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Date : 20060718

Dossier : T-407-03

Référence : 2006 CF 889

Ottawa (Ontario), le 18 juillet 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

 

ENTRE :

RATIOPHARM INC.

demanderesse

et

 

LABORATOIRES RIVA INC.

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Jusqu’à il y a quelques années, Ratiopharm se trouvait dans une situation enviable, occupant à elle seule une part du marché canadien des sirops contre la toux. Son produit, le « CALMYLIN », était le seul sirop à base de codéine qui pouvait être obtenu sans ordonnance d’un médecin. Puis, en 2002, les Laboratoires Riva ont lancé un produit similaire à base de codéine. Ratiopharm ne pouvait rien faire au sujet de la concurrence. Elle ne détenait aucun brevet pour la formule du sirop. Toutefois, elle s’est opposée au nom que les Laboratoires Riva ont donné à leur produit : « DAMYLIN ».

 

[2]               Il s’agit en l’espèce de l’instruction d’une action intentée par Ratiopharm dans laquelle celle‑ci allègue que les Laboratoires Riva ont violé la marque de commerce déposée au Canada, ont fait passer leurs marchandises pour les siennes et ont diminué la valeur de l’achalandage attaché à la marque de commerce Calmylin. Plus particulièrement, Ratiopharm a invoqué les articles 7, 19, 20 et 22 de la Loi sur les marques de commerce.

 

[3]               La preuve produite à l’instruction se limitait à des questions de responsabilité. Il a été convenu que la question du montant, qu’il s’agisse de dommages‑intérêts ou de la remise des profits en equity, serait reportée à plus tard. Enfin, une fois la preuve présentée, les avocats de Ratiopharm ont annoncé qu’ils ne cherchaient plus à obtenir jugement sur la question de la commercialisation trompeuse ou de la diminution de l’achalandage.

 

[4]               Il n’est donc pas nécessaire d’examiner les nuances à apporter selon les dispositions de la Loi sur les marques de commerce qui sont invoquées. Il reste une action pour usurpation fondée sur l’article 20 de la Loi, lequel prévoit que « le droit du propriétaire d’une marque de commerce déposée à l’emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne non admise à l’employer selon la présente loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion [...] ».

 

[5]               Le fondement légal d’une action en commercialisation trompeuse intentée devant la Cour fédérale se trouve à l’article 7 de la Loi sur les marques de commerce. La mauvaise foi ou la faute est un élément des actions en commercialisation trompeuse, mais ce n’est pas un élément essentiel dans une action pour usurpation. (R.T. Hughes, Hughes on Trade Marks, 2e éd. (Markham : LexisNexis Canada Inc., 2005, page 981). Étant donné qu’il n’a pas été donné suite à l’élément commercialisation trompeuse de l’action, il n’est pas nécessaire de tenir compte de la preuve que Ratiopharm a présentée par l’entremise d’une ancienne représentante des Laboratoires Riva. Le témoin a déclaré qu’en vendant son produit aux pharmaciens, elle mettait l’accent sur la similitude des deux produits et des deux noms. Toutefois, elle n’a pas déclaré que cette tactique de vente lui était dictée par la société.

 

[6]               Il n’est pas non plus nécessaire de traiter de l’apparence physique ou de la présentation des deux produits, que ce soit dans le contexte de la commercialisation trompeuse ou de l’usurpation de la marque de commerce. Chacun des deux produits est vendu en trois formats : 100 ml, 250 ml et 350 ml. Les bouteilles sont identiques, mais aucune preuve n’a été présentée au sujet des différences existant entre ces bouteilles et les autres bouteilles standard disponibles dans une pharmacie. Une preuve a été soumise au sujet de l’étiquetage. L’étiquetage du Calmylin avait été modifié et on a tenté de soutenir que le produit Damylin en était une copie. Toutefois, en fin de compte, le Damylin a été mis en vente sur le marché avant le Calmylin actuel, de sorte qu’on ne peut pas dire que l’étiquette du Damylin était une copie. Quoi qu’il en soit, à mon avis, les deux étiquettes ne créent pas de confusion.

 

[7]               L’article 19 de la Loi, qui a également été invoqué dans la déclaration, n’est pas pertinent parce qu’il s’applique uniquement à l’utilisation par un défendeur d’une marque de commerce identique (Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd. (1987), 19 C.P.R. (3d) 3 (C.A.F.)).

 

[8]               La disposition de la Loi à laquelle la présente action est maintenant limitée, l’article 20, nous amène aux articles 2 et 6. Selon la définition figurant à l’article 2, laquelle est ici formulée de façon à correspondre aux faits de la présente espèce, une marque de commerce est une « marque employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées [ou] vendues [...] par elle, des marchandises fabriquées [ou] vendues [...] par d’autres ». De même, le paragraphe 6(2) prévoit que « [l]’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées [ou] vendues [...] par la même personne, que ces marchandises [...] soient ou non de la même catégorie générale ». Le paragraphe 6(5) donne ensuite une liste non exhaustive des circonstances dont la Cour doit tenir compte en décidant si des marques de commerce créent de la confusion. Ces circonstances seront examinées à tour de rôle ci‑dessous.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[9]               Lors de la présentation des plaidoyers des parties, il restait deux questions à trancher :

a.                   La demanderesse a‑t‑elle qualité pour engager des poursuites?

b.                  La marque Damylin est‑elle susceptible d’être confondue avec la marque Calmylin au sens de l’article 20 de la Loi?

