteur et de ses supérieurs. Il n'a pas demandé à la Commission des plaintes du public contre la GRC d'enquêter sur l'affaire. Dans ses conclusions écrites, M. Connolly reconnaît que ses doutes à propos de l'enquête de la GRC sont étrangers à la présente procédure de contrôle judiciaire, une admission dont je lui ai su gré et que j'ai confirmée lors de l'audition de la présente affaire.


[21]            Les points qui intéressent la présente procédure de contrôle judiciaire sont de deux ordres : la norme de contrôle à appliquer à la décision de la Commission qui nous occupe ici, et la question de savoir si M. Connolly a répondu à cette norme en prouvant que la Commission a commis une erreur d'une manière qui justifie l'intervention de la Cour. Il doit pour cela démontrer que la Commission a commis une erreur de droit sous un aspect qui intéresse sa compétence, ou qu'elle a commis un manquement à l'équité procédurale ou que ses conclusions étaient arbitraires et non autorisées par la preuve dont elle disposait. Comme l'a dit M. le juge Estey, s'exprimant pour la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8 :

C'est... une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

[22]            Ce principe a été approuvé comme fondement nécessaire du contrôle judiciaire des décisions discrétionnaires de la Commission de rejeter une plainte et de ne pas renvoyer l'affaire à un tribunal, après qu'elle a étudié le rapport de son enquêteur et les arguments présentés par les parties en réponse à ce rapport (voir : Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 544 (1re inst.), conf. par (1996) 205 N.R. 383 (C.A.F.); Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113 (C.A.F.), appel rejeté [1999] C.S.C.R. no 1; Walker c. Randall, (1999) 173 F.T.R. 161.


[23]            On n'a pas donné à entendre que la Commission a outrepassé sa compétence dans l'examen des plaintes. Sa compétence est définie dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Selon les articles 7 et 14, constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, en l'occurrence fondé sur la déficience de M. Connolly (selon l'article 3), le fait de défavoriser un individu en cours d'emploi ou de le harceler. L'article 43 autorise la Commission à désigner un enquêteur, lequel, en vertu de l'article 44, présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l'enquête. Celle-ci peut, en vertu du paragraphe 44(3), rejeter la plainte si elle est convaincue que, compte tenu des circonstances, l'examen de la plainte n'est pas justifié. Il se trouve que la décision contestée ici a été rendue par la Commission après examen du rapport de son enquêteur et des arguments écrits présentés en réponse au rapport par M. Connolly et par Postes Canada.

[24]            La décision de la Commission ne sera pas annulée par la Cour simplement parce que M. Connolly croit qu'elle est erronée, ni même parce que la Cour, se fondant sur les mêmes éléments de preuve, les aurait peut-être appréciés différemment et serait peut-être arrivée à une conclusion différente. Elle ne peut être annulée que s'il est établi que la décision de la Commission a contrevenu à un principe d'équité dont M. Connolly pouvait exiger l'application, ou que la décision n'était pas fondée sur la preuve dont disposait la Commission, ou enfin que la Commission a d'une autre manière commis une erreur de droit.

[25]            M. Connolly prétend qu'il y a eu manquement à l'équité procédurale dans le travail de la Commission, pour trois raisons : la Commission a été lente à agir, les témoins n'ont pas été entendus en audience publique, et finalement l'enquête a été insuffisante. La lenteur à agir n'est pas ici expliquée, mais ce facteur ne permet pas d'annuler une décision après qu'elle est rendue. La procédure de la Commission, ainsi que son pouvoir discrétionnaire lorsqu'elle traite les plaintes, sont définis par le législateur dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Seules les plaintes renvoyées devant un tribunal par la Commission seront finalement instruites en audience publique, mais il appartient à la Commission, en vertu de la loi, de décider, comme elle l'a fait ici, de ne pas renvoyer une plainte à un tribunal.