 

LA QUALITÉ POUR AGIR

[10]           Ratiopharm Inc., la demanderesse, une société canadienne, a été à un moment donné le propriétaire inscrit de la marque de commerce Calmylin, mais en septembre 2002, elle a vendu cette marque à une société liée, Ratiopharm GmbH. Par conséquent, l’allégation qui figure dans la déclaration déposée au mois de mars 2003 et selon laquelle Ratiopharm Inc. était titulaire de tous les droits, titres et intérêts afférents à la marque de commerce Calmylin n’est pas exacte. Toutefois, le propriétaire d’une marque de commerce peut autoriser une autre personne à employer la marque et cette personne peut intenter en son propre nom une action pour usurpation. Il n’est plus nécessaire pour les besoins de la présente espèce d’examiner s’il en va de même dans les actions fondées sur la commercialisation trompeuse ou sur la diminution de l’achalandage.

 

[11]           Les deux sociétés Ratiopharm ont conclu un contrat de licence de marque de commerce le 12 avril 2005. Selon le préambule, Ratiopharm GmbH, en sa qualité de concédant, avait, le 10 septembre 2002, accordé à la demanderesse le droit exclusif d’employer la marque de commerce Calmylin et d’autres marques de commerce au Canada. Il importe de mentionner que, selon les données de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, il s’agit de la date à laquelle Ratiopharm Inc. a transféré son titre à Ratiopharm GmbH. Il semble que personne ne se soit donné la peine de transmettre une copie de la cession. L’article 3.2 du contrat de licence de la marque de commerce prévoit ce qui suit :

[Traduction] Le licencié aura, à ses propres frais et après avoir obtenu l’autorisation du concédant, le droit et l’obligation d’intenter toute action en vertu du droit applicable sur le territoire en cause en vue de protéger et de préserver les droits du concédant sur les marques de commerce sur ce territoire, notamment la surveillance du marché. Le licencié tiendra le concédant au courant de l’état des procédures ou des conclusions tirées au sujet de la violation des droits. Le concédant fournira les renseignements et l’aide nécessaires au licencié si ce dernier décide d’agir comme demandeur ou comme défendeur dans une procédure. Le concédant s’engage à être au besoin constitué partie à toute action que le licencié intente en vue de protéger et de préserver le droit que possède le concédant sur les marques de commerce sur le territoire en cause. Toute somme recouvrée reviendra exclusivement au licencié.

 

[12]           Les Laboratoires Riva prétendent que la demanderesse n’avait pas obtenu de Ratiopharm GmbH [Traduction] l’« autorisation » nécessaire avant d’intenter la présente action. Je suis toutefois convaincu qu’elle avait obtenu cette autorisation.

 

[13]           La seule personne qui a témoigné sur ce point était Kent Denike, directeur, Brevets et Affaires réglementaires et juridiques, pour Ratiopharm Inc. Il a joint la société le 26 août 2002 seulement; il n’était qu’incidemment au courant du transfert de la marque de commerce Calmylin à Ratiopharm GmbH et de la rétrocession. Toutefois, c’est lui qui a initialement retenu les services d’un cabinet d’avocats relativement à l’affaire du Damylin. En octobre 2002, il a ensuite transféré le dossier aux avocats actuellement inscrits au dossier sur la recommandation de Ratiopharm GmbH. À sa connaissance, Ratiopharm GmbH n’a pas donné d’instructions écrites au sujet de l’introduction d’une action. Toutefois, Ratiopharm GmbH reçoit des rapports mensuels de la demanderesse et de ses avocats; de plus, elle a approuvé le budget pour le litige. Je suis convaincu qu’il a été satisfait aux exigences de l’article 50 de la Loi à l’égard des licences et que l’action a la même force et le même effet, et qu’elle est aussi exécutoire, que si elle avait été intentée au nom du propriétaire de la marque de commerce déposée.

 

[14]           Cette conclusion ayant été tirée, il n’est pas nécessaire d’examiner si les Laboratoires Riva étaient empêchés de soulever ce point dans une action pour usurpation (par opposition à une action fondée sur la commercialisation trompeuse ou sur la diminution de l’achalandage) compte tenu des questions mutuellement définies lors de la conférence préparatoire et des aveux qui ont été faits par écrit avant l’instruction.

 

L’USURPATION ET LA CONFUSION

[15]           Quant à l’action pour usurpation, la marque de commerce non déposée Damylin de la défenderesse n’est pas identique à la marque Calmylin. En vertu de l’article 20 de la Loi, il s’agit de savoir si cette marque crée de la confusion. Les marques de commerce créent de la confusion dans les circonstances énumérées, pour les besoins de la présente espèce, aux paragraphes 6(2) et (5) de la Loi.

 

[16]           Pour ce qui est du paragraphe 6(2), les deux marques de commerce sont employées, à l’heure actuelle, dans la même région géographique, le Québec. Pour l’instant, la marque Damylin est uniquement commercialisée au Québec, mais rien n’empêche la défenderesse de commercialiser son produit à l’échelle nationale, comme c’est le cas pour le produit Calmylin. Non seulement les marchandises sont de la même catégorie générale, mais elles appartiennent à une catégorie identique.

 

[17]           Suivant le paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce, la Cour, en arrivant à sa décision, doit tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce, et notamment des circonstances suivantes :

6.(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris:

 

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

 

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

 

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

 

d) la nature du commerce;

 

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

 

6.(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

 

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

 

 

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

 

(c) the nature of the wares, services or business;

 

(d) the nature of the trade; and

 

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

 

LE CARACTÈRE DISTINCTIF INHÉRENT

 

[18]           Je suis convaincu qu’aucune des deux marques de commerce n’a un caractère distinctif inhérent. Benoît Leblanc, professeur de linguistique, qui a été cité comme témoin par la demanderesse, a souligné que le suffixe « YLIN » est passablement commun dans l’industrie pharmaceutique. Il a mentionné les produits Benelyn, Agrylin, Haemaloxylin et, comme variante, le produit Nilyn. La professeure Claire Gélinas‑Chebat, également professeur de linguistique, qui a été citée comme expert par les Laboratoires Riva, a ajouté le produit « Tussilyn ». Étant donné qu’il n’y a rien de distinctif dans le suffixe, les deux témoins conviennent qu’il faut mettre l’accent sur les racines « CALM » et « DAM ». Étant donné qu’il faut tenir compte des clients francophones, des clients anglophones et des clients bilingues, les deux experts ont examiné les racines « CALM » et « DAM » en français et en anglais. Dans les deux langues, « CALME » ou « CALM » indique un état de repos et de liberté par rapport à la nervosité ou à l’agitation, « état d’une personne qui est ni agitée ni énervée, ni inquiète; impression de repos qui en résulte ». La racine « CALM » est une bonne racine dans ce contexte puisqu’elle donne à entendre qu’après avoir pris le médicament, le patient n’aura plus mal à la gorge et qu’il sera en état de repos.

 

[19]           En revanche, la racine « DAM » n’a pas de connotation pharmaceutique. En anglais, cela peut indiquer la notion de « barrier » (« barrage »), ou en français, un « châtiment » (« peine » ou « pénalité »). Dans les deux langues, le mot « DAM » peut également désigner une dame. Il serait possible d’imaginer d’autres sens, tels qu’une variante de « Out, damned spot! » (« out damn cough » ou « plus de damnée toux ») de Lady Macbeth, mais j’accepte que la racine « DAM » n’a pas de connotation particulière dans le contexte qui nous occupe.

 

LA MESURE DANS LAQUELLE LES MARQUES SONT CONNUES

[20]           Le nom Calmylin a été enregistré comme marque de commerce en 1984. Les données relatives à la marque de commerce indiquent que ce nom est en fait employé depuis 1979 en liaison avec un sirop contre la toux et un expectorant.

 

[21]           Pour étoffer ces documents, Ratiopharm Inc. a fait comparaître Denis Langlois, directeur, Ventes et marketing, Division du consommateur Rougier. M. Langlois travaille dans l’industrie depuis 1982, mais il a joint en 1997 seulement TechniLab Inc., l’une des sociétés qui a été fusionnée pour former Ratiopharm. Le témoignage de M. Langlois au sujet des événements qui s’étaient produits auparavant était de la nature d’un ouï‑dire, mais il était corroboré par la documentation de la société qui relevait de son champ de compétence au sein de la société, et il n’a pas été contesté.

 

[22]           Selon les renseignements fournis par M. Langlois, une société qui s’appelait Casgrain Charbonnel a commercialisé un sirop contre la toux sous le nom Calmyl. Cette société serait apparemment devenue insolvable. TechniLab a acquis le nom et a ajouté « IN » à la fin de façon que le produit ait un nom comparable au Benelyn. Le témoin croyait comprendre que cela s’était produit entre 1979 et 1981.

 

[23]           Le produit Calmylin qui renferme de la codéine est souvent appelé le Calmylin « original » et sa vente est assujettie à des restrictions, comme c’est le cas pour le produit Damylin. Ni l’un ni l’autre produit n’est offert en vente libre ou ne se trouve sur les rayons d’une pharmacie ou d’un supermarché. Les produits doivent être conservés « derrière le comptoir » et ils ne sont disponibles que sur ordonnance ou après consultation d’un pharmacien parce que la codéine est une substance désignée, régie par la réglementation fédérale en matière d’aliments et de drogues, et qu’elle est également réglementée au palier provincial.

 

[24]           La demanderesse vend le même sirop contre la toux à des chaînes pharmaceutiques, qui le commercialisent sous leurs propres marques maison. La marque « Life » de Shoppers Drug Mart a été mentionnée, ainsi que London Drugs. On n’a pas soutenu que la marque Damylin crée de la confusion en ce qui a trait à la vente de ces produits.

 

[25]           S’il est possible de dire que les ventes de produits gardés « derrière le comptoir » représentent la moyenne, le prédécesseur de Ratiopharm, TechniLab, a décidé de lancer le produit sur les deux autres marchés des sirops contre la toux, c’est‑à‑dire de les offrir « en vente libre » (ou sur les rayons) et « sur ordonnance seulement ».

 

[26]           Vers 1992, TechniLab a décidé de se lancer sur le marché des ventes libres. Elle a commercialisé sept produits Calmylin, dont aucun ne contenait de la codéine, soit les produits Calmylin nos 1, 2, 3, 4, pédiatrique, toux et grippe, et expectorant. Ces produits offerts en vente libre ont été annoncés lors de deux campagnes publicitaires à la télévision et dans une campagne publicitaire sur les lieux de vente. L’une des campagnes s’est déroulée de novembre 1993 à février 1994, en français et en anglais, partout au pays. Le dossier n’est pas complet en ce qui concerne l’autre campagne, mais on croit qu’elle a eu lieu auparavant. Des versions des deux types de publicité ont été déposées en preuve à l’instruction.

 

[27]           En 1995 et en 1996, un autre produit Calmylin a été lancé. Il contenait également de la codéine, et il était donc gardé derrière le comptoir. Les deux produits contenaient de la codéine, mais le Calmylin original contenait également du chlorhydrate de diphenhydramine et du chlorure d’ammonium. La nouvelle version, à saveur de framboise, contenait de la codéine, du chlorhydrate de pseudoéphédrine et de la guaifénésine. Les deux versions du Calmylin contenant de la codéine sont encore commercialisées.

 

[28]           À l’heure actuelle, il existe en outre sur le marché un troisième sirop contre la toux Calmylin, le Calmylin Ace. On peut uniquement se le procurer sur ordonnance. Il sert de produit de remplacement générique pour le produit de marque Robitussin AC.