[26]            L'affirmation de M. Connolly selon laquelle l'enquête menée par la Commission a été défectueuse semble s'appuyer sur plusieurs facteurs, notamment la lenteur de la Commission à agir et la négligence de la Commission à communiquer avec lui à propos du dossier pendant une bonne partie des quatre années, depuis son premier contact avec la Commission jusqu'à la date de la décision de la Commission. Il reproche aussi à la Commission de ne lui avoir communiqué aucune des conclusions de l'enquête entreprise en 1997 au nom de la Commission par le cabinet d'avocats de Halifax, et il doute que les copies des dépositions de témoins qu'il avait fournies, ainsi qu'une bande magnétique de ses messages téléphoniques, qui avait été remise à cet enquêteur, aient été finalement reçues par la Commission. Enfin, s'il trouve que l'enquête a manqué de sérieux, c'est en partie parce que ni le rapport d'enquête de la Commission ni celui de la GRC ne parlent des témoins dont il espérait que les dépositions corroboreraient ses allégations. Au lieu de cela, les témoins désignés ou mentionnés sont pour la plupart des cadres ou des employés d'administration de Postes Canada, et les deux rapports se réfèrent abondamment aux explications de la défenderesse (Postes Canada), qui sont dès lors acceptées. M. Connolly trouve qu'il y a partialité en faveur de Postes Canada.


[27]            Si fortes que puissent être les impressions du demandeur, je ne suis pas convaincu que le rapport de l'enquêteur soit entaché d'une erreur de droit ou qu'il atteste un manquement à l'équité procédurale ou que ses conclusions ne soient pas autorisées par la preuve dont disposait la Commission. Lorsqu'il y a divergence d'opinions entre deux parties (et M. Connolly savait qu'il y avait divergence d'opinions entre lui et Postes Canada, puisque Postes Canada rejeta dès le début son accusation), le décideur à qui il incombe de dire si une plainte devrait ou non être renvoyée à un tribunal ne saurait satisfaire les deux parties. Ici, la décision de la Commission était à l'évidence fondée sur la preuve présentée à l'enquêteur de la Commission et sur les arguments écrits des parties en réponse au rapport et à la recommandation de l'enquêteur. Malgré les convictions et les impressions de M. Connolly, le dossier qui est devant moi n'indique nullement que, dans sa décision, la Commission a ignoré des éléments de preuve importants ou tenu compte de facteurs hors de propos.

[28]            En définitive, il n'est pas surprenant que la Cour ne trouve aucun fondement qui l'autoriserait à annuler la décision de la Commission. Dans l'affaire Walker c. Randall, [1999] A.C.F. no 1338 (1re inst.), M. le juge Teitelbaum s'est exprimé ainsi :

41. Si, de fait, la plainte porte sur la rigueur dans la préparation du rapport d'enquête, alors la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Le contrôle judiciaire n'est pas la procédure appropriée pour contester la « rigueur » du travail d'enquête d'un enquêteur sur une plainte.

puis :

53. ... Je suis convaincu qu' « au stade de l'examen préalable » de l'enquête, à la suite de la réception d'une plainte de discrimination, la Commission a un « degré remarquable de latitude » en ce qui a trait au type d'enquête qui doit être tenue avant qu'elle puisse conclure que la plainte ne devrait pas être déférée à un tribunal pour instruction.

[29]            Dans l'affaire Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne) [1994] A.C.F. 181 (1re inst.), confirmée par [1996] A.C.F. 385 (C.A.), M. le juge Nadon s'est exprimé ainsi :


Il faut faire montre de retenue judiciaire à l'égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes. Ce n'est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu'un enquêteur n'a pas examiné une preuve manifestement importante, qu'un contrôle judiciaire s'impose. Un tel point de vue correspond à la retenue judiciaire dont la Cour suprême a fait preuve à l'égard des activités d'appréciation des faits du Tribunal des droits de la personne dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 544.

[30]            À mon avis, puisqu'il convient de déférer à la manière dont la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire, et puisqu'il n'est pas établi que, dans sa décision, la Commission a commis une erreur de droit, qu'elle a apprécié les faits d'une manière manifestement déraisonnable ou qu'elle a manqué à l'équité procédurale, la Cour n'a aucun fondement sur lequel annuler la décision de la Commission.

[31]            Avant de conclure, je me pencherai sur deux aspects de l'affaire qui ont été évoqués par M. Connolly. Le premier concerne la conclusion à tirer du rapport interne Leblanc à Postes Canada daté du 30 mai 1996, rapport qui, selon le demandeur, donne du poids à ses arguments. Dans l'enquête qui a précédé ce rapport, Mme Leblanc, l'enquêteur, note qu'elle a interrogé 16 témoins, dont 7 autres facteurs, 3 surveillants, la supérieure hiérarchique et divers agents de Postes Canada.