 

[29]           Les sirops contre la toux Calmylin ne sont plus offerts en vente libre. La direction de l’entreprise, dont faisait partie M. Langlois, en a décidé ainsi après 1998, soit l’année où TechniLab et Rougier sont devenues des sociétés liées. Rougier occupait une plus grande part du marché des sirops contre la toux offerts en vente libre avec sa marque « BALMINIL ». Il a été décidé d’abandonner les sirops contre la toux Calmylin offerts en vente libre en faveur du Balminil. Ces produits ont été abandonnés vers l’an 2000, mais étant donné que leur durée de conservation est de quatre ans, il en restait peut‑être encore sur le marché lorsque le produit Damylin a été lancé en 2002.

 

[30]           Jusqu’à l’année 2000 environ, lorsque le Règlement a été modifié, les sociétés pharmaceutiques envoyaient leur propre personnel de vente dans les pharmacies. Elles avaient souvent recours à diverses mesures incitatives. Toutefois, les tactiques de commercialisation ont été restreintes, la seule incitation maintenant possible se rapportant aux conditions de crédit. La promotion des ventes se fait dans le cadre d’un salon professionnel annuel, les sociétés concurrentes ayant des stands où elles exposent leurs marchandises.

 

[31]           Des registres de ventes ont été produits à l’égard des divers produits Calmylin. Il est difficile d’apprécier dans l’abstrait le volume des ventes, étant donné qu’aucune preuve n’a été présentée au sujet du pourcentage du marché global des sirops contre la toux que représentent ces ventes. Les Laboratoires Riva ont déclaré qu’en 2002, soit la seule année au cours de laquelle son produit était en vente sur le marché avant l’introduction de la présente action, son chiffre d’affaires ne s’élevait qu’à 50 000 $.

 

[32]           Je suis convaincu que le produit Calmylin était mieux connu que le produit Damylin, mais la preuve ne permet certes pas de conclure que le produit Calmylin était bien connu.

 

LA PÉRIODE PENDANT LAQUELLE LES MARQUES DE COMMERCE ONT ÉTÉ EN USAGE

[33]           Je suis convaincu que la marque Calmylin est utilisée depuis le début des années 1980 au moins, et que la marque Damylin est utilisée depuis 2002.

 

LE GENRE DE MARCHANDISES, SERVICES OU ENTREPRISES

[34]           Comme il en a déjà été fait mention, à toutes fins utiles, le Calmylin original et le Damylin sont des sirops contre la toux identiques.

 

LA NATURE DU COMMERCE

[35]           La nature des marchandises, de l’entreprise et du commerce est identique. Le produit est le même et on peut uniquement l’obtenir dans une pharmacie, sur ordonnance d’un médecin ou après avoir consulté un pharmacien. Dans certaines circonstances, le prix peut également constituer un facteur qui a une incidence sur le risque de confusion. Ainsi, il est fort peu probable qu’une personne croit que la montre arborant une variante de la marque « Cartier » ou « Rolex » qu’elle peut acheter d’un marchand ambulant au prix de 10 $ est fabriquée par le véritable horloger. Toutefois, comme il n’existe aucune preuve directe ou déductive quant au prix du produit Damylin, il faut considérer que le prix est un facteur neutre.

 

[36]           La codéine est une substance désignée assujettie aux règlements pris en vertu de la Loi sur les aliments et drogues et de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Au Québec, la seule province dans laquelle les produits Calmylin et Damylin sont actuellement en concurrence, le Règlement sur les conditions et modalités de vente des médicaments, R.P.Q., ch. P‑10, r. 8.2, pris conformément à la Loi sur la pharmacie, L.R.Q., ch. P‑10, art. 37.1, prévoit que de telles substances doivent être conservées dans un endroit inaccessible au public, c’est‑à‑dire derrière le comptoir. Bien qu’une ordonnance pour le produit original Calmylin ou pour le produit Calmylin à saveur de framboise (par opposition au Calmylin Ace) ou pour le produit Damylin ne soit pas nécessaire, ces produits ne peuvent être vendus que par un pharmacien, qui doit ouvrir un dossier pour le patient et, notamment, « procéder à l’étude pharmacologique de ce dossier [et] communiquer les renseignements appropriés au bon usage de ce médicament ». Chaque produit a son propre numéro d’identification du médicament, qui est imprimé sur l’étiquette.

 

[37]           Comme il en a déjà été fait mention, le produit original Calmylin, le Calmylin à saveur de framboise et le produit Damylin peuvent en outre être prescrits par un médecin.

 

LE DEGRÉ DE RESSEMBLANCE DANS LES IDÉES SUGGÉRÉES

[38]           Disons encore une fois que la marque Calmylin peut suggérer un état de repos. Dans le contexte qui nous occupe, la marque Damylin ne suggère rien.

 

LE DEGRÉ DE RESSEMBLANCE DANS LA PRÉSENTATION OU LE SON

[39]           À mon avis, l’élément crucial est le degré de ressemblance entre la marque Calmylin et la marque Damylin quant à la présentation ou au son, si on « tient compte de toutes les circonstances de l’espèce ». À cet égard, la Cour considère avec circonspection les opinions exprimées par les deux professeurs de linguistique, M. Leblanc et Mme Gélinas‑Chebat, parce que le degré de ressemblance entre les marques de commerce, quant à la présentation, aux sons ou aux idées suggérées, ne constitue que l’une des circonstances dont il faut tenir compte en décidant s’il existe un risque de confusion (Pierre Fabre Médicament Dicamente c. SmithKline Beecham Corp., 2004 CF 811, [2004] A.C.F. no 999). Néanmoins, les témoignages de ces experts sont utiles, en particulier l’approche différente adoptée par chacun.

 

[40]           Ratiopharm a cité comme témoin Benoît Leblanc, professeur à l’Université du Québec à Trois‑Rivières, qui est titulaire d’un doctorat en linguistique. La thèse de M. Leblanc portait sur une analyse de marques de commerce dans le domaine pharmaceutique. M. Leblanc, ainsi que des médecins, des pharmaciens et d’autres personnes, fait actuellement partie, à l’Université du Québec à Montréal, d’une équipe qui analyse les noms commerciaux et les marques dans l’industrie. Les Laboratoires Riva ont cité comme témoin Claire Gélinas‑Chebat, professeure à l’Université du Québec à Montréal, qui a obtenu un doctorat en phonétique. Avec son mari, qui est professeur de marketing, et d’autres personnes, Mme Gélinas‑Chebat a participé à l’analyse de questions telles que les ventes et la visibilité des produits auprès du consommateur. Elle est l’« oraliste » de l’équipe; elle a témoigné au sujet de l’effet de la publicité et de questions associées aux marques de commerce tant devant la Cour supérieure du Québec que devant la Cour fédérale.

 

[41]           Les études effectuées au fil des ans par le professeur Leblanc l’ont amené à conclure que, dans 98 p. 100 des cas, il existe dans l’industrie pharmaceutique une raison justifiant l’emploi d’une marque de commerce et d’un nom de marque. Il y a environ 25 indices, comme le nom du fabricant, les ingrédients (souvent désignés en grec ou en latin), le problème de santé à traiter, l’effet du médicament, la fréquence avec laquelle le médicament est administré, ou même le nom d’un membre de la famille ou d’un ami. Ainsi, la société pharmaceutique canadienne Apotex, qui vend des produits génériques, utilise souvent le préfixe « APO » pour désigner ses produits. Il a également été fait mention du Sinutab (sinus et tablettes), de « One a Day » et de Vicks (un ami de la famille). Même après que l’on m’eut donné des explications, certains noms n’étaient pas évidents à mes yeux, par exemple, Advil.

 

[42]           M. Leblanc a déduit que le nom Damylin a été choisi pour imiter le nom Calmylin et pour créer de la confusion sur le marché, étant donné la similitude, quant au son, entre « CALM » et « DAM ». Comme il n’y a aucune raison d’ordre pharmaceutique justifiant l’emploi de la racine « DAM », qui est fort semblable à « CALM » étant donné qu’il s’agit dans les deux cas de mots brefs composés de trois syllabes comportant la même unique voyelle, la seule conclusion à tirer est que le choix de « DAM » était une tentative délibérée, et fructueuse, de créer de la confusion.

 

[43]           La professeure Gélinas‑Chebat n’a pas eu à contredire la thèse du professeur Leblanc au sujet du pourcentage de 98 p. 100. Toutefois, elle a ajouté, et ce, à juste titre à mon avis, qu’un grand nombre de raisons à l’origine de l’emploi d’une marque de commerce particulière dans l’industrie pharmaceutique ne sont pas évidentes et exigent une analyse détaillée. C’est le cas, par exemple, de Vicks. Mme Gélinas‑Chebat pensait qu’il y avait peu de risque de confusion parce que les consonnes « C » et « D » sont très différentes quant au son et quant à la présentation et parce que la consonne « L » qui ne figure pas dans le Damylin devrait être prononcée, bien que le risque d’une prononciation indistincte soit reconnu.

 

[44]           Les deux témoins se sont également livrés au type d’analyse en profondeur qui diminue l’importance de la première impression qu’a un consommateur moyen. Ainsi, le professeur Leblanc a produit un tableau montrant la position de la bouche, des dents et de la langue lorsque certains sons sont produits. Les sons peuvent être différents, mais l’apparence visuelle de celui qui les articule est la même pour la personne malentendante qui lit sur les lèvres d’autrui. La professeure Gélinas‑Chebat a nuancé ces remarques en signalant qu’il peut y avoir des différences subtiles que cette personne relèverait, comme une palpitation des narines et la vibration des cordes vocales. J’ajouterai simplement qu’il convient de prendre une décision au sujet de la confusion bien avant d’avoir à comparer la palpitation de narines!

 

[45]           Comme il en a déjà été fait mention en l’espèce, les intentions des Laboratoires Riva ne sont pas pertinentes dans une action pour usurpation. Une personne peut avoir l’intention de créer de la confusion, sans toutefois y arriver; ou encore, une personne peut causer de la confusion en toute innocence. M. Guy Pridham, vice‑président des Laboratoires Riva, a témoigné au sujet des circonstances entourant le choix de Damylin comme nom de marque. La société a décidé, en 2000 ou 2001, qu’il y avait de la place pour un sirop contre la toux à base de codéine. Elle avait déjà un sirop contre la toux sur le marché, le Trialyn, qui contenait les deux autres ingrédients nécessaires. Elle a choisi le nom à l’interne, sans demander conseil à des spécialistes externes du marketing. Elle voulait quelque chose de court et quelque chose qui ressemblait à Trialyn. Le Calmylin n’a pas été mentionné pendant l’interrogatoire principal ni pendant le contre‑interrogatoire!

 

LES AUTRES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

[46]           Même si j’en ai fait mention sous la rubrique « La nature du commerce », je considère comme important le marché dans lequel le produit original Calmylin, le Damylin et les autres produits Calmylin sont, ou étaient, commercialisés, ainsi que le fait que ces produits ont une durée de conservation de quatre ans. Le Calmylin original, le produit que j’ai appelé le Calmylin à saveur de framboise et le Damylin ne sont disponibles que derrière le comptoir après consultation d’un pharmacien ou sur ordonnance d’un médecin. Les produits Calmylin offerts en vente libre étaient peut‑être encore sur les rayons lorsque le Damylin a été lancé en 2002. Le Calmylin Ace peut uniquement être obtenu sur ordonnance d’un médecin.