[32]            Ce ne sont pas toutes les plaintes du demandeur qui ont été acceptées dans le rapport Leblanc, mais, selon ce rapport, la preuve permettait de croire que plusieurs des demandes formulées par M. Connolly pour qu'il soit tenu compte de sa déficience avaient été refusées, bien qu'en fin de compte certaines d'entre elles eussent été satisfaites, en particulier en 1995 après sa seconde enquête. Le rapport Leblanc concluait aussi que M. Connolly avait jugé délibérément choquantes les remarques de sa supérieure hiérarchique, bien que les mêmes remarques n'eussent pas été choquantes si elles avaient été formulées plus subtilement et si l'on avait montré de l'empathie pour son état. De l'avis de Mme Leblanc, il y avait eu confusion, il y avait eu rupture des communications, et il eût été indiqué que la supérieure hiérarchique et Postes Canada envoient au plaignant des lettres d'excuses pour le possible malentendu. Le rapport Leblanc préconisait des consultations psychosociales pour les deux parties au malentendu, ainsi qu'une rencontre où seraient réglées les divergences de vues et où la relation prendrait un nouveau départ.

[33]            Ce rapport semble avoir figuré dans le dossier qui se trouvait devant la Commission. Dans la mesure où ses conclusions ou recommandations étaient favorables à la position de M. Connolly, et en l'absence d'une preuve contraire, on doit présumer que l'enquêteur de la Commission en a tenu compte lorsqu'il a rédigé son rapport à la Commission. Naturellement, les conclusions du rapport Leblanc ne liaient pas la Commission, et bien entendu les objets de l'enquête interne, ainsi que les objets de ce rapport à Postes Canada, n'étaient pas ceux de la Commission. La Commission avait pour mandat de se demander si, vu l'ensemble de la preuve, la plainte de violation de droits protégés par la Loi canadienne sur les droits de la personne justifiait le renvoi à un tribunal pour instruction.


[34]            L'autre aspect des arguments avancés par le demandeur porte sur une bonne douzaine de moyens exposés dans la demande de contrôle judiciaire comme fondements de la réparation demandée. Aucun de ces moyens n'autorise la Cour à intervenir, et cela pour les raisons suivantes. On y affirme que la preuve dont disposait la Commission corrobore les plaintes de discrimination déposées par M. Connolly et que le rapport de l'enquêteur de la Commission dépassait l'entendement de M. Connolly. Essentiellement, ces deux arguments signifient que M. Connolly ne voit pas la preuve comme la voit la Commission, mais cela n'autorise pas pour autant la Cour à intervenir. Les deux arguments reposent entre autres sur le fait que, selon lui, l'enquête de la Commission a manqué de sérieux, ce qui, comme je l'ai déjà mentionné, n'est pas confirmé par la preuve et qui, en l'espèce, n'autorise pas la Cour à intervenir.

[35]            Le demandeur invoque quatre autres moyens qui concernent le rapport interne Leblanc de Postes Canada, et notamment le fait que M. Connolly n'a eu accès au rapport que le 21 mai 1999, après le rapport de la Commission, et cela malgré ses demandes présentées en conformité avec la Loi sur la protection des renseignements personnels, et le fait que les recommandations du rapport corroboraient ses plaintes, mais il n'a pas été adopté par Postes Canada. Ces moyens concernent le rapport Leblanc et n'intéressent pas directement la décision de la Commission, seul objet de la présente procédure de contrôle judiciaire. Un autre moyen concernait la lenteur avec laquelle la GRC avait entrepris son enquête, mais, comme il est indiqué plus haut, cette enquête n'intéresse pas la présente procédure de contrôle judiciaire.