 

[47]           Aucune preuve n’a été soumise quant à la confusion réelle, que ce soit dans l’esprit d’un pharmacien, d’un médecin ou de l’utilisateur final du sirop contre la toux. Aucune preuve d’opinion fondée sur des sondages n’a été soumise.

 

ANALYSE

[48]           Tout récemment, la Cour suprême du Canada a rendu deux arrêts connexes dans lesquels le droit est clairement énoncé. Dans Mattel Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, un appel avait été interjeté d’une décision du registraire d’accepter la marque de commerce « Barbie’s » et un dessin connexe en liaison avec des restaurants. Cet enregistrement avait fait l’objet d’une opposition de la part de Mattel Inc., le fabricant de la poupée Barbie, que le juge Binnie a qualifiée d’« icone de la culture pop ». Dans Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] A.C.S. no 22 (QL), il s’agissait d’une action pour usurpation fondée sur l’allégation selon laquelle l’emploi du mot « cliquot » en liaison avec des boutiques de vêtements pour dames ferait conclure que les vêtements étaient fabriqués ou vendus par les fabricants du champagne Veuve Clicquot.

 

[49]           Il est possible d’établir une distinction avec les faits de ces deux affaires en ce sens que les marchandises et les services offerts par les deux parties mettaient en cause des commerces différents et que, dans les deux cas, on opposait une marque de commerce célèbre à une marque qui n’était pas généralement connue. Si par « célèbre », on entend un nom que la Cour connaît bien, ni Calmylin ni Damylin ne sont des marques célèbres. Il n’est pas question de noms célèbres tels que « Pink Panther » (Pink Panther Beauty Corp. c. United Artists Corp., [1998] 3 C.F. 534) ou « Coca Cola » (Coca Cola Co. of Canada Ltd. c. Pepsi-cola Co. of Canada Ltd., [1942] 2 D.L.R. 657 (C.J.C.P.).

 

[50]           Les arrêts Mattel et Veuve Clicquot traitaient de façon assez détaillée du critère à appliquer pour déterminer le risque de confusion. Si on examinait attentivement le degré de ressemblance entre Calmylin et Damylin quant à la présentation ou au son, on les distinguerait facilement. Toutefois, comme l’a dit le juge Binnie au paragraphe 20 de l’arrêt Veuve Clicquot :

 20     Le critère applicable est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue du nom Cliquot sur la devanture des boutiques des intimées ou sur une de leurs factures, alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce VEUVE CLICQUOT et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques. Pour reprendre les termes utilisés par le juge Pigeon dans Benson & Hedges c. St. Regis Tobacco Corp., [1969] R.C.S. 192, à la p. 202 :

 

[Traduction] Nul doute que si une personne examinait les deux marques attentivement, elle les distinguerait facilement. Ce n’est toutefois pas sur cette constatation qu’il faut se fonder pour déterminer s’il existe une probabilité de confusion [...]

 

[...] les marques ne paraîtront pas côte à côte et [la Cour doit] essayer d’empêcher qu’une personne qui voit la nouvelle marque puisse croire qu’il s’agit de la même marque que celle qu’elle a vue auparavant, ou même qu’il s’agit d’une nouvelle marque ou d’une marque liée appartenant au propriétaire de l’ancienne marque.

 

(Citant Halsbury’s Laws of England, 3e éd., vol. 38, par. 989, p. 590.)

 

[51]           L’arrêt Veuve Clicquot confirme, au paragraphe 21, que la liste des circonstances énumérées au paragraphe 6(5) de la Loi « n’est pas exhaustive et [qu’]un poids différent sera accordé à différents facteurs selon le contexte, ainsi qu’il est mentionné dans Mattel », où aux paragraphes 56 et suivants, le juge Binnie a examiné les qualités du consommateur mythique qui risque ou qui ne risque pas d’être trompé. Il ne s’agit ni de « l’acheteur prudent et diligent » ni du « crétin pressé ». Il s’agit de l’acheteur ordinaire pressé. Le juge s’est appuyé sur la décision suivante du juge Cattanach dans l’affaire Canadian Schenley Distilleries Ltd. c. Canada’s Manitoba Distilleries Ltd. (1975), 25 C.P.R. (2d) 1, à la page 5 :

Il ne s’agit pas de l’acheteur impulsif, négligent ou distrait ni de la personne très instruite ni d’un expert. On cherche à savoir si une personne moyenne, d’intelligence ordinaire, agissant avec la prudence normale peut être trompée. Le registraire des marques de commerce ou le juge doit évaluer les attitudes et les réactions normales de telles personnes afin de mesurer la possibilité de confusion.

 

[52]           La Cour suprême a ajouté que le consommateur ne prend pas chacune de ses décisions d’achat avec la même attention, ou avec la même absence d’attention. Il prend plus de précautions s’il achète un article plus coûteux. « Dans le cas de l’achat de marchandises ou de services ordinaires de consommation courante, ce consommateur, quoique d’intelligence moyenne, est généralement en retard sur son horaire et a plus d’argent à dépenser que de temps à perdre à se soucier des détails. » La norme applicable n’est pas celle des personnes qui ne remarquent jamais rien, mais celle des personnes qui ne prêtent rien de plus qu’une [Traduction] « attention ordinaire à ce qui leur saute aux yeux » (Coombe c. Mendit Ltd. (1913), 30 R.P.C. 709). Toutefois, comme il a été dit dans Pink Panther, précité, dans l’appréciation de la probabilité de confusion, « il faut accorder une certaine confiance au consommateur moyen » (Mattel, précité, paragraphes 57 et 58).

 

[53]           Étant donné qu’aucune preuve n’a été produite au sujet de la confusion réelle, la Cour doit se mettre à la place de ce consommateur mythique. Il faut tenir compte de trois personnes : le médecin, le pharmacien et le consommateur. Dans l’arrêt Ciba-Geigy Canada Inc. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120, la Cour suprême a statué que le consommateur final d’un médicament d’ordonnance doit être pris en considération pour déterminer si un délit de commercialisation trompeuse est commis. Auparavant, on croyait généralement que la confusion de la part du patient n’était pas particulièrement pertinente étant donné que celui‑ci ne pouvait pas se procurer le médicament en vente libre, mais qu’il devait passer par des intermédiaires, un médecin et un pharmacien. En l’espèce, le consommateur doit passer par deux intermédiaires, un médecin et un pharmacien, ou par un seul intermédiaire, un pharmacien. Bref, le consommateur doit passer par un intermédiaire. Les produits Calmylin et Damylin sont tous deux gardés derrière le comptoir. Les étiquettes sont peut‑être visibles à une certaine distance ou, si les produits sont gardés derrière le comptoir, les étiquettes ne sont pas du tout visibles.

 

[54]           Les médecins et les pharmaciens sont des professionnels qui, eu égard aux circonstances, ne peuvent pas être considérés comme étant pressés au point de mettre en danger la santé du consommateur.

 

[55]           Le médecin doit rédiger une ordonnance. Une vaste gamme de médicaments sont sans aucun doute disponibles sous différents formats. Si un sirop doit être prescrit, il faut considérer que le médecin sait qu’il existe trois sirops Calmylin, qui sont tous à base de codéine, mais qui sont par ailleurs composés d’ingrédients différents. Il lui faut choisir entre les trois. Dans la négative, que doit faire le pharmacien si ce n’est demander des précisions?

 

[56]           Le pharmacien exécutera l’ordonnance ou s’entretiendra avec le consommateur. Si le produit prescrit est le Robitussin AC, et qu’il est possible de remplacer ce produit, le pharmacien sait, grâce à sa profession, que parmi les produits en question, seul le Calmylin Ace suffira. Ni le Calmylin original, ni le Calmylin à saveur de framboise, ni le Damylin ne pourront être utilisés.

 

[57]           Si aucun médecin n’est en cause, le pharmacien sait qu’il peut vendre deux types de Calmylin, mais un type seulement de Damylin.

 

[58]           Comme il a été dit plus haut, et si nous nous limitons aux produits offerts en vente libre, sans ordonnance, un pharmacien du Québec, avant de vendre l’un ou l’autre des deux produits Calmylin, ou le produit Damylin, doit ouvrir un dossier et procéder à une étude pharmacologique. Indépendamment de la codéine, le Calmylin original et le Damylin contiennent du chlorhydrate de diphenhydramine et du chlorure d’ammonium, alors que le produit Calmylin gardé derrière le comptoir, le produit à saveur de framboise, contient du chlorhydrate de pseudoéphédrine et de la guaifénésine. C’est seulement si le pharmacien choisit le premier produit que le choix entre le Calmylin original et le Damylin entre en ligne de compte.

 

[59]           Le médecin et le pharmacien sont des professionnels; ils sont moins susceptibles d’agir avec la même hâte que l’acheteur d’un repas à prix moyen (Barbie) ou d’un vêtement (Cliquot). Dans l’arrêt Ciba‑Geigy Canada, précité, le juge Gonthier a approuvé la remarque suivante faite par le vicomte Maugham dans l’arrêt Saville Perfumerie Ltd. c. June Perfect Ltd. (1941), 58 R.P.C. 147 (C.L.), aux pages 175 et 176 :

[Traduction] Par exemple, il est assez fréquent [...] de constater que les détaillants ne sont pas induits en erreur, alors que les clients ordinaires le sont.

 

[60]           Le consommateur moyen, ou le client, dispose de trois choix : la consultation directe d’un médecin, suivie de la consultation d’un pharmacien, la consultation d’un pharmacien ou l’achat direct au comptoir. Un grand nombre de médicaments servant à traiter les symptômes associés à la toux, au rhume et à la grippe sont offerts en vente libre ou au comptoir. Il n’existe aucune possibilité de confusion étant donné que le Calmylin et le Damylin ne sont pas disponibles en vente libre.

 

[61]           Le consommateur peut accepter ou ne pas accepter l’ordonnance du médecin, et les conseils d’un pharmacien, notamment en ce qui concerne un produit de remplacement, et ce, sans analyse. Par contre, je crois qu’il est fort possible que le consommateur consulte un médecin ou un pharmacien parce qu’il s’est déjà procuré un produit en vente libre qui ne l’a pas soulagé. Étant donné qu’il a déjà acheté un médicament qui n’a pas eu d’effet, le consommateur est moins susceptible d’être pressé la seconde fois. À l’époque où la présente action a été intentée, le consommateur aurait probablement mieux connu le Calmylin que le Damylin, bien que je n’accorde aucun poids au fait que le Calmylin offrait à un moment donné ses produits en vente libre, et que deux campagnes publicitaires remontant à une dizaine d’années auraient laissé une impression dans l’esprit du consommateur.

 

[62]           J’estime que, selon la prépondérance des probabilités, il n’y a aucun risque de confusion entre la marque Calmylin et la marque Damylin dans l’esprit du consommateur moyen, même s’il est pressé. On peut imaginer un scénario selon lequel le consommateur informe le médecin ou le pharmacien qu’à un moment donné, il a pris un sirop contre la toux dont le nom se terminait par « ylin » et qui était efficace, mais il faudrait néanmoins attirer l’attention du consommateur sur la distinction entre les médicaments en vente libre et les médicaments d’ordonnance, sur les différentes versions du produit Calmylin, sur le Damylin et le Benilyn et peut‑être sur d’autres médicaments.