[36]            Plusieurs autres moyens apparaissant dans la demande introductive d'instance concernent l'enquête de la Commission. On fait valoir que Postes Canada a empêché M. Connolly en février 1997 de rencontrer l'avocat de Halifax qui représentait la Commission et que cet enquêteur initial lui avait dit d'abord que Postes Canada n'avait pas fait assez pour soutenir M. Connolly et ensuite, après le rejet de la plainte par la Commission, que ce n'était pas ce qu'il avait recommandé. Finalement, on fait valoir que cet enquêteur n'avait pu trouver une bande magnétoscopique que lui avait remise le demandeur en 1997. Quatre autres moyens donnent simplement les noms d'enquêteurs de la Commission, en indiquant que le premier s'était limité à interroger les témoins par téléphone, que le second ne travaillait plus pour la Commission à Ottawa et que la troisième, d'abord jugée consciencieuse et compétente, avait finalement indiqué à M. Connolly qu'elle recommandait le rejet de sa plainte, en lui disant « votre médecin s'est peut-être trompé » . Rien de tout cela ne donne à la Cour une raison d'intervenir.

[37]            On a fait valoir que, dans son enquête et son rapport, la Commission n'avait pas observé les principes de la convention collective entre Postes Canada et le Syndicat canadien des travailleurs postaux, convention qui interdit la discrimination et le harcèlement fondés sur le handicap physique ou affectif, et, selon le demandeur, ce manquement constituait un moyen qui donnait ouverture à un contrôle, mais il ne s'agit pas là d'une matière qui se prête à la présente procédure. L'objet du rapport de la Commission était l'application des règles figurant dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, non l'application des règles de la convention collective.


[38]            Finalement, M. Connolly avance que le rapport de l'enquêteur de la Commission ne rendait pas compte des déclarations qu'il avait faites aux enquêteurs de la Commission et que nombre de ses déclarations étaient reproduites d'une manière inexacte et souvent incomplète. Aucun exemple du genre n'a été donné. M. Connolly a eu la possibilité de critiquer le rapport et de présenter des arguments écrits à son sujet. Il a usé de cette possibilité, mais je ne vois nulle part dans le dossier les arguments qu'il a présentés. Même s'ils s'y trouvaient, le seul fait que ses arguments écrits visaient à présenter sa preuve plus fidèlement que ne l'avait fait, selon lui, l'enquêteur dans son rapport ne suffirait pas à annuler la décision de la Commission, à moins qu'il n'apparaisse clairement que le rapport de l'enquêteur était manifestement déraisonnable. Cela n'a pas été établi.

Conclusion

[39]            En bref, bon nombre des moyens exposés dans la demande de M. Connolly ne sont pas pertinents, et ceux qui le sont ne donnent pas à la Cour le pouvoir d'intervenir. De plus, les conclusions écrites détaillées produites par M. Connolly à l'audience du 18 juillet 2001, et les arguments oraux qui les ont suivies, n'autorisent aucunement la Cour à annuler le rapport de la Commission.

[40]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


[41]            Les deux parties ont demandé que leur soient accordés les dépens. D'habitude, les dépens suivent l'issue de la cause, et je ne vois pas pourquoi ils ne devraient pas ici être accordés à la défenderesse, Postes Canada. Le dossier indique que, dans cette affaire, il y a eu deux demandes interlocutoires ainsi que la demande de contrôle judiciaire, de sorte que, pour les deux parties, il y a eu, avant l'audition de cette demande, plus d'une comparution se rapportant à cette instance. Néanmoins, je propose que les dépens accordés à Postes Canada soient établis selon une somme raisonnable dont les parties pourront convenir ou, si elles ne réussissent pas à s'entendre, selon une somme que déterminera la Cour après examen des conclusions écrites de M. Connolly et de la défenderesse sur les dépens qui devraient être fixés. Lesdites conclusions devront être présentées au greffe de la Cour au plus tard le 22 mars 2002.

       W. Andrew MacKay       

JUGE

OTTAWA (Ontario)

le 20 février 2002

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                 T-2093-99

INTITULÉ :                                           JOHN E. CONNOLLY c. SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

LIEU DE L'AUDIENCE :                   HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 18 JUILLET 2001

MOTIFS DU JUGEMENT :             M. LE JUGE MACKAY         

DATE DES MOTIFS :                        LE 20 FÉVRIER 2002

ONT COMPARU :

JOHN CONNOLLY                                                        POUR LE DEMANDEUR

DAVID MOMBOURQUETTE                                      POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

COX HANSON O'REILLY MATHESON                   POUR LA DÉFENDERESSE

1100 PURDY'S WHARF TOWER ONE

1959 UPPER WATER STREET

HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

B3J 3E5

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