 

[63]           À mon avis, les marques Calmylin et Damylin ne se ressemblent pas, et le son n’est pas le même. À cet égard, je préfère le témoignage de la professeure Gélinas‑Chebat. Elle a tenté de se mettre à la place de ceux qui voyaient ou entendaient les mots, alors que le professeur Leblanc était davantage porté à se mettre à la place du fabricant lorsqu’il a fait observer que, dans 98 p. 100 des cas, il y a une raison justifiant les noms donnés aux médicaments. Le témoignage du professeur Leblanc nous rappelle le passage du livre intitulé « Through the Looking Glass » (« De l’autre côté du miroir ») de Lewis Carroll, où Alice échange les propos suivants avec le Moucheron après lui avoir dit que les insectes lui faisaient plutôt peur :

Les insectes ne me procurent aucune espèce de bonheur parce qu’ils me font plutôt peur... du moins les gros... Mais je peux te dire le nom de quelques‑uns d’entre eux.

 

- Je suppose qu’ils répondent quand on les appelle par leur nom? demanda le Moucheron d’un ton négligent.

 

- Je ne les ai jamais vus faire cela.

 

- À quoi ça leur sert d’avoir un nom, s’ils ne répondent pas quand on les appelle?

 

- Ça ne leur sert de rien, à eux, mais je suppose que c’est utile aux gens qui leur donnent des noms. Sans ça, pourquoi est‑ce que les choses auraient un nom?

 

- Je ne sais pas.

 

 

Le consommateur moyen n’aurait pas les connaissances voulues pour se livrer à un tel raisonnement déductif et n’aurait pas tendance à le faire.

 

[64]           Je préfère le témoignage de Mme Gélinas‑Chebat, à savoir que, même dans un environnement bruyant, il existe peu de probabilité de confusion entre les consonnes distinctives « C » et « D ».

 

[65]           Qu’il s’agisse d’une action pour usurpation ou d’une demande d’enregistrement d’une marque présentée au registraire des marques de commerce, le critère qui s’applique à la question de la confusion est le même. Dans l’arrêt Kellogg Salada Canada Inc. c. Maximum Nutrition Ltd. (1992), 43 C.P.R. (3d) 349, il était question d’une opposition à l’enregistrement de la marque Nutri‑Vite employée en liaison avec des produits céréaliers et des produits alimentaires à base de légumes destinés à être utilisés comme aliment pour le petit déjeuner et pour le goûter. Les opposants s’étaient fondés sur leurs enregistrements des marques Nutri‑Max et Nutri‑Fibre pour des aliments de santé. S’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale, le juge Stone a dit ce qui suit, à la page 358 :

On a jugé que la présence d’un élément commun dans les marques de commerce a une grande incidence sur la question de la confusion, comme l’a exprimé le Contrôleur général dans l’affaire Re Harrods Ltds. Appl’n, précitée, à la page 70:

 

[traduction] C’est maintenant un principe reconnu, dont il faut tenir compte pour déterminer la possibilité de confusion entre deux marques de commerce seulement, que lorsque ces deux marques de commerce comportent un élément commun qui est également compris dans un certain nombre d’autres marques de commerce employées dans le même marché, cet emploi commun dans le marché incite les acheteurs à porter une plus grande attention aux autres traits des marques de commerce respectives et à les distinguer les unes des autres au moyen de ces autres traits.

 

Le juge a ajouté ceci, à la page 360 :

Je pense qu’on peut déduire que les consommateurs de ces produits sont habitués à établir de fines distinctions entre les diverses marques de commerce « Nutri » dans le marché, en portant une plus grande attention aux moindres petites différences entre les marques. J’accueille la prétention de l’appelante selon laquelle les marques de l’intimée sont faibles parce qu’elles incorporent un mot qui est employé généralement dans le commerce.

 

[66]           Je me fonde également sur la décision du juge Blair de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Cochrane‑Dunlop Hardware Ltd. c. Capital Diversified Industries Ltd. (1976), 30 C.P.R. (2d) 176, où en parlant du caractère distinctif inhérent des marques de commerce et de la mesure dans laquelle les marques sont devenues connues, il a dit à la page 182 :

[Traduction] Il est de jurisprudence constante qu’une marque de commerce composée d’un nom inventif saisissant ou d’un dessin original est en soi distinctive, et qu’on la considère comme une marque forte. En tant que telle, elle a droit à une protection d’une grande portée. Il en est particulièrement ainsi si elle est devenue bien connue à force d’usage. En revanche, si une marque manque de ces qualités exceptionnelles dans sa conception ou dans sa formulation, elle est, fondamentalement, moins distinctive, et on la considère comme une marque plus faible. La portée de la protection offerte à une marque faible est beaucoup inférieure à celle prévue pour une marque forte, et l’enregistrement d’autres marques contenant des différences relativement faibles peut être autorisé.

 

[67]           Pour ces motifs, je conclus que la demanderesse n’a pas établi que sa marque de commerce a été usurpée.

 

 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE que l’action soit rejetée avec dépens.

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-407-03

 

INTITULÉ :                                                   RATIOPHARM INC.

                                                                        c.

                                                                        LABORATOIRES RIVA INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATES DE L’AUDIENCE :                         DU 19 AU 22 JUIN 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT 

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 18 JUILLET 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christopher Atchison

Treena Cooper

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Francis Rouleau

Liviu Kaufman

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Heenan Blaikie

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

Blake, Cassels & Graydon

Montréal (Québec)

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

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